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05/07/2021 | MALI | N°253

Mali | Mali, Cour suprême, 05 juillet 2021, 253


Texte (pseudonymisé)
COUR SUPREME DU MALI REPUBLIQUE DU MALI

SECTION JUDICIAIRE Un Peuple – But – Une Foi

1ère chambre civile

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Pourvoi n°008 du 09 /07 /2020

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Arrêt n°253 du 05 /07/ 2021

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NATURE : Réclamation de champ.



COUR SUPREME DU MALI



A

, en son audience publique, ordinaire du cinq juillet deux mil

vingt et un, à laquelle siégeaient :

M...

COUR SUPREME DU MALI REPUBLIQUE DU MALI

SECTION JUDICIAIRE Un Peuple – But – Une Foi

1ère chambre civile

- :- :- :- :- :- :- :-

Pourvoi n°008 du 09 /07 /2020

- :- :- :- :- :- :- :- :-

Arrêt n°253 du 05 /07/ 2021

- :- :- :- :- :- :- :- :-

NATURE : Réclamation de champ.

COUR SUPREME DU MALI

A, en son audience publique, ordinaire du cinq juillet deux mil

vingt et un, à laquelle siégeaient :

Monsieur Lasséni SAMAKE, Président de la 1ère chambre civile,

Président ;

Monsieur Yacouba KONE, Conseiller à la Cour, membre ;

Monsieur Amadou Hamadoun CISSE, Conseiller à la Cour, membre ;

En présence de Monsieur Cheick Mohamed Chérif KONE, Avocat

général près ladite Cour occupant le banc du Ministère Public ;

Monsieur Mody TRAORE et Mme Awa COULIBALY, assesseurs ;

Avec l’assistance de Maître KEITA Coumba DICKO, greffier ;

Rendu l’arrêt dont la teneur suit :

Sur le pourvoi de Maître Sidiki SAMPANA, avocat à la Cour Mopti, agissant au nom et pour le compte de ses clients Ac Aa A et Ae B, tous cultivateurs domiciliés à Dia, cercle de Tenenkou, de nationalité malienne ;

Demandeurs ;

D’une part

 

Contre : Ad C, Marabout domicilié à Dia, ayant pour conseil Me Simon LOUGUE, avocat à la Cour Mopti ;

Défendeur ;

D’autre part

Sur le rapport de Monsieur Lasséni SAMAKE, Président de la 1ère Chambre Civile de la Cour, les conclusions écrites de l’avocat général Yaya KONE et orales de l’avocat général Cheick Mohamed Chérif KONE ;

Après en avoir délibéré conformément à la loi ;

En La Forme :

Par acte de n°008/20/G en date du 09 juillet 2020 fait au greffe de la Cour d’appel de Mopti, Maître Sidiki SAMPANA avocat à la Cour agissant au nom et pour le compte de Ac Aa A et Ae B s’est pourvu en cassation contre l’arrêt n°012 rendu le 08 juillet 2020 par la chambre civile de la Cour d’appel susdite dans une instance en réclamation de champ opposant ses clients à Ad C.

Les demandeurs ont acquitté l’amende de consignation prévue par la loi comme l’atteste le certificat de dépôt n°1069 du 22 décembre 2020 délivré par le greffier en chef de la Cour Suprême. Ils ont, en outre par le canal de leur conseil, produit un mémoire ampliatif, lequel notifié au conseil du défendeur a fait l’objet de réplique.

Le pourvoi ayant satisfait aux exigences de la loi est donc recevable en la forme.

AU FOND

I Faits et procédure :

Sur la base de deux attestations de cession établies en la forme sous seing privé le 15/4/2015, Ad C marabout domicilié à Dia dans le cercle de Macina assignait Ac Aa A et Ae B tous cultivateurs à Dia devant la Justice de paix à compétence étendue de Ténenkoun pour réclamer la propriété d’un champ sis à Dia d’une superficie de 27 ha. Pour leur défense les défendeurs concluaient au rejet de cette demande expliquant que les attestations dont s’agit ne sont ni une vente ni une donation, mais une simple convention entre eux en vue de l’exploitation commune de ladite terre dans le cadre d’un projet, la terre, selon les us et coutumes Ab leur ethnie, ne pouvant être ni vendue, ni donnée mais pouvant seulement faire l’objet de prêt.

Par jugement n°024 du 27 août 2016, la juridiction susdite accédait à la demande de Ad C en confirmant sa propriété, sur le champ litigieux.

