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09/07/2013 | MONACO | N°12067

Monaco | Tribunal correctionnel, 9 juillet 2013, Ministère public c/ r. TH.


Motifs

TRIBUNAL CORRECTIONNEL

2012/000753

INF. J. I. CABII-2012/000012

JUGEMENT DU 9 JUILLET 2013

____________________

En la cause du MINISTÈRE PUBLIC ;

Contre le nommé :

- r. TH., né le 5 août 1961 à BREDA (Pays-Bas), de Petrus et de Katarina HOLTHUIZEN, de nationalité néerlandaise, administrateur de sociétés, demeurant X - LONDRES SW1 X8DW (Grande-Bretagne) ;

Prévenu de :

INFRACTION À LA LÉGISLATION SUR LES CHÈQUES (émission de chèque sans provision)

- PRÉSENT aux débats, assisté de Maître Richard

MULLOT, avocat défenseur près la Cour d'appel, plaidant par ledit avocat défenseur ;

En présence de :

- Madame d. KH., née le 12 ...

Motifs

TRIBUNAL CORRECTIONNEL

2012/000753

INF. J. I. CABII-2012/000012

JUGEMENT DU 9 JUILLET 2013

____________________

En la cause du MINISTÈRE PUBLIC ;

Contre le nommé :

- r. TH., né le 5 août 1961 à BREDA (Pays-Bas), de Petrus et de Katarina HOLTHUIZEN, de nationalité néerlandaise, administrateur de sociétés, demeurant X - LONDRES SW1 X8DW (Grande-Bretagne) ;

Prévenu de :

INFRACTION À LA LÉGISLATION SUR LES CHÈQUES (émission de chèque sans provision)

- PRÉSENT aux débats, assisté de Maître Richard MULLOT, avocat défenseur près la Cour d'appel, plaidant par ledit avocat défenseur ;

En présence de :

- Madame d. KH., née le 12 novembre 1975 à MOSCOU (Russie), de nationalité russe, demeurant X - 125315 MOSCOU (Russie), constituée partie civile, assistée de Maître Régis BERGONZI, avocat défenseur près la Cour d'appel, plaidant par ledit avocat défenseur ;

LE TRIBUNAL, jugeant correctionnellement, après débats à l'audience du 25 juin 2013 ;

Vu l'ordonnance de renvoi devant le Tribunal correctionnel du Magistrat instructeur en date du 4 mars 2013 ;

Vu la citation signifiée, suivant exploit, enregistré, de Maître Claire NOTARI, huissier, en date du 25 mars 2013 ;

Ouï Maître Richard MULLOT qui soulève, in limine litis, des exceptions de nullité ;

Ouï Maître Régis BERGONZI en ses observations ;

Ouï le Ministère Public en réponse ;

Ouï Monsieur le Président qui, après avoir pris l'avis de ses assesseurs, décide de joindre l'incident au fond ;

Ouï le prévenu en ses réponses, et ce, avec l'assistance de Natasha FROST, demeurant « Le Poivrier », 8 avenue Général de Gaulle à BEAUSOLEIL (06240), faisant fonction d'interprète en langue anglaise, serment préalablement prêté ;

Ouï d. KH., partie civile, en ses déclarations, et ce, avec l'assistance d'Elvira WITFROW, demeurant « Le Magellan », 26 quai Jean-Charles Rey à MONACO, faisant fonction d'interprète en langue russe, serment préalablement prêté ;

Ouï Maître Régis BERGONZI, avocat défenseur pour la partie civile, en ses demandes, fins et conclusions en date du 25 juin 2013 ;

Ouï le Ministère Public en ses réquisitions ;

Ouï Maître Richard MULLOT, avocat défenseur pour le prévenu, en ses moyens de défense, plaidoiries et conclusions en date du 25 juin 2013 ;

Ouï le prévenu, en dernier en ses moyens de défense ;

Après en avoir délibéré conformément à la loi ;

Aux termes d'une ordonnance du Magistrat instructeur en date du 4 mars 2013, r. TH. a été renvoyé par devant le Tribunal correctionnel, sous la prévention :

« - d'avoir à SAINT TROPEZ (France), le 23 juillet 2011, émis de mauvaise foi, sur un compte tenu au Crédit Suisse à MONACO, un chèque bancaire d'un million d'euros, sans provision préalable et disponible, à l'ordre de d. KH.,

DÉLIT prévu et réprimé par les articles 331.1° et 330 alinéa 1 du Code pénal ».

d. KH. s'est constituée partie civile à l'audience et a fait déposer par son conseil des conclusions tendant à voir déclarer le prévenu coupable des faits qui lui sont reprochés et obtenir sa condamnation au paiement de la somme de 1.050.000 euros tous chefs de préjudice confondus.

