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08/02/2023 | MONACO | N°20942

Monaco | Commission arbitrale des loyers commerciaux, 8 février 2023, m. A c/ p. B.


COMMISSION ARBITRALE DES LOYERS COMMERCIAUX

n° C2021/000008

JUGEMENT DU 8 FÉVRIER 2023

En la cause de :

* m. A., commerçante, exerçant à Monaco sous l'enseigne m. née le 24 XY à Téhéran (Iran), de nationalité monégasque, demeurant 15 X1 à Monaco ;

DEMANDERESSE , ayant élu domicile en l'étude de Maître Thomas GIACCARDI , avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco et plaidant par ledit avocat-défenseur ;

d'une part,

Contre :

* p. B., DD née le xx de nationalité monégasque, demeurant en son étude X2 X3 à Monaco ;<

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DÉFENDERESSE , ayant élu domicile en l'étude de Maître Sarah FILIPPI , avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monac...

COMMISSION ARBITRALE DES LOYERS COMMERCIAUX

n° C2021/000008

JUGEMENT DU 8 FÉVRIER 2023

En la cause de :

* m. A., commerçante, exerçant à Monaco sous l'enseigne m. née le 24 XY à Téhéran (Iran), de nationalité monégasque, demeurant 15 X1 à Monaco ;

DEMANDERESSE , ayant élu domicile en l'étude de Maître Thomas GIACCARDI , avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco et plaidant par ledit avocat-défenseur ;

d'une part,

Contre :

* p. B., DD née le xx de nationalité monégasque, demeurant en son étude X2 X3 à Monaco ;

DÉFENDERESSE , ayant élu domicile en l'étude de Maître Sarah FILIPPI , avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco et plaidant par Maître Sarah CAMINITI-ROLLAND, avocat au Barreau de Nice ;

d'autre part,

Visa

LA COMMISSION ARBITRALE DES LOYERS COMMERCIAUX ,

Vu la requête de Maître Thomas GIACCARDI, avocat-défenseur pour m. A. en date du 12 mai 2021 enrôlée au Greffe sous le numéro C2021/000008 ;

Vu les lettres de convocation pour l'audience de conciliation du 9 juin 2021, adressées en recommandé avec accusé de réception par le greffe le 17 mai 2021 ;

Vu le procès-verbal de non-conciliation en date du 9 juin 2021 renvoyant les parties à l'audience de la Commission Arbitrale des Loyers Commerciaux du 7 juillet 2021 ;

Vu les convocations adressées par courriel du greffe en date du 5 juillet 2021 ;

Vu le jugement avant-dire-droit de la Commission Arbitrale des Loyers Commerciaux en date du 4 mai 2022 ayant notamment renvoyé la cause et les parties à l'audience du mercredi 15 juin 2022 pour les conclusions au fond de m. A. ;

Vu les conclusions de Maître Thomas GIACCARDI, avocat-défenseur pour m. A. en date du 13 juillet 2022 ;

Vu les conclusions de Sarah FILIPPI, avocat-défenseur pour p. B. en date du 12 octobre 2022 ;

Ouï Maître Thomas GIACCARDI, avocat-défenseur pour m. A. ;

Ouï Maître Sarah CAMINITI-ROLLAND, avocat au Barreau de Nice, plaidant sous la constitution de Maître Sarah FILIPPI, avocat-défenseur pour p. B. ;

Motifs

CONSIDÉRANT LES FAITS SUIVANTS :

Suivant acte sous seing privé du 18 juin 2015, p. B. a renouvelé le bail commercial consenti le 19 juin 1997 à m. A. relativement au local n° 14 dépendant du X4 pour une durée de neuf années à compter du 1er juillet 2015, moyennant un loyer annuel de base de 200.000 euros, outre un loyer additionnel de 6% du chiffre d'affaires toutes taxes comprises.

Le dernier montant de loyer annuel connu est de 223.161,76 euros.

Arguant des conditions d'exploitation défavorables liées à la crise sanitaire, m. A. sollicitait, par courrier du 1er septembre 2020, une réduction de loyer de manière rétroactive et jusqu'au 31 décembre 2020.

