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21/12/2020 | MONACO | N°19503

Monaco | Juge tutélaire, 21 décembre 2020, Monsieur e. r B. c/ Madame m. L.


Abstract

Droit international privé - Concubinage - Autorité parentale - Saisine du juge tutélaire monégasque - Exception d'incompétence territoriale (oui) -  Règle de conflit - Convention de la Haye du 19 octobre 1996 - Mesures tendant à la protection de l'enfant - Compétence de la juridiction du lieu de la résidence habituelle - Enfant résidant à Monaco (non) - Notion de résidence habituelle - Demande de restitution du passeport de l'enfant - Compétence du juge tutélaire monégasque (oui) - Mesure urgente - État de santé de l'enfant - Nécessité de rejoindre son lieu

de résidence habituelle (oui) - Intérêt supérieur de l'enfant.

Résumé

L...

Abstract

Droit international privé - Concubinage - Autorité parentale - Saisine du juge tutélaire monégasque - Exception d'incompétence territoriale (oui) -  Règle de conflit - Convention de la Haye du 19 octobre 1996 - Mesures tendant à la protection de l'enfant - Compétence de la juridiction du lieu de la résidence habituelle - Enfant résidant à Monaco (non) - Notion de résidence habituelle - Demande de restitution du passeport de l'enfant - Compétence du juge tutélaire monégasque (oui) - Mesure urgente - État de santé de l'enfant - Nécessité de rejoindre son lieu de résidence habituelle (oui) - Intérêt supérieur de l'enfant.

Résumé

Le demandeur, père d'un enfant issu d'une union libre, a saisi le juge tutélaire de Monaco afin qu'il soit statué sur l'autorité parentale et ses modalités. La défenderesse, mère de l'enfant, invoque l'incompétence territoriale du juge monégasque eu égard à la résidence habituelle de l'enfant établi à Londres. La règle de conflit applicable à la présente instance est celle de la Convention de La Haye du 19 octobre 1996 dont l'article 5, 1° prévoit notamment la compétence des autorités judiciaires de la résidence habituelle de l'enfant pour prendre des mesures tendant à la protection de sa personne ou de ses biens. De plus, il est de principe que la notion de résidence habituelle, qui n'est pas définie dans la convention, est établie par les autorités concernées, au cas par cas, sur la base d'éléments factuels, selon leurs propres critères et en considération de l'intérêt de l'enfant. S'agissant de l'interprétation, non pas d'une règle de fond mais d'une règle de conflit, il convient de faire application du droit interne du for, en l'espèce la jurisprudence monégasque, et non britannique. À ce titre, il est possible de s'inspirer du concept de résidence habituelle tel que dégagé par la Cour de justice de l'Union Européenne dans l'application du Règlement Bruxelles II bis, même si la Principauté de Monaco n'est pas membre de l'Union européenne. En l'espèce, la détermination de la résidence habituelle de l'enfant, âgé de 2 ans et demi, est particulièrement délicate, en ce que le père, directeur d'entreprises de mode, et la mère, mannequin, ont, pour des raisons liées à leur activité professionnelle et à leurs habitudes personnelles, un mode de vie « nomade », se déplaçant continuellement, pour des durées variables, pour le travail ou pour les loisirs, ensemble ou séparément, avec ou sans leur enfant, d'un pays à l'autre. Cependant, il est établi que l'enfant est né à Londres qui est également le lieu de résidence mentionné sur son passeport comme sur celui de sa mère. Avant la séparation, le couple avait signé un bail de 3 ans pour un appartement dans cette même ville. Il avait également inscrit l'enfant dans une école maternelle londonienne. En outre, la mère a le statut de « résident permanent au Royaume-Uni » où elle est imposable. Elle est, comme son enfant, inscrite auprès du service de santé britannique. Enfin, l'enfant a été baptisé à Londres. Il est ainsi démontré que le couple avait l'intention de résider durablement à Londres et que, sur les plans matériel, administratif, médical et scolaire, l'enfant présente un degré d'intégration certain avec le Royaume-Uni plus qu'avec un autre État où il a pu séjourner. Peu importe les séjours de la mère et de l'enfant sur la Côte d'Azur et à Monaco qui n'avaient qu'un caractère temporaire, largement lié à la situation de confinement. En conséquence, au sens de la Convention de La Haye, la résidence habituelle de l'enfant ne se trouve pas à Monaco, de sorte qu'il sera fait droit à l'exception d'incompétence territoriale.

