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LA COMMISSION ARBITRALE DES LOYERS COMMERCIAUX,
Vu la requête de Maître Sophie-Charlotte MARQUET, avocat-défenseur pour j.E, en date du 8 février 2023 et reçue le 9 février 2023, enrôlée au Greffe sous le numéro C2023/000004 ;
Vu les lettres de convocation pour l'audience de conciliation du 8 mars 2023, adressées en recommandé avec accusé de réception par le greffe le 10 février 2023 ;
Vu le procès-verbal de non-conciliation en date du 9 mars 2023 renvoyant les parties à l'audience de la Commission Arbitrale des Loyers Commerciaux du 10 mai 2023 ;
Vu les lettres de convocation adressées en recommandé avec accusé de réception par le Greffe le 24 avril 2023 ;
Vu les conclusions récapitulatives de Maître Sophie-Charlotte MARQUET, avocat-défenseur pour j.E, demandeur, en date du 11 octobre 2023 ;
Vu les conclusions récapitulatives de Maître Thomas GIACCARDI, avocat-défenseur pour les consorts A, défendeurs, en date du 17 janvier 2024 ;
À l'audience publique du 14 février 2024, les conseils des parties ont été entendus en leurs plaidoiries et l'affaire a été mise en délibéré au 10 avril 2024.
Motifs
CONSIDÉRANT LES FAITS SUIVANTS :
Suivant contrat en date du 9 novembre 1994, n.E, aux droits duquel vient j.E, a donné à bail à c A, aux droits de laquelle viennent j A, l A, épouse C, n A, épouse I et c A, épouse L, un local situé x1, pour l'exploitation d'une activité de bar, AA et restaurant, pour une durée de 9 ans, renouvelable par tacite reconduction, à compter du 1er octobre 1994, pour un prix de 72.000 francs charges comprises.
Suivant avenant du 22 janvier 2013, le contrat de location a été renouvelé pour une durée de 9 ans à partir du 1er octobre 2012 pour se terminer le 30 septembre 2021.
Par courrier recommandé avec accusé de réception du 15 octobre 2020, j.E a donné congé à ses locataires pour l'échéance du 30 septembre 2021.
Les parties ne s'étant pas accordées sur le montant de l'indemnité d'éviction, le président de cette commission a été saisi sur le fondement de l'article 18 de la loi 490 aux fins de fixation d'une indemnité d'éviction provisionnelle, laquelle a été fixée par ordonnance du 27 juillet 2022 à la somme de 1.613.000 euros.
Par acte d'huissier en date du 17 octobre 2022, j.E a fait signifier aux consorts A une notification de renonciation au congé qu'il leur avait délivré, consentant au renouvellement du bail à compter du 1er octobre 2021, moyennant un loyer annuel porté à la somme de 74.800 euros hors charge et hors taxe.
Les parties ne s'accordant pas sur le montant du loyer, j.E a saisi cette commission. Lors de l'audience aux fins de conciliation, chaque partie a maintenu sa position et l'absence de conciliation a été constatée.
