Centrale Autonome Métropolitaine d'Eau Potable (CAMEP)
Vs les époux Jean Ariel JOSEPH, la femme née Anne MELSE
1er février 1999
Sommaire
Action en réparation civile - Expression - Dommages-intérêts
L'action en réparation du préjudice causé par un délit purement civil est exclusivement de la compétence des Tribunaux Civils.
Tout fait quelconque de l'homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.
Chacun est responsable du dommage qu'il a causé non seulement par son fait, mais encore par sa négligence ou par son imprudence, ce qui revient à dire que la faute la plus légère, une simple imprudence suffit pour faire encourir la responsabilité édictée par l'article 1168 C. Civ. S'agissant d'un quasi-délit l'expression dommages-intérêts désigne l'indemnité qui est due à titre de réparation.
Cassation
La Cour de Cassation, première section, a rendu l'arrêt suivant:
Sur le pourvoi de la Centrale Autonome Métropolitaine d'Eau Potable (CAMEP) Institution publique commerciale jouissant de la personnalité juridique propre, représentée par son Directeur Général, l'Ingénieur Gérald Jean-Baptiste propriétaire demeurant et domicilié à Port-au-Prince identifié au No. 315-51-423 ayant pour Avocats avec élection de domicile en leur cabinet sis au No. 25 de la Place des Héros de l'indépendance Mes. Dantès P. Colimon, Robert Augustin, Jehan D. Colimon, Patrick Wooley, Elisabeth Colimon Wooley, Lesly L. Alerte et Ronial Petit du barreau de Port-au-Prince identifiés patentés et imposés aux Nos. 304-6808814, 1010567, 1000134; 302-82-638, 266834, 84104; 309-53067, 61123-N; 76367-C, 300-80-447, A229177; A451278;
Contre un arrêt de la Cour d'appel de Port-au-Prince rendu le 10 juin 1998 entre la pourvoyante et les époux Jean Ariel Joseph, la femme née Anne Melse, propriétaires demeurant et domiciliés à Port-au-Prince identifiés aux Nos. 323-38-142 et 319-40-957, ayant pour Avocats Mes. François Charles Saint Fleur et Thermitus Hippolyte du barreau de Port-au-Prince identifiés patentés et imposés aux Nos. 003-002-170-8; 0464439; B029902 et 300-21-366; 37003N; 2734055 avec élection de domicile au Cabinet desdits avocats sis au No. 87 de la Rue du Champs de Mars;
Ouï, à l'audience publique du lundi dix huit janvier 1999, les parties n'étant pas représentées à la barre, Monsieur Emmanuel Dutreuil, Substitut du Commissaire du Gouvernement, en la lecture de ses conclusions;
Vu l'arrêt entrepris ensemble l'exploit de sa signification à partie, l'acte déclaratif de pourvoi, les requêtes contenant les moyens des parties, le récépissé attestant le paiement de l'amende, les autres pièces et actes à l'appui du procès, les conclusions susdites du Ministère Public et les textes de loi invoqués;
Et, après en avoir délibéré en Chambre du Conseil, au vou de la loi;
Attendu que des faits et circonstances consignés dans l'arrêt il ressort que le 5 mars 1996 les époux Jean Ariel Joseph, femme née Anne Melse, fermiers de l'Etat haïtien, représenté par la Direction Générale des Impôts, d'un terrain sis à Delmas sur l'habitation «Prédailler» mesurant 1521m2 60, assignèrent au Tribunal de Première Instance de Port-au-Prince, la Centrale Autonome d'Eau Potable (CAMEP) représentée, par l'ingénieur Gérald Jean Baptiste qui, accompagné disent-ils d'un groupe d'hommes et d'un tracteur, sans autorisation judiciaire, procéda à la démolition de l'immeuble érigé par les époux Jean Ariel Joseph, pour voir et entendre le susdit tribunal déclarer constante l'action initiée contre la «CAMEP», dire et déclarer que la démolition de l'immeuble des demandeurs est irrégulière, arbitraire et leur déguerpissement illégal, ordonner leur réintégration des lieux et l'expulsion de la défenderesse des lieux, dire que la destruction de l'immeuble des requérants par la CAMEP