Décision
Au nom du peuple libanais,
La Cour de Cassation, chambre pénale n°3, composée de la Présidente Souheir Al-Harakeh, des conseillers Elias Eid et Rola Abou-khater,
Après examen et délibération,
Le 1er juin 2021, R... X..., a déposé un recours en cassation contre les avocats R... Y..., S... Z..,, C... X..., Z... X..., L... Y...,, G... X..., F... Z... et Z... Y.... Ce recours conteste la décision de la Commission d'accusation de Mont-Liban (n° 356/2021) du 19 mai 2021, qui avait validé le recours en appel et confirmé le rejet des exceptions de forme de R... X.... Il demande l'annulation de cette décision, l'abrogation de celle du juge d'instruction, et le rejet de l'action publique, tout en préservant ses droits et en demandant une indemnisation pour dommages-intérêts.
Il ressort que le juge d'instruction de Mont-Liban a, le 5 mars 2021, rejeté les exceptions de forme soulevées par l'accusé, le gouverneur de la Banque centrale, et a poursuivi les procédures d'instruction.
En conséquence :
I. Sur la forme :
La requête est admise.
II. Sur le fond :
- le premier motif de pourvoi : Le requérant conteste la décision attaquée pour violation de la loi et des principes de compétence, notamment l’interprétation et l’application des articles 9 et 68 code de procédure pénale. concernant le rejet de l’exception d’incompétence territoriale, en soutenant que l’exception peut être soulevée à tout moment en raison de son caractère d’ordre public, et que l’article 9 code de procédure pénale établit une hiérarchie dans les critères de compétence territoriale, avec une priorité au lieu de commission de l’infraction, au domicile de l’accusé, et au lieu d’arrestation. Il affirme également que le lieu de résidence selon l’article 97 code de procédure pénale ne doit pas être considéré comme le domicile, mais comme une alternative pour déterminer la compétence en l’absence de domicile, le domicile étant le lieu où une personne exerce son activité ,et que la compétence territoriale pour poursuivre les infractions reprochées au requérant, en tant que gouverneur de la Banque du Liban devrait revenir aux tribunaux de Beyrouth en raison du lieu de l’infraction.
Cependant , l’exception d’incompétence territoriale au profit des tribunaux de Mont-Liban est rejetée , sur la base du domicile de l’accusé situé à R.... Les articles 9 et 68 code de procédure pénale n’imposent pas une hiérarchie stricte des critères de compétence, permettant un choix en fonction de la nature de l’infraction et des besoins de l’enquête. Les articles 9 et 68 C.P.P. fournissent trois critères égaux pour établir la compétence territoriale, sans hiérarchie entre eux. Le domicile personnel du requérant est pertinent pour établir la compétence, indépendamment de la qualité et des faits reprochés. Il n’y a pas lieu de restreindre le domicile au lieu de travail comme le suggère le requérant.
- les deuxième, troisième, quatrième, cinquième et septième motifs de pourvoi réunis :Le requérant critique la décision attaquée pour :
2- dénaturation des faits et des documents, absence de fondement juridique, et violation de l’article 206 de la Loi sur les monnaies et crédits. Il affirme que la décision a rejeté à tort l’exception de recevabilité en raison du manque de qualité et d’intérêt pour poursuivre, ignorant les infractions spécifiques prévues par la Loi sur les monnaies et crédits et les règlements bancaires y compris l’article 91 de cette loi. Le requérant soutient que la Loi sur les monnaies et crédits est applicable plutôt que l’article 20 du Code de procédure pénale, et que la décision néglige la compétence exclusive de la Banque centrale pour ces poursuites. De plus, il souligne que la décision n’a pas correctement abordé les infractions au Code pénal mentionnées qui nécessitent une poursuite de la part du procureur général financier.
3- Pour ne pas avoir statué sur toutes ses allégations concernant la compétence exclusive du procureur général financier. Il reproche également une violation de la loi et des règles de compétence, notamment l’article 19 code de procédure pénale ,et l'absence de motivation et de fondement juridique correct. Il affirme que la décision a rejeté à tort l’exception d’irrecevabilité basée sur l’impossibilité de poursuivre l’affaire selon l’article 73 code de procédure pénale. Le requérant soutient que le procureur général financier a une compétence exclusive pour les crimes prévus par l’article 19 code de procédure pénale., et que cette compétence s’étend aux violations des lois bancaires et financières, indépendamment de la Loi sur les monnaies et crédits.
