TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS
3ème chambre
3ème section
No RG 20/04393 -
No Portalis 352J-W-B7E-CSCUT
No MINUTE :
Assignation du :
02 Juin 2020
JUGEMENT
rendu le 24 Mai 2022
DEMANDERESSES
S.A. LA POSTE
[Adresse 7]
[Localité 5]
Association VIGIK
[Adresse 1]
[Localité 4]
représentées par Maître Catherine VERNERET de la SELAS DS AVOCATS, avocats au barreau de PARIS, vestiaire #T0007
DÉFENDEURS
Monsieur [Y] [O]
[Adresse 3]
[Localité 8]
représentée par Maître Esther LELLOUCHE, avocat au barreau de HAUTS-DE-SEINE, vestiaire #187
Monsieur [J] [E]
[Adresse 2]
[Localité 6]
défaillant
COMPOSITION DU TRIBUNAL
Nathalie SABOTIER, 1ère vice-présidente adjointe
Arthur COURILLON-HAVY, juge
Linda BOUDOUR, juge
assistés de Lorine MILLE, greffière,
DÉBATS
A l'audience du 03 Février 2022 tenue en audience publique devant Nathalie SABOTIER et Arthur COURILLON-HAVY, juges rapporteurs, qui, sans opposition des avocats, ont tenu seuls l'audience, et, après avoir entendu les conseils des parties, en ont rendu compte au Tribunal, conformément aux dispositions de l'article 805 du Code de Procédure Civile. Initialement le jugement devait être rendu par mise à disposition au greffe le 05 avril 2022, à cette date la décision a fait l'objet de plusieurs prorogations et avis a été donné aux avocats qu'elle serait rendue le 24 mai 2022.
JUGEMENT
Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe
Réputé contradictoire
En premier ressort
___________________________
Exposé du litige
1.La société La Poste et l'association à but non lucratif Vigik, la première étant titulaire de marques verbales française et de l'Union européenne « Vigik » utilisées notamment pour désigner un service d'accès sécurisé des professionnels dans les locaux d'habitation par cartes électroniques, la seconde s'étant quant à elle vu confier la gestion de ce système, reprochent à « la société en nom personnel [O] [Y] », en réalité M. [Y] [O], personne physique, d'utiliser depuis 2017 le signe Vigik pour vendre des badges d'accès, notamment sur un site internet badge-vigik.fr dont elles imputent par ailleurs la réservation à M. [J] [E], et ce en contrefaçon des marques. Elles invoquent en outre contre M. [O] une concurrence déloyale et une usurpation du nom de l'association. En défense, M. [Y] [O] estime la marque déchue pour être devenue usuelle (dégénérescence).
2.Les marques en cause, appartenant à la société La Poste, sont les 2 marques verbales « Vigik » suivantes :
- française no96638370, déposée le 12 aout 1996, et enregistrée en novembre 1997 pour désigner les produits et services suivants, en classes 6 ; 7 ; 9 ; 12 ; 16 ; 19 ; 28 ; 35 ; 37 ; 38 ; 39 ; 42 ; 43 ; 44 ; 45 :
« Métaux communs et leurs alliages; matériaux de construction métalliques; constructions transportables métalliques; câbles et fils métalliques non électriques; serrurerie et quincaillerie métallique; tuyaux métalliques; coffres-forts; alliages d'acier, fils d'acier, tubes et tuyaux d'acier, alliage argent-nickel, aluminium, fils d'aluminium, anneaux métalliques, anneaux métalliques pour clefs, fils d'antennes, soudure d'argent, alliage d'étain argenté, armatures de portes (métalliques), armatures métalliques pour béton, arrêts de portes (métalliques), pattes d'attaches de câbles ou de tubes métalliques, bagues métalliques, matériaux à bâtir métalliques, blindages, fermetures de boîtes métalliques, boîtes aux lettres (métalliques), boîtes en métaux communs, capsules de bouchage métalliques, boulons métalliques, bronze, butoirs, serres-câbles métalliques, câbles métalliques non électriques, cadenas, cadres de portes, cassettes de sûreté, chaînes de sûreté, châssis de fenêtres (métalliques), châssis de portes, clefs, anneaux métalliques pour clefs, cloisons métalliques, fil de fer, ferme-porte (non électriques), fils à lier métalliques, fils en alliages de métaux communs (à l'exception des fusibles), fils métalliques, plombs de garantie, loquets métalliques, serrures pour véhicules (métalliques), verrous.Appareils et instruments technologiques à savoir appareils scientifiques, électroniques, photographiques, cinématographiques, optiques, de pesage, de mesurage, de signalisation, de contrôle, de secours (inspection) et d'enseignement; appareils pour l'enregistrement, la transmission, la reproduction du son, de l'image ou des données; supports multi-médias; caméras vidéo, écrans de visualisation d'images vidéo, récepteurs radiographiques, récepteurs de télévision, antennes, magnétoscopes, lecteurs de vidéo-disques, magnétophones, amplificateurs, platines y compris pour cassettes, disques, vidéo-disques et disques compacts; supports d'enregistrements vierges et enregistrés pour la reproduction sonore, visuelles et audio-visuelle y compris magnétiques; disques numériques, cassettes acoustiques et cassettes vidéo; instruments d'alarme, appareils pour l'analyse non à usage médical, batteries électriques, bobines électriques, boîtes à clapets (électricité), boîtes de branchement (électricité), boîtes de jonction (électricité), câbles électriques, cartes magnétiques, cartes magnétiques d'identification, circuits imprimés, circuits intégrés, clignotants (signaux lumineux), lecteurs de codes à barres, installations électriques pour la commande à distance d'opérations industrielles, commutateurs, appareils électriques de commutation, connecteurs, boîtes de connexion, connexions, contacts électriques, appareils électriques de contrôle, appareils de contrôle de l'affranchissement,coupe-circuit, détecteurs, supports de données magnétiques, supports de données optiques, encodeurs magnétiques, ferme-portes électriques, fibres optiques (fils conducteurs de rayons lumineux), appareils d'intercommunication, interfaces (informatique), lecteurs (informatique), puces (circuits intégrés), appareils électriques de surveillance, machines de calcul, bandes et disques magnétiques enregistré ou non, machines parlantes, lecteurs magnétiques de cassettes, vidéo-disques, claviers d'ordinateur, circuits, cartes, sous-ensembles électroniques, alimentations, codeurs, décodeurs, modulateurs, démodulateurs, organe d'accès, de contrôle et de