TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS
No RG 22/50368 - No Portalis 352J-W-B7F-CVSAC
No : 1/MM
Assignation du :
19 Novembre 2021
ORDONNANCE DE RÉFÉRÉ
rendue le 31 mai 2022
par Nathalie SABOTIER, 1ère vice-présidente adjointe au Tribunal judiciaire de Paris, agissant par délégation du Président du Tribunal,
Assistée de Minas MAKRIS, Faisant fonction de Greffier.
DEMANDERESSE
S.A.S. TOPSOLID SAS
[Adresse 3]
[Localité 4]
représentée par Me Léopold KRUGER, avocat au barreau de PARIS - #P 141
DEFENDERESSE
S.A.R.L. 3D INGENIERIE SYSTEMES (3DIS)
[Adresse 1]
[Localité 2]
représentée par Me Grégory LAFAYE, avocat au barreau de HAUTS-DE-SEINE - #PN 592
DÉBATS
A l'audience du 19 Avril 2022, tenue publiquement, présidée par Nathalie SABOTIER, 1ère vice-présidente adjointe, assistée de Pascale GARAVEL, Greffier,
Nous, Président,
Après avoir entendu les conseils des parties comparantes,
EXPOSÉ DU LITIGE :
1 - La société TOPSOLID développe des logiciels de conception et de dessin assistés par ordinateurs (CAO / DAO) ainsi que des logiciels de gestion (ERP) à l'attention des métiers de la mécanique, de la tôlerie / chaudronnerie et du bois. Elle expose non seulement concéder des licences d'utilisation sur ces logiciels, mais également proposer à ses clients des formations pour leur utilisation.
2 - Pour les besoins de cette activité, elle a ainsi déposé, le 10 avril 2019 (publication du 3 mai 2019) :
- la marque verbale française "TOPSOLID", enregistrée le 2 août 2019 sous le no 4542099, pour désigner en classes 9, les logiciels, en classe 41, les services de "formation, services de formation logiciel ; mise à disposition de formations logiciel par le biais d'un réseau informatique mondial ; organisation de concours, de colloques, de conférences, de congrès sur le thème des logiciels et connecteurs (logiciels) ; accompagnement personnalisé [coaching] en tant que service de formation ; services de production et d'édition d'enregistrements sonores et vidéos sur le thème des logiciels ; publication électronique de livres et de périodiques en ligne, revues électroniques sur le thème des logiciels ; micro- édition Formation à l'exploitation de systèmes de logiciels; Formations professionnelles; Formation pratique; Formation en informatique; Formation pour adultes ; services de formation dans le domaine des appareils et logiciels d'intelligence artificielle ; services de formation dans le domaine du traitement des images pour la création de modèles en trois dimensions ; services de formation dans le domaine des logiciels effectuant des calculs de grandeur sur différentes cellules d'un maillage générant un fichier décrivant ce maillage de résultat ; services de formation dans le domaine des logiciels de conception d'aménagement intérieur de mobilier sur mesure, de menuiserie, métallerie, maquettes numériques de bâtiments", ainsi qu'en classe 42, les services, notamment, de "conception et développement de logiciels" ;
- la marque semi-figurative française "TopSolid", enregistrée le 2 août 2019 sous le no 4542103, pour désigner les mêmes produits et services que la marque précédente en classes 9, 41 et 42 :
3 - Ayant constaté que la société 3D INGENIERIE SYSTEMES, organisme de formation spécialisé dans le domaine des logiciels, dispensait des formations aux logiciels "TOPSOLID" sans autorisation de sa part, la société TOPSOLID l'a, par une lettre du 19 avril 2021, renouvelée le 15 juin puis le 12 octobre suivants, mise en demeure de cesser tous usages de ses marques et de ses logiciels. Par une lettre du 9 novembre 2021, la société 3D INGENIERIE SYSTEMES a contesté toute contrefaçon de logiciel ne fabriquant elle-même aucun logiciel.
4 - C'est en cet état que par acte d'huissier du 19 novembre 2021, la société TOPSOLID a fait assigner en référé la société 3D INGENIERIE SYSTEMES devant le délégataire du président du tribunal judiciaire de Paris siégeant à l'audience du 18 janvier 2022, aux fins d'obtenir la cessation des agissements de contrefaçon vraisemblable de droits d'auteur et de marque, ainsi que de concurrence déloyale et parasitaire.