Par ailleurs, la mère demande la restitution du passeport de l'enfant. En application de l'article 11, 1° de la Convention de La Haye du 19 octobre 1996, « dans tous les cas d'urgence, les autorités de chaque État contractant sur le territoire duquel se trouve l'enfant (...) sont compétentes pour prendre les mesures de protection nécessaires ». Si l'urgence n'est pas définie, elle inclut l'hypothèse d'un enfant devant subir un traitement médical nécessaire pour lui sauver la vie ou prévenir un retard irréparable. Or, en l'espèce, il est établi que l'enfant se trouve actuellement sur le territoire monégasque et qu'il présente un retard de langage et un trouble du développement nécessitant des investigations approfondies en vue d'un diagnostic et d'une prise en charge précoces. Dans ces circonstances, il est de l'intérêt supérieur de l'enfant de pouvoir regagner au plus vite le lieu de sa résidence habituelle afin qu'y soient mis rapidement en œuvre tous les moyens nécessaires de nature à remédier à ses difficultés. Il convient donc d'enjoindre au père de l'enfant de remettre à son ex-compagne le passeport de l'enfant commun.

Motifs

O R D O N N A N C E

DOSSIER f. c. B L. N° 20 21/000011

Avis et copie de la présente Ordonnance donnés à Madame le Procureur Général. Notification en LRAR à Monsieur e. r. B. Madame m. L. Maître Christine PASQUIER-CIULLA et Maître Arnaud ZABALDANO. Le 21 décembre 2020Le Greffier

Nous, Léa PARIENTI, Juge Tutélaire de la Principauté de Monaco, assistée d'Isabelle TAILLEPIED, Greffier ;

Vu la procédure concernant :

* f. c. B L.

* né le 18 mars 2018 à Londres (Grande-Bretagne) de nationalité italo-argentine

* domicilié X1 à Londres (W8 5NF)

* et demeurant actuellement X2 à Monaco

Dans l'instance opposant :

* Monsieur e. r B. né le 02 janvier 1975 à Mae Del Plata (Argentine)de nationalité italo-argentine demeurant : X3 à Monaco (98000)

demandeur, comparaissant en personne, et assisté par Maître Christine PASQUIERCIULLA, avocat-défenseur près la Cour d'Appel et plaidant par ledit avocat défenseur,

À

* Madame m. L. née le 30 septembre 1992 à Cordoba (Argentine)

* de nationalité italo-argentine

* domiciliée X1 à Londres (W8 5NF)

* et demeurant actuellement X2 X2à Monaco

défenderesse, comparaissant en personne, et assistée par Maître Arnaud ZABALDANO, avocat-défenseur près la Cour d'Appel et plaidant par ledit avocat défenseur,

AVONS RENDU LA PRÉSENTE ORDONNANCE DONT LA TENEUR SUIT :

De l'union libre de r. B. et de m. L. tous deux de nationalités italienne et argentine, est issu l'enfant :

- f. c. né le 18 mars 2018 à Londres (Royaume Uni).

Le couple parental s'est séparé dans le courant de l'été 2020 et par requête du 20 novembre 2020, r B. Nous a saisie aux fins qu'il soit statué sur l'autorité parentale et ses modalités.

Il demande :

* - l'exercice conjoint de l'autorité parentale ;

* - la fixation à son domicile, à Monaco, de la résidence habituelle de l'enfant ;

* - l'attribution à l'autre parent d'un droit de visite et d'hébergement s'exerçant sur un mode alterné, soit une semaine sur deux ;

* - en tant que de besoin, une médiation familiale ;

* - la prise en charge par le père de l'intégralité des besoins de l'enfant ;

* - la fixation à 8 000 euros du montant mensuel de la contribution du père à l'entretien et à l'éducation de l'enfant.