préservation, organe de pointage tels que souris et crayons optiques; tableaux de commandes, commutateurs, comparateurs, tableaux de connexion, pupitres, écrans, appareils pour l'enregistrement du temps, enregistreurs de données et d'images; appareils d'enseignement; machines à prépaiement; panneaux de signalisation lumineux ou mécaniques; instruments de tests et de mesure; ordinateurs, mémoires pour ordinateurs, programmes d'ordinateurs enregistrés dont logiciels, progiciels, ludiciels, didacticiels; systèmes experts; appareils de projection; appareils de radio; appareils électrodynamiques pour la commande à distance des signaux; photocopieurs, télécopieurs, distributeurs automatiques, indicateurs électriques; appareils de téléguidage; scanneurs, tables à digitaliser, imprimantes, lecteurs pour cartes accréditives et analogues; appareils et équipements pour le traitement de l'information, dont entre autres micro-ordinateurs, terminaux, mini-ordinateurs,mini-processeurs, lecteurs de disquettes, lecteurs de bandes; appareils pour le traitement de texte et de l'image; appareils de télématique et de bureautique. Véhicules, appareils de locomotion par terre, par air, sur eau et sur rail, appareils, machines et dispositifs pour l'aéronautique, antivols pour véhicules, véhicules électriques, véhicules militaires, véhicules nautiques.Papeterie, manuels, affiches, porte-affiches, en papier ou en carton, classeurs, albums, calendriers, carnets; cartes pour la commande, l'utilisation et le contrôle de machines électroniques à savoir d'ordinateurs; cartons, catalogues, décalcomanies, fournitures pour le dessin, instruments pour le dessin, dessins, diagrammes, dossiers; machines à écrire, tablettes à écrire, écriteaux en papier ou en carton, fiches dont notamment fiches pour saisie, pour tests; représentations graphiques, gravures, images, impressions; produits de l'imprimerie, livres, journaux et périodiques, revues, catalogues, répertoires, annuaires, guides, manuels et notices; papier à lettres, jeux de cartes, livres, livrets, papier, photographies; supports pour photographies; photogravures, plans, prospectus, publications, répertoires; appareils de reproduction; documents contenant des programmes d'ordinateurs de logiciels et progiciels; manuels et notices pour l'instruction et la formation; plans, patrons et gabarits; tableaux noirs, tableaux pour écrire; matériel d'instruction et d'enseignement (à l'exception des appareils); matériels de bureau; tableaux d'affichage; tickets. Matériaux de construction non métalliques, tuyaux rigides non métalliques pour la construction; constructions transportables non métalliques; armatures de portes (non métalliques), armatures pour la construction (non métalliques), châssis de fenêtres (non métalliques), châssis de portes (non métalliques), cloisons non métalliques, moules pour la fonderie non métalliques, poteaux de lignes électriques (non métalliques), revêtements (construction) non métalliques.Publicité et affaires; services rendus par l'aide et l'assistance dans l'exploitation et la direction des entreprises, conseils en mercatique, études de marché, communications de déclarations et d'annonces par tous les moyens de diffusion; services de centralisation comptable et de répartition, tenue de statistiques; services comportant l'enregistrement, la transcription, la composition, la compilation, la transmission ou la systématisation de communications écrites et d'enregistrements de même que l'exploitation ou la compilation de données mathématiques ou statistiques; création, modification, adaptation, suivi de logiciels, progiciels, didacticiels, ludiciels, systèmes expert; location de machines et d'installations de bureaux ainsi que de programmes et logiciels; audits et contrôles, organisation, relations publiques; diffusion de matériel de publicités (tracts, prospectus, imprimés); transcription de communications; documentations publicitaires, agences d'informations commerciales, publication de textes publicitaires, diffusion d'annonces publicitaires, reproduction de documents, gestion de fichiers informatiques et de documents, compilation et archivage de données.Construction; réparation; services d'installation; installation et réparation d'appareils électriques, informations en matière de construction, informations en matières de réparations. Services de télécommunication; diffusion de programmes ou de retransmission par radio ou télévision, en direct ou après enregistrement; communication et transmission de dépêches, messages, documents, informations, voix, données, images, par téléphone, télégraphes, radio, informatique, serveurs télématiques avec accès à un serveur de banques et de bases de données et pour le fonctionnement de réseaux; messageries électroniques; services télématiques accessibles par codes; informations en communication, en télécommunication; communication par terminaux d'ordinateurs; transmission d'images assistée par ordinateur. Distribution du courrier, entreposage, informations en matière d'entreposage, services d'expédition, livraison de colis, conditionnement de produits, dépôts de marchandises, emballages de produits, services d'expédition, informations en matière de transport, distribution de journaux, livraison de marchandises, messagerie (courrier ou marchandises).Travaux de bureaux d'études, de techniciens; services de recherches scientifiques, industrielle et informatique; exploitation de brevets, conception, création et réalisation de programmes informatiques, de méthodes, logiciels et progiciels, bases et banques de données, programmation d'ordinateurs; location de temps d'accès à un centre serveur de bases de données, services d'échanges de correspondance; services de recherche et développement; informations de caractère scientifique, économique, juridique et comptable; conseils en propriété intellectuelle; consultations professionnelles; consultations en matière de sécurité; services d'études de projets concernant l'établissement de normes et de procédures pour la mise en uvre de procédures et d'ensembles de contrôle de qualité, de fiabilité et de sécurité dans le domaine informatique et de l'échange de données et d'informations; services de consultations scientifiques et technologiques; établissement de plans pour la construction; concession de licences de propriété intellectuelle; restauration (alimentation); hébergement temporaire, agence de logement (hôtels, pensions), agences de surveillance nocturne, cafés-restaurants, cafétérias, exploitation de terrain de camping, cantines, cliniques, services hôteliers, restaurants libre-service, restaurants à service rapide et permanents (snack-bars), salons de beauté,salons de coiffure, reportages notamment des moyens audio-visuels, photographiques et cinématographiques; programmation de programmes informatiques gérant de l'image, du son ou des données; ouverture de serrures ; »