4- Pour ne pas avoir statué sur toutes ses allégations, notamment l'application du principe de l'équivalence des formes. Il reproche également une erreur dans l'interprétation et l'application des dispositions de la Loi sur les monnaies et crédits, notamment les articles 19 et 24, et dans l'explication de la doctrine. Il argue que la décision aurait dû tenir compte de l'article 19 de la Loi sur les monnaies et crédits, qui précise que le gouverneur de la Banque centrale ne peut être révoqué que pour incapacité médicale, manquement aux obligations de la fonction, ou grave erreur dans la gestion. Selon lui, seul le Conseil des ministres a le pouvoir de révoquer ou de poursuivre le gouverneur pour ces motifs, et la partie demanderesse ne dispose pas de la qualité nécessaire pour intenter une action.
5- Pour ne pas avoir statué sur toutes ses allégations et demandes, et pour absence de fondement juridique correct concernant le rejet de l'exception d'irrecevabilité de la plainte. Il soutient que les dommages allégués par les plaignants ne leur confèrent pas la qualité pour intenter une action pénale contre lui, car ces dommages ne sont pas tangibles et concernent une relation contractuelle notamment avec l’Université américaine, sans lien direct avec le requérant. Il argue qu'il n'y a pas de dommage direct ni de qualité pour poursuivre en justice selon l'article 68 code de procédure pénale., et que la décision attaquée a erronément considéré que les plaignants avaient le droit d'intenter une action pour des infractions touchant l'intérêt général.
7- Pour manque de motifs et de fondement juridique, et que ses arguments n'ont pas été pris en compte, notamment en ce qui concerne le rejet de l'exception d'irrecevabilité de la plainte. Il argue que, selon le troisième alinéa de l'article 73 code de procédure pénale et l’article 61 du décret législatif n° 112/1959, ainsi que l'article 43 de la Loi sur les monnaies et crédits, le gouverneur de la Banque du Liban est soumis à des restrictions pour la poursuite en justice concernant des infractions commises dans le cadre de ses fonctions. Il affirme que la Banque du Liban, en tant qu'institution publique sous la tutelle du ministère des Finances, est soumise aux dispositions légales protégeant ses agents contre des poursuites abusives. En particulier, l'article 61 du statut des fonctionnaires impose des restrictions sur les poursuites judiciaires contre eux, sauf avec autorisation. Le requérant argue qu'aucune autorisation n'a été obtenue avant que la plainte ne soit acceptée, rendant la procédure irrégulière. Il affirme aussi que la modification de l’article 61 code de procédure pénale en 2020 interdit de déposer une plainte pénale directe contre un fonctionnaire sans autorisation, et que les plaintes sont transmises au procureur général pour décision.
Cependant la décision contestée a pris en compte les arguments du requérant sur la qualité et l'intérêt pour intenter l'action ainsi que sur l'application de l'article 206 de la Loi sur les monnaies et crédits. Elle a jugé que la plainte était correctement initiée car :
• La plupart des crimes invoqués ne relèvent pas de la Loi sur les monnaies et crédits, donc la demande du Gouverneur de la Banque du Liban n'était pas nécessaire, excluant ainsi la compétence du Procureure général des finances.
• Un individu peut engager une action en justice pour des crimes affectant l'intérêt public, même en l'absence de préjudice direct.
• Les règles de révocation du Gouverneur ne s'appliquent pas aux poursuites pénales pour certains crimes.
Conformément aux articles 7 et 68 du Code de procédure pénale, toute personne lésée peut se constituer partie civile pour engager une action publique . Le droit du lésé de déposer une plainte directe en tant que partie civile devant le juge d'instruction s'applique à tous les délits et crimes, sans exception pour ceux relevant de la compétence du Procureur général des finances ou du Procureur général d'appel.
