COUR SUPREME DU MALI REPUBLIQUE DU MALI
SECTION JUDICIAIRE Un Peuple – But – Une Foi
1ère chambre civile
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Pourvoi n°310 du 03 /12 /2013
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Arrêt n°255 du 05 /07/ 2021
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NATURE : Réclamation de champ et expulsion.
COUR SUPREME DU MALI
A, en son audience publique, ordinaire du cinq juillet deux mil
vingt et un, à laquelle siégeaient :
Monsieur Lasséni SAMAKE, Président de la 1ère chambre civile,
Président ;
Monsieur Yacouba KONE, Conseiller à la Cour, membre ;
Monsieur Amadou Hamadoun CISSE, Conseiller à la Cour,
membre ;
En présence de Monsieur Cheick Mohamed Chérif KONE, Avocat général près ladite Cour occupant le banc du Ministère Public ;
Avec l’assistance de Maître KEITA Coumba DICKO, greffier ;
Rendu l’arrêt dont la teneur suit :
Sur le pourvoi de Maître Hamadoun DICKO, avocat à la Cour Mopti, agissant au nom et pour le compte d’Ah Ag A R/ Af A ;
Demandeur ;
D’une part
Contre : Aj A R/ Aa A, ayant pour conseil Me Sidiki SAMPANA, avocat à la Cour Mopti ;
Défendeur ;
D’autre part
Sur le rapport de Monsieur Lasséni SAMAKE, Président de la 1ère Chambre Civile de la Cour, les conclusions écrites de l’avocat général Yaya KONE et orales de l’avocat général Cheick Mohamed Chérif KONE ;
Après en avoir délibéré conformément à la loi ;
En la Forme :
En La Forme :
Par acte n°15/18/G-CAM en date du 27 septembre 2018 fait au greffe de la Cour d’appel de Mopti, Maître Hamadoun DICKO avocat à la cour, Mopti agissant au nom et pour le compte d’Ah Ag A représenté par Af A s’est pourvu en cassation contre l’arrêt n°026 rendu le 30 août 2017 par la chambre civile de la Cour d’appel susdite dans une instance en réclamation de champ et expulsion opposant son client à Aj A représenté par Aa A.
Le demandeur a acquitté l’amende de consignation prévue par la loi comme en fait foi le certificat de dépôt n°251 en date du 11 avril 2019 délivré par le Greffier en chef de la Cour Suprême.
Il a, en outre, sous la plume de son conseil, produit un mémoire ampliatif, lequel notifié au conseil du défendeur a fait l’objet de réplique. Pour avoir satisfait aux exigences de la loi, le pourvoi doit être déclaré recevable en la forme.
AU FOND :
I Faits et procédure :
Par acte d’assignation en date du 04 juin 2016, Ad Aj A a attrait Ah Ag A devant le Tribunal civil de Bankass pour réclamer un champ de culture sis à Ae dans la Commune rurale de Bankass. Au soutien de cette action, il a exposé que le champ dont il est question appartenait à son grand père Aa A qui était lié par des rapports d’amitié au père d’Ah A en la personne d’Ag A. En raison de cette amitié dit-il, Aa A avait prêté à Ag A une partie dudit champ qu’il a exploitée jusqu’à son décès. Après la mort des deux amis poursuit-il, leurs descendants à savoir Ah A et lui ont, à leur tour, continué cette relation d’amitié en maintenant le prêt au profit d’Ah qui sollicita et obtint même de lui un rajout de 6 mètres à la portion de terre objet du prêt.
Suite à son refus d’accéder à une seconde demande tendant à obtenir un autre rajout conclut-il, Ah A éleva des contestations et va jusqu’à revendiquer la propriété de la parcelle prêtée. Ainsi tant devant le premier juge que devant ceux d’appel, il a soutenu que celle-ci appartenait plutôt à son père Ag A qui a prêté une partie à son ami Aa A, grand père d’Ad Aj A. Une solution à l’amiable n’ayant pu être trouvée entre les parties, Ad Aj A a saisi le Tribunal civil de Bankass lequel, par jugement n°003 du 21 mars 2017 a fait droit à la demande, jugement qui sera confirmé, sur appel d’Ah A, suivant arrêt n°026 du 30 août 2017 par la Cour d’appel de Mopti.
