La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

24/05/2022 | FRANCE | N°20/03773

France | France, Tribunal de grande instance de Paris, Ct0196, 24 mai 2022, 20/03773


TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS

3ème chambre
3ème section

No RG 20/03773 -
No Portalis 352J-W-B7E-CSAPP

No MINUTE :

Assignation du :
17 Mars 2020

JUGEMENT
rendu le 24 Mai 2022
DEMANDERESSE

Société OANA MILLET SL
M. [Adresse 2]/n
[Adresse 2] (ESPAGNE)

représentée par Maître Pierre GREFFE, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #E0617

DÉFENDERESSE

S.A.R.L. CLEDOR BIJOUX
[Adresse 1]
[Adresse 1]

représentée par Maître Erick LANDON, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #D0786
<

br>COMPOSITION DU TRIBUNAL

Nathalie SABOTIER, 1ère vice-présidente adjointe
Arthur COURILLON-HAVY, juge
Linda BOUDOUR, juge

assistés de Lorine MILLE, greff...

TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS

3ème chambre
3ème section

No RG 20/03773 -
No Portalis 352J-W-B7E-CSAPP

No MINUTE :

Assignation du :
17 Mars 2020

JUGEMENT
rendu le 24 Mai 2022
DEMANDERESSE

Société OANA MILLET SL
M. [Adresse 2]/n
[Adresse 2] (ESPAGNE)

représentée par Maître Pierre GREFFE, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #E0617

DÉFENDERESSE

S.A.R.L. CLEDOR BIJOUX
[Adresse 1]
[Adresse 1]

représentée par Maître Erick LANDON, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #D0786

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Nathalie SABOTIER, 1ère vice-présidente adjointe
Arthur COURILLON-HAVY, juge
Linda BOUDOUR, juge

assistés de Lorine MILLE, greffière,

DÉBATS

A l'audience du 09 Février 2022 tenue en audience publique devant Nathalie SABOTIER et Arthur COURILLON-HAVY, juges rapporteurs, qui, sans opposition des avocats, ont tenu seuls l'audience, et, après avoir entendu les conseils des parties, en ont rendu compte au Tribunal, conformément aux dispositions de l'article 805 du Code de Procédure Civile. Initialement le jugement devait être rendu par mise à disposition au greffe le 05 avril 2022, à cette date la décision a fait l'objet de plusieurs prorogations et avis a été donné aux avocats qu'elle serait rendue le 24 mai 2022.

JUGEMENT

Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe
Contradictoire
En premier ressort

___________________________

Exposé du litige

1. La société de droit espagnol Oana millet, qui fabrique et vend des bijoux, reproche à la société Clédor bijoux d'avoir importé et offert à la vente des bijoux reproduisant 7 de ses propres produits, en contrefaçon de ses droits d'auteur (sur les 7) et de ses dessins ou modèles communautaires non enregistrés (pour deux d'entre eux).

2. La société Oana millet expose qu'après avoir vendu 23 bijoux à la société Clédor bijoux lors d'un salon en 2019, elle a constaté en janvier 2020 que celle-ci proposait à la vente dans sa propre boutique des bijoux reproduisant 7 d'entre eux, qui avaient été créés entre 2012 et 2018 par Mme [X], laquelle lui en avait cédé en 2018 les droits patrimoniaux d'auteur. Elle a alors fait réaliser un constat d'achat le 13 février 2020, puis une saisie-contrefaçon le 4 mars, et a assigné la société Clédor bijoux en contrefaçon par acte du 17 mars 2020.

3. Dans ses dernières conclusions signifiées par voie électronique le 31 mai 2021, la société Oana millet résiste aux demandes reconventionnelles et, alléguant une contrefaçon de droits d'auteurs par la reproduction de ses 7 bijoux, ainsi qu'une contrefaçon de dessins ou modèles communautaires non enregistrés pour deux d'entre eux (CO174 et CO177), subsidiairement une concurrence déloyale et parasitaire, demande de
?ordonner le rappel et la destruction des bijoux contrefaisant, et interdire à la société Clédor bijoux d'importer, (faire) fabriquer, commercialiser de quelque façon que ce soit les colliers reproduisant les siens, sous deux astreintes,
?lui enjoindre de communiquer toutes les factures d'achat et de vente relatives aux produits contrefaisants, certifiées par un expert comptable, en indiquant le nombre exact de produits achetés et vendus, sous astreinte
?la condamner à lui verser une provision de 150 000 euros,
?outre la publication du jugement, 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi que les dépens, le tout avec exécution provisoire.