Le requérant a soutenu que l'article 20 code de procédure pénale qui nécessite la demande du Gouverneur pour les crimes bancaires, ne s'applique pas, et que l'article 206 de la Loi sur les monnaies et crédits devrait régir ces actions. La décision attaquée a rejeté cette argumentation, considérant que les crimes étaient régis par le Code pénal, ce qui a conduit à exclure la compétence du Procureur général des finances.
Les plaignants ont accusé le défendeur de crimes affectant la réputation financière de l'État et d'autres infractions, entraînant des préjudices matériels et moraux. La décision a jugé que les conditions pour engager l'action publique étaient remplies et que les juridictions appropriées avaient été correctement établies.
Le requérant soutient que la décision attaquée est incomplète car elle n’a pas tenu compte des infractions liées à la Loi sur les monnaies et crédits. En se basant uniquement sur le Code pénal, la Cour a omis d'examiner l'argument du requérant concernant l'article 206 de la Loi sur les monnaies et crédits. Cet article stipule que les infractions à cette loi doivent être poursuivies devant les juridictions pénales via une procédure d'urgence, et que seules les actions intentées par le ministère public, sur demande de la Banque centrale, peuvent être engagées.
Le placement de l'article 206 situe à la fin de l'ensemble des titres de la loi, démontre qu’ il s'applique de manière générale à toutes les dispositions de la loi, sans distinction. Par conséquent, les sanctions prévues par cet article couvrent l'ensemble des infractions mentionnées dans la loi. . Cela implique que toute poursuite en vertu de cette loi nécessite une demande de la Banque centrale. Cependant, la décision n'a pas pris en compte les infractions liées à la Loi sur les monnaies et crédits, se contentant des dispositions du Code pénal. L'article 206 de cette loi, stipule que ces violations doivent être poursuivies sur demande de la Banque centrale. L'article 206 doit être considéré comme une restriction à l'initiative individuelle pour engager l'action publique, contrairement à l'article 68 code de procédure pénale.
La Cour doit annuler partiellement la décision attaquée pour avoir omis d'examiner les infractions prévues par la Loi sur les monnaies et crédits .
La Cour, se substituant à la juridiction d'appel du Mont-Liban, après avoir examiné l'appel du requérant sur la base de l'article 206 de la Loi sur les monnaies et crédits, doit accepter le motif soulevé. En conséquence, la décision attaquée doit être annulée en ce qui concerne ce point. La Cour doit conclure que l'action publique n'a pas été correctement engagée pour les infractions en vertu de la Loi sur les monnaies et crédits. Par conséquent, elle doit ordonner l'archivage des documents relatifs à ces faits, sans nécessiter un examen plus approfondi des autres questions connexes.
Et Concernant les moyens touchant les autres actes criminels reprochés au défendeur dans la plainte directe, selon le Code pénal :
Les plaignants, qui possèdent des dépôts bancaires et affirment avoir été lésés par les actes du défendeur, ont établi leur qualité pour se constituer partie civile. La véracité des faits et leur lien avec les dommages subis seront déterminés durant l'instruction.
Il n'est pas recevable d'arguer que seule la justice publique peut se constituer partie civile, conformément aux articles 7 et 68 du Code de procédure pénale, car ces articles n’excluent pas les dispositions spécifiques telles que celles concernant les compétences du ministère public financier, tant que les faits ne relèvent pas du Code de la monnaie et du crédit.
La qualité pour se constituer partie civile est suffisante pour initier l'action publique.
Et concernant l'autorisation de poursuite pénale :
La décision attaquée a jugé que le gouverneur de la Banque centrale n'est pas soumis au régime des employés prévu par le décret législatif numéro 112/59, en raison de ses pouvoirs étendus et de son statut particulier. Le requérant a soutenu que ce statut protège l'indépendance du gouverneur, et que l'absence de texte légal spécifique exigeant l'application des règles de ce décret en matière de poursuite pénale rendait l'immunité non applicable.
La loi sur la monnaie et le crédit de 1963 ne prévoit pas d'immunité spécifique pour le gouverneur ni de besoin d'autorisation pour le poursuivre pénalement. L'argument du requérant concernant la nécessité d'une autorisation de poursuite, liée à la révocation du gouverneur, est rejeté car il n'y a pas de texte qui stipule une telle exigence.
