Heritiers Jean Mary Delphin
Vs
Les Héritiers De Jean Philippe Colin et Consorts
10 février 1999
Sommaire
Conditions requises pour former une demande en justice - Excès de pouvoir.
Pour former une demande en justice quatre conditions sont requises: qualité, droit, intérêt et capacité.
Il y a excès de pouvoir et violation du droit de la défense de la part des Juges qui statuent au fond définitivement avant de se prononcer sur toutes les défenses soumises à leur examen par les parties en cause.
Cassation
La Cour de Cassation, Première Section, a rendu l'arrêt suivant:
Sur le pourvoi des héritiers Jean Mary Delphin représentés par François Fouchard Bergrome leur mandataire identifié, au No. 111-53-676, ayant pour avocat Me Marcel D. Fièvre du barreau de Saint-Marc identifié, patenté et imposé aux Nos.: 128-48-149, (64397), 59284-W, 93665-B, avec élection de domicile à Port-au-Prince au greffe de la Cour de Cassation.
Contre un arrêt de la Cour d'Appel des Gonaïves rendu le 29 avril 1998 entre les pourvoyantes et les héritiers de Jean Philippe Colin, Mme Murat Morisset née Marie Suzane Colin et la dame Marie Anita Colin propriétaires demeurant et domiciliés à Saint-Marc identifiés aux Nos. 126-93-237 et 338-58-027, ayant pour mandataires spéciaux Jacques Milfort et Raynold Dorval, ayant pour Avocat Me Joseph Agony Charles du barreau de Saint-Marc identifié, patenté et imposé aux Nos. 001-114-289-3, 45654-N, 41983PPP, avec élection de domicile sis à Delmas 33 Rue Claire Heureuse au No. 9.
Ouï, à l'audience publique du lundi 1er février 1999, les parties n'étant pas représentées à la barre, Monsieur Emmanuel Dutreuil, Substitut du Commissaire du Gouvernement, en la lecture des conclusions du Commissaire titulaire Monsieur Boniface Alexandre.
Vu l'arrêt attaqué, ensemble son exploit de signification, l'acte déclaratif de pourvoi, les requêtes contenant les moyens des parties, le récépissé attestant le paiement de l'amende, les pièces et actes à l'appui du procès, les conclusions susdites du Ministère Public et les textes de loi invoqués.
Et, après en avoir délibéré en Chambre du Conseil, au vou de la loi.
Attendu que des pièces et actes du procès il ressort que le 11 décembre 1995 les héritiers de Jean Philippe Colin, représentés par leurs mandataires Jacques Milfort et Raynold Dorval, instancièrent au Tribunal de Première Instance de Saint-Marc les sieurs et dames Savary Richard alias ti doc, Estilus Lahens, Claudel Chérubin, Maxemen Bernard, André Pierre, Léprène Jean, et Emilie Beausier, acquéreurs des héritiers de Jean Mary Delphin pour voir le tribunal ordonner leur déguerpissement des portions de terre qu'ils occupent pour n'avoir pas acheté du ou des vrais propriétaires selon les prescriptions de l'article 1584 du C. Civil, dire et déclarer que jamais ils n'ont été déguerpis par un jugement, qu'ils sont propriétaires et en possession tant par titre que par prescription d'un carreau de terre pour l'avoir acquis de Jean Mary Delphin. Les assignés ont appelé leurs garants qui ont pris leur fait et cause. En réplique les garants ont déclaré que les assignés occupent le bien a domino de même que leurs vendeurs, donc l'action intentée par leurs demandeurs n'est pas une action en déguerpissement mais bien une action en revendication et qu'aux termes de l'article 1100 du C. Civil l'héritier qui revendique la propriété de son feu père ou tous les autres ascendants doit prouver sa qualité et le fondement de ses droits. Il en sortit le 3 mai 1996 une décision déclarant «non fondée l'action en expulsion des lieux exercé par les mandataires des héritiers Jn Philippe Colin, représentés par Raynold Dorval et Jacques Milfort, maintient les acquéreurs des héritiers Jean Mary Delphin en possession de la terre litigieuse sise à Fleurenceau parce qu'ils prétendent avoir la propriété de ce bien dont ils détiennent les justes titres pour le pétitoire, renvoie les parties à se pourvoir devant qui de droit». Mécontents, les héritiers Colin en relevèrent appel et le 8 janvier 1997 la Cour d'appel des Gonaïves, après avoir infirmé l'ouvre querellée, ordonna avant dire droit une expertise aux fins de savoir si la portion de terre revendiquée par les Colin est la même que celle acquise de Jean Mary Delphin par les époux Jean Philippe Colin. La mesure d'instruction réalisée et le rapport déposé, le 19 novembre 1997 la Cour d'appel rendit un deuxième avant dire droit appointant les héritiers Jn Philippe Colin à prouver leur qualité et le 29 avril 1998, après que Marie Anita eût prouvé sa qualité , la Cour d'appel des Gonaïves prononça un arrêt définitif disant: « rejette l'exception de qualité, déclare les héritiers Jn Philippe Colin propriétaires incommutables du carreau de terre sis à Fleurenceau en la 6ième Section Communale de Saint Marc, ordonne le déguerpissement des héritiers Jn Mary Delphin de ladite portion de terre, condamne les héritiers Delphin à Gdes 60,000.00 de dommages et intérêts».