Sa demande ayant été rejetée par sa bailleresse, elle la renouvelait, en se fondant sur l'article 21 de la loi 490, suivant lettre recommandée avec accusé de réception du 7 janvier 2021, laquelle demeurait sans réponse.

m. A. saisissait ainsi le Président de cette Commission suivant requête du 12 mai 2021 afin de voir convoquer les parties aux fins de conciliation sur sa demande de révision du loyer à la somme de 140.000 euros hors taxes à compter du 17 mars 2020, payable par échéance mensuelle.

La non-conciliation des parties était constatée par procès-verbal du 9 juin 2021 et les parties étaient renvoyées devant cette Commission.

Par conclusions récapitulatives du 17 décembre 2021, la demanderesse avait sollicité de voir :

* dire et juger que les attestations produites aux débats par Madame B. sous les numéros de pièces 1 et 2 sont nulles pour non-respect des dispositions de l'article 324 du Code de procédure civile,

* dire et juger que la pandémie du COVID 19 a entrainé une modification des conditions économiques générales de la Principauté de Monaco ainsi qu'une modification des conditions d'exploitation du fonds de commerce de Madame A.

* fixer le montant du loyer annuel que Madame A. devra verser à Madame B. à la somme de 140.000 euros hors taxes et hors charges à compter du 17 mars 2020,

* dire et juger que le loyer sera payé mensuellement le 1er jour de chaque mois ;

* débouter Madame p. B. de l'ensemble de ses demandes,

* condamner Madame p. B. aux entiers dépens ainsi que tous frais et accessoires,

Elle faisait valoir à l'appui de ses prétentions que :

* la défenderesse produisait deux courriers qui lui ont été adressés par s. C. « D. » qui ne respectent pas les dispositions de l'article 324 du Code de procédure civile en ce qu'il n'est pas fait état du lien d'intérêt l'unissant aux parties ni de leur production en justice ni des éventuelles sanctions encourues,

* la crise sanitaire engendrée par la pandémie de COVID 19 a touché l'ensemble des commerçants de Monaco, en particulier ceux du X4 ayant été contraints de cesser complètement leur activité à compter du 17 mars 2020 avant de rouvrir en respectant des mesures sanitaires drastiques,

* les chiffres du X4 ont été négatifs durant les mois de juillet à novembre 2020, enregistrant des baisses de fréquentation et de chiffre d'affaires très importants, le commerce de la chaussure ayant enregistré des baisses entre 38 et 55%, à l'instar de son propre chiffre d'affaires,

* les mesures de restriction aux frontières et le gel du tourisme ont eu un impact sensible sur l'économie monégasque, notamment basée sur le tourisme, la pandémie ayant ainsi eu des conséquences sans précédent,

* alors que de nombreux commerçants du centre commercial ont bénéficié d'une aide financière pour la période relative au confinement, sa bailleresse a refusé toute aide ou accompagnement financier de sorte qu'elle s'est retrouvée dans l'impossibilité de payer la totalité de son loyer, d'un montant de 213.970, 56 euros depuis le mois d'octobre 2020,

* au début de l'année 2021, l'économie monégasque était toujours très largement affectée par la crise sanitaire, comme le démontrent des bulletins publiés par l'IMSEE, cette crise n'ayant pas été ponctuelle, une cinquième vague ayant touché l'Europe en fin d'année 2021,

* selon une jurisprudence constante, « la référence aux valeurs locatives d'autres locaux est inopérante dans le cadre d'une procédure tendant à la révision du montant du loyer en cours de bail »,

* la réduction du loyer de base pourrait être compensée par le loyer variable si l'activité économique devait repartir à la hausse,

* sa bailleresse a délivré à son encontre le 14 juin 2021, alors que cette procédure était en cours, un commandement de payer la somme de 116.890,47 euros correspondant aux arriérés de loyer, visant la clause résolutoire en cas de non-paiement, la contraignant ainsi à payer ce montant et affaiblissant encore sa situation financière,

p. B. demandait quant à elle de voir :