C’est contre cet arrêt qu’est dirigé le pourvoi.
II EXPOSE DES MOYENS DU POURVOI :
Pour soutenir son recours, le demandeur, sous la plume de son conseil Me Hamadoun DICKO, invoque trois moyens de cassation à savoir la violation de la loi par fausse qualification des faits, la violation de la loi par refus d’application de la loi et l’absence de motifs ;
Sur le premier moyen : tiré de la violation de la loi par fausse qualification des faits :
En ce que l’arrêt attaqué a confirmé le jugement entrepris au motif « qu’il (partie appelante) n’a apporté aucun argument sérieux pouvant soutenir son action ; qu’il varie fréquemment dans ses propos sur le creusement et l’emplacement du puits, argument principal pour déceler le véritable propriétaire et que les attestations de témoignage produites par lui ont été contestées par Ad A et Ad A leurs auteurs » alors qu’il a produit les témoignages de Ai A chef de village de Bankass, Ab A, Ad Ad A, Ac A, du conseil des sages du village qui ont tous confirmé sa propriété sur la parcelle litigieuse, certains en précisant notamment que les leurs sont limitrophes de celle-ci et d’autres, qu’ils exploitent des champs qui lui sont contigus et qui leur ont été prêtés par sa famille d’une part et d’autre part, les attestations de témoignage n’ont été contestées par leurs auteurs que sous pression, de même que le prêt que lui oppose le défendeur n’est soutenu par aucune preuve ;
Qu’au regard de ces éléments de faits concis, précis et probants, les juges du fond, en visant l’art 9 du CPCCS pour dire qu’il n’a pas rapporté conformément à la loi, les faits nécessaires au succès de sa prétention, n’ont pas appliqué le droit aux faits, c’est-à-dire, ont mal qualifié les faits et exposent leur décision à la censure de la haute juridiction.
Sur le deuxième moyen : tiré de la violation de la loi par refus d’application de la loi
En ce que l’arrêt attaqué confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions or ledit jugement confirme la propriété coutumière des héritiers de feu Aa A, ascendant direct de Aj A père de Ad Aj A et déclare que ce dernier jouit de ses pleins droits de propriété alors que le juge d’instance n’avait été saisi d’aucune revendication par rapport à la parcelle en litige par les héritiers susvisés qui ne sont pas d’ailleurs connus ;
Qu’en se déterminant ainsi, les juges d’appel ont refusé d’appliquer la loi en l’occurrence l’art 5 du CPCCS qui dispose : « Le juge doit se prononcer sur tout ce qui est demandé et seulement sur ce qui est demandé » ;
Qu’ils exposent, ce faisant, leur arrêt à la cassation.
Sur le troisième moyen : tiré de l’absence de motifs ;
En ce que l’arrêt attaqué confirme le jugement entrepris au motif « qu’il (en tant qu’appelant) n’a apporté aucun argument sérieux pouvant soutenir son action ; qu’il varie fréquemment dans ces propos sur le creusement et l’emplacement du puits, argument principal pour déceler le véritable propriétaire et que le prêt ne peut jamais être érigé en droit de propriété alors qu’il a prouvé conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention notamment en prouvant qu’il est le premier occupant des lieux et que cette occupation remonte avant le creusement du puits, toute chose qui est reconnue par le défendeur lui-même ;
Qu’en se déterminant comme ils l’ont fait, les juges du fond n’ont donné aucune justification à l’arrêt entrepris, l’exposant du coup à la cassation.
Le défendeur, par le canal de son conseil, Me Hamidou DIABATE, a produit un mémoire en réplique par lequel il a conclu au rejet du pourvoi comme mal fondé.