Dans ses conclusions en date du 11 octobre 2023, j.E sollicite de voir :
* • Constater l'accord des parties sur le renouvellement du bail à compter du 1er octobre 2021 ;
* • Fixer rétroactivement le loyer à la somme annuelle de 74.800 euros hors charge et hors taxe à compter du 1er octobre 2021, étant précisé que les autres clauses et conditions du bail demeurent inchangées ;
* • Condamner solidairement les défenderesses au paiement du loyer ainsi révisé rétroactivement à compter du 1er octobre 2021 ;
* • Débouter les défenderesses de toutes leurs demandes, fins et prétentions ;
* • Condamner les défenderesses à lui payer la somme de 10.000 euros au titre de l'article 238-1 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens ;
Il fait valoir au soutien de ses prétentions que :
* • Le montant sollicité est fondé sur le rapport produit par les consorts A dans le cadre de la procédure aux fins de fixation de l'indemnité d'éviction, faisant état d'une surface de 110m2 (87,50m2 de surface intérieure outre 40m2 de terrasse) et d'un prix moyen au mètre carré du marché immobilier monégasque de 680 euros/m2/mois alors que le loyer qu'il sollicite est de 680 euros par mètre carré par an ;
* • La terrasse doit être considérée comme une facilité d'exploitation renforçant la valeur du bail, dont les consorts A jouissent depuis la conclusion du bail en 1994 ;
* • Elle se fonde également sur des loyers pratiqués pour des biens similaires situés sur le Rocher pour une activité de restauration dont le moins élevé est de 774,94 euros par m2/an, soit un montant supérieur à celui qu'il sollicite ;
* • L'avis de valeur locatif émis par AB, produit par les consorts A, a manifestement été orienté par ceux-ci, cet avis faisant abstraction de la terrasse, laquelle devrait être valorisée conformément aux usages monégasques en ce qu'elle contribue indéniablement à la valeur des locaux ;
* • L'entretien des locaux incombe aux consorts A conformément aux stipulations du bail, de sorte qu'ils ne peuvent se prévaloir de leur propre turpitude pour tenter de minorer le loyer de leur local au détriment de leur bailleur ;
* • Les défenderesses ne peuvent sérieusement prétendre que l'indexation annuelle du loyer ferait office de révision à l'échéance, ces deux mécanismes étant distincts et cumulatifs, de même que toute référence à la crise du COVID 19 est dénuée de pertinence en ce qu'il s'agit d'apprécier la valeur locative du local indépendamment de toute considération conjoncturelle ;
Dans leurs conclusions en date du 17 janvier 2024, les consorts A demandent de voir :
* • Dire et juger que la demande d'augmentation de loyer formée par j.E n'est pas justifiée ;
* • Débouter j.E de sa demande ;
* • Condamner j.E à leur verser la somme de 10.000 euros en application de l'article 238-1 du Code de procédure civile, outre aux entiers dépens.
Elles soutiennent que :
* • Le local qu'elles exploitent est d'une superficie de 87, 50 m2, la terrasse extérieure de 22,5 m2 appartenant au domaine public de l'État, de sorte qu'elle ne peut être prise en compte pour le calcul du montant du loyer revenant à j.E qui n'en est pas le propriétaire ;
* • c.B a fixé le prix moyen du loyer au mètre carré en Principauté à 450 euros, ce qui reviendrait en l'espèce à un loyer annuel de 39.375 euros, inférieur au loyer actuel ;
* • Le demandeur ne justifie d'aucune évolution des critères posés par la loi pour motiver l'augmentation sollicitée, le montant du loyer n'étant établi par aucun élément objectif ;
* • Le loyer est soumis à l'évolution de l'indice du coût de la construction en application de la clause d'indexation prévue au bail de sorte qu'au 1er octobre 2022 et au 1er octobre 2023, le loyer a subi une augmentation de plus de 6%, étant à ce jour de 42.467,44 euros, ladite indexation devant nécessairement être prise en compte en ce qu'elle est destinée à maintenir la valeur locative des locaux dans le temps ;
* • L'appréciation des critères de valorisation de l'article 6 de la loi 490 doit nécessairement prendre en considération l'évolution de l'économie monégasque, faute de quoi ces critères resteraient figés, les commerçants faisant face aujourd'hui à une crise conjoncturelle après la crise sanitaire du COVID ;
* • L'agence AB qu'elles ont mandatée, se basant sur des prix pratiqués pour le même types de commerces situés sur le Rocher, a évalué le montant du loyer annuel du local à 35.380 euros après avoir procédé à une analyse circonstanciée ;
* • On ignore tout des biens visés dans les annonces des agences immobilières versées aux débats par j.E, ces pièces manquant dès lors de pertinence ;
* • En conséquence, non seulement le montant du loyer sollicité n'est pas justifié mais surtout le loyer actuellement payé est supérieur à la valeur locative actuelle des locaux.
L'affaire a été plaidée lors de l'audience du 14 février 2024 et mise en délibéré au 10 avril 2024.
SUR CE
Il résulte des dispositions combinées des articles 4 et 5 de la loi n° 490 que si, à la date d'expiration du contrat de location, aucun accord n'est intervenu, ou si, antérieurement à cette date, le bailleur a manifesté son intention de s'opposer au renouvellement, les parties comparaitront, à la requête de la plus diligente d'entre elles, devant le Président du Tribunal de première instance et que, s'il résulte de la tentative de conciliation que le bailleur consent en principe au renouvellement et que le différend porte sur le prix, la durée, les conditions accessoires ou sur l'ensemble de ces éléments, ou lorsque le défaut du propriétaire a été constaté par une ordonnance devenue définitive, le Président fixe alors la date à laquelle les parties seront convoquées devant une Commission arbitrale.