5 - Dans ses dernières conclusions développées oralement à l'audience du 19 avril 2022 à laquelle cette affaire avait été renvoyée pour plaidoirie, la société TOPSOLID demande au juge des référés, au visa des articles 46 et 835 du code de procédure civile, L. 112-2, L. 122-4, L. 131-3, L. 335-2, L. 713-1 et L. 713-2 du code de la propriété intellectuelle et 1240 du code civil, de :
- SE DÉCLARER compétent pour connaître du présent litige ;
- DIRE la société TOPSOLID recevable et bien fondée en toutes ses demandes, fins et prétentions à l'encontre de la société 3D INGENIERIE SYSTEMES ;
- DIRE la société 3D INGENIERIE SYSTEMES irrecevable et mal fondée en toutes ses demandes, fins et prétentions reconventionnelles à l'encontre de la société TOPSOLID ;
En conséquence,
- INTERDIRE à la société 3D INGENIERIE SYSTEMES d'exploiter le logiciel TOPSOLID; - INTERDIRE à la société 3D INGENIERIE SYSTEMES de faire usage du terme « TOPSOLID» et du logo ;
- INTERDIRE à la société 3D INGENIERIE SYSTEMES de réaliser des formations au logiciel TOPSOLID ;
- CONDAMNER la société 3D INGENIERIE SYSTEMES à verser à la société TOPSOLID la somme de 310.000 euros à titre de provision sur le préjudice subi ;
- ORDONNER à la société 3D INGENIERIE SYSTEMES de communiquer l'ensemble des justificatifs chiffrés et certifiés portant sur l'exploitation des formations au logiciel TOPSOLID réalisées ces cinq dernières années ;
- ORDONNER la publication intégrale ou par extrait du dispositif de l'ordonnance à intervenir, sur la page d'accueil du site Internet www.3dis-formation.fr ;
- DIRE qu'à défaut de se conformer à la décision rendue, 3D INGENIERIE SYSTEMES encourra une astreinte de 5.000 euros par jour de retard passé un délai de quinze jours à compter de la notification de la décision ;
- DEBOUTER la société 3D INGENIERIE SYSTEMES de ses demandes, fins et prétentions reconventionnelles à l'encontre de la société TOPSOLID ;
- ORDONNER l'exécution de l'ordonnance au seul vu de la minute sur le fondement de l'article 489 du code de procédure civile ;
- CONDAMNER la société 3D INGENIERIE SYSTEMES à verser la somme de 7.000 euros à la demanderesse, au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- CONDAMNER la société 3D INGENIERIE SYSTEMES aux entiers dépens dont distraction au profit de Maître Léopold KRUGER.
6 - Dans ses propres conclusions, la société 3D INGENIERIE SYSTEMES (ci-dessous "3DIS") demande quant à elle au juge des référés, au visa des articles 32-1 et 835 du code de procédure civile, 1240 du code civil, et L.716.4-1 et L. 716-4-3 du code de la propriété intellectuelle, de:
A titre principal,
- La RECEVOIR en ses conclusions, fins et prétentions et l'en dire bien fondée ;
En conséquence,
- REJETER l'ensemble des demandes, fins et prétentions de la société TOPSOLID ;
A titre reconventionnel,
- ORDONNER à la société TOPSOLID de communiquer des preuves de son usage sérieux de l'utilisation de sa marque au cours des cinq dernières années pour l'activité de formation ;
- CONDAMNER la société TOPSOLID à verser à la société 3D INGENIERIE SYSTEMES la somme de 50.000 euros au titre de son préjudice économique ;
- CONDAMNER la société TOPSOLID à verser à la société 3D INGENIERIE SYSTEMES, la somme de 300.000 euros au titre du préjudice moral ;
- CONDAMNER la société TOPSOLID à une amende civile de 10.000 € en tant que cette dernière a engagé une procédure particulièrement abusive ;
- ORDONNER l'exécution de l'ordonnance au seul vu de la minute au titre de l'article 489 du code de procédure civile ;
- CONDAMNER la société TOPSOLID à verser à la société 3D INGENIERIE SYSTEMES, une somme de 1600 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile et la condamner aux entiers dépens.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Moyens des parties
7 - La société TOPSOLID fait valoir que, pour les besoins des formations qu'elle commercialise, la société 3DIS, qui ne bénéficie d'aucune licence sur les logiciels "Topsolid", fait nécessairement, soit usage d'un logiciel "piraté", soit un usage frauduleux de la licence gratuite de 30 jours. Elle ajoute, en ce qui concerne la contrefaçon de marques, démontrer l'usage des marques pour désigner ses services de formation à l'utilisation de ses logiciels et conteste que l'usage fait de ses marques par la société 3DIS le soit à titre de référence nécessaire. La société TOPSOLID fait enfin valoir que l'usage fait des marques par la défenderesse créée un risque de confusion, de même qu'il vise à tirer indûment profit de son savoir-faire.