* constater que Madame A. n'appuyait ses prétentions d'aucune justification et que ses demandes étaient infondées en droit comme en fait,

* débouter Madame A. de toutes demandes, fins et conclusions à cet égard,

* condamner Madame A. à lui payer la somme de 5.000 euros en réparation du préjudice subi par son action infondée,

* condamner la demanderesse aux entiers dépens,

La défenderesse soutenait que :

* la demanderesse exploite deux établissements similaires en Principauté et un à Cannes et tient par ailleurs avec son époux cinq autres boutiques au sein du X4

* elle a fait preuve à l'égard de sa locataire d'une grande patience durant plusieurs années en lui accordant des échelonnements de paiement,

* la demanderesse ne peut fonder son action sur l'article 21 de la loi 490, la crise sanitaire invoquée étant un épisode temporaire, ponctuel, dont l'impact économique sur le secteur de l'habillement en Principauté s'est déjà résorbé de sorte que son action est mal fondée,

* la reprise économique de la Principauté est incontestable depuis plusieurs mois, l'IMSEE ayant relevé notamment dans son bulletin relatif au deuxième trimestre 2021 que la chiffre d'affaires de la Principauté avait retrouvé son niveau d'avant la pandémie,

* la demanderesse n'apporte aucune preuve relative à la situation économique de la Principauté, ne produisant pas les documents comptables des boutiques qu'elle gère en Principauté alors que la création d'une boutique juste en face du X4 a dispersé sa clientèle et fait diminuer artificiellement le chiffre d'affaires de la boutique du X4

* m. A. lui reproche d'avoir fait preuve de mauvaise foi alors qu'elle s'est contentée de solliciter l'exécution du contrat du bail, les juridictions françaises ayant considéré à plusieurs reprises, dans le cadre de contentieux relatifs aux « loyers COVID » que le locataire ne pouvait opposer à son bailleur une mauvaise foi lorsque ce dernier se contentait de réclamer le paiement de loyers échus et exigibles,

* les pièces dont la nullité est sollicitée ne sont pas des attestations de témoin mais un compte-rendu de diligences de sorte qu'elles sont recevables ;

* l'action initiée de manière injustifiée par Madame A. lui a causé d'important préjudices, aussi bien financiers (frais d'avocat, d'huissiers) qu'immatériels, justifiant leur indemnisation.

Par jugement avant-dire-droit du 4 mai 2022, cette Commission a rejeté la demande de nullité de pièces formulée par m. A. déclaré irrecevable la demande de dommages et intérêts présentée par p. B. ordonné la réouverture des débats pour obtenir des éléments relatifs à l'étendue, la situation, le confort, les aménagements et les facilités d'exploitation des locaux pour en apprécier la valeur locative, sursis à statuer sur l'ensemble des demandes et renvoyé la cause et les parties à une audience ultérieure de la Commission.

Dans ses conclusions en date du 13 juillet 2022, m. A. sollicite, sous le bénéfice de l'exécution provisoire, que le montant du loyer annuel soit fixé à la somme de 140.000 euros hors taxes et hors charges, à compter du 17 mars 2020, date du début de la crise liée au COVID 19 ou, à titre subsidiaire, du 7 janvier 2021, que le loyer soit payé le 1er jour de chaque mois et que la défenderesse soit condamnée à lui payer la somme de 3.000 euros au titre de l'article 238-1 du Code de procédure civile.

Elle fait valoir, outre les arguments précédemment développés, que :

* le local litigieux, d'une surface de 100 m2 est exploité au rez-de-chaussée du X4

* sa visibilité s'est dégradée depuis la signature du bail du fait de l'installation d'un café dans le hall, occultant totalement le local à la vue du chaland non averti,

* la valeur locative actuelle de 2.232 euros par mètre carré est supérieure à la valeur locative réelle fixée par trois agences immobilières entre 1.300 et 1.600 euros par mètre carré annuel, étant rappelé que le bail prévoit en outre une partie de loyer variable destinée à adapter le montant du loyer en fonction de la situation économique.