Le 19 avril 2012, d. KH. déposait plainte avec constitution de partie civile du chef d'émission de chèque sans provision contre r. TH.

Elle exposait qu'ayant entretenu une relation avec celui-ci depuis 2006 il lui avait, en juillet 2011, proposé le mariage et lui avait, pour garantir sa sécurité financière, remis un chèque d'un million d'euros tiré sur un compte tenu au Crédit Suisse de Monaco. La remise de ce chèque s'était effectuée à Saint-Tropez (France) quelques jours avant l'anniversaire de r. TH. Peu de temps après, celui-ci lui avait annoncé sa décision de rompre. Elle avait alors tenté d'encaisser le chèque, sur lequel elle avait porté la mention de la date et du lieu, qui avait été rejeté par le Crédit Suisse pour défaut de provision.

Inculpé le 9 octobre 2012 et entendu de manière détaillée le 30 janvier 2013, r. TH. ne contestait pas être le signataire du chèque. Il confirmait l'avoir remis à d. KH. le 23 juillet 2011 à Saint-Tropez, sans toutefois y avoir mentionné la date et le lieu d'émission. Il exposait en détail sa relation avec la bénéficiaire, se disant « amoureux et stupide » à l'époque. Il avait réalisé que sa « fiancée » n'en voulait qu'à son argent et apprenant par ailleurs qu'elle était en réalité une prostituée, il avait rompu.

Il estimait qu'elle n'aurait dû encaisser le chèque qu'après célébration du mariage et que, comme il n'avait pas eu lieu, elle aurait dû le lui rendre, comme elle se serait d'ailleurs engagée à le faire. Il admettait que le compte sur lequel le chèque était tiré ne disposait pas au moment de l'émission d'une provision de ce montant, mais qu'il aurait pu le faire régler par l'établissement bancaire.

La gestionnaire de son compte estimait que comme de nombreux autres étrangers, r. TH. n'avait pas la « culture du chèque » et ne mesurait pas exactement la portée de la remise d'un tel titre de paiement. Elle remettait les relevés de ce compte sur la période démontrant l'absence de provision.

Par ordonnance de renvoi du 4 mars 2013 r. TH. était renvoyé devant ce Tribunal du chef de chèque sans provision.

SUR CE,

Sur les nullités :

Le prévenu fait valoir la nullité de la citation et du procès-verbal de première comparution, et subséquemment de l'ensemble de la procédure, au motif que les faits pour lesquels il aurait été renvoyé ne correspondraient pas aux faits instruits.

Outre qu'il convient de rappeler que le Tribunal n'est pas en l'espèce saisi par la citation mais par l'ordonnance de renvoi du Juge d'instruction (article 368 du Code de procédure pénale) celle-ci, dont le contenu est identique à celui de la citation, a retenu la prévention suivante :

« D'avoir à SAINT TROPEZ (France), le 23 juillet 2011, émis de mauvaise foi, sur un compte tenu au Crédit Suisse à MONACO, un chèque bancaire d'un million d'euros, sans provision préalable et disponible, à l'ordre de d. KH.,

DÉLIT prévu et réprimé par les articles 331.1° et 330 alinéa 1 du Code pénal ».

Cette prévention correspond aux faits visés dans la plainte avec constitution de partie civile le 19 avril 2012 (D1) qui précisait d'ailleurs que « Monsieur r. TH. a bien émis un chèque en France sur un compte non provisionné ouvert à MONACO … ». Elle rappelait également que le défaut de provision est un élément constitutif du délit et que la Cour de Révision avait retenu le 2 mars 1994 que « l'émission à l'étranger de chèques tirés à l'ordre de bénéficiaires étrangers, sur un compte bancaire non provisionné ouvert à Monaco par le tireur, relève de la compétence de la juridiction pénale monégasque, étant donné que le défaut de provision, élément constitutif du délit, s'est réalisé en Principauté de Monaco ».

En application de cette jurisprudence le Procureur Général a donc légitimement pris des réquisitions aux fins d'informer le 14 mai 2012 du chef d'émission de chèque sans provision commis à Monaco, l'un des éléments constitutifs étant commis à Monaco, tout comme le Juge d'instruction, qui n'avait pas l'obligation de développer la qualification, a donc procédé à l'inculpation d'émission de chèque sans provision commis à Monaco le 9 octobre 2012, avant de développer la qualification, conforme à sa saisine, dans l'ordonnance de renvoi.

