Abstract
Diffamation et injures publiques - Propos visant un magistrat - Dépassement des limites admissibles de la liberté d'expression (non) - Relaxe - Insinuations de pratiques contraires à la loi et à la déontologie - Atteinte à l'honneur et à la considération (oui) - Condamnation
Résumé
Les prévenus doivent être relaxés du chef de diffamation publique et complicité. Pour être caractérisée, la diffamation nécessite l'allégation ou l'imputation d'un fait précis portant atteinte à l'honneur ou à la considération de la personne désignée. Ils ont tenu les propos suivants : « Le juge X. appartient sans conteste à une espèce bien connue de magistrats : celle des redresseurs de tort dont la vision de la Justice et de leurs convictions sociales et politiques interfèrent dans la recherche de la vérité ». « Ils cherchent avec acharnement et trouvent, quand il y a des choses à trouver, ce qui est souvent le cas, et alors instruisent à charge ». Ces propos reflètent indéniablement l'opinion de leur auteur, un jugement de valeur de la façon dont certains magistrats, à l'instar de la partie civile, exercent leurs fonctions de juges d'instruction mais ne dépassent en aucun cas les limites admissibles de la liberté d'expression dans la description et l'analyse, de surcroît par un journaliste, de l'attitude adoptée par ces magistrats dans le cadre de leur mission, de la conception que ces derniers ont de leur profession, et des réelles motivations qui les animent pour atteindre l'objectif qui est le leur de parvenir à la manifestation de la vérité.
Les prévenus doivent être condamnés du chef de diffamation publique et complicité. Certains propos des prévenus insinuent que la partie civile, magistrat, a, dans le traitement des affaires qu'il a eu à instruire, violé le secret de l'instruction et n'a pas respecté le principe de présomption d'innocence en communiquant avec ardeur et empressement des informations confidentielles aux médias. Ces insinuations laissent entendre aux lecteurs que le magistrat a des pratiques professionnelles contraires à la loi, aux règles procédurales et déontologiques en permettant à des journalistes d'avoir accès aux dossiers d'informations judiciaires dont il a la charge. Ces propos portent atteinte à l'honneur et à la réputation professionnelle de ce magistrat.
Motifs
TRIBUNAL CORRECTIONNEL
2019/001817
CAB3-2019/000039
JUGEMENT DU 25 AOÛT 2021
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* En la cause du MINISTÈRE PUBLIC ;
Contre les nommés :
* 1- r. V., né le 25 janvier 1959 à ROME (Italie), de g. et de t. P. de nationalité italienne, journaliste, demeurant X1-00142 ROME (Italie) ;
Prévenu de :
* DIFFAMATION PAR VOIE DE PRESSE ET VOIE ÉLECTRONIQUE ENVERS UN FONCTIONNAIRE PUBLIC
* - PRÉSENT aux débats, comparaissant en personne ;
* 2- p. Z., né le 20 février 1944 à ARCACHON (Gironde - France), de g. et de s. M. de nationalité française, retraité, demeurant X2 - Bât. C - X3-98000 MONACO (Principauté de Monaco) ;
Prévenu de :
* COMPLICITÉ DE DIFFAMATION PAR VOIE DE PRESSE ET VOIE ÉLECTRONIQUE ENVERS UN FONCTIONNAIRE PUBLIC
* - PRÉSENT aux débats, assisté de Maître Aurélie SOUSTELLE, avocat au barreau de Nice, plaidant par ledit avocat ;
En présence de :
* - Monsieur e. L., né le 4 février 1977 à PARIS (France), de nationalité française, magistrat, demeurant X4-06110 LE CANNET (France), constitué partie civile, assisté de Maître Julien CEPPODOMO, avocat au barreau de Grasse, plaidant par ledit avocat ;
LE TRIBUNAL, jugeant correctionnellement, après débats à l'audience du 13 juillet 2021 ;
Vu la procédure enregistrée au Parquet Général sous le numéro 2019/001817 ;
Vu l'ordonnance de renvoi devant le Tribunal correctionnel du magistrat instructeur en date du 4 février 2021 ;
Vu les citations signifiées, suivant exploits, enregistrés, de Maître Claire NOTARI, huissier, en date du 26 mars 2021 ;
Ouï les prévenus en leurs réponses ;
Ouï la partie civile, en ses déclarations ;