La défenderesse, dans ses conclusions du 12 octobre 2022 dans lesquelles elle sollicite le rejet de la demande, soutient, en sus de ses précédentes conclusions, que :

* sur la situation économique générale de la Principauté, tous les indices permettent d'attester d'une reprise exceptionnelle du commerce, du tourisme et de l'économie monégasques, établie par l'IMSEE et reprise par la presse, la pandémie n'impactant plus l'économie monégasque, ce qui est également corroboré par les chiffres enregistrés au sein du « X4 »,

* la réouverture des débats ordonnée par la Commission est contraire aux dispositions de la loi 490 et des règles de procédure civile et injustifiée dans la mesure où l'ensemble des détails nécessaires étaient contenus dans ses écritures ainsi que dans les pièces produites,

* les estimations produites par la demanderesse sont des estimations de complaisance, ne reposant sur aucune documentation ou information sérieuse ou vérifiable,

* l'installation du « E. » n'a pas eu d'impact négatif sur l'exploitation de la boutique « m. », son chiffre d'affaires ayant augmenté de manière continue depuis 2006,

* l'attestation de la Société générale des centres commerciaux, gestionnaire du X4 établit que le loyer moyen au m2 pour les commerces du rez-de-chaussée du centre est de 2.009 euros alors que le loyer payé par la demanderesse est de 1.785 euros, les nouvelles enseignes installées depuis 2017 payant un loyer moyen de 2.308 euros /m2,

* en installant une boutique en face du X4 la demanderesse avait pour objectif de faire diminuer artificiellement le chiffre d'affaires réalisé par la boutique du « X4 », soumis à loyer variable,

* la dimension du local de 122, 5 m2, sa visibilité (linéaire de la vitrine) et sa situation idéale en face de l'enseigne « locomotive » du Centre F. corroborent l'adéquation du prix du loyer avec la valeur locative du local.

Suite à l'audience de plaidoirie, le conseil de la défenderesse a transmis, par voie électronique, au greffe de la Commission, et en copie à son contradicteur, une note en délibéré afin de transmettre le bail initialement conclu entre les parties ainsi que le plan du local annexé.

SUR CE

Sur les notes en délibéré et les pièces transmises

Attendu que, par courrier électronique du 19 décembre 2022, le conseil de la défenderesse a transmis au Greffe de la Commission une note en délibéré à laquelle elle a joint le bail initialement conclu entre les parties ainsi qu'un plan du local.

Que le conseil de la demanderesse, figurant en copie de ce courriel, n'y a pas répliqué.

Qu'il est toutefois constant que, lors de l'audience de plaidoirie, les parties ne se sont pas entendues sur la transmission d'une note en délibéré ou de pièces, comportant des commentaires et observations sur la superficie du local, laquelle n'a en outre aucunement été autorisée par la Commission.

Qu'ainsi, la note en délibéré datée du 16 décembre 2022 ainsi que les courriels échangés relativement à la surface du local litigieux seront rejetés comme n'ayant pas été autorisés par la Commission ni soumis au contradictoire de l'autre partie.

Attendu en revanche que le bail, signé par les parties, ainsi que le plan annexé du local, paraphé par les parties, sont des pièces dont les deux parties avaient connaissance, n'ayant pas pour objet d'introduire dans le débat un élément nouveau auquel il ne pourrait être répondu.

Qu'il s'agit en outre de pièces utiles à éclairer la Commission eu égard aux éléments sollicités dans le cadre de la réouverture des débats, ce qui eut d'ailleurs justifié leur production avant la mise en délibéré de l'affaire.

Que le bail et le plan ainsi produits ne seront donc pas écartés des débats et il appartiendra à la Commission d'en apprécier la valeur probante dans le cadre de la fixation de la valeur locative du local.

Attendu que la demanderesse a également transmis, en date du 6 février 2023, une note en délibéré ainsi qu'un plan du local établi par un géomètre.

Attendu toutefois que la transmission de cette note en délibéré et de la pièce qui y est jointe, introduisant un élément nouveau dans les débats auquel il ne peut être répondu par l'autre partie, n'a pas davantage été autorisée par cette Commission ni soumise au principe du contradictoire.