suivie de l'occupation des lieux a causé des préjudices réparables en argent, condamner la CAMEP à Gdes1,500,000.00 de dommages intérêts et que leur bailleur, l'Etat haïtien a été appelé en garantie, ils déclarèrent qu'en cas de rejet de leur action initiale la D.G.I devra supporter toutes les pertes subies par eux notamment celles de la démolition de l'immeuble érigé sur la propriété d'une valeur de Gdes 500,000.00 et sa condamnation en outre à Gdes1,500,000.00 de dommages et intérêts (sic). En réplique la CAMEP a soulevé l'incompétence du Tribunal de Première Instance puisque l'action en réintégrande rentre dans les attributions exclusives du tribunal de paix. Il en sortit le 21 mai 1996 un avant dire droit disant que ledit tribunal est compétent pour entendre l'affaire en ordonnant la plaidoirie du fond; et le 4 novembre 1997 le Tribunal rendit une décision mettant la Direction Générale des Impôts hors cause, rejetant les moyens proposés par la CAMEP, déclarant irrégulière, arbitraire la démolition de l'immeuble, illégal le déguerpissement des demandeurs, condamnant la «CAMEP» à payer aux époux Jean Ariel Joseph la somme de sept cent mille gourdes de dommages et intérêts, renvoyant les requérants à se pourvoir devant la juridiction qui devra connaître de la réintégration des lieux et rejetant la demande d'exécution provisoire pour n'être pas fondée. Mécontente, la «CAMEP» représentée par l'Ingénieur Gérald Jean-Baptiste en releva appel et le 10 juin 1998 la Cour d'Appel de Port-au-Prince prononça un arrêt rejetant les moyens de l'appelante, maintenant en conséquence le jugement querellé du 4 novembre 1997 dans toute sa forme et teneur;
C'est contre cet arrêt que la «CAMEP» représentée par l'Ingénieur Gérald Jean-Baptiste a exercé un pourvoi et présenté pour le faire casser trois moyens combattus par les défendeurs;
Sur les deux premiers moyens réunis: Motif pris d'excès de pourvoi de violation des articles 39-40-98-100 du C.P.C. et de fausse interprétation et fausse application des articles 1168-1169 du C. Civil;
La pourvoyante a déclaré que les fermiers de l'Etat ne sont pas autorisés par une action possessoire en réintégrande à obtenir des dommages par devant un tribunal incompétent et leur action était principalement une action possessoire en réintégration des lieux et ce n'est qu'accessoirement que la demande en dommages intérêts a été réclamée. Que s'agissant d'une action en réintégrande seul le tribunal de paix des lieux est compétent. Pour ces raisons la Cour dira que le renvoi sollicité aurait du être accordé et les parties renvoyées d'office devant qui de droit, d'une part; et que d'autre part la responsabilité civile est engagée quand la preuve d'une faute d'une négligence ou d'une mauvaise foi est administrée avec succès. Le juge n'est pas autorisé à venger la victime, il est obligé de la dédommager en fonction de la perte réellement subie dont la preuve est faite, que le fait par les époux Jean Ariel Joseph de réclamer des montants exagérés en dommages et intérêts ne leur donne aucun droit aux montants réclamés à partir d'une estimation arbitraire puisque le Juge n'est pas autorisé à prononcer une condamnation pécuniaire fixée hypothétiquement sans la preuve des dommages, en conséquence la Cour dira que la preuve des dommages n'est pas faite et l'appréciation du montant des dommages n'a pas été faite puisque toute affirmation doit être prouvée, c'est pourquoi la Cour de Cassation cassera l'ouvre querellée, (sic);
La Cour: Attendu que ce sont les conclusions contenues dans l'acte introductif d'instance qui constituent le mandat du Juge;
