Hrs. Sér.
René D. Marini Vs la C.S.C.C.A.
6 mai 1993
Sommaire
Décharge de gestion - mainlevée et radiation d'hypothèque légale - Vérification et contrôle de gestion des comptables de deniers publics - Entité de la C.S.C.C.A. - Compétence - Nature de ses attributions.
Si l'alinéa 4 de l'article 9 du décret du 4 novembre 1983 sur l'organisation et le fonctionnement de la C.S.C.C.A prévoit effectivement les demandes de radiation d'hypothèque légale en faveur de l'Etat au nombre des attributions du Conseil de la Cour composé, dit l'article 8, du Président, du Vice-Président et des Conseillers, c'est à la Chambre des Affaires Financières de la Cour siégeant avec trois membres (art. 36) qu'il appartient de contrôler et de vérifier la gestion des comptables de deniers publics (art. 18 à 21), à la suite de quoi sera prononcé, aux termes de l'article 39, et si aucune irrégularité n'est relevée, l'arrêt de quitus, avec recommandation que «décharge soit accordée pour que mainlevée et radiation des inscriptions hypothécaires soient ordonnées». Dans le cas contraire, c'est-à-dire, comme le stipule l'article 38, «si le contrôle constate des faux, concussions, détournements, prévarications et malversations, la Cour prononcera un arrêt de débet, et rapport en sera fait aux autorités compétentes pour la poursuite des auteurs».
La C.S.C.C.A., en entreprenant le contrôle et la vérification de la gestion d'un organisme de l'Etat, conformément à l'article 4 du décret la régissant et à l'article 71 de la loi du 6 septembre 1982 sur l'Administration Publique, agit en ses attributions administratives et non juridictionnelles, c'est-à-dire, qu'elle ne se comporte pas comme une juridiction contentieuse qui serait obligée de suivre les règles de la procédure ordinaire.
Cassation - Annulation
La Cour de Cassation, Deuxième Section, a rendu l'arrêt suivant:
Sur le pourvoi du sieur René D. Marini, propriétaire, demeurant et domicilié à Pétion-Ville, identifié au No. 317-00-777, ayant pour Avocat Me Pierre C. Labissière, dûment identifié, patenté et imposé, avec élection de domicile en son cabinet sis à Port-au-Prince, Rue des Miracles, No. 34.
En cassation d'un arrêt rendu contre lui par la Chambre des Affaires Financières de la Cour Supérieure des Comptes et du Contentieux Administratif (C.S.C.C.A.) à la date du sept août mil neuf cent quatre-vingt-douze.
Ouï, à l'audience publique du 6 avril 1993 Monsieur le Juge Raymond Gilles en la lecture de son rapport, puis, les parties n'étant pas représentées à la barre, Monsieur le Commissaire du Gouvernement G. Myrbel Jean-Baptiste en celle de ses conclusions.
Vu l'acte déclaratif de pourvoi, l'arrêt attaqué, la requête du demandeur ainsi que les pièces à l'appui, notamment le récépissé de l'amende consignée, les susdites conclusions du Ministère Public et les textes de loi invoqués.
Et, après en avoir délibéré en la Chambre du Conseil, au vou de la loi.
Attendu que par requête en date du 20 novembre 1991, René Marini qui avait, en qualité de Directeur Général, dirigé l'Office National du Tourisme (O.N.T.) du 27 décembre 1989 au 14 mars 1991, demandait à la C.S.C.C.A. de prononcer un arrêt de quitus en sa faveur, de lui accorder décharge de sa gestion et d'ordonner mainlevée et radiation des hypothèques grevant ses biens en faveur de l'Etat, demande réitérée par lettre datée du 24 décembre 1991.
Que, statuant sur cette demande, la Cour rendit le 23 juin 1992 un arrêt avant-faire droit, ordonnant notamment: 1o) l'inventaire physique des véhicules du parc automobile de l'O.N.T. ainsi que du matériel acquis dans le cadre du projet d'aménagement du Bureau de l'Office; 2o) la vérification des valeurs figurant aux différents comptes en Banque dudit Office à des dates déterminées, mesures devant être exécutées à la diligence et par les soins des Directions du Service d'Inventaire et de l'Apurement de Comptes de la C.S.C.C.A.
