Abstract
Violation du secret des correspondances - Délit caractérisé (oui) - Commission de l'infraction par la prévenue nécessaire à l'exercice et au respect de ses droits de la défense dans une procédure pénale - Fait justificatif - Cause d'irresponsabilité pénale
Résumé
La prévenue a intenté en Italie une procédure pénale relative à la vente d'un bien immobilier, dont elle était copropriétaire avec sa sœur, réalisée sans son accord et à vil prix. Elle recevait à son domicile depuis des années le courrier de sa sœur, résidente à l'étranger. Elle a pris connaissance des courriers bancaires de celle-ci, afin de rechercher trace de la transaction immobilière en cause et a informé son avocat de leur contenu.
Le délit de violation du secret des correspondances reproché à la prévenue est parfaitement caractérisé. Néanmoins, le Tribunal considère que la commission de cette infraction par la prévenue était nécessaire à l'exercice et au respect de ses droits de la défense dans le cadre d'une procédure judiciaire déjà engagée. L'exercice des droits de la défense est un fait justificatif dudit délit et donc un obstacle à la condamnation de la prévenue. La prévenue est déclarée irresponsable pénalement du délit de violation du secret des correspondances qu'elle a commis.
TRIBUNAL CORRECTIONNEL
2023/000433
JUGEMENT DU 28 NOVEMBRE 2023
En la cause de la nommée ;
* e. B., née le jma à SAMADAN (Suisse), de nationalité italienne, demeurantx1 x2 - (Croatie) ;
Présente, constituée partie civile poursuivante, assistée de Maître Clyde BILLAUD, avocat près la Cour d'appel, chez lequel elle a fait élection de domicile, et plaidant par ledit avocat ;
CONTRE :
* e. A., née le jma à MILAN (Italie), de nationalité italienne, demeurant x3 - 98000 MONACO (Principauté de Monaco) ;
absente, représentée par Maître Christophe BALLERIO, avocat défenseur près la Cour d'appel, chez lequel il doit être considéré comme ayant fait élection de domicile par application de l'article 377 du Code de procédure pénale et plaidant par ledit avocat défenseur ;
Poursuivie pour :
* VIOLATION DU SECRET DES CORRESPONDANCES
En présence du MINISTÈRE PUBLIC ;
Visa
LE TRIBUNAL, jugeant correctionnellement, après débats à l'audience du 31 octobre 2023 ;
* Vu la procédure enregistrée au Parquet Général sous le numéro 2023/000433 ;
* Vu la citation délivrée à la requête de e. B., partie civile poursuivante, suivant exploit, de Maître Claire NOTARI, huissier, en date du 22 mai 2023 ;
* Vu le jugement avant-dire-droit en date du 13 juin 2023 fixant consignation à la partie civile et ayant renvoyé la cause et les parties à l'audience du 31 octobre 2023 ;
* Ouï la partie civile en ses demandes et déclarations ;
* Ouï Maître Clyde BILLAUD, avocat pour la partie civile, en ses observations ;
* Ouï le Ministère Public en ses observations ;
* Ouï Maître Christophe BALLERIO, avocat-défenseur, pour la prévenue, en ses observations ;
Motifs
Après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Par acte d'huissier en date du 22 mai 2023, e. B. a cité à comparaître directement e. C. par devant le Tribunal correctionnel aux fins de la déclarer coupable du délit de violation du secret des correspondances commis à MONACO, de mai 2020 à mai 2023.
À l'audience, e. B. s'est constituée partie civile et a demandé au Tribunal, par l'intermédiaire de son conseil, la condamnation de la prévenue à lui payer la somme de 15.000 euros en réparation du préjudice subi.
* Sur les faits,
Il ressort de l'examen de la citation directe d'e. B. que cette dernière constatait lors d'une procédure pénale intentée à l'étranger par sa sœur e. C. que cette dernière faisait référence à ses propres relevés bancaires.
Entendue, e. B. précisait qu'elle détenait un compte bancaire au D. et qu'elle se rendait deux fois par an dans cet établissement pour consulter ses comptes, jusqu'à son déménagement en Croatie. Malgré la déclaration de sa nouvelle adresse, son adresse monégasque du x3 était toujours utilisée par la banque.
