Abstract
Baux commerciaux - Révision du loyer - Article 21 de la loi n° 490 du 24 novembre 1948 - Clause d'indexation - Élément sans incidence (oui)
Résumé
La demande de révision du loyer, fondée sur l'article 21 de la loi n° 490 du 24 novembre 1948, doit être accueillie dès lors qu'il est démontré qu'il est intervenu depuis la dernière fixation du loyer en 1996 des modifications dans les conditions générales économiques de la Principauté. L'existence d'une clause d'indexation ne fait pas obstacle à la demande de révision.
Motifs
COMMISSION ARBITRALE
LOYERS COMMERCIAUX
Dossier n° C2019/000009
JUGEMENT DU 11 NOVEMBRE 2020
En la cause de :
* a. F. né le 14 mars 1943 à Monaco, de nationalité monégasque, retraité, demeurant X1 à Monaco ;
DEMANDEUR, ayant élu domicile en l'étude de Maître Christiane PALMERO, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco et plaidant par Maître Roland TAMISIER, avocat au barreau de Nice ;
D'une part,
CONTRE :
* m. P. épouse C G. née le 1er mars 1952 à Monaco, commerçante, demeurant X2 à Monaco ;
DÉFENDERESSE, ayant élu domicile en l'étude de Maître Charles LECUYER, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco et plaidant par ledit avocat-défenseur ;
D'autre part,
LA COMMISSION ARBITRALE DES LOYERS COMMERCIAUX,
Vu le billet d'avis de Maître Christiane PALMERO, avocat-défenseur pour a. F. en date du 13 juin 2019 et enrôlée au Greffe sous le numéro C2019/000009 ;
Vu les lettres de convocation pour l'audience de conciliation du 9 octobre 2019 adressées en recommandé avec accusé de réception par le greffe le 13 juin 2019 ;
Vu le procès-verbal de non-conciliation en date du 11 octobre 2019, renvoyant les parties à l'audience de la Commission Arbitrale des Loyers Commerciaux du 13 novembre 2019 ;
Vu les lettres de convocation adressées en recommandé avec accusé de réception par le Greffe le 11 octobre 2019 ;
Vu les conclusions de Maître Christiane PALMERO, avocat-défenseur pour a. F. demandeur, en date des 13 novembre 2019 et 11 mars 2020 ;
Vu les conclusions de Maître Charles LECUYER, avocat-défenseur pour m. P. épouse C G. défenderesse, en date du 22 janvier 2020 ;
Ouï Maître Roland TAMISIER, avocat pour a. F. demandeur ;
Ouï Maître Charles LECUYER, avocat-défenseur pour pour m. P. épouse C G. défenderesse ;
CONSIDÉRANT LES FAITS SUIVANTS,
Par acte sous seing privé du 9 janvier 1978, m. P.(ensuite épouse C G. se voyait donner à bail à compter du 1er avril 1976 un local sis X3
Des augmentations du loyer était effectuées à l'amiable en 1993 puis par la présente commission le 6 novembre 1996.
Par acte du 22 novembre 2017, a. F. se portait acquéreur du local.
Il saisissait la commission spéciale afin de fixer un nouveau loyer le 13 mars 2018, laquelle rendait le 13 février 2019 un jugement le déclarant irrecevable en ses demandes.
Par billet en date du 13 juin 2019, a. F. a saisi la commission sur la base de l'article 21 de la loi 490 aux fins de constater que les parties s'accordent sur le principe de renouvellement au 1er avril 2019 et que le nouveau loyer soit fixé à la somme de 26.400 euros par an à compter du 1er janvier 2018.
Le 11 octobre 2019, il était rendu un procès-verbal de non-conciliation.
a. F. fait valoir à l'appui de ses demandes que le loyer a été fixé le 15 janvier 1975, qu'il a effectué sa proposition sur la base de l'article 21 de la loi 490 par courrier du 17 mars 2019 et que le loyer actuel ne correspond plus à la valeur du marché du fait des évolutions de la situation économique générale et particulière du fonds.
Il verse des estimations d'autres biens dans le quartier et dans le même immeuble pour montrer le caractère très bas du loyer actuel.