Que cette note en délibéré ainsi que le plan transmis seront ainsi écartés des débats.

Sur la demande de révision du loyer

Attendu qu'aux termes de l'article 21 de la loi 490 concernant les baux à usage commercial, industriel ou artisanal, « Quelle que soit la date du bail écrit ou verbal, intervenu ou à intervenir, nonobstant toute convention contraire et quelles que soient les conditions dans lesquelles le prix a été fixé, celui-ci peut être modifié, tant en hausse qu'en baisse, à la demande d'une partie lorsqu'elle peut justifier que le prix payé ne correspond plus à la valeur locative, telle qu'elle résulte de l'application des dispositions de l'article 6, par suite d'une modification :

* soit dans les conditions économiques générales de la Principauté ;

* soit dans les conditions particulières affectant le fonds.

Cette demande de révision n'est recevable que s'il s'est écoulé trois années au moins depuis la date à laquelle a pris cours le prix précédemment fixé.

Elle est introduite par lettre recommandée avec accusé de réception ou par acte extrajudiciaire, contenant obligatoirement l'énonciation des motifs allégués pour justifier la révision du prix, ainsi que l'indication du nouveau prix proposé. » ;

Qu'il convient ainsi à la partie sollicitant une révision de loyer en cours de bail de démontrer en premier lieu une modification des conditions économiques générales de la Principauté ou dans les conditions particulières affectant le fonds ;

Qu'en l'espèce, tel que cela a été développé dans notre jugement avant-dire droit et dans plusieurs décisions de notre Commission, il est indéniable que la Principauté, à l'instar du reste du monde, a été confrontée, à compter du début de l'année 2020, à une crise sanitaire sans précédent, dont nul ne pouvait définir précisément l'issue.

Que, pour justifier des conséquences de cette crise sur l'économie de la Principauté, et plus particulièrement dans son secteur d'activité, la demanderesse produit notamment des bulletins de l'Association des commerçants du « X4 » faisant état d'une baisse significative de la fréquentation et du chiffre d'affaires du Centre d'août 2020 à décembre 2020, à l'exception du chiffre d'affaires de décembre 2020, le secteur de la chaussure ayant été particulièrement impacté, enregistrant une baisse entre 38 et 55% selon les mois ;

Que m A. produit en outre la déclaration de son chiffre d'affaires en 2019 et en 2020, ayant subi une baisse de 3.100.643,34 euros à 1.523.832,10 euros et le chiffre d'affaires, adressé par l'IMSEE pour les années 2018, 2019, 2020 pour les entreprises susceptibles de vendre des chaussures ou encore des articles de maroquinerie, établissant une diminution très importante entre 2018 et 2020 (de 208 millions d'euros en 2018 à 167 millions d'euros en 2020 pour le code NAF 4771Z et de 16,6 millions en 2018 à 12, 2 millions en 2020 pour le code NAF 4772A) ;

Qu'il est par ailleurs indéniable, tel que cela ressort de plusieurs articles de presse et données statistiques produits par la défenderesse, que la Principauté a connu, pour l'année 2022, plus particulièrement à compter du deuxième trimestre et durant l'été, une évolution très favorable de sa situation économique ;

Qu'il n'en demeure pas moins que cette crise sanitaire sans précédent, ayant justifié la mise en place de mesures inédites, non seulement durant les mois de confinement pendant lesquels les commerces non essentiels étaient fermés mais également par la suite durant plus de deux années, avec l'instauration de restrictions importantes notamment quant aux déplacements extra territoriaux ou encore aux pass sanitaires, a modifié de façon majeure et durable les conditions économiques générales de la Principauté ;

Attendu ainsi que la crise liée à la pandémie de COVID 19 constitue, en l'état de son importance, de sa durée et des répercussions indéniables sur l'économie mondiale, une modification des conditions économiques générales de la Principauté de sorte que la condition légale prévue par l'article 21 de la loi 490 est satisfaite ;

Qu'il convient ainsi d'apprécier si, par suite de cette modification, le prix payé ne correspond plus à la valeur locative, telle qu'elle résulte de l'application des dispositions de l'article 6 de la loi 490 ;