Ouï Maître Julien CEPPODOMO, avocat au barreau de Grasse, régulièrement autorisé par Monsieur le Président à assister la partie civile, en ses demandes, fins et conclusions en date du 13 juillet 2021 ;
Ouï le Ministère Public en ses réquisitions ;
Ouï Maître Aurélie SOUSTELLE, avocat au barreau de Nice, régulièrement autorisée par Monsieur le Président à plaider pour p. Z. prévenu, en ses moyens de défense et plaidoiries par lesquels elle sollicite la relaxe de son client à l'appui de ses conclusions en date du 13 juillet 2021 ;
Ouï les prévenus, en dernier, en leurs moyens de défense ;
Après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Aux termes d'une ordonnance des magistrats instructeurs en date du 4 février 2021, r. V. et p. Z. ont été renvoyés par devant le Tribunal correctionnel, sous les préventions :
r. V. :
« D 'avoir à MONACO, courant juillet et août 2019, en tout cas depuis temps non couvert par la prescription, par voie de presse et par voie électronique, en l'espèce dans le journal « Y » et sur le site internet «Y. net», diffamé Monsieur e. L. fonctionnaire public en sa qualité de magistrat français détaché à l'étranger, par des allégations ou imputations de faits qui portent atteinte à son honneur ou à sa considération, en l'espèce en publiant et diffusant les propos suivants :
«Le juge L. appartient sans conteste à une espèce bien connue de magistrats : celle des redresseurs de tort dont la vision de la Justice et de leurs convictions sociales et politiques interfèrent dans la recherche de la vérité. Ils cherchent avec acharnement et trouvent, quand il y a des choses à trouver, ce qui est souvent le cas, et alors instruisent à charge. Sans ces juges cependant bien des affaires ne seraient jamais sorties, mais parfois leur zèle médiatisé piétine avec le secret de l'instruction, des réputations avec tout jugement. Car le Juge n'est pas là pour condamner avant le procès»,
DÉLIT prévu et réprimé par les articles 15, 21 alinéas 1 et 2, 22, 23 alinéa 1, 26, 27, 35, 36, 37, 39, 43 et 58 de la loi n° 1.299 du 15 juillet 2005 sur la liberté d'expression publique et 26 du Code pénal » ;
p. Z. :
« D'avoir à MONACO, courant juillet et août 2019, en tout cas depuis temps non couvert par la prescription, par voie de presse et par voie électronique, en l'espèce dans le journal « Y » et sur le site internet «Y. net», été complice par aide ou assistance du délit de diffamation commis par Monsieur r. V. envers Monsieur e. L. fonctionnaire public en sa qualité de magistrat français détaché à l'étranger, par des allégations ou imputations de faits qui portent atteinte à son honneur ou à sa considération, en l'espèce en ayant été l'auteur des propos suivants :
«Le juge L. appartient sans conteste à une espèce bien connue de magistrats : celle des redresseurs de tort dont la vision de la Justice et de leurs convictions sociales et politiques interfèrent dans la recherche de la vérité. Ils cherchent avec acharnement et trouvent, quand il y a des choses à trouver, ce qui est souvent le cas, et alors instruisent à charge. Sans ces juges cependant bien des affaires ne seraient jamais sorties, mais parfois leur zèle médiatisé piétine avec le secret de l'instruction, des réputations avant tout jugement. Car le Juge n'est pas là pour condamner avant le procès»,
DÉLIT prévu et réprimé par les articles 15, 21 alinéas 1 et 2, 22, 23 alinéa 1, 26, 27, 35, 36, 37, 39,43 et 58 de la loi 1.299 du 15 juillet 2005 sur la liberté d'expression publique, ainsi que par les articles 26, 41 et 42 du Code pénal » ;
À l'audience, e. L. s'est constitué partie civile et a fait déposer par son conseil des conclusions tendant à obtenir la condamnation des prévenus à lui payer solidairement les sommes de 10.000 euros au titre du préjudice moral et de 5.000 euros au titre des frais irrépétibles engagés ainsi que la diffusion de la décision prononcée sous la forme d'un communiqué.