Sur appel de Ac Aa A et Ae B, la Cour d’appel de Mopti, par arrêt n°012 du 08 juillet 2020 confirmait le jugement entrepris en toutes ses dispositions.

C’est contre cet arrêt confirmatif qu’est dirigé le pourvoi.

II EXPOSE DU MOYEN DU POURVOI :

Sous la plume de leur conseil Me Sidiki SAMPANA, les demandeurs, au soutien de leur recours, invoquent trois moyens de cassation, le premier tiré de la violation de la loi par refus d’application des art 56 et 60 du RGO, le deuxième, tiré de la dénaturation des faits et de l’écrit et le troisième tiré de la violation des règles de la coutume ;

Sur le premier moyen : Violation de la loi par refus d’application de celle-ci.

Cette violation est développée en trois branches.

Sur la première branche : violation de l’art 56 du RGO

En ce que l’arrêt attaqué donne valeur d’une vente à la convention intervenue entre les parties au motif que les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les faites (art 77 du RGO) alors que l’art 56 du même texte dit en substance que la convention est nulle si la cause est immorale ou illicite or, qu’en milieu Bozo comme c’est le cas, il est de coutume que la terre ne se vend pas, ne se donne pas, mais se prête ;

Qu’en validant la transaction ou la convention ayant lié les parties comme une vente sur la base des dispositions de l’art 77 du RGO, l’arrêt a violé l’art 56 du même texte par refus d’application de la loi s’exposant du coup à la censure de la haute juridiction ;

Qu’ils sollicitent donc que ce moyen soit favorablement accueilli.

Sur la deuxième branche : violation de l’art 60 du RGO

En ce que l’arrêt déféré, en confirmant le jugement entrepris a adopté les motivations dudit jugement or celui-ci s’est fondé sur une donation de parcelle au profit de Ad C alors qu’aucune preuve ne résulte du dossier qu’il y a eu donation, celle-ci se prouvant par un acte notarié ;

Que l’art 60 dispose : « les dons manuels ne sont valables, à défaut d’acte passé devant notaire dans les formes prévues par la donation que si la chose a été remise » ;

Que dans le cas de figure, il n’y a ni acte notarié dans le dossier ni de parcelle remise au défendeur ;

Qu’en se déterminant comme l’a fait le premier juge, les juges d’appel ont violé l’art 60 du RGO par refus d’application de la loi sur la donation et exposent leur décision à la cassation ;

Qu’il importe d’accueillir cet autre moyen ;

Sur le deuxième moyen : la dénaturation des faits et de l’écrit

Sur la dénaturation des faits :

En ce que de l’arrêt critiqué, il résulte que « toutes les parties sont unanimes pour dire que la parcelle litigieuse d’une superficie de 71 ha a été cédée à Ad C qui n’a pu mettre en valeur que 27 ha et que s’étant rendu compte que la zone était exploitable, les appelants (il s’agit ici des demandeurs au pourvoi) ont regretté leur acte ;

Qu’il s’agit là d’une contre vérité en ce qu’ils n’ont jamais fait de telles déclarations qui ne ressortent, par ailleurs, nulle part du dossier ; Qu’ils ont simplement dit que le litige porte sur 27 ha et les 2 attestations, le surplus d’hectares n’ayant nullement été en cause ; Que la déclaration relativement au 70 ha n’émane que de Ad C qui en assure seul la responsabilité » ; Que l’arrêt, en retenant qu’il y a eu unanimité pour céder les 70 ha à Ad C et que celui-ci n’a pu mettre en valeur que 27 ha alors qu’ils n’ont jamais fait de telles déclarations, a pêché par dénaturation des faits ; d’où leur souhait de voir ce moyen prospérer ;

Sur la dénaturation de l’écrit :

En ce que l’arrêt recherché confirme le jugement entrepris au motif que les attestations de cession sont des conventions légalement formées entre les parties et ne peuvent plus être examinées sur le plan coutumier car les parties sont sorties de ce cadre pour soumettre leur convention aux règles civiles alors que desdites attestations de cession, il ressort qu’il s’agit bien de ventes de parcelles de 15 ha et de 12 ha à Ad C et non d’une convention au sens de l’art 77 du RGO ;

Qu’elles sont signées par les parties en tant que vendeur et acquéreur et par les témoins et dont les signatures sont même légalisées par l’autorité communale ; Que l’arrêt a substitué à ces attestations de cession de parcelles claires et précises « une convention » qui ne ressort nulle part desdites attestations ; Qu’il a dénaturé ces actes en leur faisant dire ce qu’ils n’ont pas dit ;

Que d’ailleurs, les attestations dont s’agit ont été annulées suivant arrêt n°23 du 23 avril 2019 par la Cour d’appel de Mopti privant du coup la propriété du défendeur de tout fondement ; Que dès lors, tout comme le moyen précédent, cet autre moyen doit être accueilli.