Il estime être recevable en son action en ce que les critères légaux ont été respectés dans son courrier en date du 17 mars 2019 et que sa demande est bien fondée sur l'évolution des conditions économiques générales de la principauté et en sus du fait que l'immeuble a subi une réfection de la façade qui constitue un embellissement.
Il rappelle encore que son billet d'avis vise bien l'article 21 de la loi 490 et indique que s'il mentionne qu'il soit constaté que les parties s'accordent sur le renouvellement du bail, cela était superfétatoire et avait pour seul but d'indiquer qu'il ne souhaitait pas donner congé.
Il estime que s'il indique surabondamment que le loyer n'est pas conforme à l'état du marché, il rappelle dans son billet d'avis les évolutions des conditions générales économiques de la Principauté et de celles particulières affectant le fonds.
Il estime que la clause d'indexation n'est pas une clause d'échelle mobile et que la présence de celle-ci dans le bail ne saurait mettre en échec l'utilisation de l'article 21 qui a pour but de fixer le loyer en tenant compte des évolutions.
Il fait valoir que dans le quartier, les prix des loyers n'ont cessé d'augmenter et que le commerce y est florissant.
Il relève qu'outre l'embellissement de la façade, la rue a significativement évoluée.
Il fait encore valoir que les pièces produites par la défenderesse démontrent également que le loyer actuel est bas.
Il considère enfin que les pièces versées démontrent ses prétentions et que ce n'est qu'à titre subsidiaire et complémentaire, si la commission s'estimait insuffisamment informée, qu'il conviendrait d'ordonner une mesure d'expertise.
En réponse, m. P. épouse C G. demande à la commission de déclarer a. F. irrecevable en ses demandes, à titre subsidiaire de le débouter de ses demandes et à titre encore subsidiaire de fixer le nouveau loyer à 7.200 euros par an à compter du 1er avril 2020 et en tout état de cause condamner a. F. à lui verser la somme de 4.000 euros au titre des frais de justice qu'elle a dû exposer.
Elle fait valoir à l'appui de ses demandes que la recevabilité ne se limite pas à énoncer l'article 21 mais encore à préciser dans le courrier envoyé en application de l'article 21 les critères légaux qui justifieraient l'augmentation, étant rappelé que l'inadéquation du loyer avec le marché actuel n'est pas un motif justifiant une évolution des conditions générales économiques de la Principauté ou des conditions particulières du fonds.
Elle considère que le fait que a. F. dans son billet d'avis mentionne un accord sur le renouvellement du bail correspond à une saisine sur le fondement de l'article 4 de la loi, de sorte qu'il existe un doute sur la nature de l'action et son fondement.
Elle relève que si l'action devait être fondée sur l'article 4, il serait irrecevable en ce que les parties ne se trouvent pas en période de renouvellement du bail
Elle considère ensuite que le formalisme de l'article 21 n'a pas été respecté puisqu'il n'y serait pas indiqué une modification dans les conditions économiques générales de la Principauté ou dans les conditions particulières du local.
Elle estime que le bail contient une échelle mobile et qu'il convient que le demandeur démontre en quoi cette échelle mobile n'aurait pas permis de prendre en compte les évolutions des conditions économiques de la Principauté.
Elle considère qu'il n'est pas allégué de modification dans les conditions économiques et qu'en tout état de cause, celles-ci n'ont pas été favorables au commerce.
Elle fait valoir que les conditions du fond n'ont pas réellement changé en ce que la réfection de la façade relève de l'entretien de l'immeuble et non d'une amélioration et n'ont pas d'impact sur le local.
Elle rappelle que le local ne dispose pas d'un accès commode en ce que l'accès se fait par une porte unique accessible uniquement par trois marches, interdisant l'accès aux personnes à mobilité réduite et que l'arrière-boutique ne dispose que d'une petite ouverture vitrée en façade.
Elle estime que les évaluations produites par le demandeur ne sont pas probantes de l'état du marché et produit des évaluations de locaux similaires à celui qu'elle occupe, montrant des valeurs au mètre carré nettement inférieures aux demandes d a. F.
