Aff. Pén.
Serge Beaulieu et Marjorie Robeants
Vs
Le Ministère Public
16 janvier 1992
Sommaire
Délits ou crimes politiques - Amnistie
L'amnistie efface complètement l'infraction. Elle a pour effet d'éteindre l'action publique, donc d'arrêter les poursuites qui doivent être abandonnées.
La Cour de Cassation, Deuxième Section, a rendu l'arrêt suivant:
Sur les pourvois de: 1o) Le sieur Serge Beaulieu, propriétaire, demeurant et domicilié à Port-au-Prince, identifié au Nº. ........, ayant pour Avocat constitué Me D. Jean Gilbert, du Barreau de Port-au-Prince, dûment identifié, patenté et imposé.
2o) La dame Marjorie Robeants, propriétaire, demeurant à Port-au-Prince et domiciliée au Cap-Haïtien, identifiée au Nº. ..........., ayant pour Avocat Me Jean Marie Hubert Casséus, dûment identifié, patenté et imposé.
Contre un arrêt de la Cour d'Appel de Port-au-Prince rendu le 10 septembre 1991 entre eux et le Ministère Public, ayant pour Avocat Me Jean Marie Hubert Casséus, dûment identifié, patenté et imposé.
Ouï, à l'audience publique du 19 décembre 1991 Monsieur le Vice-Président Georges Henry en la lecture de son rapport, puis, en l'absence des pourvoyants à la Barre, Monsieur G. Myrbel Jean-Baptiste, Commissaire du Gouvernement, en la lecture de ses conclusions.
Vu les actes contenant les déclarations de pourvois, l'arrêt attaqué, la requête de Serge Beaulieu et les pièces produites à l'appui, les dispositions de loi invoquées et les susdites conclusions.
Et, après en avoir délibéré en la Chambre du Conseil, au vou de la loi.
Attendu que les nommés Serge Beaulieu et Marjorie Robeants, inculpés d'attentat et de complot contre la sûreté de l'Etat, ont été arrêtés et déférés par devant le Juge d'Instruction de Port-au-Prince lequel rendit une ordonnance en date du 5 juillet 1991, renvoyant les inculpés par devant le Tribunal Criminel siégeant avec assistance de jury.
Attendu que mécontents de cette décision les accusés relevèrent appel, et à la date du 10 septembre 1991, sortit un arrêt de la Cour d'Appel de Port-au-Prince confirmant l'ordonnance de renvoi du Juge d'Instruction.
Que contre cet arrêt Serge Beaulieu et Marjorie Robeants se sont pourvus en Cassation, le premier par sa déclaration faite au Greffe de la Cour d'Appel le jour même du prononcé de la décision. La deuxième suivant déclaration en date du 23 septembre 1991.
Attendu qu'il a lieu de joindre les deux pourvois pour y statuer par un seul et même arrêt.
Mais attendu que par arrêté en date du 17 décembre 1991 du Président Provisoire de la République, amnistie a été accordée à tous les citoyens qui ont été arrêtés, poursuivis, jugés ou condamnés pour délits ou crimes politiques commis durant la période allant du 16 décembre 1990 au 27 septembre 1991.
Attendu que l'infraction reprochée aux pourvoyants se trouve au nombre de celles visées par l'arrêté d'amnistie susmentionné.
Attendu que cette mesure d'amnistie effaçant complètement l'infraction, a pour effet d'éteindre l'action publique, donc d'arrêter les poursuites qui doivent être abandonnées; en conséquence, il n'y a plus lieu à suivre Serge Beaulieu et Marjorie Robeants, et l'arrêt de la Cour d'Appel sera annulé.
Par ces motifs, le Ministère Public entendu, constate l'extinction de l'action publique quant au crime reproché aux pourvoyants; déclare qu'il n'y a plus lieu à suivre contre eux; annule l'arrêt de la Cour d'Appel; ordonne leur mise en liberté immédiate s'ils sont encore retenus; ordonne que le présent arrêt ensemble les pièces du dossier soient transmis sans retard au Commissaire du Gouvernement près la Cour pour être par lui fait ce que de droit.
Ainsi jugé et prononcé par Nous, Georges Henry, Vice-Président, Larousse B. Pierre, Raymond Gilles, Georges Moïse et Raoul Lyncée, Juges, en audience publique du seize janvier mil neuf cent quatre-vingt-douze, en présence de Monsieur G. Myrbel Jean-Baptiste, Commissaire du Gouvernement, avec l'assistance du Greffier Bignon André.