À l'appui de ses prétentions, il expose que :

- durant la vie commune, le couple parental a beaucoup voyagé du fait des obligations professionnelles respectives du père, directeur d'entreprises de mode, et de la mère, mannequin ;

- début 2020 le couple et l'enfant commun se sont installés en Principauté de Monaco, où demeure la mère du requérant ;

- à l'exception de quelques séjours de vacances à l'étranger, m. L. s'est établie de manière stable à Monaco, y compris après la séparation, suite à laquelle le requérant lui a laissé la jouissance d'un appartement qu'il a pris à bail dans la résidence X4 où sa mère demeure et où lui-même est actuellement hébergé ;

- dans ce contexte, l'enfant partage équitablement son temps entre ses père et mère, lesquels vivent dans le même immeuble, dans deux logements distincts ;

- r. B. prend soin de son fils au quotidien et l'accompagne au club pour enfants A, où f. c. est inscrit depuis mars 2020 ;

- l'enfant est par ailleurs médicalement suivi à Monaco, où plusieurs rendez-vous de consultation ont eu' lieu le concernant ;

- le requérant vient d'obtenir sa carte de résident monégasque ;

- il est membre du Club B de Monaco, qu'il fréquente assidument ;

- dans ces circonstances, l'enfant f. c. a sa résidence habituelle sur le territoire monégasque, au sens de l'article 5 de la Convention de La Haye du 19 octobre 1996, ce dont il suit que le juge tutélaire de ce siège est compétent pour statuer sur les présentes demandes.

En défense, m. L. réclame le rejet des pièces adverses n° 11, 13, 16, 22, 27, 29, 30, 32, 33, 35 et 36 pour défaut de traduction en langue française.

Elle soulève in limine litis l'incompétence territoriale du juge monégasque, considérant que l'enfant a sa résidence habituelle à Londres.

Elle ne forme pas de demande subsidiaire sur le fond mais demande, au visa de l'urgence, qu'il soit ordonné à la partie adverse de lui restituer immédiatement le passeport italien de l'enfant commun, et ce sous astreinte de 5 000 euros par jour de retard.

Elle soutient que l'enfant f. c. na pas sa résidence habituelle sur le territoire monégasque mais à Londres, en ce que :

* - la résidence habituelle de l'enfant est fixée à Londres en vertu de la loi applicable, à savoir le droit anglais ;

* - en vertu du droit anglais, comme du droit monégasque, le choix du lieu de résidence de l'enfant commun ne peut résulter de la volonté unilatérale de l'un des parents ;

* - il ressort d'un avis de droit versé aux débats que :

* . le critère de la résidence habituelle d'un enfant est celui utilisé par la Cour de Justice de l'Union européenne, laquelle considère quelle « correspond au lieu qui reflète un certain degré d'intégration de l'enfant dans un environnement social et familial » ;

* . il s'agit d'un critère essentiellement factuel, « déterminé en fonction de l'intérêt supérieur de l'enfant, en particulier sur la base du critère de proximité », laquelle proximité renvoie au « lien pratique entre l'enfant et le pays concerné » ;

* . un enfant, tout particulièrement un jeune enfant, aura généralement la même résidence habituelle que le ou les parent(s) qui s'occupe(nt) de lui ;

* . les critères de stabilité et d'intention parentale sont pertinents ;

* . bien qu'il soit possible pour un parent agissant unilatéralement de modifier la résidence d'un enfant, un tel changement ne se produirait pas rapidement et la compétence resterait celle de l'ancienne résidence ;

* - en l'espèce, f. c. est né en Angleterre et son acte de naissance mentionne son adresse chez sa mère à Londres, l'adresse du père étant à New-York, aux États Unis ;

* - le passeport de l'enfant et de sa mère, émis 22 mois après la naissance, mentionnent leur adresse à Londres ;

* - le passeport du père, émis 5 mois après la naissance de l'enfant, mentionne son adresse à New-York ;

* - le 3 janvier 2020, un contrat de bail d'habitation portant sur un appartement sis à Londres, a été conclu pour trois ans et désigne les occupants du logement comme r. B. et m. L.;

* - la mère et l'enfant sont immatriculés auprès du service de santé britannique et sont inscrits dans un cabinet médical à Londres ;

* - en avril 2020, m. L. a demandé et obtenu le 10 septembre 2020 le statut de résident permanent au Royaume-Uni ;