Elle considère que la demande d'expertise tendrait uniquement à pallier la carence du demandeur et doit être rejetée.
Elle propose cependant de porter le loyer à la somme de 600 euros par mois hors charges à compter du 1er avril 2020.
SUR QUOI :
Aux termes de l'article 21 de la loi 490 du 24 novembre 1948 :
« Quelle que soit la date du bail écrit ou verbal, intervenu ou à intervenir, nonobstant toute convention contraire et quelles que soient les conditions dans lesquelles le prix a été fixé, celui-ci peut être modifié, tant en hausse qu'en baisse, à la demande d'une partie lorsqu'elle peut justifier que le prix payé ne correspond plus à la valeur locative, telle qu'elle résulte de l'application des dispositions de l'article 6, par suite d'une modification :
* - soit dans les conditions économiques générales de la Principauté ;
* - soit dans les conditions particulières affectant le fonds.
Cette demande de révision n'est recevable que s'il s'est écoulé trois années au moins depuis la date à laquelle a pris cours le prix précédemment fixé.
Elle est introduite par lettre recommandée avec accusé de réception ou par acte extrajudiciaire, contenant obligatoirement l'énonciation des motifs allégués pour justifier la révision du prix, ainsi que l'indication du nouveau prix proposé. »
Il est admis que si l'énonciation des motifs doit obligatoirement être visée dans les courriers et dans le billet d'avis, il ne peut être exigé que l'ensemble des arguments soient énoncés dès ce stade ou du moins qu'ils soient intégralement développés.
Ainsi dès lors qu'il est visé une évolution du fonds telle qu'un ravalement de façade, cela constitue bien le visa prévu par l'article 21 de la loi 490, la validité de l'argument relevant du fond de l'affaire et non de la forme.
Le billet d'avis qui fonde la saisine de la Commission vise expressément l'article 21 et la modification des conditions économiques de la Principauté ainsi que l'embellissement de l'immeuble situé X3.
Le fait que les demandes contiennent celle de constater l'accord des parties sur le principe du renouvellement du contrat de bail au 1er avril 2019 n'est pas de nature à faire considérer que les demandes seraient formulées sur la base de l'article 4 de la loi 490 ni à opérer une confusion sur le fondement de la saisine de la commission.
S'il est admis que la seule référence à l'inadéquation du loyer avec l'état du marché n'est pas la démonstration d'une modification des conditions économiques générales de la Principauté ou des conditions particulières affectant le fonds, l'évocation de cela dans les courriers et billets d'avis ne peut fonder une cause d'irrecevabilité et relèvera du débat au fond.
Il résulte de ces considérations que le formalisme prévu par l'article 21 de la loi 490 a bien été respecté et que les demandes de a. F. sont recevables.
Aux termes de l'article 23 de la loi 490 :
« Dans le cas où le prix de la location aurait été fixé par le jeu d'une clause d'échelle mobile fondée sur les indices du coût de la vie, les indices économiques ou les variations des prix, la commission arbitrale adaptera le jeu de l'échelle mobile à la valeur locative équitable en tenant compte de tous les éléments d'appréciation utiles. »
Contrairement à ce que soutient la défenderesse, ledit article n'impose nullement au demandeur de démontrer en quoi le jeu de l'échelle mobile n'aurait pas permis de prendre en compte les modifications économiques ou du fonds, mais permet à la Commission de fixer un nouveau loyer à la valeur locative équitable dès lors qu'elle considèrera que les conditions de l'article 21 sont réunies et qu'il est donc démontré une modification des conditions générales économiques de la Principauté ou des conditions particulières affectant le fonds, nonobstant l'existence d'une clause d'indexation sur les indices du coût de la vie ou de la construction.
En outre, la valeur locative équitable ne peut s'évaluer qu'en fonction de l'état du marché au jour de la nouvelle fixation.
La dernière fixation du loyer a eu lieu en 1996 par la présente commission.
Il est indéniable que les conditions générales économiques de la Principauté ont été modifiées depuis cette date, ce que la défenderesse reconnaît elle-même puisqu'elle considère dans ses écritures que la crise économique de 2012 a eu des effets négatifs sur le commerce en Principauté.