III ANALYSE DES MOYENS DU POURVOI :
Sur le premier moyen :
Attendu que par ce moyen, le demandeur, sous la plume de son conseil, reproche à l’arrêt déféré la violation de la loi notamment de l’art 9 du CPCCS par fausse qualification des faits en ce qu’il a confirmé le jugement entrepris au motif « qu’il n’a apporté aucun argument sérieux pouvant soutenir son action ; qu’il varie fréquemment dans ses propos sur le creusement et l’emplacement du puits, argument principal pour déceler le véritable propriétaire, que les attestations de témoignage par lui produites sont contestées par Ad A et Ad A » alors qu’il aurait produit les témoignages de Ai A chef de village de Bankass, Ab A, Ad Ad A, Ac A et du conseil des sages qui auraient tous confirmé sa propriété sur la parcelle en cause, certains en précisant notamment que les leurs seraient limitrophes de celle-ci et d’autres, qu’ils exploiteraient des champs qui lui seraient contigus et qui leur seraient prêtés par sa famille d’une part et d’autre part, les attestations de témoignage ne seraient contestées par leurs auteurs que sous pression de même que le prêt ne serait soutenu par aucune preuve ;
Qu’au regard de ces éléments de fait, les juges du fond, en visant l’art 9 du CPCCS pour dire qu’il n’a pas rapporté conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention, n’auraient pas appliqué le droit aux faits, c’est-à-dire auraient mal qualifié les faits et exposeraient leur décision à la censure de la haute juridiction ;
Attendu que l’art 9 du CPCCS dispose : « Il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention » ;
Attendu que ce texte ne fait pas autre chose que d’attribuer la charge de la preuve à la partie qui invoque un droit ; Que le fait pour la Cour d’estimer à tort ou à raison que l’une des parties au procès n’a pas rapporté la preuve de ses prétentions, loin de violer cet article par fausse qualification des faits, n’est que l’application des dispositions de la loi qui permet aux parties d’exposer et de défendre librement leur cause et à une juridiction d’apprécier souverainement les faits et les preuves avancées et de rendre une décision en conséquence de son pouvoir d’appréciation ;
Que donc, en visant l’art 9 du CPCCS pour dire que l’appelant (demandeur au pourvoi) n’a pas rapporté conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention, les juges du fond n’ont fait qu’utiliser le pouvoir souverain qui est le leur d’apprécier et de choisir librement parmi les témoignages contradictoires ceux qui leur paraissent les plus convaincants ;
Que dès lors il convient de dire que le moyen tiré de la violation de l’art 9 du CPCCS par fausse qualification des faits n’est pas fondé et sera rejeté ;
Sur le deuxième moyen :
Attendu que par ce moyen, le demandeur, par le canal de son conseil fait grief à l’arrêt attaqué d’avoir violé l’art 5 du CPCCS par refus d’application de la loi en ce qu’il a confirmé le jugement entrepris en toutes ses dispositions or ledit jugement confirme la propriété coutumière des héritiers de feu Aa A, ascendant direct de Aj A père de Ad Aj A et déclare que ce dernier jouit de ses pleins droits de propriété alors que le juge d’instance n’aurait été saisi d’aucune revendication par rapport à la parcelle en litige par les héritiers susvisés qui ne seraient pas d’ailleurs connus.
Qu’en se déterminant ainsi, les juges d’appel auraient refusé d’appliquer la loi notamment l’article 5 du CPCCS et exposeraient leur décision à la cassation ;
Attendu que l’art 5 susvisé dispose : « Le juge doit se prononcer sur tout ce qui est demandé et seulement sur ce qui est demandé » ;
Mais attendu que lors de son audition à l’audience du 23 juin 2016, Aa Ad A, mandataire du demandeur (ici défendeur au pourvoi) sur interpellation réponse du premier juge (SIR) a fait les déclarations suivantes : « Mon grand-père feu Aa A était ami du père du sieur Ah A feu Ag A ;
C’est dans le cadre de cette amitié qu’il lui a donné une portion de sa propriété sur la partie Sud. Mais la consigne était qu’il ne devrait jamais installer sur la parcelle litigieuse le père de mon mandant feu Aj A de la même famille de retour de l’exode. Lui et ses descendants ont toujours exploité jusqu’à cette date récente. Le champ litigieux appartient à ma famille et c’est feu Allaye qui a donné le premier coup de pioche pour le creusement du premier puits qui est à l’origine de tout. Je conclus à la confirmation des droits coutumiers de ma famille et à l’expulsion du défendeur sur ledit champ… » (cf relevé notes d’audience du 23 – 06 – 2016) ;