- de l'Union européenne no000331173, déposée le 13 aout 1996 et enregistrée le 22 juillet 2002 pour désigner les produits et services suivants, en classes 6 ; 9 ; 12 ; 16 ; 19 ; 35 ; 37 ; 38 ; 39 ; 42 :
« 6 Métaux communs et leurs alliages, matériaux de construction métalliques; constructions transportables métalliques, câbles et fils non électriques en métaux communs; serrurerie et quincaillerie métalliques; tuyaux métalliques; coffres-forts; produits métalliques non compris dans d'autres classes; alliages d'acier, tubes en acier, alliage argent-nickel, aluminium, fils en aluminium, anneaux métalliques pour clés, fils pour antennes, soudure d'argent, alliage d'étain argenté, châssis de portes métalliques, armatures métalliques pour béton, arrêts de portes métalliques, pattes d'attache de câbles ou de tubes métalliques, bagues métalliques, matériaux de construction métalliques, blindages, fermetures de boîtes métalliques, boîtes aux lettres métalliques, boîtiers métalliques pour câbles, câbles métalliques non électriques, cadenas, châssis de portes, cassettes de sûreté, chaînes de sûreté métalliques, châssis de fenêtres métalliques, châssis de portes, clés, cloisons métalliques, fil de fer, ferme-porte non électriques, fils à lier métalliques, fils en alliages de métaux communs (à l'exception des fusibles), fils métalliques, plombs de garantie, loquets métalliques, serrures métalliques pour véhicules, verrous.
9 Programmes informatiques enregistrés, y compris logiciels, progiciels, logiciels de jeux, logiciels éducatifs.
12 Véhicules; appareils de locomotion par terre, air, eau ou rail, appareils, machines et dispositifs pour l'aéronautique, antivols pour véhicules, véhicules électriques, véhicules militaires, véhicules marins.
16 Papeterie; manuels, affiches, porte-affiches en papier ou en carton, dossiers, albums, calendriers, carnets; cartes pour l'exploitation, l'utilisation et le contrôle de machines électroniques, notamment ordinateurs; carton, catalogues, décalcomanies, fournitures pour le dessin, instruments de dessin, dessins, diagrammes, dossiers de documents; machines à écrire, sous-main, écriteaux en papier ou en carton, fiches, y compris fiches de collection et de test; représentations graphiques, gravures, images, imprimés; produits de l'imprimerie, livres, journaux et périodiques, magazines, catalogues, index, répertoires, guides, manuels et notices; papier à lettres, cartes à jouer, livres, dépliants, papier, photographies; supports pour photographies, photogravures, plans; prospectus, publications, répertoires; appareils de reproduction; magazines et journaux périodiques, catalogues, index, répertoires, guides, instructions d'utilisation et manuels de formation; plans, modèles et stencils, tableaux noirs, sous-main; matériel d'instruction ou d'enseignement (à l'exception des appareils); articles de bureau; tableaux d'affichage; tickets.
19 Matériaux de construction non métalliques; tuyaux rigides non métalliques pour la construction; constructions transportables non métalliques; châssis de portes non métalliques, armatures pour la construction non métalliques, châssis de fenêtres non métalliques, cloisons non métalliques, moules pour la fonderie non métalliques, poteaux non métalliques pour lignes électriques, revêtements de construction non métalliques.
35 Publicité et affaires, tous les services ayant trait au traitement de données et à l'automatisation des fonctions de bureau; services d'aide à la direction des affaires, conseils en marketing, études de marchés, communication d'annonces et publicité par tous les moyens de diffusion; services de centralisation et distribution de la comptabilité, compilation de statistiques; services consistant en l'enregistrement, la transcription, la composition, la compilation, la transmission ou la systématisation de communications et d'enregistrements écrits ainsi qu'en l'utilisation ou la compilation de données mathématiques ou statistiques; création, modification, adaptation, suivi de logiciels, progiciels, logiciels éducatifs, logiciels de jeux, systèmes spécialisés; location de machines et infrastructures de bureau ainsi que de programmes et logiciels; audits et contrôles, organisation, relations publiques; publicité par mailing direct; transcription de communications; matériel publicitaire, agences d'informations commerciales, publication de textes publicitaires, diffusion d'annonces publicitaires, reproduction de documents, gestion de fichiers et documents informatisés, compilation et archivage de données.
37 Construction; réparation; installation et réparation d'appareils électriques, informations en matière de construction, informations en matière de réparation.
38 Services permettant à au moins une personne de communiquer avec un autre par un moyen sensoriel; diffusion de programmes ou retransmission par radio ou télévision, en direct ou non; communication et expédition de dépêches, messages, documents, informations, messages vocaux, données, images, par téléphone, télégramme, radio ou ordinateur; services de transmission de données avec accès à une base de données informatiques et pour l'exploitation de réseaux; courrier électronique; services de transmission de données accessibles par code, informations sur les communications et télécommunications; communication par terminaux d'ordinateurs; transmission d'images assistée par ordinateur.