Sur le troisième moyen : violation de la coutume

En ce que l’arrêt attaqué, pour confirmer le jugement entrepris consacrant la propriété de Ad C sur le champ litigieux d’une superficie de 27 ha, s’est fondé sur la vente de parcelle alors que selon la coutume Bozo, la terre ne se vend pas, ne se donne pas mais se prête ;

Qu’en donnant valeur de vente à la transaction intervenue entre les parties, les juges d’appel ont violé la coutume susdite exposant leur décision à la cassation ; Que cet autre moyen mérite d’être accueilli.

Le défendeur, sous la plume de son conseil Me Simon LOUGUE, a produit un mémoire en réplique par lequel il a conclu au rejet du pourvoi.

III ANALYSE DES MOYENS DU POURVOI :

Sur le premier moyen : violation de la loi par refus d’application de la loi développée en trois branches.

Sur la première branche : violation de l’art 56 du RGO

Attendu qu’il est fait grief à l’arrêt attaqué d’avoir violé l’article 56 du RGO en ce qu’il aurait donné valeur d’une vente à la convention intervenue entre les parties au motif que les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites (art 77 du RGO) alors que l’article susvisé dit en substance que la convention est nulle si la cause est immorale ou illicite or, qu’en milieu Bozo comme c’est le cas, il est de coutume bien établie que la terre ne se vend pas, ne se donne pas, mais se prête ;

Qu’en donnant valeur de vente à la convention intervenue entre les parties sur la base des dispositions de l’art 77 sus indiqué, l’arrêt aurait violé l’art 56 du RGO par refus d’application de la loi, s’exposant du coup la censure de la haute juridiction ;

Mais attendu que l’art 56 dispose : « Le contrat est nul pour cause immorale ou illicite lorsque le motif déterminant la volonté des parties est contraire à l’ordre public ou aux bonnes mœurs… »

Attendu qu’aux termes de l’art 28 du même texte, la cause est l’une des quatre conditions requises à savoir le consentement, la capacité, l’objet et la cause pour la validité des contrats ; Que cette cause ne doit au sens de l’art 56 susvisé être immorale ou illicite sous peine de rendre le contrat nul ; Que dans une vente, si la cause de l’obligation de l’acheteur réside bien dans le transfert de la propriété et la livraison, la cause du contrat consiste dans le mobile déterminant, c’est-à-dire celui en l’absence duquel l’acheteur ne se serait pas engagé ;

Que dans le cas de l’espèce, ce mobile ayant visé l’aménagement et l’exploitation de la parcelle litigieuse, opération qui n’est ni immorale ni illicite, la convention loin de violer la loi de par sa cause, fait application de celle-ci ;

Que dès lors ce moyen n’est pas opérant et doit être rejeté ;

Sur la deuxième branche : violation de l’art 60 du RGO

Attendu qu’il est par ailleurs reproché à l’arrêt déféré d’avoir violé l’art 60 du RGO en ce, qu’en confirmant le jugement entrepris, il aurait adopté les motivations dudit jugement or celui-ci, s’est fondé sur une donation de parcelle au profit de Ad C alors qu’aucune preuve ne résulterait du dossier qu’il y a eu donation, celle-ci ne se prouvant, au sens du texte susdit que par acte notarié ;

Qu’en se déterminant comme l’a fait le juge d’instance, les juges d’appel auraient violé l’art 60 du RGO par refus d’application de la loi sur la donation et exposeraient leur décision à la cassation ;

Mais attendu que s’il est constant que le jugement entrepris est confirmé en toutes ses dispositions par l’arrêt critiqué, les deux décisions ne se fondent pas sur les mêmes motivations, la première se basant sur la donation et la seconde, sur la vente (cf motivation) ; Que donc l’art 60 du RGO ne s’appliquant pas à la vente, il ne saurait être reproché à l’arrêt de violer ledit article ; Que tout comme le précédent moyen, cet autre n’est pas fondé et doit être rejeté ;