* - il n'a jamais été question d'un déménagement de la famille en Principauté et lorsque le couple et l'enfant sont venus en mars 2020, il s'agissait d'un séjour temporaire, destiné à passer la période de confinement avec le père, à proximité de la grand-mère paternelle, qui devait alors subir une intervention chirurgicale ;

* - ce séjour s'est d'ailleurs déroulée non pas à Monaco mais à Beaulieu-sur Mer, dans une villa louée temporairement par r. B. ainsi que cela est démontré par la localisation des connexions à la plateforme N pendant cette période ;

* - après le confinement et la séparation du couple, m. L. a regagné l'Angleterre avec l'enfant, qu'elle a inscrit dans une école maternelle à Londres ;

* - compte tenu d'un retard d'apprentissage observé chez f. c. une conseillère santé consultée auprès du centre médical C de Chelsea a, le 2 octobre 2020, adressé à la mère une liste de sites internet pertinents pour la santé et le développement de l'enfant ;

* - ainsi que cela résulte d'un courrier électronique du 20 octobre 2020 adressé par la mère à l'école maternelle, m. L. et f. c. sont revenus provisoirement dans la région de Monaco à la faveur du nouveau confinement instauré au Royaume-Uni ;

* - leur séjour, qui devait initialement se dérouler à Beaulieu-sur Mer, s'est finalement effectué à Monaco car la France a, elle aussi, décrété un nouveau confinement et r. B. a mis à leur disposition un appartement deux-pièces au Trocadéro, précédemment occupé par la grand-mère paternelle ;

* - ayant l'intention de regagner l'Angleterre début décembre 2020, m. L. a programmé pour f. c. plusieurs rendez-vous médicaux à Londres ;

* - c'est de manière délibérément trompeuse que le requérant présente la situation comme démontrant que la résidence habituelle de l'enfant serait fixée à Monaco ;

* - c'est ainsi que l'inscription de f. c. au club A est inopérante, s'agissant non pas dune crèche ni dune école maternelle mais d'un club où les enfants en bas âge se retrouvent pour jouer ;

* - en réalité, r. B. tente de déplacer illicitement la résidence habituelle de f. c. à telle enseigne que m. L. a formé, auprès de l'Autorité centrale britannique et de l'Autorité centrale monégasque, une demande de retour de l'enfant ;

* - son intention est de regagner le territoire anglais avec f. c. or, le 23 octobre 2020, r. B. lui a subtilisé le passeport de l'enfant et depuis, cette date, il en refuse la restitution ;

* - c'est pourquoi, sur le fondement de l'article 11-1 de la Convention de La Haye du 19 octobre 1996

* - qui prévoit que, dans tous les cas d'urgence, les autorités de l'État contractant sur le territoire duquel se trouve l'enfant sont compétentes pour prendre les mesures de protection nécessaires elle entend que le père se voit ordonner, sous astreinte, la remise du passeport ;

* - la détention des documents d'identité de l'enfant commun constitue en effet une prérogative de l'autorité parentale et le parent gardien doit nécessairement en disposer ;

* - cela est d'autant plus vrai qu'en l'espèce, l'intérêt de f. c. commande qu'il puisse se rendre aux consultations médicales programmées à Londres les 7, 8, 9 et 11 décembre 2020, aux fins de mise en place sans délai du suivi pluridisciplinaire que son retard de langage et son trouble du développement requièrent ;

* - au surplus, aucun motif ne justifie que m. L. qui na pas d'attaches en Principauté et aucune intention de s'y établir, demeure bloquée sur place au seul motif que le père lui interdit de regagner son domicile avec l'enfant commun.

Le 7 décembre 2020, le Procureur Général a conclu à l'incompétence des juridictions monégasques, « l'enfant ne demeurant pas à Monaco mais s'y trouvant uniquement de fait. »

SUR CE

* Sur la demande de rejet de pièces :

Les pièces dont le rejet est sollicité ont fait l'objet dune communication complémentaire en cours d'instance, après quelles aient été traduites en langue française, de sorte que la demande est devenue sans objet.