39 Distribution du courrier, entreposage, informations en matière d'entreposage, services de transit, distribution de colis, conditionnement de produits, stockage de marchandises, informations en matière de transport, distribution de journaux, distribution de marchandises, messagerie [courrier ou marchandises].
42 Services fournis par des personnes, individuellement ou collectivement, en tant que membres d'une organisation ou à titre personnel; recherche, ingénierie; recherche scientifique, industrielle et en matière de traitement des données; exploitation de brevets, conception et création de programmes informatiques, méthodes, logiciels et progiciels, bases de données, programmation informatique; location de temps d'accès à une base de données informatique, services d'échange de correspondance; services d'achat; recherche et développement; informations scientifiques, économiques, juridiques, financières et comptables; conseils en propriété intellectuelle, conseils professionnels; conseils en matière de sécurité; études de projets concernant l'établissement de normes et procédures pour la mise en oeuvre de systèmes de contrôle de la qualité, fiabilité et sécurité dans le domaine des ordinateurs et de l'échange de données; conseils scientifiques et technologiques; établissement de plans pour la construction; concession de licences de propriété intellectuelle; services personnels fournis par des particuliers et des établissements destinés à rencontrer les besoins des individus, restauration (alimentation); hébergement temporaire, agences de logement [hôtels, pensions], agences de surveillance nocturne, cafés, cafétérias, exploitation de terrains de camping, cliniques, hôtels, restaurants libre-service, restaurants à service rapide et permanent [snack-bars], salons de beauté, salons de coiffure; reportages, notamment audiovisuels, photographiques et cinématographiques; multimédia; ouverture de serrures. »
3.Après une mise en demeure du 5 octobre 2017 suivie d'une fermeture seulement temporaire du site internet litigieux, puis deux autres mises en demeure infructueuses les 6 février 2019 et 12 septembre 2019, la société La Poste et l'association Vigik ont assigné la société [O] [Y] et M. [E] en contrefaçon et concurrence déloyale le 2 juin 2020.
4.Dans leurs dernières conclusions signifiées par voie électronique le 23 septembre 2021, la société La Poste et l'association Vigik demandent de
?interdire à la société [O] [Y] et M. [J] [E] de « poursuivre leurs agissements » et, en particulier,
?ordonner à M. [E] de transférer le nom de domaine badge-vigik.fr au profit de la société La Poste,
?ordonner à la société [O] [Y] de modifier son nom commercial et son enseigne,
?condamner la société [O] [Y] à payer
?35 000 euros de dommages et intérêts à la société La Poste pour les actes de contrefaçon de marques
?25 000 euros de dommages et intérêts à l'association Vigik pour les actes de concurrence déloyale et parasitaire
?15 000 euros à l'association Vigik pour usurpation de nom
?condamner M. [E] à payer
?5 000 euros de dommages et intérêts à la société La Poste pour contrefaçon de marque,
?2 000 euros à l'association Vigik pour concurrence déloyale et parasitaire
?ordonner la publication du jugement,
?et condamner les deux défendeurs in solidum à leur payer 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, et les condamner aux dépens.
5.Sur la contrefaçon, elles soutiennent que la réservation du nom de domaine, qu'elles disent effectuée par M. [J] [E], est fautive dès lors que le site qui y est lié est exploité pour vendre des badges d'immeubles, produits identiques selon elles aux « supports de données magnétiques, supports de données optiques, encodeurs magnétiques, ferme-portes électriques » pour lesquels les marques seraient enregistrées ; que le signe Vigik est utilisé à de nombreuses reprises sur le site internet badge-vigik.fr pour vendre des badges d'autres marques, ainsi que dans un document commercial et sur une application pour téléphone mobile ; que le fait que le site litigieux apparaisse dans les résultats d'une recherche « badge vigik » sur Google est encore un acte de contrefaçon. La société La Poste invoque un manque à gagner du fait de l'absence de redevance, une banalisation, un avilissement et une dépréciation des marques, et d'importants bénéfices réalisées par la défenderesse qui aurait plusieurs salariés et a pu lancer une application mobile.
6.Elles contestent toute dégénérescence de leurs marques, faisant valoir les actions de la société La Poste contre les utilisations de sa marque, et l'existence de licences accordées à des fabricants et aux autres vendeurs comme les sociétés Cdiscount et Amazon.
7.Elles estiment par ailleurs que la réservation et l'exploitation du nom de domaine badge-vigik.com génère un risque de confusion avec le nom de domaine de l'association, vigik.com, et constitue à ce titre une concurrence déloyale dont il s'infère nécessaire un préjudice pour celle-ci, outre un préjudice moral tiré de l'atteinte à sa réputation ; et que l'usage des termes « badge vigik » à titre de nom commercial et d'enseigne caractérise par ailleurs une usurpation du nom de l'association, créant un risque de confusion en laissant croire une création à l'initiative de celle-ci ou du moins un lien commercial avec elle, ce qui aurait terni son image en faisant croire que la défenderesse était habilitée à certifier des badges.
8.Dans ses dernières conclusions signifiées par voie électronique le 8 septembre 2021, M. [Y] [O] résiste à l'ensemble des demandes et réclame lui-même 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
9.Il soutient que la marque est devenue la désignation usuelle des badges permettant d'ouvrir les portes d'immeuble, sans que la société La Poste n'y réponde par des mesures suffisamment importantes, selon lui ; il conteste également tout risque de confusion car son site internet précise qui en est responsable, et car l'association Vigik ne vend pas elle-même de badges d'accès, parmi lesquels, au demeurant, seuls les passes universels destinés aux facteurs relèveraient réellement du système Vigik.
10.Il conteste la concurrence déloyale et l'usurpation dès lors que, son site mentionnant expressément n'être pas lié à l'association Vigik, aucun risque de confusion ne pourrait exister ; et conteste l'ampleur du préjudice allégué, faisant valoir que l'association Vigik ne vend rien et n'a donc pu subir aucun préjudice économique, et que lui-même ne perçoit que très peu de revenus et ne maintient l'activité que pour éviter de licencier son unique salarié.