Que cet article dispose que le prix de location ne peut, « en aucun cas, être inférieur à la valeur des locaux évalués en fonction de l'étendue, de la situation, du confort, des aménagements et des facilités d'exploitation qu'ils présentent » ;

Qu'en outre, la valeur locative équitable ne peut s'évaluer qu'en fonction de l'état du marché au jour de la nouvelle fixation ;

Que, s'il est de jurisprudence constante que la référence aux valeurs locatives d'autres locaux est inopérante dans le cadre d'une procédure tendant à la révision du montant du loyer en cours de bail, c'est uniquement quant à la recevabilité de la demande et non quant à l'appréciation de la valeur locative du local.

Que, suite à la réouverture des débats, la demanderesse a produit plusieurs documents afin d'établir la valeur locative du local litigieux, s'agissant de :

* un document établi par la G. le 3 juin 2022 indiquant que, sans prendre en considération les locaux appartenant à la H. les loyers des locaux commerciaux dans le Carré d'or, autour des jardins du Casino, varient entre 1.200 et 1.700 euros le mètre carré annuel, soit un prix moyen de 1.450 euros le mètre carré par an ;

* un rapport d'évaluation de valeur locative établi par l'agence immobilière I. en date du 22 juin 2022 relevant notamment que :

* la boutique se situe au rez-de-chaussée du X4 proche de la grande enseigne F. et face à l'une des entrées piétonnes débouchant sur l'avenue des X5 ;

* l'expansion récente du « E. » devant les vitrines de la boutique « m. » coupe le flux piéton naturel et visuel qui devrait se diriger vers les vitrines ;

* la superficie de la boutique est d'environ 100 m2 ;

* la boutique est très bien entretenue, a subi plusieurs rénovations au cours des années, elle est claire et lumineuse, la présence de chaussures haut de gamme colorées attirant l'oeil ;

* sont actuellement proposés à la location au sein du centre :

* un local d'une surface de 65 m2 pour un loyer annuel de 90.000 euros hors taxes, soit un prix de location annuel par mètre carré de 1.385 euros,

* un local d'une surface de 81 m2 pour un loyer annuel de 95.004 euros hors taxes, soit un prix de location annuel au m2 de 1.172, 88 euros ;

* étaient proposés à la location en juin 2020 :

* un local de 95 m2 pour un prix annuel de 190.000 euros hors taxes, soit un

* prix de location annuel au mètre carré de 2.000 euros ;

* un local de 55 m2 pour un loyer annuel de 71.500 euros hors taxes, soit un prix de location annuel au mètre carré de 1.300 euros ;

* un local de 74 m2 pour un prix annuel de location de 111.000 euros hors taxes, soit un prix de location annuel au mètre carré de 1.500 euros.

* la valeur locative du local peut être estimée entre 1.300 et 1.600 euros par mètre carré annuel.

* une estimation de l'agence immobilière J. datée du 13 juin 2022 reprenant des références de loyers de six boutiques au sein du centre commercial ayant un loyer entre 900 euros et 1.500 euros au mètre carré annuel et estimant le loyer du local à 1.400 euros par mètre carré annuel, tenant compte du « marché économique actuel, d'un dynamisme erratique dans un environnement inconstant, en comparaison avec les prix actuellement pratiqués, de la destination unique du bail, de la localisation, de la surface et de l'état du bien »

Que la défenderesse verse quant à elle un courrier du Directeur général du « X4 shopping » du 27 septembre 2022 certifiant la moyenne des loyers minimums garantis par mètre carré des boutiques situées au rez-de-chaussée du Centre ainsi que les moyennes des loyers minimums garantis par mètre carré des nouvelles enseignes depuis 2017 ;

Qu'il ressort de ce document que les loyers annuels pratiqués varient entre 1.501 et 2.500 euros par mètre carré pour les locaux du rez-de-chaussée et entre 1.408 et 3.500 euros pour les nouvelles enseignes depuis 2017, soit une moyenne de 2.308 euros, outre une moyenne en 2021 de 1.916 euros et de 2.416 euros en 2022 ;

Attendu que le bail ainsi que le plan transmis par la défenderesse après les débats ne permettent pas d'éclairer utilement la Commission, quant à la surface exacte du local de sorte, qu'à défaut d'autre élément utile versé par les parties, il conviendra de retenir la superficie de 100 m2 alléguée par la demanderesse et reprise par l'une des agences ayant procédé à l'estimation du bien.