Convoquée par la Direction de la Sûreté Publique, e. C., propriétaire et résidente du x3 à Monaco, déclarait être en conflit avec sa sœur e. depuis longtemps, les deux soeurs ne s'adressant plus la parole depuis une quinzaine d'années.
Elle indiquait qu'elle recevait depuis des années le courrier bancaire de sa sœur, à son domicile, dans lequel sa sœur n'avait jamais réellement résidé.
Elle précisait avoir appris en juin 2020 qu'un bien immobilier sis à Milan (Italie), estimé à 1.600.000€ avait été vendu à un prix de 500.000€ sans qu'elle ait été consultée sur cette vente alors que ce bien était la propriété d'une SCI suisse dans laquelle elle détenait 58% des parts et sa sœur 42%.
Elle avait alors ouvert les courriers bancaires de sa sœur, afin de rechercher la trace de cette transaction immobilière. Elle avait ensuite informé son avocat de leur contenu et une procédure pénale était pendante en Italie pour ces faits.
e. C. déclarait ignorer qu'elle n'avait pas le droit d'ouvrir ces courriers, précisant qu'elle avait pour habitude d'ouvrir le courrier de sa mère et de ses enfants pour identifier les courriers urgents. Elle ajoutait avoir souhaité obtenir des réponses à ses questions concernant les agissements de sa sœur dont elle s'estimait victime.
Elle précisait qu'elle avait reçu un courrier de l'avocat monégasque de sa sœur la mettant en demeure de restituer l'ensemble des courriers bancaires et qu'elle s'était exécutée le jour même.
Elle reconnaissait les faits qui lui étaient reprochés et s'en excusait ;
Le 12 décembre 2022, Le Parquet Général classait sans suite la plainte d'e. B.
Le 24 janvier 2023, celle-ci formait un recours contre ladite décision de classement sans suite et, le 29 mars 2023, Madame le Secrétaire d'État à la justice, Directeur des services judiciaires, maintenait cette décision.
Ainsi, e. B. faisait citer sa sœur e. C. devant le Tribunal correctionnel pour répondre des faits rappelés ci-dessus ;
* Sur ce,
Il convient dans un premier temps de préciser que le délit de violation du secret des correspondances reproché à e. C., qui ne l'a d'ailleurs aucunement contesté, est parfaitement caractérisé.
En revanche, le Tribunal considère que la commission de cette infraction par la prévenue était nécessaire à l'exercice et au respect de ses droits de la défense dans le cadre d'une procédure judiciaire déjà engagée et qui constituent ainsi un fait justificatif et donc un obstacle à la condamnation d'e. C.
Par conséquent, il convient de déclarer e. C. irresponsable pénalement du délit de violation du secret des correspondances qu'elle a commis et de débouter e. B. de sa demande tendant à obtenir des dommages et intérêts.
Dispositif
PAR CES MOTIFS,
LE TRIBUNAL, statuant contradictoirement, conformément aux dispositions de l'article 377 du Code de procédure pénale,
Déclare recevable la constitution de partie civile de e. B. ;
Dit que le délit de violation du secret des correspondances reproché à e. C. est constitué ;
Retient que l'exercice des droits de la défense d'e. C. est un fait justificatif dudit délit ;
En déclare e. C. irresponsable pénalement ;
Déboute e. B. de ses demandes ;
Laisse les frais de la présente procédure à la charge d'e. B. ;
Composition
Ainsi jugé après débats du trente et un octobre deux mille vingt-trois en audience publique tenus devant le Tribunal Correctionnel, composé par Monsieur Jérôme FOUGERAS LAVERGNOLLE, Vice-Président, Monsieur Florestan BELLINZONA, Vice-Président, Monsieur Thierry DESCHANELS, Juge, le Ministère public dûment représenté, et prononcé à l'audience publique du vingt-huit novembre deux mille vingt-trois par Monsieur Jérôme FOUGERAS LAVERGNOLLE, en présence de Madame Valérie SAGNÉ, Premier substitut du Procureur Général, assistés de Madame Laurie PANTANELLA, Greffier.
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