Attendu que sur la base des rapports présentés par ces Directions sortit un arrêt définitif en date du 7 août 1992, par lequel la Cour refuse à Marini la décharge de sa gestion au motif qu'il a été relevé dans son administration des virements de comptes non autorisés, des dépassements budgétaires non couverts par des crédits supplémentaires de l'Etat, équivalant à des détournements de fonds; elle le déclara en débet de la somme de cinquante neuf mille six cent onze gourdes (Gdes 59.611) à l'endroit de l'Etat Haïtien, et le renvoya par devant la juridiction compétente pour l'application de la loi.
Contre cette décision René D. Marini s'est pourvu en Cassation et a proposé trois moyens à l'appui de son recours.
Sur le premier moyen pris de violation des articles 7, 8, 9, 36 du décret du 4 novembre 1983 sur l'organisation et le fonctionnement de la C.S.C.C.A, violation des règles de la compétence, excès de pouvoir, violation du Droit de la Défense, en ce que l'arrêt attaqué a été rendu par la Cour siégeant avec trois membres et non par le Conseil de la Cour dont la composition est fixée par l'article 8 et les attributions par l'article 9 du susdit décret.
Attendu que si l'alinéa 4 de cet article 9 prévoit effectivement les demandes de radiation d'hypothèque légale en faveur de l'Etat au nombre des attributions du Conseil de la Cour composé, dit l'article 8, du Président, du Vice-Président et des Conseillers, c'est à la Chambre des Affaires Financières de la Cour siégeant avec trois membres (art. 36) qu'il appartient de contrôler et de vérifier la gestion des comptables de deniers publics (art. 18 à 21), à la suite de quoi sera prononcé, aux termes de l'article 39, et si aucune irrégularité n'est relevée, l'arrêt de quitus sollicité en l'espèce par le pourvoyant, avec recommandation que «décharge lui soit accordée pour que mainlevée et radiation des inscriptions hypothécaires soient ordonnées»; dans le cas contraire, c'est-à-dire, comme le stipule l'article 38, «si le contrôle constate des faux, concussions, détournements, prévarications et malversations, la Cour prononcera un arrêt de débet, et rapport en sera fait aux autorités compétentes pour la poursuite des auteurs».
Attendu que c'est précisément cet arrêt de débet qui a été rendu par la Chambre des Affaires Financières de la Cour, laquelle a agi dans les limites de sa compétence, il s'ensuit que ce moyen du pourvoi n'est pas fondé et est d'ores et déjà écarté.
Sur le deuxième moyen pris d'excès de pouvoir, de violation du Droit de la Défense, en ce que les Juges de la C.S.C.C.A. ont exclu le pourvoyant de l'exécution des mesures prescrites dans leur décision avant-dire droit, ne l'ayant pas appelé à se défendre.
Attendu que la C.S.C.C.A., en entreprenant le contrôle et la vérification de la gestion de l'O.N.T. sous la direction de Marini, conformément à l'article 4 du décret la régissant et à l'article 71 de la loi du 6 septembre 1982 sur l'Administration Publique, a agi en ses attributions administratives et non juridictionnelles, c'est-à-dire, qu'elle ne se comporte pas comme une juridiction contentieuse qui serait obligée de suivre les règles de la procédure ordinaire; que, la loi ne l'obligeant pas à requérir la présence du responsable du service qu'elle contrôle, ses agents vérificateurs pouvaient mener leurs investigations à l'O.N.T. en l'absence de son ancien Directeur Général dès lors qu'ils pouvaient obtenir en dehors de celui-ci toutes les informations nécessaires à leur travail; il s'ensuit qu'il n'y a aucune violation du Droit de la Défense, et ce moyen, comme le premier, est écarté.
Sur le troisième moyen pris de dénaturation des faits de la cause, d'excès de pouvoir, de violation du Droit de la Défense, de violation de l'article 282 C.P.C, des articles 21, 37, 38, 39 du décret du 4 novembre 1983 sus-énoncé, des articles 1er et 12 de la loi organique de l'O.N.T., violation de la loi sur le budget par confusion des termes virements et dépassements budgétaires.