Qu'il ressort par ailleurs des pièces produites, eu égard aux critères posés par l'article 6 de la loi 490 pour apprécier la valeur locative d'un local commercial, que la boutique est située au rez-de-chaussée du X4 proche de la grande enseigne « F. » et face à l'une des entrées piétonnes débouchant sur l'avenue des X5 qu'elle est très bien entretenue, a subi plusieurs rénovations au cours des années, est claire et lumineuse, disposant de grandes vitrines attirant l'oeil.

Que les arguments de la demanderesse relatifs à l'incidence de l'installation d'un café au centre du rez-de-chaussée du centre commercial, à proximité de ses vitrines, ne permettent pas d'établir les conséquences alléguées relativement à l'achalandage de son commerce, en l'état de la pièce communiquée par la défenderesse quant à l'évolution du chiffre d'affaires du commerce, la Commission relevant au surplus qu'il n'est pas établi que les tables installées empêchent la visibilité du commerce au chaland, ledit café étant en outre susceptible d'attirer des clients éventuels.

Que l'ensemble des estimations et des références de loyers produits mettent en évidence des prix de loyers au mètre carré annuel variant entre 900 euros et 3.500 euros.

Qu'ainsi, en l'état de la modification des conditions économiques générales de la Principauté, de l'étendue, de la situation, du confort, des aménagements et des facilités d'exploitation du local ainsi que des pièces produites, il est établi que le prix payé ne correspond plus à la valeur locative du local, laquelle doit être fixée à 190.000 euros par an ;

Attendu par ailleurs que, s'agissant d'une modification du montant du loyer en application de l'article 21 de la loi 490, celle-ci prendra effet à la date de la décision fixant le nouveau loyer ;

Que la demanderesse sollicite en outre de voir dire que le loyer sera payable le 1er jour de chaque mois.

Attendu toutefois que la Commission arbitrale des loyers commerciaux ne peut en aucun cas modifier les stipulations contractuelles du bail, lequel prévoit le règlement en quatre termes payables par trimestre anticipé selon les modalités de prélèvement automatique, de sorte que cette demande sera rejetée.

Sur l'exécution provisoire

Attendu que selon les dispositions de l'article 202 du Code de procédure civile, l'exécution provisoire peut être ordonnée pour tout ou partie de la condamnation, chaque fois que le juge l'estime nécessaire et compatible avec la nature de l'affaire, à condition qu'elle ne soit pas interdite par la loi.

Qu'elle peut aussi être accordée pour le paiement de l'amende civile, de l'indemnité de l'article 238 et des dépens et des frais non compris dans les dépens.

Qu'en l'espèce, il n'apparait ni nécessaire ni compatible avec la nature de l'affaire de l'ordonner.

Sur les frais irrépétibles et les dépens

Attendu que chaque partie succombant partiellement en ses demandes, il sera fait masse des dépens qui seront partagés par moitié entre les parties ;

Qu'enfin, aux termes de l'article 238-1, « le juge condamnera la partie tenue aux dépens ou qui perdra son procès à payer à l'autre partie la somme qu'il déterminera, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ».

Qu'en l'espèce, chaque partie succombant partiellement en ses demandes de sorte que les dépens sont partagés par moitié entre les parties, les demandes fondées sur l'article 238-1 du Code de procédure civile seront rejetées.