* Sur l'exception d'incompétence :

* - En droit :

Même si m. L. a déposé, les 25 novembre et 2 décembre 2020, auprès de l'Autorité Centrale britannique et de l'Autorité Centrale monégasque, une demande de retour de l'enfant sur le fondement de la Convention de La Haye du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l'enlèvement international d'enfants, tel n'est pas l'objet du présent litige et il n'est pas sérieusement contesté que la règle de conflit applicable à la présente instance est celle de la Convention de La Haye du 19 octobre 1996 concernant la compétence, la loi applicable, la reconnaissance, l'exécution et la coopération en matière de responsabilité parentale et de mesures de protection des enfants, dont Monaco et le Royaume Uni sont tous deux signataires et dont l'article 5, 1° dispose :« Les autorités, tant judiciaires qu'administratives de l'État contractant de la résidence habituelle de l'enfant sont compétentes pour prendre des mesures tendant à la protection de sa personne ou de ses biens . »

De plus, il est de principe que la notion de résidence habituelle, qui n'est pas définie dans la convention, est établie par les autorités concernées, au cas par cas, sur la base d'éléments factuels, selon leurs propres critères et en considération de l'intérêt de l'enfant.

S'agissant de l'interprétation, non pas dune règle de fond, mais dune règle de conflit, il convient en effet de faire application du droit interne du for, c'est-à-dire au cas d'espèce de la jurisprudence monégasque, et non britannique.

C'est donc de manière non pertinente qu'est invoquée par la défenderesse, dans l'avis de droit qu'elle verse en pièce n° 25, la notion de résidence habituelle au sens de la Convention de La Haye du 25 octobre 1980 telle qu'interprétée par les tribunaux anglais.

Sont en revanche pertinentes, les indications tirées du Manuel pratique sur le fonctionnement de la Convention de La Haye de 1996 sur la protection des enfants, lequel fait référence à quelques « tendances observées dans la jurisprudence internationale se rapportant à la notion de résidence habituelle » et au concept de résidence habituelle tel que dégagé par la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) dans l'application du Règlement Bruxelles II bis, dont il est ici possible de s'inspirer, même si la Principauté de Monaco n'est pas membre de l'Union européenne.

Il en ressort les principes directeurs suivants. Un changement de résidence habituelle sera généralement retenu s'il existe des preuves tangibles du souhait d'entamer une nouvelle vie dans un autre État. Lorsqu'un déménagement est définitif ou potentiellement définitif, la résidence habituelle à la date du déménagement pourra être considérée comme perdue et une nouvelle acquise assez rapidement.

En revanche, lorsqu'un déménagement est temporaire, même si la période concernée est longue, la résidence habituelle existante pourra être conservée tout au long du séjour dans un autre État. Pour déterminer le caractère définitif ou temporaire d'un déménagement, l'approche dite de « l'intention des parents » examine l'intention partagée des parents concernant la nature du déménagement.

L'approche dite « orientée sur l'enfant » prend, pour sa part, en considération la réalité factuelle de la vie de l'enfant, en tenant compte d'éléments tels que l'éducation, l'interaction sociale, les relations avec la famille, en résumé, tout ce qui renvoie au quotidien de l'enfant.

Ces deux approches peuvent être concurremment utilisées, étant précisé que plus l'enfant est âgé, plus il doit être prêté attention à l'orientation de sa vie tandis que, s'agissant du jeune enfant, l'intention des parents est déterminante.

Enfin, selon la CJUE, la notion de résidence habituelle de l'enfant « correspond au lieu qui traduit une certaine intégration de l'enfant dans un environnement social et familial. À cette fin, doivent notamment être pris en considération la durée, la régularité, les conditions et les raisons du séjour sur le territoire d'un État membre et du déménagement de la famille dans cet État, la nationalité de l'enfant, le lieu et les conditions de scolarisation, les connaissances linguistiques ainsi que les rapports familiaux et sociaux entretenus par l'enfant dans ledit État. »

* - En fait :

En l'espèce, la détermination de la résidence habituelle de l'enfant f. c. est particulièrement délicate, en ce que r. B. et m. L. ont, pour des raisons liées à leur activité professionnelle et à leurs habitudes personnelles, un mode de vie « nomade », se déplaçant continuellement et pour des durées variables, pour le travail ou pour les loisirs, ensemble ou séparément, avec ou sans leur enfant, d'un pays à l'autre et d'un continent à l'autre, ceci étant d'ailleurs rendu possible par un train de vie confortable.