11.M. [J] [E] a été assigné au [Adresse 2], où l'huissier a constaté qu'il n'habitait pas, sans pour autant être en mesure, malgré plusieurs diligences, de trouver sa nouvelle adresse. Il a ainsi été assigné par procès-verbal de vaines recherches (article 659 du code de procédure civile), et si le présent jugement est réputé contradictoire, c'est uniquement parce qu'il est susceptible d'appel.
12.L'instruction a été close le 24 septembre 2021, l'affaire plaidée le 3 février 2022, et le jugement mis en délibéré.
MOTIFS
13.Les parties désignent le premier défendeur comme « la société [O] [Y] » ; il s'agit toutefois d'une erreur matérielle de leur part : aucune société de ce nom n'existe, et le numéro d'inscription au RCS visé par les demanderesses dans leur assignation et leurs conclusions (422 465 492) correspond à M. [Y] [O], entrepreneur individuel (personne physique), et non à une société. Là où les parties écrivent « la société [O] [Y] », il convient donc de lire « M. [O] [Y] ».
1) Demandes dirigées contre M. [J] [E]
14.Les demanderesses fondent leurs demandes contre M. [E] sur la réservation qu'il aurait effectuée du nom de domaine badge-vigik.fr ; elles produisent pour le prouver une impression du site internet de l'Afnic montrant le registre Whois pour ce nom de domaine (leur pièce no7) . Mais sur cette pièce n'apparait pas le nom de M. [E] ; il est au contraire indiqué une mention de confidentialité. Par conséquent, à défaut de preuve des faits allégués, les demandes dirigées contre M. [E] sont rejetées.
2) Demandes en contrefaçon des marques Vigik
a. atteinte au droit conféré par la marque (contrefaçon)
15.Les droits sur les marques françaises et de l'Union européenne sont prévus dans des termes en substance identiques par la directive 2015/2436 et le règlement 2017/1001, respectivement à leur article 10 et 9, ce dernier étant rédigé en ces termes :
« 1. L'enregistrement d'une marque confère à son titulaire un droit exclusif sur celle-ci.
2. Sans préjudice des droits des titulaires acquis avant la date de dépôt ou la date de priorité de la marque enregistrée, le titulaire de ladite marque enregistrée est habilité à interdire à tout tiers, en l'absence de son consentement, de faire usage dans la vie des affaires, pour des produits ou des services, d'un signe lorsque :
a) ce signe est identique à la marque de l'Union européenne et est utilisé pour des produits ou des services identiques à ceux pour lesquels la marque de l'Union européenne est enregistrée ;
b) le signe est identique ou similaire à la marque et est utilisé pour des produits ou des services identiques ou similaires aux produits ou services pour lesquels la marque est enregistrée, s'il existe, dans l'esprit du public, un risque de confusion ; le risque de confusion comprend le risque d'association entre le signe et la marque »
16.L'atteinte au droit exclusif conféré par la marque, codifié en droit interne à l'article L. 713-2 du code de la propriété intellectuelle, est qualifiée de contrefaçon, engageant la responsabilité civile de son auteur, par l'article L. 716-4 (dans le cas des marques françaises) et par l'article L. 717-1 (dans le cas des marques de l'Union européenne).
17.Le défendeur oppose le caractère générique acquis de la marque, qu'il faut analyser au regard des produits ou services en cause, ce qui requiert donc préalablement d'identifier quels sont ces produits et services, c'est-à-dire ceux que le demandeur oppose au défendeur.
Produits et services en cause
18.Les faits reprochés aux défendeurs concernent l'usage du signe « Vigik » pour vendre des badges ou cartes électroniques, permettant par un moyen informatique (numérique) d'ouvrir les portes d'accès des immeubles collectifs d'habitation, compatibles avec le système de contrôle d'accès du même nom développé par La Poste.
19.Contre cet usage, les demanderesses invoquent des produits (supports de données magnétiques, supports de données optiques, encodeurs magnétiques, ferme-portes électriques) qui, outre qu'ils ne figurent pas à l'enregistrement de la marque de l'Union européenne, ne sont pas similaires aux objets vendus par M. [O] : ceux-ci s'analysent en des outils d'identification ; ils supportent certes des données à cette fin, mais il s'agit d'une caractéristique extrêmement vague (un livre est également un support de données), qui n'est donc pas discriminante, et en toute hypothèse ils contiennent ces données de façon électronique, et non magnétique, ni optique ; elles n'ont encore aucun rapport avec des encodeurs magnétiques ; ni avec des ferme-portes, qui sont des outils fixés sur les portes pour les fermer automatiquement.
20.Pour autant le défendeur ne conteste pas que les marques soient enregistrées pour désigner des produits ou services similaires aux produits qu'il vend. Les parties ont donc implicitement mais nécessairement estimé que dans la (très longue) liste des objets pour lesquels au moins une des deux marques est enregistrée, s'en trouve un qui soit au moins similaire aux badges ou cartes électroniques d'ouverture de porte, bien que les demanderesses n'aient pas jugé utile de l'expliciter.
21.Le plus susceptible de répondre à cette condition est l'« organe d'accès, de contrôle et de préservation », visé à l'enregistrement de la marque française (mais pas de la marque de l'Union européenne). En elle-même et de par la catégorie de produits dans laquelle elle se trouve, cette notion renvoie à l'informatique, domaine auquel peuvent indirectement appartenir également les badge d'accès numériques. Si un organe est par définition une partie d'un tout, il peut éventuellement en être détaché (ainsi, dans la liste des produits de la marque française, suivent des « organes de pointages tels que souris ou crayons optiques », qui peuvent être détachés de l'ordinateur qu'ils contrôlent) ; dès lors, en ce qu'il fait partie du dispositif qui doit le reconnaitre pour ouvrir la porte, le badge d'accès peut, éventuellement, être qualifié « d'organe ». Il s'agit alors bien d'un « organe d'accès ».