Qu’il ressort, contrairement aux affirmations du demandeur au pourvoi, de la pièce sus évoquée, que le défendeur au pourvoi a bel et bien sollicité du premier juge la confirmation des droits coutumiers de sa famille composée des héritiers de feu Aa A ;
Qu’en agissant donc en sa qualité d’héritier de feu Aa A, qualité qui n’a d’ailleurs été contestée ni en première instance, ni en cause d’appel, il n’a revendiqué les droits coutumiers que pour l’ensemble des héritiers et non à titre personnel ;
Que l’arrêt attaqué, en statuant comme, il l’a fait, n’a commis aucune violation par rapport à l’art 5 du CPCCS ; Qu’il y a lieu de dire que cet autre moyen n’est pas plus heureux que le premier et sera rejeté ;
Sur le troisième moyen :
Attendu que par ce moyen, le demandeur, sous la plume de son conseil, reproche à l’arrêt recherché une absence de motifs en ce qu’il confirme le jugement entrepris au motif « qu’il n’a apporté aucun argument sérieux pouvant soutenir son action ; qu’il varie fréquemment dans ses propos sur le creusement et l’emplacement du puits, argument principal pour déceler le véritable propriétaire et qu’en droit, le prêt ne peut jamais être érigé en droit de propriété quelle que soit sa durée » alors qu’il aurait prouvé conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention notamment en prouvant qu’il serait le premier occupant des lieux, toute chose qui serait reconnue par le défendeur lui-même ;
Qu’en se déterminant comme ils l’ont fait, les juges du fond n’auraient donné aucune justification à l’arrêt entrepris l’exposant du coup à la censure de la haute juridiction ;
Attendu que l’art 463 du CPCCS, tout en indiquant que « le jugement doit être motivé à peine de nullité » ne précise pas l’importance quantitative que doit revêtir cette motivation si bien que la cassation pour ce motif ne doit être prononcée que si l’arrêt ne contient aucune justification en droit et surtout en fait de la décision rendue ;
Attendu que dans le cas de figure, l’arrêt attaqué est ainsi motivé : « Considérant que l’appelant n’apporte aucun argument sérieux pouvant soutenir son action ;
Qu’en plus, il varie fréquemment dans ses propos sur le creusement et l’emplacement du puits, principal argument pour déceler le véritable propriétaire ;
Par ailleurs, les attestations de témoignage produites par l’appelant ont été contestées par les sieurs Ad A et Ad A ;
Qu’en droit foncier, un prêt ne peut être érigé en droit de propriété qu’elle que soit sa durée ; Que dès lors, le premier juge a fait une bonne appréciation des faits et une saine application de la loi » ; Qu’en statuant comme il l’a fait, et au regard du texte ci-dessus visé, l’arrêt attaqué ne saurait être taxé de manquer de motifs justifiant sa cassation ;
Que dès lors, tout comme les deux premiers moyens, cet autre doit être déclaré non fondé et doit être rejeté.
PAR CES MOTIFS :
La Cour :
En la Forme : Reçoit le pourvoi ;
Au Fond : Le rejette comme mal fondé
Ordonne la confiscation de l’amende de consignation
Met les dépens à la charge du demandeur.
Ainsi fait jugé et prononcé publiquement les jour, mois et an que
dessus.
ET ONT SIGNE LE PRESIDENT ET LE GREFFIER
Suivent les signatures
Signé illisible
DF : 6.000 F CFA
Enregistré à Bamako, le 26/07/2021
Vol 45 Fol 130 N°01 Bordereau 1263
Reçu : Six mille francs
Le Chef de Centre III
Signé Illisible.
« Au Nom du Peuple Malien »
En conséquence, la République du Mali, mande et ordonne à tous Huissiers de Justice, sur ce requis, de mettre ledit arrêt à exécution, aux Procureurs Généraux et aux Procureurs de la République, près les Cours d’Appel et les Tribunaux de Première Instance, d’y tenir la main à tous Commandants et Officiers de la force publique, de prêter main forte pour son exécution, lorsqu’ils en seront légalement requis.
En foi de quoi, le présent arrêt a été collationné, scellé et signé par Nous, Me OULARE Assanatou SAKILIBA, Greffier en chef de la Cour Suprême, pour servir de Première Grosse à Monsieur Aj A R/ Aa A, ayant pour conseil Me Sidiki SAMPANA, avocat à la Cour Mopti.
Bamako, le 27 juillet 2021
LE GREFFIER EN CHEF
Maître OULARE Assanatou SAKILIBA
Médaillé du Mérite National