Abstract
Banqueroute frauduleuse - Éléments constitutifs - Mauvaise foi (non) - Volonté légitime de maintenir l'activité de la société - Relaxe
Résumé
Le prévenu est poursuivi des chefs de banqueroute simple, délit qui requiert la mauvaise foi d'un dirigeant de droit ou de fait d'une personne morale se trouvant en état de cessation des paiements. Tel n'est pas le cas en l'espèce, le prévenu ayant essayé de manière légitime de maintenir l'activité de la société qu'il gérait afin de combler le passif dû principalement à l'administration fiscale pour des raisons qui ne peuvent lui être imputées.
Motifs
TRIBUNAL CORRECTIONNEL
2019/000805
JUGEMENT DU 15 JUIN 2021
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* En la cause du MINISTÈRE PUBLIC ;
Contre le nommé :
* - e. H., ès-qualités de gérant de la SARL A, né le 15 juillet 1964 à NICE (Alpes-Maritimes - France), de r. et de c. M. de nationalité française, gérant de société, demeurant X1-83440 SEILLANS (France) ;
Prévenu de :
BANQUEROUTES SIMPLES
* - PRÉSENT aux débats, assisté de Maître Michel MONTAGARD, avocat au barreau de Nice, plaidant par ledit avocat ;
En présence de :
* - Madame b. RA., ès-qualités de syndic liquidateur de la SARL A, demeurant X2 - 98000 MONACO (Principauté de Monaco), constituée partie civile, ABSENTE, représentée par Maître Clyde BILLAUD, avocat près la Cour d'appel de Monaco, plaidant par ledit avocat ;
LE TRIBUNAL, jugeant correctionnellement, après débats à l'audience du 25 mai 2021 ;
Vu la procédure enregistrée au Parquet Général sous le numéro 2019/000805 ;
Vu la citation signifiée, suivant exploit, enregistré, de Maître Frédéric LEFEVRE, huissier, en date du 23 octobre 2020 ;
Ouï le prévenu en ses réponses ;
Ouï Maître Clyde BILLAUD, avocat, pour b. RA., ès-qualités de syndic liquidateur de la SARL A, partie civile, en ses demandes et déclarations ;
Ouï le Ministère Public en ses réquisitions ;
Ouï Maître Michel MONTAGARD, avocat au barreau de Nice, régulièrement autorisé par Monsieur le Président à assister le prévenu, en ses moyens de défense et plaidoiries par lesquels il sollicite la relaxe de son client à l'appui de ses conclusions déposées à l'audience du 25 mai 2021 ;
Ouï le prévenu, en dernier, en ses moyens de défense ;
Après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Attendu que e. H. est poursuivi correctionnellement sous la prévention :
« Pour avoir, à Monaco, entre courant mars 2015 et courant mars 2018,
- étant dirigeant de droit de la SARL A, se trouvant en état de cessation des payements, selon jugement du 15 mars 2015, de mauvaise foi et sans excuse légitime, omis de faire au greffe général, dans les 15 jours, la déclaration de la cessation des payements de ladite société, en l'espèce et, la juridiction pénale n'étant pas liée par la date du 31 décembre 2016 fixée par le juge civil comme date de début de la période suspecte, en l'état :
* d'une dette fiscale exigible depuis septembre 2014, soit postérieurement à la plainte déposée le 23 janvier 2014 par le gérant concernant les faits commis par une ancienne salariée sur la période 2009/2013, ayant donné lieu à des significations par huissier en date des 16 avril 2015 et 27 septembre 2016, pour un montant total de 544.195,55 €, et sachant qu'au 31 décembre 2015 la société était déjà redevable d'une somme en principal de 296.576 € à titre de TVA non payée ;
* et dans le contexte, au 31 décembre 2015, d'une baisse annuelle du chiffre d'affaires de 22%, d'un résultat net négatif de - 71.646,89 €, d'un actif disponible à un an de 581.281,81 € et d'un stock évalué à 299.259,73 € sur la base du prix d'achat et de transport au regard d'un passif exigible à un an de 988.129,37 €
* et dans le contexte, au 31 décembre 2016, d'une baisse annuelle du chiffre d'affaires de 16%, d'un résultat net négatif de - 154.546,51 €, d'un actif disponible à un an de 453.449,57 € et d'un stock évalué à 346.576,85 € sur la base du prix d'achat et de transport au regard d'un passif exigible à un an de 1.040.565,65 €
* et pour un passif arrêté par ordonnance du 23 avril 2019 à la somme de 785.378,57 €
et ce au préjudice de madame le syndic b. RA.,
DÉLIT prévu et réprimé par les articles 327 et 328 du Code pénal ;
Pour avoir, à Monaco, entre courant mars 2015 et courant mars 2018,
* - étant dirigeant de droit de la SARL A, se trouvant en état de cessation des payements, selon jugement du 15 mars 2015, payé ou fait payer un créancier au préjudice de la masse, en l'espèce par la poursuite abusive d'une exploitation déficitaire et ne respectant pas le principe de l'égalité des créanciers applicable à compter de l'état de cessation des paiements et ce, la juridiction pénale n'étant pas liée par la date du 31 décembre 2016 fixée par le juge civil comme date de début de la période suspecte, en l'état d'une trésorerie disponible fictive en ce que, selon l'expert-comptable, « le banquier virtuel de la SARL A était les Services fiscaux » et notamment, se sachant pourtant redevable au 31 décembre 2015 d'une somme en principal de 296.576 € à titre de TVA non payée, en concluant fin 2015 un contrat de distribution de scanners de laboratoires avec la société B et générant au profit de cette société des règlements de 42.602,50 € sur l'exercice 2015 et 224.895,80 € sur l'exercice 2016 et dans le contexte d'un passif arrêté par ordonnance du 23 avril 2019 à la somme de 785.378,57 € et qui ne donnera lieu à aucune production de la société B