Aff. Civ.
Norcéus Vernord Vs Soifaite Joseph
21 janvier 1992
Sommaire
Trouble de possession - Prescription
Il est de règle que seule la transcription donne date certaine à un acte authentique et le rend opposable erga omnes.
La règle ci-dessus rappelée n'est inscrite nulle part dans la loi. L'article 1113 C. Civ. qui régit, sous ce rapport, l'acte sous seing privé et auquel fait référence, sans le dire, la Cour d'Appel, n'est pas applicable à l'acte authentique; s'agissant de procès-verbaux d'arpentage qui sont l'ouvre d'officiers publics, la sincérité de leur date, comme actes authentiques, n'est pas subordonnée à leur transcription.
La possession est un pur fait, elle peut-être établie par tous les moyens de preuve, même par témoins ou par présomptions.
Annulation
La Cour de Cassation, Deuxième Section, a rendu l'Arrêt suivant:
Sur le pourvoi du sieur Norcéus Vernord, identifié au Nº. 123-85-296, propriétaire, demeurant et domicilié à Demizaine, 4ème Section Communale de Miragoâne, ayant pour Avocat Me Ls. Enoy Michel, du barreau d'Aquin dûment identifié, patenté et imposé, faisant élection de domicile au Greffe de la Cour de Cassation, contre un arrêt de la Cour d'Appel des Cayes rendu le 21 juin 1990 entre lui et le sieur Soifaite Joseph, propriétaire, demeurant et domicilié en la 10ème Section Communale d'Aquin, identifié au Nº. 2118-F, ayant pour Avocat Me Henry Vixamar, du barreau de Port-de-Paix, demeurant aux Cayes, dûment identifié, patenté et imposé, avec élection de domicile au Greffe de la Cour de Cassation.
Ouï, à l'audience publique du 17 décembre écoulé le Juge Raymond Gilles en son rapport, puis, les parties étant absentes de la barre, Monsieur le Substitut Luc S. Fougère en la lecture des conclusions de son collègue Jean-Claude Banica tendant au rejet du pourvoi.
Vu l'acte déclaratif de ce pourvoi, l'arrêt attaqué, les requêtes des parties avec les pièces à l'appui, notamment le récépissé de l'amende consignée, les textes de loi invoqués et les susdites conclusions du Ministère Public.
Et, après en avoir délibéré en la Chambre du Conseil, au vou de la loi.
Attendu que s'estimant troublé, par Soifaite Joseph, dans la possession d'une pièce de terre de quatre carreaux et quart (4¿) de l'habitation "Abraham" Section Communale d'Aquin qu'il occupait avec ces cohéritiers, Norcéus Vernord saisit de sa complainte, le 11 juin 1986, le Juge de Paix de la commune qui, par sentence définitive en date du 9 décembre 1986, renvoya les parties à se pourvoir par devant qui de droit pour établir leur possession respective; que sur appel du complaignant, le Tribunal de Première Instance d'Aquin, après infirmation de la sentence suivie d'une mesure d'instruction réalisée sur les lieux, a déclaré l'appelant irrecevable en son action, engagée contrairement aux règles prescrites en la matière, par jugement daté du 8 août 1988.
Que, pressant alors la voie pétitoire devant le même tribunal en ses attributions ordinaires, le pourvoyant est reconnu propriétaire incommutable du terrain litigieux, aux droits de son feu père Alcéus Vernord, par décision du 16 mai 1989.
Que Soifaite Joseph ayant relevé appel de ce jugement, la Cour des Cayes, par son arrêt du 21 juin 1990, objet du présent recours, a infirmé l'ouvre du premier Juge en l'appelant propriétaire de la parcelle litigieuse.
Sur le troisième moyen du pourvoi, pris d'excès de pouvoir, dénaturation des faits de la cause, violation de l'article 282 C.P.C., erreur de mo tifs équivalent à une absence de motifs.
Attendu que selon le pourvoyant, l'arrêt infirmatif a méconnu la prescription de vingt ans par lui invoquée, et considéré, bien à tort, que les procès-verbaux d'arpentage de 1965 produits à l'appui ne devenaient opposables aux tiers qu'à partir de 1971, date de leur transcription.