Le ravalement de façade intervenu n'a pas causé une modification notable de l'immeuble et lui a redonné son aspect original.
Cependant, il est constant que depuis 1996, X3 a connu de nombreuses modifications et un changement cosmétique notable qui l'a rendue plus passante, qu'elle a vu s'installer depuis quelques années différents commerces de bouche qui se montrent stables et attirent un achalandage plus important qu'à cette époque.
Il résulte de ces considérations qu'il est démontré qu'il est intervenu depuis la dernière modification des modifications dans les conditions générales économiques de la Principauté et des modifications dans les conditions particulières affectant le fonds.
Il y a donc lieu à fixer la valeur locative équitable du local litigieux.
Les éléments versés aux débats par les parties sur les valeurs locatives des locaux à proximité de celui loué par la défenderesse permettent à la Commission d'être suffisamment informée sur l'état du marché dans le quartier.
Il n'y a donc pas lieu à ordonner une mesure d'expertise.
Il résulte des pièces versées aux débats que le local litigieux, s'il se trouve dans une rue passante, n'est accessible qu'en contre-bas via un petit escalier et ne peut donc recevoir de personnes à mobilité réduite.
Il mesure 38,90 m2, en ce compris le local servant à accueillir le public et l'arrière-boutique servant notamment de stockage.
Il ne dispose pas d'aménagements particuliers qui pourraient faciliter son exploitation outre mesure.
Les aménagements X3, intervenus depuis la dernière fixation du loyer ont amené un plus grand passage dans les lieux mais n'ont pas apporté d'amélioration significative du local et son accès n'a pas été facilité.
En outre, le bail commercial liant les parties a une portée restrictive limitant la valeur du local.
Il résulte de ces considérations qu'il convient de déclarer satisfactoire l'offre faite par m. P.épouse C G. et en conséquence fixer le loyer annuel à la somme de 7.200 euros, hors charges et hors taxes.
La nouvelle fixation d'un loyer en application de l'article 21 de la loi 490 prend normalement effet à la date de la nouvelle fixation, soit donc de la décision fixant le nouveau montant du loyer, de sorte que la demande de a. F. tendant à ce que le nouveau loyer soit fixé à compter du 1er avril 2019 ne peut être accueillie, et ce d'autant plus qu'il s'agit d'une date antérieure à la saisine de la commission.
Cependant, m. P.épouse C G. dans sa proposition, demande à ce que le nouveau loyer soit fixé à compter du 1er avril 2020.
Il y a donc lieu de dire que le nouveau loyer prendra effet à cette date.
La Commission n'a pas compétence pour attribuer des dommages et intérêts qui relèvent de la responsabilité civile, de sorte qu'il n'y a pas lieu à statuer sur la demande de condamnation au titre des frais de justice.
En outre, et à titre superfétatoire, m. P.épouse C G. succombe en ses demandes principales, de sorte qu'il ne saurait être valablement soutenu que la présente procédure revêtirait un quelconque caractère abusif.
Les deux parties succombant partiellement en leurs demandes, il y a lieu de faire masse des dépens et dire qu'ils seront partagés par moitié entre les parties.
Dispositif
PAR CES MOTIFS,
LA COMMISSION ARBITRALE DES LOYERS COMMERCIAUX,
Statuant contradictoirement,
Déboute m. P. épouse C G. de son exception d'irrecevabilité ;
Fixe le loyer des locaux situés X3 à la somme annuelle de 7.200 euros hors charges et hors taxes à compter du 1er avril 2020 ;
Déboute les parties du surplus de leurs demandes ;
Fait masse des dépens et dit qu'ils seront partagés par moitié entre les parties ;
Composition
Lecture étant considérée comme donnée à l'audience du 11 NOVEMBRE 2020, dont la date a été prorogée après la clôture des débats, par Monsieur Florestan BELLINZONA, Président, Madame Florence PRONZATI et Messieurs Laurent ALTARE, Nicolas MATILE et Fadi BOUSTANY, assesseurs, assistés Madame Florence TAILLEPIED, Greffier, le dispositif de la décision étant affiché dans la salle des pas perdus du Palais de Justice.
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