Il ressort des pièces communiquées de part et d'autre les éléments de faits suivants.

* - f. c. aujourd'hui âgé de deux ans et demi, est né à Londres et sur son acte de naissance figurent une adresse à Londres et une adresse secondaire à New-York, dont il n'est pas contesté qu'elle correspond à celle du père où se trouve le siège de son activité professionnelle ;

* - le passeport de l'enfant et celui de sa mère, tous deux délivrés le 21 janvier 2020, soit il y a moins d'un an, portent mention dune résidence à Londres ;

* - par contrat daté du 3 janvier 2020 et prenant effet le même jour, r. B. et m. L. ont, par l'intermédiaire d'une société dénommée K, pris à bail, pour une durée de trois ans, un appartement, sis à Londres (W8 5NF), X1 moyennant un loyer mensuel de 4750 livres et un dépôt de garantie de 8 768 livres ;

* - aucune pièce ne venant démontrer qu'il serait résilié, il faut considérer que ce contrat de bail est toujours est cours ;

* - ce logement comprend une chambre d'enfant, aménagée et dédiée à f. c.;

* - m. L. a le statut de « résident permanent au Royaume Uni », ainsi que cela ressort du courrier du HO l'en avisant le 10 septembre 2020 ;

* - selon la réglementation britannique, la condition principale d'obtention de ce statut est d'avoir vécu au Royaume Uni pendant cinq années consécutives, sans absence du territoire plus de six mois consécutifs ;

* - m. L. est imposable au Royaume Uni, au moins depuis l'exercice 2012-13, ainsi que le démontrent les avis d'imposition libellés à son nom ;

* - f. c. est, depuis le 29 mars 2018, immatriculé auprès du National Health Service (NHS), service de santé britannique ;

* - il est, de même que sa mère, inscrit, depuis le 10 février 2020, auprès d'un cabinet médical sis à Londres et dénommé G ;

* - il a été baptisé à Londres le 26 janvier 2019 ;

* - début 2020, les deux parents ont rempli un bulletin d'inscription et versé des frais en vue de l'admission de leur fils auprès dune école maternelle (« lower school »), dénommée L, pour la rentrée scolaire 2022 ;

* - le 13 octobre 2020, soit avant le dépôt de la requête, m. L. a inscrit f. c. dans une crèche londonienne dénommée J et le bulletin d'inscription comporte une adresse à Londres de la mère et de l'enfant ;

* - le 25 octobre 2020, elle a consulté, à Londres, une ergothérapeute qui a procédé à un bilan de f. c. lequel présente un retard de langage et de développement, susceptible, sous réserve d'investigations plus approfondies, de s'apparenter à un trouble du spectre autistique ;

* - elle a pris rendez-vous auprès d'un orthophoniste à Londres pour le 11 décembre 2020 ;

* - elle a également cherché à prendre rendez-vous pour la même période avec un neuropédiatre à Londres.

Au total, il résulte de l'ensemble de ces éléments que :

* - l'un des titulaires de l'autorité parentale, en l'occurrence la mère, est domicilié en Angleterre et y réside à titre permanent ;

* - même s'il ressort des pièces versées en demande que le père s'est montré davantage présent ces derniers mois, il n'en reste pas moins que le siège de son activité professionnelle est à New-York et que son métier de directeur d'un groupe de mode le conduit à de très nombreux et fréquents déplacements, de sorte que, pendant la vie commune du couple parental, f. c. bien qu'également confié à des nounous, a essentiellement été à la garde de sa mère, laquelle constitue ainsi sa principale figure d'attachement ;

* - le couple parental avait, début 2020, l'intention de résider ensemble et durablement à Londres, dans l'appartement qu'il a pris à bail ;

* - sur les plans matériel, administratif, médical et, pour l'avenir, scolaire, l'enfant présente un degré d'intégration certain avec le Royaume Uni, plus qu'avec tout autre État où il a pu séjourner.