8 - S'agissant de la contrefaçon de logiciel, la société 3D IS expose que la formation aux logiciels "Topsolid" n'est pas la plus demandée parmi son catalogue et fait ainsi valoir qu'elle délivre ses formations à ces logiciels au moyen d'une licence acquise licitement par ses clients, soit qu'il s'agisse de la licence gratuite de découverte mise à leur disposition sur le site internet de la demanderesse, laquelle comprend des fonctionnalités avancées, soit d'une licence payante. Elle conteste par conséquent toute utilisation sans droits des logiciels, laquelle n'est en tout état de cause selon elle pas démontrée. En ce qui concerne l'atteinte aux marques de la demanderesse, la société 3DIS soutient qu'aucune preuve de l'usage sérieux des marques pour les services de formation n'est ici apportée, tandis que l'usage qui est fait des marques ne l'est qu'aux fins de désigner la formation aux logiciels éponymes. La société 3DIS soutient enfin qu'aucun risque de confusion n'est établi, la clientèle, au vu du nombre de formations différentes proposées, ne pouvant imaginer qu'il existerait un lien entre elle-même et la société demanderesse.
Appréciation du juge des référés
a - Sur le trouble manifestement illicite tiré de la violation de droits d'auteur
9 - Selon l'article 835 premier alinéa du code de procédure civile, "Le président du tribunal judiciaire ou le juge des contentieux de la protection dans les limites de sa compétence peuvent toujours, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.", tandis qu'aux termes de l'article L.335-3 du code de la propriété intellectuelle constitue "un délit de contrefaçon toute reproduction, représentation ou diffusion, par quelque moyen que ce soit, d'une oeuvre de l'esprit en violation des droits de l'auteur, tels qu'ils sont définis et réglementés par la loi."
10 - La société TOPSOLID, qui ne verse pas aux débats les conditions d'utilisation de la licence gratuite de 30 jours qu'elle reconnaît mettre à la disposition du public et qui interdiraient l'usage aux fins de formation payante par une société tierce, ne démontre ici aucune reproduction de ses logiciels en violation de ses droits par la société 3D IS. Il doit donc être dit n'y avoir lieu à référé sur les demandes du chef de la contrefaçon de droits d'auteur portant sur le logiciel "Topsolid".
b - Sur la contrefaçon vraisemblable de marques
11 - Selon l'article L. 716-4-6 du code de la propriété intellectuelle, "Toute personne ayant qualité pour agir en contrefaçon peut saisir en référé la juridiction civile compétente afin de voir ordonner, au besoin sous astreinte, à l'encontre du prétendu contrefacteur ou des intermédiaires dont il utilise les services, toute mesure destinée à prévenir une atteinte imminente aux droits conférés par le titre ou à empêcher la poursuite d'actes argués de contrefaçon. (...) Saisie en référé ou sur requête, la juridiction ne peut ordonner les mesures demandées que si les éléments de preuve, raisonnablement accessibles au demandeur, rendent vraisemblable qu'il est porté atteinte à ses droits ou qu'une telle atteinte est imminente.La juridiction peut interdire la poursuite des actes argués de contrefaçon (...) Elle peut également accorder au demandeur une provision lorsque l'existence de son préjudice n'est pas sérieusement contestable. (...)"
12 - L'article L. 716-4-3 de ce même code précise qu' "Est irrecevable toute action en contrefaçon lorsque, sur requête du défendeur, le titulaire de la marque ne peut rapporter la preuve :
1o Que la marque a fait l'objet, pour les produits ou les services pour lesquels elle est enregistrée et qui sont invoqués à l'appui de la demande, d'un usage sérieux au cours des cinq années précédant la date à laquelle la demande en contrefaçon a été formée, dans les conditions prévues à l'article L. 714-5 ;
2o Ou qu'il existait de justes motifs pour son non-usage."
13 - Il résulte en outre de l'article L. 713-2 qu' "Est interdit, sauf autorisation du titulaire de la marque, l'usage dans la vie des affaires pour des produits ou des services :
1o D'un signe identique à la marque et utilisé pour des produits ou des services identiques à ceux pour lesquels la marque est enregistrée ;
2o D'un signe identique ou similaire à la marque et utilisé pour des produits ou des services identiques ou similaires à ceux pour lesquels la marque est enregistrée, s'il existe, dans l'esprit du public, un risque de confusion incluant le risque d'association du signe avec la marque."