Aux termes de l'article 6 de la loi 490, cette Commission fixe « le prix de location qui ne pourra, en aucun cas, être inférieur à la valeur des locaux évalués en fonction de l'étendue, de la situation, du confort, des aménagements et des facilités d'exploitation qu'ils présentent ».
En l'espèce il est constant que les parties s'accordent sur le renouvellement du bail, leur différend portant sur le prix du loyer.
Il est par ailleurs établi que la surface exploitable du local pour l'activité de restauration exercée par les preneuses est d'environ 87 m2, outre une terrasse qui, bien que ne relevant pas du bail, constitue une facilité d'exploitation. Ce restaurant est en outre placé dans le quartier de Monaco-Ville, attractif pour les touristes et au sein duquel travaillent également de nombreux locaux, dans une rue passante à proximité du Palais princier et de la Cathédrale.
Aussi, aux termes des pièces et photographies produites, il paraît établi que, si le local est dans un état correct, il nécessite un rafraîchissement non négligeable.
À l'appui de sa demande d'augmentation du loyer à compter du 1er octobre 2021, le demandeur produit des offres de vente de fonds de commerce dans diverses agences immobilières mentionnant des prix de location entre 775 et 1.400 euros le mètre carré.
Ces documents ont toutefois une valeur probante relative en ce que l'objet de ces annonces est la vente des fonds de commerce et qu'aucune précision n'est apportée quant au montant du loyer mentionné, à savoir s'il s'agit d'une estimation, d'un loyer éventuel ou du montant du loyer en cours.
j.E s'appuie par ailleurs, pour justifier le montant du loyer sollicité, sur le rapport de c.B, remis dans le cadre de la procédure en fixation de l'indemnité d'éviction. La Commission relève ainsi que l'objet de cette analyse n'était pas l'appréciation de la valeur locative du bien litigieux.
Toutefois, ce rapport contient des éléments relatifs à la valeur locative du local en ce que c.B fait notamment référence à deux locaux situés à Monaco-Ville, dont le loyer est de 412 euros par mètre carré pour l'un et de 487 euros par mètre carré pour l'autre.
Ce rapport fait en outre référence à un prix moyen au mètre carré de 680 euros en Principauté tout en retenant pour le local concerné, pour le calcul du différentiel de loyer dans le cadre de l'appréciation du montant de l'indemnité d'éviction, un prix au mètre carré selon le marché monégasque de 450 euros.
Le demandeur ne produit par ailleurs aucune estimation d'un professionnel de l'immobilier visant à voir évaluer la valeur locative du local.
Or les seules références aux annonces immobilières de vente de fonds de commerce sont insuffisantes à établir la valeur locative du local litigieux pour les motifs sus énoncés, l'estimation de c.B ayant un objet totalement distinct et mentionnant des montants de loyer au mètre carré annuel inférieurs à celui du local, le montant de 680 euros n'étant pas significatif en ce qu'il s'agit d'un prix moyen sur l'ensemble de la Principauté, ne s'agissant pas ainsi d'une appréciation spécifiquement relative au local concerné ou à un local comparable.
Les défenderesses produisent quant à elles un avis de valeur locative établi par l'agence immobilière AB retenant que :
* le local est composé de 2 salles, une cuisine, deux toilettes indépendantes, une cabine de douche et une réserve,
* il est situé dans le quartier historique de Monaco Ville,
* sa superficie totale est de 88m2, selon communication du donneur d'ordre,
* les « forces » sont : bonne optimisation des espaces, beaux espaces pour la restauration, objet social intéressant,
* les « opportunités » sont : fréquentation touristique importante, volonté des autorités de dynamiser le quartier,
* les « faiblesses » sont : travaux de rafraîchissement à prévoir pour moderniser le local, local sombre et sans vue dégagée, non visible depuis la route, absence de stationnements à proximité,
* les « menaces » sont : nombreux concurrents à proximité immédiate, perte de l'exploitation de la terrasse appartenant au domaine public,
* à l'intérieur, les décorations, mobiliers et ambiances sont assez peu modernes, le bar est en bon état mais ancien, les peintures aux murs sont en bon état, le carrelage au sol est en état d'usage, la porte fenêtre est en état d'usage et ancienne, le placage en bois mural est en état d'usage.