Attendu que des qualités et motifs de l'Arrêt attaqué, il résulte qu'à l'appui de son action initiée le 7 septembre 1988, en vue du déguerpissement de son adversaire du terrain litigieux, Norcéus Vernord a invoqué l'occupation des lieux, depuis plus de trente ans, d'abord par son feu père Alcéus Vernord en sa qualité d'acquéreur des héritiers de Joseph Lamy dit Blanc, dont Joseph Soifaite l'un d'entre eux, ensuite par lui-même et ses cohéritiers après le décès de leur auteur qui avait fait arpenter le bien en 1965. Ce, jusqu'au mois de décembre 1985 date à laquelle ils en ont été dépossédés par ledit Soifaite, à la faveur d'une opération d'arpentage.
Ouï, en réponse, ce dernier a contesté les déclarations de son adversaire, en soutenant qu'il n'avait jamais comparu devant aucun notaire pour consentir la vente invoquée.
Attendu que pour déclarer Vernord mal fondé en son action, la Cour d'Appel, avant de tirer arguments des effets de la transcription, s'est reférée aux décisions rendues au possessoire pour relever que la sentence du Juge de Paix n'a pas reconnu la possession du complaignant qui, de surcroît, a été débouté en Appel.
Or, attendu qu'il sied de souligner que si la chose jugée au possessoire pouvait s'imposer au pétitoire, il y aurait lieu de retenir que rien n'était décidé à ce degré de juridiction contre les prétentions de Vernord, qu'en effet, il se vérifie que la sentence en question a admis la réalité de la possession de ce terrain, tout en précisant cependant qu'elle est étendue au-delà des droits y afférents, tandis que, de son côté le Juge d'Appel a débouté le susnommé sur le seul motif qu'étant victime de dépossession, il aurait dû exercer la réintégrande au lieu de la complainte; d'où dénaturation des faits d'un côté et adoption d'un motif erroné de l'autre.
Attendu, en ce qui concerne les procès-verbaux d'arpentage soumis, que la Cour d'Appel les a écartés ainsi:
«Attendu, au surplus, que pour fournir la preuve de son usucapion, le sieur Vernord a soumis deux procès-verbaux d'arpentage datés de 1965 mais transcrits seulement en 1979.
Attendu qu'il est de règle que seule la transcription donne date certaine à un acte authentique et le rend opposable erga omnes; que de 1979 à 1985 il ne s'est écoulé que six ans, il s'ensuit que ledit Vernord ne réalise pas le temps nécessaire devant lui donner droit à la prescription avec ou sans titres».
Mais attendu que la règle, ci-dessus rappelée, n'est inscrite nulle part dans la loi; que l'article 1113 C.C. qui régit, sous ce rapport, l'acte sous seing privé et auquel fait référence, sans le dire, la Cour d'Appel, n'est pas applicable à l'acte authentique; que s'agissant en l'espèce de procès-verbaux d'arpentage qui sont l'ouvre d'officiers publics, la sincérité de leur date, comme actes authentiques, n'est pas subordonnée à leur transcription.
Attendu que la possession étant un pur fait, elle peut-être établie par tous les moyens de preuve, même par témoins ou par présomptions; que dès lors, c'est à tort que l'arrêt attaqué s'est abstenu d'examiner la valeur de la possession invoquée par le pourvoyant pour ne s'arrêter qu'à en rechercher le point de départ, seulement à partir des procès-verbaux d'arpentage produits par l'intéressé; d'où il suit qu'en statuant comme elle l'a fait à l'encontre de celui-ci, la Cour d'Appel mérite bien les reproches articulés au moyen, pourquoi son ouvre sera annulée.
Par ces motifs, le Ministère Public entendu, annule l'arrêt de la Cour d'Appel des Cayes rendu le 21 juin 1990, entre les parties; ordonne la remise de l'amende consignée, et, pour voir statuer ce que de droit, renvoie la cause et les parties par devant la Cour d'Appel de Port-au-Prince; condamne le défendeur aux dépens liquidés à la somme de...... Gourdes, en ce, non compris le coût du présent arrêt.
Ainsi jugé et prononcé par Nous, Georges Henry, Vice-Président Larousse B. Pierre, Raymond Gilles, Georges Moïse et Raoul Lyncée, Juges, en audience publique du vingt-et-un janvier mil neuf cent quatre-vingt-douze, en présence de Monsieur Luc S. Fougère, Substitut du Commissaire du Gouvernement avec l'assistance du Greffier Bignon André.