La décision attaquée a correctement interprété la loi en ne faisant pas une interprétation extensive des règles applicables. Le tribunal n'a pas commis d'erreur en concluant que la poursuite pénale n'avait pas besoin d'autorisation spécifique, et a répondu de manière adéquate aux questions soulevées par le requérant. Les moyens de pourvoi sont donc rejetés.
- le sixième motif du pourvoi : Le requérant conteste la décision attaquée en affirmant que celle-ci a mal interprété l'article 12 de la loi numéro 44/2015, en rejetant sa plainte pour impossibilité de l'entendre ou de la poursuivre, en arguant que l'immunité dont il bénéficie en tant que Gouverneur de la Banque du Liban est une immunité absolue couvrant toutes ses fonctions, y compris celles de Président de la Commission d'enquête spéciale.
La décision attaquée a conclu que l'immunité prévue par l'article 12 de la loi numéro 44/2015 est spécifiquement liée aux fonctions du Président de la Commission d'enquête spéciale, et ne couvre pas les actions du Gouverneur de la Banque Centrale dans le cadre de ses autres responsabilités. L'interprétation contraire du requérant, qui étend cette immunité à ses fonctions de Gouverneur, serait une déviation par rapport à l'application correcte de la loi.
L'immunité mentionnée dans l'article 12 de la loi numéro 44/2015 couvre effectivement le Président de la Commission d'enquête spéciale, ainsi que ses membres et le personnel de la commission pour les actes liés à leurs fonctions. Cependant, cette immunité ne s'étend pas aux actes accomplis en tant que Gouverneur de la Banque Centrale.
La décision attaquée a correctement interprété et appliqué la loi en limitant l'immunité aux fonctions de Président de la Commission d'enquête spéciale et en excluant les fonctions de Gouverneur de la Banque Centrale. Par conséquent, la décision a été jugée correcte et le recours est rejeté.
-Le huitième motif de pourvoi :Le requérant conteste la décision attaquée sur plusieurs points, en alléguant notamment une mauvaise interprétation et application de la loi, ainsi qu'une violation de la doctrine et de la jurisprudence. Il affirme que les faits qui lui sont reprochés ne constituent pas une infraction punissable selon le Code de procédure pénale et le Code pénal, en particulier en vertu des motifs de justification prévus par la loi. Le requérant soutient également que la gestion de la Banque du Liban est partagée avec d'autres responsables, ce qui aurait pu impacter la qualification des actes reprochés.
La décision attaquée a jugé que les infractions imputées au requérant, si elles sont établies, sont effectivement réprimées par le Code pénal, et que les arguments du requérant sur la justification des actes relèvent de la défense au fond plutôt qu'une question de forme.
Les actes reprochés au requérant, s'ils sont prouvés, sont considérés comme des infractions pénales, et leur justification nécessite une enquête approfondie, qui est au cœur du litige. L'argument du requérant selon lequel "le fait ne constitue pas une infraction" ne s'inscrit pas dans la défense prévue par le quatrième alinéa de l'article 73 du Code de procédure pénale, en lien avec l'application de l'article 185 du Code pénal.
La décision attaquée a correctement justifié ses conclusions et répondu aux arguments du requérant, en appliquant et interprétant correctement la loi. La décision est donc juridiquement fondée, et le motif de pourvoi est rejeté dans son intégralité.
Ainsi, la cour confirme la décision attaquée, rejetant le pourvoi dans son intégralité.
Il est décidé :
1 - D'accepter le pourvoi en la forme.
2 - D'accepter le pourvoi en le fond ,concernant les infractions reprochées en vertu de la loi sur la monnaie et le crédit, d'annuler la décision attaquée à ce sujet, et de considérer que le tribunal se substitue à la chambre d'accusation du Mont Liban. Après examen de l'appel formé par le requérant, la décision attaquée est annulée dans la partie mentionnée, et il est constaté que l'action publique n'a pas été correctement engagée pour toutes les infractions reprochées en vertu de la loi sur la monnaie et le crédit, entraînant leur irrecevabilité et le classement des pièces à cet égard.
3-De rejeter le pourvoi pour les autres aspects et de confirmer la décision attaquée, en poursuivant les enquêtes sur les autres actes criminels reprochés…