Dès lors les moyens de nullité seront rejetés.

Sur le fond :

Il est nécessaire de rappeler que le droit pénal du chèque est autonome et que l'existence d'irrégularités et même de cause de nullité du chèque est indifférente à l'existence de l'infraction dès lors que le titre émis peut être qualifié de chèque, c'est-à-dire qu'il s'agit d'un titre par lequel le tireur donne au tiré l'ordre de payer à vue une somme déterminée au bénéficiaire.

En l'espèce il s'agit incontestablement d'un chèque puisque le titre est un chèque barré du Crédit Suisse.

D'autre part, le débat sur le caractère de « garantie » ou « conditionnel » du titre est sans portée dès lors que le chèque est un moyen de paiement et un ordre de payer à vue.

Enfin les moyens relatifs à l'encaissement et au paiement du chèque sont également indifférents dès lors que l'infraction est constituée par la simple émission du chèque, soit selon la jurisprudence la remise du chèque signé au bénéficiaire, alors que la provision (provision qui doit donc être préalable) sur le compte concerné n'est pas suffisante.

En l'espèce ces éléments constitutifs sont indubitablement rapportés. Le chèque, signé de la main de r. TH. d'un montant de 1.000.000 euros a été remis par lui le 23 juillet 2011 à Saint-Tropez à la bénéficiaire d. KH. Les relevés de compte démontrent que la provision n'était pas disponible sur le compte à Monaco à cette date (ni durant la période des relevés). Enfin, r. TH. a reconnu, et au demeurant cela est rapporté par le caractère accessoire de l'utilisation de ce compte, qu'il savait que le compte n'était pas provisionné de ce montant, élément qui constitue la mauvaise foi au sens du texte d'incrimination.

Dès lors il sera déclaré coupable de l'infraction reprochée.

Au regard du contexte particulier de celle-ci, exposé dans la première partie de ce jugement, et à l'absence d'antécédents, il sera condamné en répression à la peine de 1.000 euros d'amende.

Sur l'action civile :

Aux termes de l'article 334 du Code pénal à l'occasion des poursuites pénales exercées contre le tireur, le bénéficiaire qui s'est constitué partie civile est recevable à demander devant les Juges de l'action publique une somme égale au montant du chèque, sans préjudice le cas échéant, de tous dommages et intérêts.

Ainsi, outre que les moyens développés par r. TH. constituent non des motifs d'irrecevabilité mais de débouté, la constitution de partie civile est recevable.

r. TH. fait valoir différents moyens pour s'opposer à la demande sur l'action civile, en vain néanmoins.

En effet, le moyen de nullité du chèque en raison des mentions du lieu et de la date remplies par la partie civile, à le supposer recevable devant le Juge pénal, ne peut aboutir dès lors que la nullité n'est pas encourue par la seule absence de ces mentions et que les mentions remplies correspondent à la réalité.

Pas plus la question des délais de présentation ne peut être sérieuse pour les motifs relevés plus haut mais également car le chèque n'a pas été rejeté pour délai de présentation dépassé mais pour absence de provision.

Enfin, le Juge pénal n'est pas saisi du rapport fondamental et n'est pas le Juge de l'absence de cause ou de la cause immorale qui relève du contentieux de la nullité d'une libéralité qui n'a d'ailleurs pas été engagé devant les juridictions civiles.

Dès lors, aucun autre préjudice n'étant rapporté par ailleurs, r. TH. sera condamné à payer à d. KH. la somme de 1.000.000 euros à titre de dommages et intérêts.

Dispositif

PAR CES MOTIFS,

LE TRIBUNAL, statuant contradictoirement,

Sur l'action publique,

Rejette les exceptions de nullité soulevées.

Déclare r. TH. coupable du délit qui lui est reproché.

En répression, faisant application des articles visés par la prévention,

Le condamne à la peine de MILLE EUROS D'AMENDE.

Sur l'action civile,

Reçoit d. KH. en sa constitution de partie civile.

La déclarant partiellement fondée en sa demande, condamne r. TH. à lui payer la somme de 1.000.000 euros à titre de dommages-intérêts.

Condamne, en outre, r. TH. aux frais.