22.Il ne s'agit toutefois pas directement d'un organe de contrôle car il n'envoie qu'un signal d'identification et c'est la centrale informatique fixe dans le bâtiment qui contrôle l'ouverture de la porte après vérification du badge ; et il ne s'agit pas d'un organe de préservation dans la mesure où en lui-même il n'assure pas la préservation du dispositif dont il fait partie. Ces notions de contrôle et de préservation sont certes proches des objectifs du badge d'accès, qui indirectement, du point de vue de l'utilisateur, contrôle l'ouverture de la porte, et, d'un point de vue général, contribue à « préserver » l'intégrité des locaux contre les intrusions ; de sorte que, envisagés de cette manière, les badges d'accès tels que ceux vendus par M. [O] peuvent être considérés comme similaires aux organes d'accès, de contrôle et de préservation pour lesquels la marque française est enregistrée.
23.Il faut donc considérer, pour la suite de la démonstration, que les produits invoqués par la demanderesse sont, implicitement mais nécessairement, les organes d'accès, de contrôle et de préservation ; et que seule la marque française est réellement invoquée. C'est ainsi dans ce seul cadre qu'il convient d'examiner le moyen de dégénérescence.
24.Ce dont il résulte également que les demandes fondées sur la marque de l'Union européenne sont rejetées.
Marque devenue générique (dégénérescence)
25.L'article 20 de la directive 2015/2436 du 16 décembre 2015 rapprochant les législations des États membres sur les marques, applicable à raison de la date du présent jugement, régit la déchéance des marques devenues génériques en ces termes :
« Le titulaire d'une marque peut être déchu de ses droits lorsque, après la date de son enregistrement, la marque :
a) est devenue, par le fait de l'activité ou de l'inactivité de son titulaire, la désignation usuelle dans le commerce d'un produit ou d'un service pour lequel elle est enregistrée »
Ces dispositions ont été transposées en droit interne par l'article L. 714-6, du code de la propriété intellectuelle, dans sa rédaction actuellement applicable.
26.En l'espèce, M. [O] n'invoque, pour justifier du caractère générique de la marque, que les résultats des recherches « vigik », « copie badge immeuble » et « badge vigik » sur Google (respectivement ses pièces no7 et no3).
27.La première recherche montre que les 2 premiers résultats sont le site officiel de l'association, le 3e est la page Wikipédia sur le sujet, le 5e est le propre site du défendeur, ce qui n'indique aucun usage générique. Les résultats de cette recherche incluent ensuite 2 articles de presse sur le « badge » ou le « système » Vigik, dont le contenu est inconnu et dont aucune conséquence ne peut être tirée car désigner un produit d'une marque déterminée dans un objectif d'information du public n'est pas nécessairement un usage générique de la marque. Ces résultats incluent certes le site d'Amazon (« Vigik - Amazon.fr ») et le site de Cdiscount (« Badge vigik - Achat / Vente pas cher - Cdiscount.com »), à qui, contrairement à ce qu'elles affirment, les demanderesses ne justifient pas avoir concédé une licence, leur pièce no20 supposée le démontrer ne contenant que des licences destinées à une société Cogélec, qui fabrique des badges d'accès compatibles avec le système Vigik ; elles ne démontrent pas davantage que les produits vendus sur ces sites ont été fabriqués par des licenciés. Ces deux seuls cas sont toutefois loin de suffire à démontrer que le terme vigik serait devenu la dénomination usuelle des badges d'accès. Au contraire, il ressort plus certainement des autres résultats, parmi lesquels se trouvent de nombreux sites relatifs à l'installation d'un « système VIGIK » (en majuscules), ou de « lecteurs Vigik » (avec une majuscule) que ce mot est employé comme un nom propre, parfois d'ailleurs suivi du signe « (r) », et dans la plupart des cas pour désigner non pas les badges d'accès en général mais un système et plus précisément le système par lequel « le facteur » accède à l'immeuble (ainsi du résultat « Intratone : Système VIGIK - emetteur.fr ».
28.Les 2e et 3e recherches (« copie badge immeuble » et « badge vigik ») montrent certes que le terme « vigik » est souvent associé à « badge d'immeuble » même lorsqu'il n'est pas demandé dans la recherche. Il en résulte assurément que cette marque fait l'objet d'un usage important. Mais l'ampleur d'un usage ne révèle pas à elle seule son caractère générique : encore faut-il démontrer que cet usage se rapporte à des produits qui ne sont pas fabriqués sous le contrôle du titulaire de la marque. Ici, au contraire, la plupart des résultats se réfèrent à la « copie » de « badges vigik », ce qui fait référence à des badges originaux, dont rien n'indique qu'ils ne soient pas vendus à l'origine par un fabricant autorisé, que l'on se propose de dupliquer. Surtout, qu'il s'agisse d'usages légitimes, de contrefaçons ou de formes de parasitisme, tous désignent les produits concernés comme des badges « vigik », et jamais comme des « vigik » tout court.
29.Il n'est donc pas démontré que la marque Vigik soit devenue la désignation usuelle dans le commerce des organes d'accès, de contrôle et de préservation, ni même plus précisément des badges ou cartes d'accès électroniques tels que ceux vendus par M. [O].
Autres moyens de déchéance
30.Le défendeur n'a pas soulevé d'autres moyens de déchéance, tels que le défaut d'usage sérieux de la marque pour les produits et services susceptibles de lui être opposés.