et ce au préjudice de madame le syndic b. RA.,
DÉLIT prévu et réprimé par les articles 327 et 328 du Code pénal » ;
Attendu qu'à l'audience, b. RA., ès-qualités de syndic liquidateur de la SARL A, s'est constituée partie civile et a sollicité par l'intermédiaire de son conseil la condamnation du prévenu à lui payer la somme 660.000 euros à titre de dommages-intérêts correspondant au montant du passif ;
* Sur l'action publique,
Attendu qu'il convient de rappeler que e. H. a été poursuivi par devant le Tribunal correctionnel pour répondre des faits de banqueroutes simples qui sont prévus et réprimés par les articles 327 et 328 du Code pénal ;
Attendu qu'il résulte de l'examen de ce dernier texte que la mauvaise foi d'un dirigeant de droit ou de fait d'une personne morale se trouvant en état de cessation des paiements doit être démontrée afin de pouvoir caractériser tout délit de banqueroute ;
Attendu, en l'espèce, qu'il est acquis que la SARL A, qui a été constituée le 16 novembre 1999 afin d'exercer une activité de fabrication et de commercialisation de produits et matériels dentaires, a été victime, à compter de l'année 2009, mais dont la révélation a eu lieu en 2014, de faits d'abus de confiance, de falsification de chèques et d'émission de chèque sans provision de la part de sa comptable c. S.
Attendu que c S. a ainsi été condamnée en 2016 pour ces délits qui ont provoqué à la SARL A un préjudice total estimé à 130.000 euros par les juridictions répressives ;
Attendu qu'il ressort des éléments issus de l'enquête que les difficultés de cette société ont pour origine ces malversations à la suite desquelles la SARL A s'est retrouvée redevable principalement d'un arriéré de TVA et d'intérêts de retard envers la Direction des Services Fiscaux qui, malgré la délivrance d'une première contrainte au mois de février 2015, a consenti, de fait, un délai de paiement à la SARL A à laquelle elle a délivré, sans entreprendre dans l'intervalle d'autres démarches plus coercitives, une nouvelle contrainte de commandement de payer le 13 février 2018 à la suite de laquelle e. H. a déposé, dès le 1er mars 2018, une déclaration de cessation de paiements ;
Attendu qu'il est constant qu'entre le moment de la révélation des faits délictueux commis par c S. soit l'année 2014, les difficultés financières engendrées par ceux-ci et cette déclaration au mois de mars 2018, e. H. a entrepris des initiatives afin de tenter de « sauver » la société dont il était gérant depuis 1999, en signant par exemple un contrat de distribution de scanners de laboratoires avec la société B et en maintenant, malgré de graves problèmes de santé apparus en 2016 et dont il justifie, une activité lui permettant de ne pas accroître le passif découlant des agissements de son ancienne comptable et en payant notamment durant cette période la TVA due ;
Attendu qu'il découle de l'ensemble de ces considérations que la mauvaise foi ne peut être retenue à l'encontre du prévenu qui a essayé de manière légitime de maintenir l'activité de la société qu'il gérait afin de combler le passif dû principalement à la Direction des Services fiscaux pour des raisons qui ne peuvent lui être imputées ;
Attendu qu'il convient, par conséquent, de relaxer e. H. des délits qui lui sont reprochés ;
* Sur l'action civile,
Attendu qu'il y a lieu de recevoir b. RA., ès-qualités de syndic liquidateur de la SARL A en sa constitution de partie civile mais de la débouter au fond de ses demandes compte tenu de la relaxe prononcée ci-dessus ;
Dispositif
PAR CES MOTIFS,
LE TRIBUNAL, statuant contradictoirement,
Sur l'action publique,
Relaxe e. H. des fins de la poursuite sans peine ni dépens ;
Sur l'action civile,
Reçoit b. RA., ès qualités de syndic liquidateur de la SARL A, en sa constitution de partie civile ;
La déboute de ses demandes en l'état de la relaxe prononcée ci-dessus ;
Et laisse les frais à la charge du Trésor ;
Composition
Ainsi jugé après débats du vingt-cinq mai deux mille vint-et-un, en audience publique tenus devant le Tribunal Correctionnel, composé de Monsieur Jérôme FOUGERAS LAVERGNOLLE, Vice-Président, Monsieur Florestan BELLINZONA, Vice-Président, Monsieur Franck VOUAUX, Juge, le Ministère public dûment représenté, et prononcé à l'audience publique du quinze juin deux mille vingt-et-un, par Monsieur Jérôme FOUGERAS LAVERGNOLLE, Vice-Président, en présence de Madame Emmanuelle CARNIELLO, Substitut du Procureur Général, assistés de Madame Marina MILLIAND, Greffier.
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