Composition

Ainsi jugé après débats du vingt-cinq juin deux mille treize en audience publique tenus devant le Tribunal correctionnel, composé par Monsieur Cyril BOUSSERON, Premier Juge, Monsieur Florestan BELLINZONA, Juge, Madame Aline BROUSSE, Magistrat référendaire, chevalier de l'ordre de Saint-Charles, le Ministère Public dûment représenté, et prononcé à l'audience publique du neuf juillet deux mille treize sous la même composition, en présence de Monsieur Jean-Jacques IGNACIO, Substitut du Procureur Général, assistés de Madame Sandra PISTONO, Greffier.-

^


Synthèse
Numéro d'arrêt : 12067
Date de la décision : 09/07/2013

Analyses

Le Tribunal correctionnel est saisi par l'ordonnance de renvoi qui a retenu, comme la citation, « D'avoir à Saint-Tropez (France), le 23 juillet 2011, émis de mauvaise foi, sur un compte tenu au Crédit Suisse à Monaco, un chèque (…). Cette prévention correspond à la plainte avec constitution de partie civile qui rappelait que le chèque avait été émis en France et que la Cour de Révision a retenu le 2 mars 1994 que » l'émission à l'étranger de chèques tirés à l'ordre de bénéficiaires étrangers, sur un compte bancaire non provisionné ouvert à Monaco par le tireur, relève de la compétence de la juridiction pénale monégasque, étant donné que le défaut de provision, élément constitutif du délit s'est réalisé en Principauté de Monaco. En application de cette jurisprudence, le Procureur Général a pu prendre des réquisitions aux fins d'informer du chef d'émission de chèque sans provision commis à Monaco, tout comme le juge d'instruction qui n'avait pas d'obligation de développer la qualification a pu procéder à l'inculpation d'émission de chèque sans provision commis à Monaco, avant de développer la qualification, conforme à sa saisine, dans l'ordonnance de renvoi.Le droit pénal du chèque est autonome et l'existence d'irrégularités et même de causes de nullité est indifférente à l'existence de l'infraction, dès lors que le titre émis peut être qualifié de chèque, c'est-à-dire qu'il s'agit d'un titre par lequel le tireur donne ordre au tiré de payer une somme déterminée au bénéficiaire.Le débat sur le caractère de « garantie » ou « conditionnel » du titre est sans portée dès lors que le chèque est un moyen de paiement et un ordre de payer à vue.Les moyens relatifs à l'encaissement et au paiement du chèque sont également indifférents dès lors que l'infraction est constituée par la simple émission du chèque, soit, selon la jurisprudence, la remise du chèque signé au bénéficiaire, alors que la provision, qui doit être préalable, n'est pas suffisante.Aux termes de l'article 334 du Code pénal à l'occasion des poursuites pénales exercées contre le tireur, le bénéficiaire qui s'est constitué partie civile est recevable à demander devant les juges de l'action publique une somme égale au montant du chèque, sans préjudice, le cas échéant, de tous dommages-intérêts.Le moyen de nullité du chèque en raison des mentions de date et de lieu remplies par la partie civile, à le supposer recevable devant le juge pénal, ne peut aboutir dès lors que la nullité n'est pas encourue par la seule absence de ces mentions et que les mentions remplies correspondent à la réalité.La question des délais de présentation ne pas être sérieuse pour les motifs susvisés mais également car le chèque n'a pas été rejeté pour délai de présentation dépassé mais absence de provision.Le juge pénal n'est pas saisi du rapport fondamental et n'est pas juge de l'absence de cause ou de la cause immorale qui relève du contentieux de la nullité d'une libéralité, qui n'a d'ailleurs pas été engagé devant les juridictions civiles.

Pénal - Général  - Infractions économiques - fiscales et financières  - Procédure pénale - Général.

Infraction à la législation sur les chèques - Émission de chèque sans provision - Différence de lieu de commission entre le réquisitoire introductif et l'ordonnance de renvoi - Élément constitutif du délit Irrégularités du chèque - Chèque de garantie - Encaissement et paiement - Constitution de partie civile - Rapport fondamental - Absence de cause ou cause immorale.


Parties
Demandeurs : Ministère public
Défendeurs : r. TH.

Références :

Code pénal
article 368 du Code de procédure pénale
article 334 du Code pénal


Origine de la décision
Date de l'import : 18/07/2023
Fonds documentaire ?: tribunal-supreme.mc
Identifiant URN:LEX : urn:lex;mc;tribunal.correctionnel;arret;2013-07-09;12067 ?

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