* I- Sur les faits
Le 11 décembre 2019, Monsieur e. L. déposait plainte avec constitution de partie civile auprès du Juge d'Instruction de Monaco pour des faits qualifiés de diffamations par voie de presse et/ou par voie électronique envers un fonctionnaire public.
Le plaignant exposait être magistrat français et avoir été détaché auprès de la Direction des services judiciaires monégasque à compter du 1er septembre 2016 pour exercer des fonctions de juge d'instruction. Par un courrier qui lui était notifié le 24 juin 2019 par le Directeur des services judiciaires, les autorités monégasques l'informaient qu'elles entendaient renoncer au renouvellement de son détachement qui prenait fin le 1er septembre 2019.
Le plaignant ajoutait que cette information avait été relayée dès le 26 juin 2019 par plusieurs articles de presse et que c'est dans ce contexte qu'un article était paru dans le numéro 185 de juillet-août 2019 du mensuel « Y », sous le titre « Départ d'un juge très controversé ».
On pouvait ainsi lire :
« Le départ du juge L. de Monaco est compréhensible. Il y aura des réactions: il en a trop fait, c'est normal, ou bien il gênait, c'est un limogeage déguisé. Ce départ est cependant, quoi qu'on en pense, au niveau du droit, parfaitement légal. Cela va sans aucun doute alimenter le Monaco bashing médiatique. Ce n'est certes pas un hasard si le journal Z a été informé en priorité du non renouvellement du détachement du magistrat français. Le juge L. appartient sans conteste à une espèce bien connue de magistrats : celle des redresseurs de tort dont la vision de la justice et de leurs convictions sociales et politiques interfèrent dans la recherche de la vérité. Ils cherchent avec acharnement et trouvent, quand il y a des choses à trouver, ce qui est souvent le cas, et alors instruisent à charge. Sans ces juges cependant bien des affaires ne seraient jamais sorties, mais parfois leur zèle médiatisé piétine avec le secret de l'instruction, des réputations avant tout jugement. Car le juge n'est pas là pour condamner avant le procès.
Il ne pourra plus aller au bout de l'affaire R.
Le juge L. dans son enquête sur un trafic d'influence au profit de Mr R.(photo de droite) a provoqué une crise unique au sein du système judiciaire monégasque. Il a eu le mérite de dévoiler des connivences inadmissibles et peut-être illégales, la justice le dira. Mais on sentait bien que ce n'était qu'un début et qu'il allait continuer une instruction au karcher. Il ne sera donc pas reconduit et ne pourra sans doute pas aller au bout de son instruction. Certains s'en réjouiront, d'autres le regretteront. On peut espérer qu'un autre juge avec une autre méthode plus douce ou mieux adaptée à certaines spécificités (on lui souhaite bien du courage) sans volonté de se médiatiser, pourra aller jusqu'au bout de la vérité aussi désagréable soit-elle, sans pour autant couper des têtes avant jugement et donner des hommes en pâture aux médias.
Une relance inévitable des suspicions ...
Ceci étant dit, il faut bien voir de l'autre côté du mur. Personne - et certainement pas le journal Z - ne voudra croire au turn-over normal dans le cadre des conventions franco-monégasques encore en vigueur. Cette mise à l'écart va provoquer une relance inévitable des suspicions sur l'indépendance de la justice monégasque et sur le respect par la Principauté de la séparation des pouvoirs, perturbés par des connivences de fréquentations et de proximité. Son départ sera présenté comme une sanction. Il ne peut que relancer l'intérêt médiatique sur un dossier sulfureux et dont il faudra sur le plan de l'éthique tout de même tirer au bout du bout toutes les conséquences. C'est le souhait clairement exprimé du Prince Souverain. Cela passera par un retour à une instruction plus sereine, mais sans complaisance. »
Le plaignant considérait que le rédacteur de cet article lui imputait, en sa qualité de juge d'instruction détaché en principauté de Monaco, divers comportements contraires à la considération et à l'honneur, et que certaines assertions relevaient purement et simplement de l'injure.
Le plaignant rappelait cependant que la Cour de cassation avait posé le principe selon lequel le délit d'injure se trouvait absorbé par celui de diffamation, lorsque les expressions outrageantes ou appréciations injurieuses étaient indivisibles d'une imputation diffamatoire et se confondent avec elle.