Attendu que le pourvoyant, par ce moyen, reproche aux Magistrats de la C.S.C.C.A d'avoir fondé leur décision sur des faits inexacts lorsqu'ils affirment que leur examen du compte loyers de l'O.N.T. a révélé un dépassement budgétaire de 47.593 gourdes sans crédit supplémentaire approprié alors que, soutient-il, le vérificateur à la Direction de l'Apurement des Comptes avait, dans son rapport adressé à la C.S.C.C.A. le 7 avril 1992, expliqué la provenance de cette balance négative.
Attendu qu'il se constate en effet qu'au dossier du pourvoyant se trouve le rapport en question, présenté à titre de complément d'information par la dame Rose-May Tropnas, et dans lequel elle justifie cette balance débitrice représentant la différence entre les dépenses de 273.151 gourdes constatées par de précédents vérificateurs et le montant de 225.558 gourdes payé effectivement pour douze mois de loyers sur la base de 18.796 gourdes & 59/100 par mois, tout en considérant que les disponibilités budgétaires annuelles pour ce chapitre s'élevaient à 234.000 gourdes; en effet, elle attribue cette différence: 1o) à une double comptabilisation, dans le journal de banque, des loyers payés pour les mois d'avril et d'août 1990, soit un montant de 37.593 gourdes; 2o) au paiement d'une valeur supplémentaire de 10.000 gourdes pour trois mois de loyers, de juillet à septembre 1990, valeur couverte par une désaffectation budgétaire autorisée.
Attendu que ce rapport qui fait la lumière sur le soi-disant dépassement de budget constaté par la Cour, n'a pas, de toute évidence, été pris en compte par cette dernière, quoiqu'antérieur à ses deux décisions, il y a là sinon une dénaturation des faits, du moins une erreur de fait entraînant des motifs erronés qui ont exercé une influence décisive sur le dispositif de la décision, ce qui occasionnera la cassation de l'arrêt attaqué.
Attendu qu'en principe, sauf sur second recours, la Cour de Cassation ne connaît pas du fond des affaires, mais renvoie la cause, après cassation, à une autre juridiction du même degré.
Or, attendu qu'il n'existe dans le pays qu'une seule Cour des Comptes, ce qui rend tout renvoi impossible.
Attendu d'autre part que ni l'article 200-2 de la Constitution qui soumet les décisions de la C.S.C.C.A. au contrôle de la Cour de Céans, ni aucune loi postérieure n'indique la suite à donner après l'admission du pourvoi; que, s'il faut considérer que l'article 9 du Code Civil oblige le Magistrat à juger malgré le silence de la loi sous peine d'être poursuivi comme coupable de déni de justice, il y a lieu de retenir le fond pour y statuer.
Au fond:
Attendu que, tel qu'exposé plus haut, René Marini demande décharge de sa gestion comme Directeur Général de l'O.N.T et mainlevée des hypothèques grevant ses biens en faveur de l'Etat.
Attendu qu'il importe pour la Cour d'examiner cette gestion en s'appuyant sur les documents suivants produite par le pourvoyant: 1o) un rapport de vérification des comptes de l'O.N.T. pour la période du 27 décembre 1989 au 31 mars 1991, signé des comptables vérificateurs Gauthier Bertrand et Jean Léon Policard de la C.S.C.C.A., et présenté les 5 avril 1991 et 6 février 1992; 2o) un contre rapport signé de Rose-May Tropnas, vérificateur à la Direction de l'apurement des Comptes, et daté du 6 février 1992; 3o) un complément d'information déposé par Tropnas le 23 juillet 1992; 4o) un inventaire partiel des biens de l'O.N.T. présenté le 28 du même mois par le service d'inventaire de la C.S.C.C.A.
Attendu qu'il résulte de ces différents documents que:
a) Les valeurs mises à la disposition de l'O.N.T. durant la période sous examen par le Ministère de la Planification et de la Fonction Publique pour la promotion du Tourisme, ont été utilement dépensées, pièces justificatives dûment contrôlées par les vérificateurs, et la balance de 1.063 gourdes & 32/100 accusée par les livres de l'Office a été retrouvée au compte OA-435 de ce dernier à la Banque de la République d'Haïti (BRH).