Le fait que la mère et l'enfant aient séjourné à Monaco pendant plusieurs semaines durant le printemps 2020 - période qui correspond au confinement imposé par la crise sanitaire du COVID 19 puis de nouveau à l'automne 2020, lorsque de nouvelles restrictions sanitaires ont été mises en œuvre, ne saurait, en aucun cas, caractériser un changement du lieu de résidence habituelle de f. c. au sens de la Convention.

Le fait que, postérieurement à la séparation du couple, soit récemment, r. B. ait, en son seul nom, pris à bail, le 15 septembre 2020, un appartement, qui ne comprend au demeurant que deux pièces, dans l'immeuble X4, où réside également sa propre mère, ne démontre pas une quelconque intention de m. L. de s'y établir avec l'enfant.

Il en est de même du moyen selon lequel r. B. et lui seul, à l'exclusion de m. L. ait déposé, le 23 octobre 2020, une demande de carte de séjour auprès de la Section des résidents de la Sûreté Publique.

Quant à la fréquentation par f. c. du club A, où il a été admis le 9 mars 2020, elle est n'est nullement déterminante, en ce que :

* - il ne s'agit ni d'une crèche ni d'une école maternelle mais d'un club pour enfants, qui les accueille pour jouer et participer à des ateliers ;

* - la facture d'inscription correspond à un abonnement pour 12 mois, dans la catégorie « Traveling », ouvrant droit à 50 journées par an, ce qui correspond à une fréquentation ponctuelle et non régulière.

Le relevé de compte 2020 de r. B. auprès du club B de Monaco atteste effectivement dune présence quasi quotidienne de ce dernier du 10 au 14 mars, du 2 juin au 3 août, du 17 août au 20 septembre, du 5 au 8 octobre et les 23 et 24 octobre, sans toutefois que cela ne constitue la preuve dune résidence permanente du père et de son enfant en Principauté.

Le fait que pendant ses séjours sur place, f. c. ait été conduit à diverses consultations médicales par son père ou par ses deux parents démontre qu'ils sont attentifs à son état de santé et préoccupés par le retard observé chez lui, y compris lorsqu'il se trouve hors de son lieu de résidence habituelle ; en aucun cas, il ne prouve un transfert de résidence ni même une intention de transfert.

Du reste, force est de constater que les dates desdites consultations sont concentrées sur une période très récente, après que le couple parental se soit séparé et à proximité de la date de dépôt de la requête : bilan d'éveil psychomoteur par un pédiatre le 6 novembre 2020, consultation ORL le 9 novembre 2020, consultation pédiatrique à l'établissement public de droit monégasque H le 23 novembre 2020, rendez-vous programmé le 30 novembre 2020 avec le pédopsychiatre de l'établissement public R.

Le fait que des vêtements d'enfants destinés à f. c. aient été livrés le 10 novembre dernier, à Monaco, à l'adresse de la grand-mère paternelle démontre seulement que l'enfant est bien présent sur le territoire monégasque, ce qui n'est pas contesté, et qu'il a besoin de vêtements.

En réalité, il ressort :

- des échanges Whatsapp entre les parties, communiqués par la défenderesse en pièce n° 11, qui sont difficilement lisibles mais dont la teneur n'est pas contestée par la partie adverse,

- du courrier électronique adressé par m. L. à la crèche J le 20 octobre 2020 (pièce n° 9),

que :

- la venue de la mère et de l'enfant et leurs séjours sur la Côte d'Azur et à Monaco pendant une partie de l'année 2020 n'avaient qu'un caractère temporaire, largement lié à la situation de confinement, laquelle a conduit les parties à trouver des solutions pour réunir la famille en un lieu agréable durant cette période particulière ;

- l'intention de la mère n'a jamais été de demeurer en Principauté et de s'y établir avec l'enfant commun, ni avant ni après la séparation du couple.

Il s'ensuit qu'au sens de la Convention de La Haye du 19 octobre 1996, la résidence habituelle de l'enfant f. c. B L. ne se trouve pas à Monaco, de sorte qu'il sera fait droit à l'exception d'incompétence territoriale soulevée en défense.