Le plaignant considérait en particulier que les propos suivants revêtaient un caractère diffamatoire :
* 1°) « Le juge L. appartient sans conteste à une espèce bien connue de magistrats : celle des redresseurs de tort dont la vision de la justice et de leurs convictions sociales et politiques interfèrent dans la recherche de la vérité ».
M. L. considérait en effet que ces propos lui imputaient de se comporter non pas en juge mais en justicier servant sa vision personnelle de la justice en se réclamant de ses propres convictions et de sa morale, plus que du droit, dans le cadre des investigations qu'il menait.
Il ajoutait que dès lors qu'il était présenté comme un justicier poursuivant sa vision de la justice et menant des enquêtes influencées par ses convictions personnelles plus que conduites selon la stricte recherche de la vérité, et non pas comme un magistrat œuvrant en faveur de la manifestation de la vérité dans le respect de l'Etat de droit, il s'agissait de mettre en cause la légitimité de son action à raison de sa personne. Ces faits matérialisaient également selon lui une entorse au devoir d'impartialité.
* 2°) « Ils cherchent avec acharnement et trouvent, quand il y a des choses à trouver, ce qui est souvent le cas, et alors instruisent à charge ».
Selon le plaignant, ce texte le présentait comme un magistrat saisi d'un zèle inquisitorial qui, après avoir mené des investigations, non pas avec détermination, mais avec acharnement, avait exercé ses fonctions dans le but d'établir la culpabilité des personnes suspectées plus qu'à rechercher la vérité.
Cette allégation constituait selon lui un grief susceptible de caractériser de graves manquements aux devoirs de son état et en particulier, à celui d'impartialité qui lui incombait dans le cadre de son activité professionnelle.
Dès lors, selon le plaignant, si les propos incriminés manquaient nécessairement de précaution et de nuance, ces derniers ne relevaient pas d'un jugement de valeur mais reposaient sur une base factuelle puisqu'ils lui déniaient les qualités d'impartialité et d'objectivité qui caractérisent l'exercice de l'activité judiciaire tandis qu'ils n'apportaient aucune preuve de la réalité du comportement spécifique qui lui était imputé.
* 3°) « Sans ces juges cependant bien des affaires ne seraient jamais sorties, mais parfois leur zèle médiatisé piétine avec le secret de l'instruction, des réputations avant tout jugement. Car le juge n'est pas là pour condamner avant le procès ».
Ce troisième extrait relevait également de la diffamation selon M. L. puisqu'il suggérait et insinuait qu'en raison de son attitude, à savoir son « zèle médiatisé», il avait bafoué le respect du secret de l'instruction ainsi que celui de la présomption d'innocence.
Le 20 décembre 2019, le Procureur général délivrait des réquisitions aux fins d'informer contre personne non dénommée du chef de diffamation par voie de presse et voie électronique envers un fonctionnaire public.
Dans le cadre de la commission rogatoire délivrée à la Direction de la Sûreté Publique, le 15 janvier 2020, Monsieur r. V. directeur de la publication du journal « Y » et administrateur de la SAS A, était entendu, le 9 juin 2020, sous le régime de la garde à vue.
Il confirmait être le directeur de la publication de ce journal et ne contestait pas être à ce titre directement responsable de tout ce qui était publié par ce dernier « notamment en termes de responsabilité pénale et de responsabilité civile ». Il estimait dans un premier temps vouloir assumer seul la responsabilité liée à la parution et à la diffusion de l'article incriminé, paru sous la signature du pseudonyme « p-a. M. ».
Il situait parfaitement cet article paru dans « Y » des mois de juillet-août 2019 et confirmait que son journal disposait également d'un site internet à l'adresse www. Y. net à partir duquel il avait été possible de consulter l'article en accès libre pendant les deux mois de juillet et août 2019 ajoutant que ce dernier était toujours disponible en libre accès à partir d'un autre lien.
Il contestait sur le fond que l'article ait contenu des éléments de diffamation, un journaliste pouvant, selon lui, dans l'exercice de sa profession, exprimer des critiques et des opinions et ce en vertu du principe de liberté d'expression garanti par la Constitution.
Il relevait ensuite que les juges avaient leurs propres convictions sociales et politiques, qui pouvaient influencer leur action professionnelle, que l'« impartialité ou même l'absolue abstraction de la réalité qui les entourait était un mythe que personne n'osait aujourd'hui plus défendre ».