Appréciation du risque de confusion
31.Il est constant que M. [O] utilise sur son site internet badge-vigik.fr le signe Vigik, identique à la marque, pour vendre des badges ou cartes d'accès électroniques. Il est également démontré qu'il a employé, faisant référence à son site internet, un document commercial faisant la promotion de ses « cartes pass Vigik » destinées aux professionnels, sous la forme d'un abonnement mensuel, avec « SAV » (pièce demandeurs no18), et a développé une application pour téléphone mobile, dénommée « Scan badge - copie badge vigik » renvoyant également à son site internet, qui a pour but de permettre aux particuliers d'obtenir une copie de leur badge d'accès, et dont la description mentionne notamment « votre badge d'immeuble vigik ».
32.Il s'agit donc d'un usage dans la vie des affaires, pour désigner des badges et cartes d'accès ainsi que des services associés à la vente de ces produits (identification du badge à créer, dans le cas de l'application mobile, et service continu permettant le fonctionnement de la carte, dans le cas du document commercial). Il a été démontré ci-dessus (points 19 à 22) que ces produits étaient similaires aux organes d'accès, de contrôle et de préservation visés à l'enregistrement de la marque. Les services associés à cette vente ou à l'usage de ces produits y sont également similaires. Le degré de similitude est moyen, au regard du caractère seulement indirect du contrôle et de la préservation apportés par les produits litigieux (cf point 22).
33.Par ailleurs, il n'est pas allégué par le défendeur qu'il utiliserait le signe uniquement pour désigner des services comme étant ceux du titulaire de la marque au sens de l'article 14 de la directive 2015/2436, par exemple à titre de « référence nécessaire ».
34.Compte tenu de l'identité du signe avec la marque, et de la similitude moyenne entre les produits et services en cause, la marque étant en outre fortement distinctive pour désigner ces produits, les usages litigieux créent un risque de confusion dans l'esprit du public, même d'attention élevé comme peuvent l'être les professionnels ; ce qui porte atteinte à la fonction essentielle de la marque et, donc, au droit exclusif du titulaire de celle-ci.
35.Enfin, le fait qu'une mention du site internet indique que celui-ci est sans lien avec l'association Vigik n'est pas de nature à écarter le risque de confusion, dès lors que cette mention concerne le site lui-même et non les produits désignés sous le signe Vigik, dont l'usage reste susceptible de laisser croire au public que les produits qu'il désigne ont pour origine le titulaire de la marque ou une personne autorisée (voir, par analogie, CJUE, 12 novembre 2002, Arsenal, C-206/01, points 57, 58).
36.La contrefaçon est donc caractérisée.
b. réparation
37.En application de l'article L. 716-4-10, pour fixer les dommages et intérêts, la juridiction prend en considération distinctement :
1o Les conséquences économiques négatives de la contrefaçon, dont le manque à gagner et la perte subis par la partie lésée ;
2o Le préjudice moral causé à cette dernière ;
3o Et les bénéfices réalisés par le contrefacteur, y compris les économies d'investissements intellectuels, matériels et promotionnels que celui-ci a retirées de la contrefaçon.
38.Toutefois (2nd alinéa de l'article L. 716-4-10), la juridiction peut, à titre d'alternative et sur demande de la partie lésée, allouer à titre de dommages et intérêts une somme forfaitaire. Cette somme est supérieure au montant des redevances ou droits qui auraient été dus si le contrefacteur avait demandé l'autorisation d'utiliser le droit auquel il a porté atteinte. Elle n'est pas exclusive de l'indemnisation du préjudice moral causé à la partie lésée.
39.La société La Poste allègue un préjudice économique correspondant aux redevances qu'elle n'a pas pu percevoir, mais ne donne aucun élément pour en justifier : elle n'a par exemple jamais proposé à M. [O] de rejoindre un programme de licence, les seules licences communiquées concernent des fabricants de badges et non des intermédiaires comme M. [O], de sorte qu'il n'est en réalité pas démontré que La Poste eût consenti au principe même d'une licence à celui-ci. Aucun préjudice n'est donc subi à ce titre.
40.En revanche, l'usage illicite de la marque contribue nécessairement à la dévaloriser en affaiblissant son pouvoir distinctif. Pour le surplus il n'est pas démontré que l'usage en cause ait été avilissant : il concerne les mêmes objets, et rien n'indique qu'il soit associé à une activité illégale.
41.Pour justifier la faiblesse de son bénéfice, M. [O] communique un tableau (sa pièce no4) selon lequel il n'aurait réalisé du 1er septembre 2017 au 31 décembre 2020 que 159 000 euros de ventes, et 93 000 euros de bénéfices bruts, dont il faudrait déduire le cout de son salarié. Néanmoins, il faut également tenir compte de ce que l'intégralité de son activité est réalisée en contrefaçon de la marque Vigik. Il ne s'en déduit certes pas que c'est la contrefaçon qui lui a permis de réaliser l'ensemble de son bénéfice, car celui-ci résulte également d'un travail et d'investissements personnels ; mais la contrefaçon lui a permis d'attirer une clientèle supplémentaire et d'augmenter ses ventes ; il peut ainsi être estimé que sur l'ensemble de ses gains, 15 000 euros sont dus à la contrefaçon ; ce qui permet d'estimer l'ampleur de l'atteinte faite à la valeur de la marque.
42.De ces éléments, il résulte que le préjudice subi par la société La Poste est de 20 000 euros.
43.Pour mettre fin au préjudice, il est nécessaire d'interdire sous astreinte au défendeur de poursuivre ses actes de contrefaçon, et donc d'utiliser le signe Vigik dans la vie des affaires pour désigner des badges et cartes électroniques d'ouverture de porte. Cette interdiction implique celle d'utiliser le nom de domaine badge-vigik.fr pour vendre ces produits (y-compris par une redirection vers un autre nom de domaine où ces produits seraient vendus). Une demande spécifique au nom de domaine est également présentée par l'association, et est examinée ci-dessous.
44.Ces mesures permettent la réparation intégrale du préjudice, au regard des circonstances de l'espèce ; il n'est donc pas justifié d'ordonner en outre une publication.