L'estimation mentionne un restaurant sur le Rocher, loué 215 euros/an/m2, un restaurant situé rue Caroline loué 549 euros/an/m2, soit, selon l'avis, un prix au mètre carré de référence après pondération et vétusté éventuelles de 382 euros/an/m2.
Il est également fait référence à des biens proposés à la location, s'agissant d'un local commercial snack-bar à Monaco Ville pour un loyer d'un montant de 464 euros/an/m2, d'un snack-bar perpendiculaire à la rue Caroline loué 381 euros/an/m2, soit, selon l'estimation un prix au mètre carré de référence après pondération et vétusté éventuelle de 423 euros/an/m2.
L'avis tient également compte des références de locaux commerciaux actuellement commercialisés, entre 215 et 550 euros par mètre carré annuel.
L'agent immobilier estime ce bien dans la tranche moyenne-basse entre 350/an/m2 et 400euros/an/m2, considérant que, malgré une superficie convenable et son exploitation en restaurant, ce local ne bénéficie pas d'un emplacement stratégique et nécessitera des travaux de modernisation.
Il retient in fine un prix de référence au mètre carré arrondi retenu de 402 euros par mètre carré annuel hors charge et un loyer annuel hors taxe et hors charge arrondi de 35.380 euros, soit un prix inférieur au loyer actuellement pratiqué.
Ainsi, en l'état des pièces produites par les parties, le demandeur ne rapporte pas la preuve que le prix de location serait inférieur à la valeur des locaux évalués en fonction de l'étendue, de la situation, du confort, des aménagements et des facilités d'exploitation qu'ils présentent.
Sa demande sera dès lors rejetée.
En outre, en l'état du rejet des prétentions de j.E qui sollicite l'exécution provisoire, celle-ci ne sera pas ordonnée.
* • Sur les frais irrépétibles et les dépens
Aux termes de l'article 231 du Code de procédure civile, la partie qui succombe est condamnée aux dépens.
Il y a donc lieu de condamner j.E aux dépens, dont distraction au profit de Maître Thomas GIACCARDI, avocat-défenseur, sous sa due affirmation.
Selon l'article 238-1 du Code de procédure civile :
« Le juge condamnera la partie tenue aux dépens ou qui perdra son procès à payer :
1° à l'autre partie la somme qu'il déterminera, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ;
2° et, le cas échéant, à l'avocat du bénéficiaire de l'assistance judiciaire une somme au titre des honoraires et frais, non compris dans les dépens, que le bénéficiaire de l'assistance aurait exposés s'il n'avait pas eu cette aide.
Dans tous les cas, le juge tiendra compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il pourra, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à ces condamnations. »
En l'espèce, l'équité commande de condamner j.E à payer à ce titre aux consorts A la somme de 2.000 euros.
Dispositif
PAR CES MOTIFS,
LA COMMISSION ARBITRALE DES LOYERS COMMERCIAUX,
Statuant contradictoirement et en premier ressort, par jugement prononcé par mise à disposition au greffe,
Déboute j.E de l'ensemble de ses demandes ;
Dit n'y avoir lieu à assortir la présente décision de l'exécution provisoire ;
Condamne j.E à payer à n A, épouse I, j A, c A, épouse L et l A, épouse C la somme de 2 .000 euros au titre de l'article 238-1 du Code de procédure civile ;
Condamne j.E aux dépens, dont distraction au profit de Maître Thomas GIACARDI, avocat-défenseur, sous sa due affirmation ;
Ordonne que les dépens distraits seront provisoirement liquidés sur état par le Greffier en Chef au vu du tarif applicable ;
Composition
Après débats en audience de la Commission Arbitrale des Loyers Commerciaux de la Principauté de Monaco, et qu'il en ait été délibéré et jugé par la formation la composant,
Ainsi jugé et rendu au Palais de Justice, à Monaco, le 10 AVRIL 2024, par Madame Alexia BRIANTI, Président, Monsieur r.K, Monsieur m.G, Monsieur r.J et Monsieur j.D, assesseurs, assistés de Madame Marine PISANI, Greffier en chef adjoint.
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