Il estimait en outre qu'il convenait de considérer le ton global du chapeau dans son intégralité, que le rédacteur interprétait le probable ressenti de l'opinion publique par rapport au départ du juge L. et que la partie contestée ne devait pas être interprétée comme une affirmation péremptoire de l'auteur mais plutôt comme le sentiment général de la population locale par rapport à ce départ.
Monsieur r. V. était inculpé le 10 septembre 2020 du chef de diffamation par voie de presse et voie électronique envers un fonctionnaire public. Spontanément, il déclarait maintenir les déclarations faites à la police et ajoutait que l'article devait être considéré dans sa globalité ; il affirmait enfin que le juge L. n'était pas directement visé mais la Justice au sens large.
Interrogé le 29 septembre 2020, Monsieur r. V. expliquait avoir créé, fondé et financé le journal « Y » qui, à l'origine, était un hebdomadaire et avait son siège à MONACO. Puis il avait été fait le choix de transférer le siège social de ce journal d'opinions indépendant à ROME, de le faire paraître chaque mois et de le consacrer à l'analyse et au commentaire de l'actualité monégasque sur les plans économiques, politiques et sociaux.
r. V. reconnaissait que l'article était, lors de la parution, également consultable sur le site internet du journal et être encore le directeur de la publication du journal.
L'éditeur du journal était la société italienne en commandite simple SAS A. Il relatait les conditions dans lesquelles les journalistes, à qui il laissait une grande liberté de choix à cet égard, pouvaient préférer signer un article sous un pseudonyme, notamment lorsqu'il s'agissait de traiter des sujets sensibles, comme la Justice.
Il déclarait par ailleurs que l'auteur de l'article incriminé était Monsieur p. Z., par ailleurs rédacteur en chef du journal. Ce dernier avait préféré utiliser un pseudonyme et il avait validé ce choix après avoir « lu et relu » l'article.
Sur le fond, Monsieur r. V. confirmait ses précédentes déclarations contestant le caractère diffamatoire des propos publiés. Non seulement M. L. n'était pas la cible de cet article, mais au contraire ce dernier pouvait être vu comme un éloge de sa conduite professionnelle. Il n'était pas visé personnellement et le passage le plus sensible du texte faisait référence à une catégorie théorique de magistrats qui pourraient être influencés par leurs convictions sociales et politiques. Si attribuer à une personne l'appartenance à un groupe, une association, un rassemblement constitué, à laquelle elle n'adhérait pas, pouvait le cas échéant être constitutif de diffamation, l'attribuer à une catégorie générique ne pouvait relever que d'une opinion. Il prétendait même que s'estimer diffamé pour s'être vu attribuer une appartenance revenait à reconnaître que cette catégorie existait réellement. M. r. V. précisait n'avoir pas été d'accord avec M. p. Z. sur ce passage spécifique, lui avoir fait remarquer, mais avoir respecté son opinion. Au final cet article fournissait l'occasion d'analyser plus généralement les grands thèmes de la Justice.
Le 30 octobre 2020, Monsieur p. Z. était à son tour inculpé pour avoir été complice du délit de diffamation par voie de presse et voie électronique envers un fonctionnaire public commis par M. r. V. conformément aux dispositions de l'article 36 de la loi n°1.299 du 15 juillet 2005.
Il déclarait s'étonner de l'absence de demande de droit de réponse de la part de M. L. considérant qu'habituellement c'est de cette façon que les choses se passaient.
Il prétendait par ailleurs que l'article n'allait pas au-delà de ce qui était autorisé au nom de la liberté d'expression. Il indiquait que son article avait pour but d'expliquer les raisons de la non reconduction du juge, mettant en avant à ce titre l'action jugée brutale et médiatisée de ce dernier.
La suspicion de « juge engagé » résultait selon lui de la diffusion d'informations par le journal « Z », sans respect du secret de l'instruction. Or, le journal « Z » était connu pour ses engagements politico-judiciaires.