b) Deux allocations budgétaires respectivement de 5.851.500 gourdes et de 3.731.500 gourdes étaient disponibles pour le fonctionnement de l'O.N.T. pour les périodes allant de janvier à septembre 1990 et d'octobre 1990 à mars 1991; l'engagement, la liquidation, et le contrôle des différentes rubriques de ces enveloppes budgétaires ont été faits, selon les termes du vérificateur Tropnas, en conformité avec les dispositions de la loi sur le budget et la comptabilité publique; ces fonds n'ont pas été totalement utilisés, puisque le compte accuse des balances respectives de 482.245 gourdes & 70/100 et 730.093 gourdes & 60/100 qui sont donc restées dans les caisses de l'Etat.
c) Le fonds de roulement servant de petite caisse a fait l'objet de pièces justificatives adéquates appuyant les débours effectués.
d) Des 370.000 gourdes décaissées par le Trésor Public pour le projet de développement touristique, 367.843 gourdes & 13/100 ont été dépensées, et la balance de 2.156 gourdes & 85/100 a été constatée au compte OA-2070 de l'O.N.T à la B.R.H.
e) Le matériel acquis dans le cadre de ce dernier projet, sauf un lampadaire et une caméra de télévision, a été retrouvé et inventorié à la date du 27 juillet 1992.
f) Les valeurs déposées à la Banque Nationale de Crédit du Cap Haïtien au compte dénommé «fonds de Développement du Tourisme Région Nord», étaient gérées non par Marini, mais conjointement par un comité d'appui composé de notables de cette ville et par le représentant du tourisme au Cap, Ernest Bellande.
g) Cinq véhicules sont sortis du parc automobile de l'O.N.T. durant la gestion de Marini; quatre ont été vendus après l'accomplissement des formalités requises, et le produit de cette vente, affecté à l'entretien et la réparation d'autres unités du parc.
Attendu qu'en ce qui concerne le cinquième véhicule, il est établi par une lettre datée du 21 février 1991 et signée du chef de service des transports à l'O.N.T. que, non encore vendu, il se trouvait en réparation au garage Haytian Tractor, S.A; qu'il est également, établi par des documents comptables émanant de la B.R.H., que le montant de la vente des quatre autres véhicules, soit 10.000 gourdes, avait été déposé au compte de l'O.N.T. à cette banque; que le Président d'alors de la C.S.C.C.A. avait reconnu, dans sa lettre du 22 novembre 1990, avoir reçu les pièces justificatives afférentes à l'utilisation de cette valeur.
Attendu que, pour ce qu'il s'agit de l'absence, sur la liste d'inventaire, de la caméra et du lampadaire ci-dessus mentionnés, Marini ne peut pas en être tenu responsable, l'inventaire du matériel ayant été réalisé seize mois après son départ de l'O.N.T.
Attendu enfin que le vérificateur Tropnas a conclu dans son rapport que «les pièces justificatives fournies attestent la conformité des dépenses effectuées au niveau des décaissements du budget de fonctionnement et d'investissement».
Attendu qu'il résulte de
tout ce que dessus que la gestion de Marini s'est révélée correcte et régulière qu'il n'y a été relevé aucune trace de faux, de concussion, de détournement, de prévarication ou de malversation; qu'il importe dès lors, par application de l'article 39 du décret régissant la matière, de prononcer un arrêt de quitus en sa faveur et de le renvoyer par devant le Conseil de la C.S.C.C.A. qui lui accordera décharge conformément à l'article 9, alinéa 4 dudit décret.
Par ces motifs, sur les conclusions conformes du Ministère Public, casse et annule l'arrêt de la Cour Supérieure des Comptes et du Contentieux Administratif du 7 août 1992; ordonne la restitution de l'amende consignée; statuant à nouveau, dit que la gestion de René D. Marini comme Directeur Général de l'O.N.T. a été trouvée correcte et régulière; en conséquence, lui en accorde quitus; le renvoie par devant le Conseil de la Cour aux fins susdites.
Ainsi jugé et prononcé par Nous, Georges Henry, Vice-Président, Larousse B. Pierre, Raymond Gilles, Georges Moïse et Raoul Lyncée, Juges, en audience publique du six mai mil neuf cent quatre-vingt-treize, en présence de Monsieur Jean Claude Banica, Substitut du Commissaire du Gouvernement, et avec l'assistance du Greffier Bignon André.