3) Demandes fondées sur la concurrence déloyale et l'usurpation de nom
45.L'association Vigik recherche la réparation de son préjudice causé, d'une part, par l'usage du site internet sous le nom de domaine badge-vigik.fr qu'elle qualifie de concurrence déloyale au regard de son propre nom de domaine vigik.com et d'autre part, en raison de l'usage du nom commercial et de l'enseigne « badge vigik », qu'elle qualifie d'usurpation de son nom. Dans les deux cas, il s'agit de la responsabilité de droit commun, prévue par l'article 1240 du code civil aux termes duquel tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé, à le réparer.
46.La reprise du mot Vigik dans le nom de domaine badge-vigik.fr est certes fautive dans la mesure où, comme il a été démontré en partie 2), ce site est utilisé dans la vie des affaires pour désigner des produits similaires à ceux de la marque en créant ainsi un risque de confusion, de sorte qu'il s'agit d'un acte de contrefaçon de la marque.
47.Néanmoins, il ne s'en infère pas nécessairement un risque de confusion avec le nom de domaine vigik.com exploité par l'association Vigik. Un tel risque dépend notamment du degré de similitude entre les noms de domaine en cause, mais aussi du contenu proposé aux internautes par les sites exploités sous chacun de ces noms de domaine, un internaute étant d'autant plus susceptible de confondre les deux noms de domaine qu'il va aussi trouver sous l'un ce qu'il était venu chercher sous l'autre.
48.Or, à cet égard, il est constant que le site badge-vigik.fr se rapporte à des badges et cartes électroniques relatifs au système vigik que le site vigik.com de l'association du même nom a précisément pour objet d'expliquer et de présenter aux différentes personnes concernées (pièce La Poste no3) ; il ressort également du constat d'huissier réalisé sur le site de M. [O] (pièce La Poste no8) que son site apporte lui aussi une présentation du système Vigik, à travers des « FAQ » notamment. Dans ce cadre, la ressemblance entre « vigik.com » et « badge-vigik.fr » qui ne diffèrent que par l'extension et par l'ajout de « badge », peu significatif s'agissant d'un objet lié au système en cause, crée un risque de confusion susceptible d'entrainer le détournement du trafic du site vigik.com, ce qui porte atteinte à la mission que s'est donnée l'association. Il en résulte pour l'association un préjudice moral de 1 500 euros.
49.De la même manière, l'emploi du nom commercial et de l'enseigne « badge vigik » créent aussi un risque de confusion pour le public qui trouve sous cette enseigne et ce nom commercial des produits et services correspondant au système exploité par l'association du même nom ; ce qui détourne une partie du public et fait perdre à l'association une partie de son utilité, lui causant un préjudice moral de 1 500 euros.
50.Pour mettre fin au préjudice, il est nécessaire d'ordonner à M. [O], sous astreinte, de cesser l'exploitation de son site internet sous le nom de domaine badge-vigik.fr et tout autre nom de domaine contenant le mot vigik ; et de modifier son enseigne et son nom commercial.
4) Dispositions finales
51.Aux termes de l'article 696 du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n'en mette la totalité ou une fraction à la charge d'une autre partie. L'article 700 du même code permet au juge de condamner en outre la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l'autre, pour les frais exposés mais non compris dans les dépens, une somme qu'il détermine, en tenant compte de l'équité et de la situation économique de cette partie.
52.M. [O], qui perd le procès, doit être tenu aux dépens et indemniser les demanderesses de l'ensemble de leurs frais utiles, qui peuvent être estimés, au regard des éléments de la procédure, à 6 000 euros.
53.L'exécution provisoire est de droit et les circonstances de l'espèce ne justifient pas de l'écarter.
PAR CES MOTIFS
Le tribunal, statuant publiquement en premier ressort par jugement réputé contradictoire mis à disposition au greffe,
Rejette les demandes de la société La Poste et de l'association Vigik en interdiction, transfert de nom de domaine et dommages et intérêts dirigées contre M. [J] [E] ;
Condamne M. [Y] [O] à payer 20 000 euros à la société La Poste en réparation du préjudice causé par la contrefaçon de la marque française Vigik no 96638370 ;
Rejette les demandes fondées sur la contrefaçon de la marque de l'Union européenne Vigik no 000331173 ;
Condamne M. [Y] [O] à payer 1 500 euros à l'association Vigik en réparation du préjudice causé par l'exploitation du nom de domaine badge-vigik.com
Condamne M. [Y] [O] à payer 1 500 euros à l'association Vigik en réparation du préjudice causé par l'emploi du nom commercial et de l'enseigne « Badge vigik » ;
Interdit à M. [Y] [O] d'utiliser le signe Vigik dans la vie des affaires, pour désigner des badges ou cartes électroniques d'ouverture de portes, et ce dans un délai de 45 jours à compter de la signification du jugement, puis sous astreinte de 300 euros par jour de retard, qui courra au maximum pendant 180 jours, au profit de la société La Poste ;
Ordonne à M. [Y] [O] de cesser d'utiliser le nom de domaine badge-vigik.fr et de modifier son nom commercial et son enseigne de manière à y supprimer toute mention du mot « Vigik », et en faisant enregistrer ce changement au registre du commerce, et ce dans un délai de 45 jours à compter de la signification du jugement, puis sous astreinte de 200 euros par jour de retard, qui courra au maximum pendant 180 jours, au profit de l'association Vigik ;
Se réserve la liquidation des astreintes ;
Rejette la demande en publication du jugement ;
Condamne M. [O] aux dépens ainsi qu'à payer 6 000 euros au total à la société La Poste et l'association Vigik au titre de l'article 700 du code de procédure civile ; et rejette la demande de celles-ci formée au même titre contre M. [E] ;
Dit n'y avoir lieu à écarter l'exécution provisoire.
Fait et jugé à Paris le 24 Mai 2022
La GreffièreLa Présidente