* Sur la demande de restitution du passeport :

L'article 11, 1° de la Convention de La Haye du 19 octobre 1996 prévoit que :

« Dans tous les cas d'urgence, les autorités de chaque État contractant sur le territoire duquel se trouve l'enfant ou des biens lui appartenant sont compétentes pour prendre les mesures de protection nécessaires . »

Là encore, la Convention ne définit pas l'urgence au sens de ce texte mais il est de principe que l'urgence se trouve caractérisée lorsque l'absence de mesures de protection immédiates entrainerait pour l'enfant le risque de subir un préjudice irréparable ou de voir ses intérêts menacés.

Cela inclut l'hypothèse d'un enfant devant subir un traitement médical nécessaire pour lui sauver la vie ou pour prévenir un préjudice irréparable.

En l'espèce, il est établi et au demeurant non contesté que :

- f. c. se trouve actuellement et depuis plusieurs semaines sur le territoire monégasque ;

- son passeport est en possession de r. B. lequel s'est, jusqu'à présent, refusé à le remettre à la mère, ainsi que cela ressort des échanges de courriers entre avocats ;

- l'enfant présente un retard de langage et un trouble du développement nécessitant des investigations approfondies en vue d'un diagnostic et dune prise en charge précoces.

Il est en effet acquis que plus la prise en charge de ce type de problématique est précoce plus le retard est réversible et les apprentissages possibles.

Dans ces circonstances, il est de l'intérêt supérieur de l'enfant de pouvoir regagner au plus vite le lieu de sa résidence habituelle, afin qu'y soient mis rapidement en œuvre tous les moyens nécessaires de nature à remédier à ses difficultés, et que lui soit procurée une stabilité qui lui a fait défaut depuis sa naissance.

C'est pourquoi, il convient de permettre à m. L. de retourner dès à présent en Angleterre avec f. c. à charge pour le parent le plus diligent de saisir les tribunaux britanniques de ses demandes relatives à l'autorité parentale.

Il sera en conséquence enjoint à r. B. de remettre à m. L. le passeport italien de l'enfant commun.

Le requérant ayant fait preuve dune relative mauvaise foi, en introduisant artificiellement la présente instance devant le juge monégasque, tout en sachant pertinemment que la résidence habituelle de l'enfant n'avait pas été transférée, il est à craindre qu'il ne mettre obstacle au départ de la mère et de f. c. raison pour laquelle il sera fait droit à la demande d'astreinte.

Vu l'urgence, il convient d'assortir d'office la présente décision de l'exécution provisoire. La partie requérante, qui succombe en son action, sera condamnée aux entiers dépens de l'instance.

Dispositif

PAR CES MOTIFS,

Statuant en notre cabinet, par ordonnance contradictoire en matière de difficultés engendrées par les rapports familiaux,

CONSTATONS que la demande de rejet des pièces adverses n° 11, 13, 16, 22, 27, 29, 30, 32, 33, 35 et 36 formée par m. L. est sans objet ;

NOUS DÉ CLARONS incompétent pour statuer sur la requête déposée le 20 novembre 2020 par r. B.;

Vu l'urgence au sens de l'article 11, 1° de la Convention de La Haye du 19 octobre 1996,

FAISONS injonction à r. B. de remettre à m. L. le passeport italien n°XXX de l'enfant f. c. B L. dans un délai de 24 heures à compter de la notification de la présente ordonnance, et ce sous astreinte de 5 000 euros par jour de retard ;

ORDONNONS l'exécution provisoire de la présente décision ;

CONDAMNONS r. B. aux entiers dépens de l'instance ;

Composition

FAIT en Notre Cabinet, à Monaco, le 21 décembre 2020.

LE GREFFIER

LE JUGE TUTÉLAIRE

Isabelle TAILLEPIED

Léa PARIENTI

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Synthèse
Numéro d'arrêt : 19503
Date de la décision : 21/12/2020

Analyses

Droit de la famille - Autorité parentale et droits de l'enfant ; Contentieux et coopération judiciaire


Parties
Demandeurs : Monsieur e. r B.
Défendeurs : Madame m. L.

Origine de la décision
Date de l'import : 15/01/2025
Fonds documentaire ?: tribunal-supreme.mc
Identifiant URN:LEX : urn:lex;mc;juge.tutelaire;arret;2020-12-21;19503 ?

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