Sur le deuxième moyen :

Sur la dénaturation des faits :

Attendu qu’il est fait grief à l’arrêt recherché d’avoir dénaturé les faits en ce que de celui-ci, il résulte que les parties sont unanimes pour dire que la parcelle d’une superficie de 71 ha a été cédée à Ad C qui n’a pu mettre en valeur que 27 ha et que s’étant rendu compte que la zone était exploitable, les appelants (Ac Aa A et Ae B) ont regretté leur acte alors que de telles déclarations ne résultent ni du dossier, ni de leurs conclusions, leur demande ayant porté sur les 27 ha et les deux attestations ;

Qu’en leur faisant dire ce qu’ils n’ont pas dit concluent les demandeurs, l’arrêt aurait dénaturé les faits et s’exposerait à la censure de la haute juridiction ;

Mais attendu qu’au nombre des cas d’ouverture à pourvoi énumérés par l’art 88 de la loi organique sur la Cour Suprême, la dénaturation des faits ne figure pas ; Qu’il convient de déclarer ce moyen irrecevable ;

Sur la dénaturation de l’écrit :

Attendu qu’il est reproché à l’arrêt attaqué d’avoir dénaturé les attestations de cession en ce qu’il a confirmé le jugement entrepris au motif que celles-ci sont des conventions légalement formées entre les parties et ne peuvent plus être examinées sur le plan coutumier car les parties sont sorties de ce cadre pour soumettre leur convention aux règles civiles alors que desdites attestations de cession, il ressort qu’il s’agirait bien de vente de parcelles de 15 ha et de 12 ha à Ad C et non d’une convention au sens de l’art 77 du RGO ;

Qu’en substituant aux attestations de cession de parcelle « La convention » et en leur faisant dire ce qu’elles n’auraient pas dit, l’arrêt les a dénaturées, s’exposant du coup à la censure ;

Attendu que la dénaturation de l’écrit, est aux termes de l’art 88 de la loi visée plus haut, un cas d’ouverture à pourvoi ;

Mais attendu que les attestations de cession dont il est question sont définitivement annulées suivant arrêt n°23 du 23 avril 2019 de la Cour d’appel de Mopti confirmé par l’arrêt n°100 du 12 avril 2021 de la Cour Suprême ; Qu’il devient dès lors superflu d’analyser le moyen tiré de leur dénaturation ;

Sur le 3è moyen : violation de la coutume

Attendu qu’il est enfin fait grief à l’arrêt critiqué d’avoir violé la coutume en ce que, pour confirmer le jugement entrepris consacrant la propriété de Ad C sur le champ litigieux de 27 ha, ledit arrêt s’est fondé sur la vente de parcelle alors que selon la coutume Bozo, la terre ne se vend pas, ne se donne pas, mais se prête ;

Qu’en donnant valeur de vente à la transaction intervenue entre les parties, les juges d’appel auraient violé la coutume susdite exposant en conséquence leur décision à la sanction de la haute juridiction ;

Attendu que la coutume sus évoquée par les demandeurs n’est contestée ni par le défendeur ni même par les assesseurs siégeant dans la formation de la Cour ;

Mais attendu que les attestations de cession constatant la vente et qui ont servi de base pour confirmer la propriété du défendeur sur le champ en litige ont été définitivement anéanties par l’arrêt n°23 du 23 avril 2019 de la Cour d’appel de Mopti confirmé par l’arrêt n°100 du 12 avril 2021 de la Cour Suprême ;

Que dès lors, l’arrêt attaqué ne se reposant sur aucune autre justification, il convient de le casser pour perte de fondement juridique ;

PAR CES MOTIFS :

La Cour :

En la Forme : Reçoit le pourvoi ;

Au Fond : Le déclare bien fondé

Casse et annule l’arrêt attaqué

Renvoie la cause et les parties devant la Cour d’appel de Bamako

Ordonne la restitution de l’amende de consignation

Met les dépens à la charge du trésor public.

Ainsi fait jugé et prononcé publiquement les jour, mois et an que

dessus.

ET ONT SIGNE LE PRESIDENT ET LE GREFFIER


Synthèse
Numéro d'arrêt : 253
Date de la décision : 05/07/2021

Origine de la décision
Date de l'import : 12/04/2022
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ml;cour.supreme;arret;2021-07-05;253 ?
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