Cette idée de « juge engagé » avait par ailleurs été confirmée par le reportage de la chaîne W consacré à MONACO et au cas du juge L. et notamment :
* - la façon désinvolte dont il avait relaté la cérémonie à la cathédrale,
* - l'affirmation - qui se voulait être une boutade - « un juge républicain dans une principauté »,
* - les questions (une cinquantaine) envoyées au Prince Souverain qui avaient été « inscrites » dans son acte de procédure, alors qu'il se savait non reconduit.
Monsieur p. Z. estimait enfin que le journal avait été pris dans une action politico-médiatique du Juge qui n'avait pas accepté son non renouvellement et que l'article ne portait aucun jugement sur le fond de l'instruction judiciaire.
À l'issue de l'information judiciaire, r. V. et p. Z. ont été renvoyés devant le Tribunal correctionnel pour les faits dont ils avaient été respectivement inculpés.
* II- Sur l'action publique
* Sur le cadre juridique :
L'article 21 de la loi n° 1.299 du 15 juillet 2005 sur la liberté d'expression publique définit la diffamation comme « toute allégation ou imputation d'un fait qui porte atteinte à l'honneur ou à la considération de la personne, d'un groupe de personnes liées par la même appartenance au sens de l'article 24 ou du corps auquel le fait est imputé est une diffamation ».
Par ailleurs, l'article 23 de cette même loi réprime la diffamation commise par voie de presse ou électronique envers un fonctionnaire public.
En l'espèce, il est incontestable que les écrits litigieux ont paru dans un organe de presse et sur le site internet de celui-ci et concernent e. L. alors qu'il était magistrat en Principauté de Monaco.
Enfin, les articles 35 et 36 de ce texte disposent que lorsque l'une des infractions prévues à la loi est commise par un moyen d'expression écrite, sont poursuivis comme auteurs principaux, les directeurs de la publication ou éditeur, s'il y en a, et que lorsque les directeurs de la publication ou les éditeurs sont en cause, les auteurs du texte sont poursuivis comme complices.
En l'espèce, r. V. a encore reconnu à l'audience avoir été le Directeur de la publication du journal « Y » au moment de la parution de l'article litigieux et p. Z. a confirmé en avoir été l'auteur.
* Sur les écrits litigieux :
«Le juge L. appartient sans conteste à une espèce bien connue de magistrats : celle des redresseurs de tort dont la vision de la Justice et de leurs convictions sociales et politiques interfèrent dans la recherche de la vérité. Ils cherchent avec acharnement et trouvent, quand il y a des choses à trouver, ce qui est souvent le cas, et alors instruisent à charge. Sans ces juges cependant bien des affaires ne seraient jamais sorties, mais parfois leur zèle médiatisé piétine avec le secret de l'instruction, des réputations avec tout jugement. Car le Juge n'est pas là pour condamner avant le procès»
Ces écrits visent incontestablement une personne identifiable, à savoir e. L. et traitent des circonstances dans lesquelles le détachement de ce magistrat français en Principauté de Monaco a pris fin.
Pour être caractérisée, la diffamation nécessite l'allégation ou l'imputation d'un fait précis portant atteinte à l'honneur ou à la considération de la personne désignée.
«Le juge L. appartient sans conteste à une espèce bien connue de magistrats : celle des redresseurs de tort dont la vision de la Justice et de leurs convictions sociales et politiques interfèrent dans la recherche de la vérité. »
«Ils cherchent avec acharnement et trouvent, quand il y a des choses à trouver, ce qui est souvent le cas, et alors instruisent à charge.»
Ces propos reflètent indéniablement l'opinion de leur auteur, un jugement de valeur de la façon dont certains magistrats, à l'instar d e. L. exercent leurs fonctions de juges d'instructions mais ne dépassent en aucun cas les limites admissibles de la liberté d'expression dans la description et l'analyse, de surcroît par un journaliste, de l'attitude adoptée par ces magistrats dans le cadre de leur mission, de la conception que ces derniers ont de leur profession, et des réelles motivations qui les animent pour atteindre l'objectif qui est le leur de parvenir à la manifestation de la vérité.
Par conséquent, r. V. et p. Z. devront être relaxés de ces chefs.
« Sans ces juges cependant bien des affaires ne seraient jamais sorties, mais parfois leur zèle médiatisé piétine avec le secret de l'instruction, des réputations avec tout jugement. Car le Juge n'est pas là pour condamner avant le procès».