C'est contre cet arrêt que les héritiers Jean Mary Delphin ont exercé un pourvoi et présenté pour le faire casser cinq moyens combattus par les défenseurs.
Sur les troisième et quatrième moyen: Les pourvoyants ont déclaré que devant l'impossibilité des héritiers Jean Philippe Colin de produire des titres établissant leurs droits de propriété, la Cour d'appel a ordonné une expertise alors que les héritiers Jean Mary Delphin possèdent des titres translatifs et localisateurs. Qu'on oppose jamais l'expertise aux titres réguliers que la Cour de Cassation n'est pas juge des points de faits mais plutôt des points de droit, que par conséquent elle n'interprète pas les rapports des experts, mais c'est dans la mesure ou les données du rapport ont été respectées. A la question posée par la Cour d'Appel si le bien revendiqué, occupé par les héritiers Delphin est le même que celui que les héritiers Colin prétendent avoir acheté, les experts ont répondu par l'affirmative en faisant remarquer à la Cour que le titre soumis par les Colin dit clairement que le bien a été vendu par Jean Mary Delphin agissant en qualité de mandataire de son père Marcellus Delphin. Donc les experts ont conclu tacitement que le bien litigieux appartenait à Marcellus Delphin. La Cour d'appel a refusé de retenir ce point et n'a pas statué dessus, juste pour faire jouer le principe de garantie qui, en l'occurrence ne sied pas puisque les Colin, s'ils ont acheté, n'ont pas acheté de Jn Mary Delphin mais bien de Marcellus Delphin. Qu'en agissant ainsi, la Cour d'appel a commis deux excès de pouvoir qui feront casser son ouvre, (sic).
La cour: Attendu que quatre conditions sont requises pour former une demande en justice: qualité, droit, intérêt et capacité,
Attendu qu'au Tribunal de Première Instance de St-Marc, in limine litis, les héritiers Delphin ont demandé au juge d'appointer les demandeurs à établir leur qualité et le fondement de leurs droits.
Attendu qu'avant même que les héritiers Colin, demandeurs et appelants, aient prouvé leur qualité, les juges de la Cour d'appel d'office ont ordonné l'expertise, mesure d'instruction, qui, loin d'apporter des éclaircissements aux honorables juges pour leur permettre de décider en connaissance de cause, les a jeté dans les errements; Car le 16 novembre 1920 par acte sous seing privé, enregistré et transcrit les 4 et 7 février 1921 et arpenté le 16 décembre 1920 par l'Arpenteur Philoxène Morel, Guillaume Stéphen Durand vendit à Jean Mary Delphin 2 Carreaux et 43/100 de terre située à Fleurenceau 6ième section rurale de St Marc pour gdes: 3000.00; donc pour vendre ce même terrain, l'acquéreur Jean Mary Delphin n'avait besoin d'aucune autorisation ni mandat de personne. Cependant, le vendeur G. Stéphen Durand avait vendu antérieurement au sieur Assad Elias 1 carreau et 50/100 de terre des deux carreaux et 43/100 les 30 octobre et 10 novembre 1920. A la suite d'un procès engagé entre les deux acquéreurs, le Tribunal de Première Instance de St-Marc le 3 mai 1922 condamna Jean Mary Delphin à abandonner le carreau et 50/100 de terre au sieur Assad Elias, partant il ne reste que 93/100 de terre et non 1 carreau; il résulte de cet attendu que Jean Mary Delphin n'a que 93/100 de terre; et n'avait besoin d'aucune autorisation ni mandat de personne pour vendre ces 93 centièmes de terre; et que Guillaume Stéphen Durand, tenait ses droits de feu sa mère madame Albert Guirand, née Corine Guerrier, qui par droit d'héritage l'avait recueilli de la succession de feu Louis Jacques Guerrier dit Turenne Guerrier, d'une part.