14 - En revanche, l'article L. 713-6 prévoit que "I. - Une marque ne permet pas à son titulaire d'interdire à un tiers l'usage, dans la vie des affaires, conformément aux usages loyaux du commerce : (...) 3o De la marque pour désigner ou mentionner des produits ou des services comme étant ceux du titulaire de cette marque, en particulier lorsque cet usage est nécessaire pour indiquer la destination d'un produit ou d'un service, notamment en tant qu'accessoire ou pièce détachée."
15 - La société TOPSOLID établit ici l'usage qu'elle fait des marques pour désigner des services de formation (piéces no2, 10, 12 et 13), de sorte que ses demandes sont recevables au sens de l'article L. 716-4-3 du code de la propriété intellectuelle. Elle établit également l'usage que la société 3DIS fait des marques "TOPSOLID", sous la forme d'imitations de ces marques, pour désigner des formations concurrentes (pièce no5 - procès-verbal de constat sur le site internet de la société 3D IS). Ces usages des marques, sous la forme d'un cumul systématique de la marque verbale et de la marque semi-figurative (alors que l'usage sous la seule forme verbale de la marque apparaît suffisant pour désigner les logiciels de la demanderesse), excédent à l'évidence la simple "référence nécessaire" aux logiciels commercialisés par la demanderesse, à laquelle seule cette dernière ne pourrait s'opposer. Il sera donc fait droit à la demande d'interdiction selon les modalités précisées au dispositif de la présente décision et la société 3D IS sera condamnée au versement d'une provision d'un montant de 2.000 euros à valoir sur la réparation du préjudice subi par la société TOPSOLID, ainsi qu'à communiquer la pièce précisée au dispositif (articles L. 716-4-7 et L. 716-4-8 du code de la propriété intellectuelle). Il n'y aura pas lieu, en revanche, à référé sur la demande de publication de la présente décision.
c - Sur l'existence d'un trouble manifestement illicite tiré d'agissements déloyaux et parasitaires
16 - Force est de constater que la société TOPSOLID ne caractérise de ce chef aucun fait distinct de la contrefaçon de marques et ne peut solliciter, au mépris du principe de la liberté du commerce, qu'il soit fait défense à des tiers de commercialiser des formations à l'usage de ses logiciels. Il ne peut donc qu'être dit n'y avoir lieu à référé à ce titre.
17 - Partie perdante au sens de l'article 696 du code de procédure civile, la société 3D IS sera déboutée de sa demande de dommages-intérêts et condamnée aux dépens, ainsi qu'à payer à la société TOPSOLID la somme de 1.500 euros, par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS,
Statuant publiquement par mise à disposition au greffe, contradictoirement et en premier ressort,
Le juge des référés,
Fait défense à la société 3D INGENIERIE SYSTEMES de faire usage des marques no 4542099 et no 4542103 pour désigner des formations à l'usage des logiciels "TOPSOLID", dans des conditions excédant l'indication que les logiciels sont ceux de la société TOPSOLID (usage cumulé des marques verbale et semi-figurative) et ce, sous astreinte de 100 euros par infraction constatée courant à l'expiration d'un délai de 30 jours suivant la signtification de la présente ordonnance et pendant 180 jours ;
Se réserve la liquidation de l'astreinte ;
Condamne la société 3D INGENIERIE SYSTEMES à payer à la société TOPSOLID la somme de 2.000 euros à titre de provision à valoir sur les dommages-intérêts réparant les atteintes aux marques excédant la simple référence nécessaire ;
Enjoint à la société 3D INGENIERIE SYSTEMES de communiquer à la société TOPSOLID un état certifié par un expert comptable détaillant le chiffre d'affaires réalisé année par année au titre de l'exploitation des formations au logiciel TOPSOLID depuis le 3 mai 2019 ;
Dit n'y avoir lieu à référé sur le surplus des demandes ;
Condamne la société 3D INGENIERIE SYSTEME aux dépens et autorise Me Léopold Kruger à recouvrer directement ceux dont il aurait fait l'avance sans avoir reçu provision conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile ;
Condamne la société 3D INGENIERIE SYSTEME à payer à la société TOP SOLID la somme de 1.500 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
Rappelle que la présente décision est de plein droit assortie de l'exécution provisoire.
Fait à Paris le 31 mai 2022.
Le Greffier,Le Président,
Minas MAKRISNathalie SABOTIER