Une partie de ces écrits suggère et insinue incontestablement que e. L. a, dans le traitement des affaires qu'il a eues à instruire, violé le secret de l'instruction et n'a pas respecté le principe de présomption d'innocence en communiquant avec ardeur et empressement des informations confidentielles aux médias.
Ces insinuations laissent entendre aux lecteurs dudit article que ce magistrat a des pratiques professionnelles contraires à la loi, aux règles procédurales et déontologiques en permettant à des journalistes d'avoir accès aux dossiers d'informations judiciaires dont il a la charge.
Aussi, les propos suivants «mais parfois leur zèle médiatisé piétine avec le secret de l'instruction, des réputations avec tout jugement.» caractérisent une atteinte à l'honneur et à la réputation professionnelle de ce magistrat.
Par conséquent, r. V. et p. Z. devront être déclarés pour ces écrits respectivement coupables des faits de diffamation et de complicité de diffamation commis par voie de presse et voie électronique envers un fonctionnaire public et condamnés, compte tenu de leur absence d'antécédents judiciaires, chacun à une peine de 3.000 euros d'amende avec sursis.
* III- Sur l'action civile
Il y a lieu de recevoir e. L. en sa constitution de partie civile.
Il convient, eu égard à la relative faible audience que connaît le journal « Y » qui est un organe de presse local, de réparer le préjudice causé à e. L. par la diffusion par conséquent relativement limitée de cet article, à hauteur de 1.500 euros à titre de dommages-intérêts que r. V. et p. Z. devront lui verser solidairement.
IV- Sur la diffusion de la présente décision
Les condamnations pour des faits de diffamation par voie de presse envers un fonctionnaire public n'étant aucunement prévues par l'article 24 de la loi 1.299 du 15 juillet 2005, le Tribunal ne peut ordonner la diffusion de la présente décision par voie de communiqué prévue au dernier alinéa dudit article 24.
Dispositif
PAR CES MOTIFS,
LE TRIBUNAL, statuant contradictoirement,
Sur l'action publique,
Déclare r. V. et p. Z. coupables des délits qui leur sont respectivement reprochés pour les termes « mais parfois leur zèle médiatisé piétine avec le secret de l'instruction, des réputations avant tout jugement » ;
Les relaxe du surplus ;
En répression, faisant application des articles visés par les préventions, ainsi que de l'article 393 du Code pénal,
Les condamne chacun à la peine de TROIS MILLE EUROS D'AMENDE AVEC SURSIS, l'avertissement prescrit par l'article 395 du Code pénal ayant été adressé à r. V. et n'ayant pu être adressé à p. Z., absent lors du prononcé de la décision ;
Sur l'action civile,
Reçoit e. L. en sa constitution de partie civile ;
Le déclarant partiellement fondé en ses demandes, condamne r. V. et p. Z. à lui payer solidairement la somme de 1.500 euros à titre de dommages-intérêts, toutes causes de préjudices confondues ;
Dit n'y avoir lieu à ordonner la diffusion de la présente décision sous la forme d'un communiqué ;
Et condamne, enfin, r. V. et p. Z. solidairement aux frais ;
Composition
Ainsi jugé après débats du treize juillet deux mille vint-et-un, en audience publique tenus devant le Tribunal Correctionnel, composé de Monsieur Jérôme FOUGERAS LAVERGNOLLE, Vice-Président, Monsieur Florestan BELLINZONA, Vice-Président, Madame Aline BROUSSE, Juge, le Ministère public dûment représenté, et prononcé à l'audience publique du vingt-cinq août deux mille vingt-et-un, par Monsieur Jérôme FOUGERAS LAVERGNOLLE, Vice-Président, en présence de Monsieur Julien PRONIER, Premier Substitut du Procureur Général, assistés de Madame Marina MILLIAND, Greffier.
Jugement signé seulement par Monsieur Jérôme FOUGERAS LAVERGNOLLE, Vice-Président, Madame Aline BROUSSE, Juge, et Madame Marina MILLIAND, Greffier, en l'état de l'empêchement de Monsieur Florestan BELLINZONA, Vice-Président, conformément à l'article 60 de la loi n° 1.398 du 24 juin 2013 relative à l'administration et à l'organisation judiciaires.
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