Dispositif

PAR CES MOTIFS,

La Commission arbitrale des loyers commerciaux,

Statuant par mise à disposition au greffe, par jugement contradictoire, en premier ressort,

Écarte des débats la note en délibéré transmise par p.B.par courrier électronique en date du 19 décembre 2022 ainsi que les courriers électroniques échangés entre l'adresse électronique « K. » et l'adresse électronique « L. » ;

Dit n'y avoir lieu à écarter des débats les pièces transmises par Maître p. B. par courrier électronique du 19 décembre 2022, s'agissant du bail conclu entre les parties le 19 juin 1997 ainsi que du plan du local paraphé par les parties ;

Écarte des débats la note en délibéré et la pièce jointe transmises par m. A. le 6 février 2023 ;

Fixe la valeur locative annuelle du local n° 14 dépendant du X4 loué par m. A. à p. B. à la somme de 190.000 euros hors taxes et hors charges à compter de la date du présent jugement ;

Rejette la demande de m. A. visant à voir dire et juger que le loyer sera payable mensuellement le 1er jour de chaque mois ;

Dit n'y avoir lieu à ordonner l'exécution provisoire de la présente décision ;

Rejette les demandes des parties au titre de l'article 238-1 du Code de procédure civile ;

Fait masse des dépens et dit qu'ils seront partagés par moitié entre les parties ;

Composition

Après débats en audience de la Commission Arbitrale des Loyers Commerciaux de la Principauté de Monaco, et qu'il en ait été délibéré et jugé par la formation la composant,

Ainsi jugé et rendu au Palais de Justice, à Monaco, le 8 FÉVRIER 2023, par Madame Alexia BRIANTI, Président, Monsieur Jean-Claude GUILLAUME, Monsieur Nicolas MATILE, Monsieur Jean-Luc CLAMOU et Madame Carol MILLO-DORFMANN, assesseurs, assistés de Madame Christèle SETTINIERI, Greffier.

^


Synthèse
Numéro d'arrêt : 20942
Date de la décision : 08/02/2023

Analyses

Il résulte de l'article 21 de la loi n° 490 du 24 novembre 1948 concernant les baux à usage commercial, industriel ou artisanal qu'il convient ainsi à la partie sollicitant une révision de loyer en cours de bail de démontrer en premier lieu une modification des conditions économiques générales de la Principauté ou dans les conditions particulières affectant le fonds. La crise sanitaire liée au Covid 19, sans précédent, ayant justifié la mise en place de mesures inédites, non seulement durant les mois de confinement pendant lesquels les commerces non essentiels étaient fermés mais également par la suite durant plus de deux années, avec l'instauration de restrictions importantes notamment quant aux déplacements extra territoriaux ou aux pass sanitaires, a modifié de façon majeure et durable les conditions économiques générales de la Principauté. Ainsi, la crise liée à la pandémie constitue, en l'état de son importance, de sa durée et des répercussions indéniables sur l'économie mondiale, une modification des conditions économiques générales de la Principauté de sorte que la condition légale prévue par l'article 21 de la loi n° 490 est satisfaite. Il convient par conséquent d'apprécier si, par suite de cette modification, le prix payé ne correspond plus à la valeur locative, telle qu'elle résulte de l'application des dispositions de l'article 6 de la loi n° 490 du 24 novembre 1948 .La valeur locative équitable ne peut s'évaluer qu'en fonction de l'état du marché au jour de la nouvelle fixation.S'il est de jurisprudence constante que la référence aux valeurs locatives d'autres locaux est inopérante dans le cadre d'une procédure tendant à la révision du montant du loyer en cours de bail, c'est uniquement quant à la recevabilité de la demande et non quant à l'appréciation de la valeur locative du local.

Baux commerciaux  - Crises sanitaires.

Bail commercial - Révision de loyer - Valeur locative - Covid-19 - Modification des conditions économiques générales de la Principauté (oui).


Parties
Demandeurs : m. A
Défendeurs : p. B.

Références :

article 324 du Code de procédure civile
article 238-1 du Code de procédure civile
article 6 de la loi n° 490 du 24 novembre 1948
article 21 de la loi n° 490 du 24 novembre 1948
article 202 du Code de procédure civile


Origine de la décision
Date de l'import : 18/07/2023
Fonds documentaire ?: tribunal-supreme.mc
Identifiant URN:LEX : urn:lex;mc;commission.arbitrale.loyers.commerciaux;arret;2023-02-08;20942 ?

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