Attendu qu'il s'agit d'une demande en réparations civiles d'un million cinq cent mille gourdes pour des préjudices résultant de la démolition irrégulière, illégale d'une maison à étage inachevée, érigée par les époux Jean Ariel Joseph sur un terrain sis à Delmas, mesurant 1521m2 60 qu'ils ont affermé de l'Etat Haïtien, et accessoirement au déguerpissement de la «CAMEP» des lieux, pour le rétablissement ou la réintégration des fermiers de l'Etat sur lesdits lieux. Le tribunal de Première Instance était donc compétent pour en connaître, parce que l'action en réparation du préjudice causé par un délit purement civil est exclusivement de la compétence des tribunaux civils. Quand les Juges de la Cour d'Appel ont maintenu dans toute sa forme et teneur la décision du tribunal de Première Instance, qui avait renvoyé les demandeurs originaires à se pourvoir devant la juridiction qui devra connaître de la réintégration des lieux, ils ont violé, ainsi que le juge du tribunal de Première Instance, la loi relative au degré des juridictions qui est d'ordre public, d'une part;
Que d'autre part, selon le procès-verbal dressé le 27 février 1996 par le suppléant juge de Paix de Delmas, la «CAMEP» avait fait démolir la maison inachevée des époux Jean Ariel Joseph, que ledit procès-verbal n'a pas été combattu et les faits y contenus n'ont pas été contesté, donc la «CAMEP» est en faute pour avoir accompli un fait prohibé par la loi; et qu'aux termes de l'article 1168 du C. Civil: «Tout fait quelconque de l'homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer», et l'article 1169 du C. Civil ajoute «Chacun est responsable du dommage qu'il a causé non seulement par son fait, mais encore par sa négligence ou par son imprudence.» ce qui revient à dire que la faute la plus légère, une simple imprudence suffit pour faire encourir la responsabilité édictée par l'article 1168; partant la CAMEP représentée par l'Ingénieur Gérald Jean-Baptiste est obligée de réparer les préjudices causés aux époux Jean Ariel Joseph par son action dommageable; qu'enfin s'agissant d'un quasi délit l'expression dommages intérêts désigne l'indemnité qui est due à titre de réparation d'un préjudice au lieu de la reconstruction de la maison les époux Joseph obtiendront une réparation en argent. Quand les Juges de la Cour d'Appel ont maintenu dans toute sa forme et teneur la décision de Première Instance, qui avait condamné la «CAMEP» à payer aux époux Jean Ariel Joseph la somme de sept cent mille gourdes avaient-ils bien motivé leur ouvre? Sur quoi s'était basé le premier Juge pour évaluer les dommages subis? Rien ne prouve tant dans la décision que dans l'arrêt que le Juge de Première Instance avait ordonné une mesure d'instruction quelconque, avait fait appel à des hommes de l'art des experts, des Ingénieurs architectes dont le rapport servirait de critère aux magistrats pour l'appréciation des dommages. Ils n'ont pas suffisamment donné les motifs devant servir de base respectivement à leur décision, il convient de reconnaître que le reproche adressé à l'ouvre entreprise est fondée c'est pourquoi la Cour cassera l'arrêt querellé;
Par ces motifs, la Cour, le Ministère Public entendu, accueille les deux premiers moyens de la pourvoyante; casse l'arrêt entrepris; renvoie la cause et les parties par devant la Cour d'Appel des Gonaïves pour être statué ce que de droit; ordonne la remise de l'amende consignée; condamne les défendeurs aux frais et dépens liquidés à la somme de ...... Gourdes, en ce, non compris le coût du présent arrêt;
Ainsi jugé et prononcé par Nous, Clausel Débrosse, Président, Gérard Charles Alerte, Jean D. Kalim, Luc S. Fougère et Louis Alix Germain, Juges, en audienc e publique du lundi premier Février Mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf en présence de Monsieur Emmanuel Dutreuil, Substitut du Commissaire du Gouvernement, et avec l'assistance de Monsieur Wilner Félix, Greffier du siège.