Que d'autre part, attendu que suivant un extrait des registres du bureau de la conservation foncière du 3 septembre 1963 soumis par les héritiers Colin pour établir leurs droits, il se constate que: René Duc et Léon Dugué, après la mort de Esta Mauga, épouse du sieur Jean Philippe Colin, en partageant la communauté ayant existé entre les ci-devant époux, ont donné à l'époux survivant Jean Philippe Colin un carreau de terre située à Fleurenceau 6ème section communale de St Marc, arpenté par Morel Adé le 14 janvier 1960, que les époux Jean Philippe Colin avaient acquis, disent-ils, de Jean Mary Delphin, mandataire de son père Marcellus Delphin, acquéreur de Démosthène Guerrier qui en a disposé aux droits de son feu père Mondésir Guerrier, mentions reproduites et tirées, disent-ils, du procès-verbal d'arpentage susparlé». les héritiers Jean Philippe Colin n'ont soumis aucun titre authentique ni sous seing privé, ni aucun titre translatif de propriété prouvant que les époux Jean Philippe Colin avaient acquis ce prétendu carreau de terre, ils se sont basés sur cet extrait de la conservation foncière qui ne peut même pas servir de commencement de preuve par écrit, mais on peut en tirer de simples renseignements et qu'on ne peut se créer un titre à soi-même; et que selon certains renseignements puisés dans cet extrait le carreau de terre des époux Jean Philippe Colin proviendrait de Marcellus Delphin qui l'aurait acheté de Démosthènes Guerrier, qui en aurait disposé aux droits de son feu père Mondésir Guerrier. De tout ce qui précède il ressort que non seulement les héritiers Jean Philippe Colin n'ont pas pu établir leurs droits mais encore il s'agit de deux terrains distincts qui seraient situés sur la même habitation mais ne provenant pas d'un même ascendant.
Attendu qu'il y a excès de pouvoir et violation du droit de la défense de la part des juges qui statuent au fond définitivement avant de se prononcer sur toutes les défenses soumises à leur examen par les parties en cause; que les juges de la Cour d'Appel des Gonaïves, en déclarant les héritiers Jean Philippe Colin propriétaires incommutables du carreau de terre objet du litige et en ordonnant le déguerpissement des héritiers Jean Mary Delphin de ladite portion de terre avant que les appelants établissent leurs droits, ont commis un excès de pouvoir qui fera casser leur ouvre.
Par ces motifs la Cour, le Ministère Public entendu, accueille les 3ème et 4ème moyen des pourvoyants, casse l'arrêt du 29 avril 1998 de la Cour d'Appel des Gonaïves rendu entre les héritiers Jean mary Delphin et Jean Philippe Colin; renvoie la cause et les parties à la Cour d'Appel de Port-au-Prince pour être statué ce que droit; ordonne la remise de l'amende consignée; condamne les défendeurs aux frais et dépens liquidés à la somme de .................... Gourdes, en ce, non compris le coût du présent arrêt.
Ainsi jugé et prononcé par Nous Clausel Débrosse, Président, Gérard Charles Alerte, Jean D. Kalim, Luc S. Fougère et Louis Alix Germain, Juges, en audience publique du mercredi dix février mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf, en présence de Monsieur Boniface Alexandre, Commissaire du Gouvernement et avec l'assistance de Monsieur Wilner Félix, Greffier du siège.