4. Dans ses dernières conclusions signifiées par voie électronique le 27 septembre 2021, la société Clédor bijoux soulève la nullité du constat d'huissier du 13 février 2020, et de l'ensemble des actes liés à la saisie-contrefaçon du 4 mars 2020, demande de les écarter des débats, résiste aux demandes sur le fond, s'oppose à l'exécution provisoire ou en demande subsidiairement la soumission à un séquestre de 120% des sommes perçues, et réclame elle-même 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi que les dépens avec recouvrement par son avocat.

5. L'instruction a été close le 30 septembre 2021, l'affaire plaidée à l'audience du 9 février 2022 et le jugement mis en délibéré.

MOTIFS

1) Sur la validité du constat et des actes liés à la saisie-contrefaçon

Moyens des parties

6. La société Clédor bijoux invoque l'article 6, paragraphe 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme, l'article 9 du code de procédure civile, et le principe de loyauté dans l'administration de la preuve, pour justifier la nullité du constat d'huissier du 13 février 2020 et « dans les mêmes conditions » celle de l'ordonnance et du procès-verbal de saisie-contrefaçon, reprochant au constat du 13 février 2020 :
- d'avoir été réalisé sans autorisation ni contrôle judiciaire alors qu'il lui fait grief et qu'il revient à « suspendre le contradictoire » ;
- de porter sur des « faits commis dans des lieux privés sans que l'officier ministériel n'ai décliné sa qualité et l'objet de son intervention », et en mandatant un tiers à sa place, « pour effectuer des actes à l'intérieur du magasin » et sans informer celui à qui le constat « fait grief » ; ce tiers ayant agi « en connaissance de cause sur les directives de l'huissier usant de toute la liberté donnée par l'absence de contrôle du Juge faute de respecter la loi », ce qui « n'est pas nouveau » car il s'agirait d'un professionnel du constat d'achat ;
- en définitive, de n'avoir pas recouru à la procédure prévue par l'article L. 332-1 du code de la propriété intellectuelle (la saisie-contrefaçon).

7. Elle soutient par ailleurs en substance (ses conclusions pp. 6-8) que la société Oana millet n'a pas qualité à agir et était donc irrecevable à requérir une ordonnance sur requête, pour n'avoir pas établi la titularité ni la réalité des droits qu'elle invoque ; à cet égard elle soutient que la jurisprudence invoquée par la société Oana millet (relative à la présomption pour commercialisation) est contraire à la loi et au droit européen, et qu'il serait contradictoire de s'en prévaloir tout en invoquant une confirmation écrite « établie à postériori ».

8. En réponse, la société Oana millet soutient, s'appuyant sur des décisions de la cour d'appel de Paris, que la Convention européenne impose de veiller au caractère équitable du procès dans son ensemble, au regard notamment de la manière dont la preuve a été administrée, sans imposer ou refuser certains modes de preuves (en eux-mêmes) mais en vérifiant (seulement) que ces preuves soient recueillies et exploitées loyalement ; et elle fait valoir que l'huissier était accompagné d'un tiers indépendant et n'a constaté l'achat que depuis la voie publique, de sorte que le constat est selon elle exempt de critique.

9. Sur la validité de la requête et de la saisie-contrefaçon, elle expose avoir reproduit dans sa requête les 7 bijoux en cause. Puis, plus généralement sur la recevabilité, outre qu'elle estime irrecevables les fins de non-recevoir qui lui sont opposées, elle affirme que l'originalité des oeuvres n'est pas une condition de recevabilité ; que la titularité des droits d'exploitation qu'elle invoque doit être présumée car elle commercialise les oeuvres de façon non équivoque (Cass. 1re Civ., 10 juillet 2014, no13-16.465) ; que la cession des droits patrimoniaux par l'autrice, qui n'est selon elle soumise à aucun formalisme, résulte également d'une confirmation de cession versée aux débats ; et que les éléments conférant un caractère individuel aux dessins et modèles non enregistrés ont été identifiés très précisément dans l'assignation conformément à la jurisprudence de la Cour de justice (C-345/13).

Appréciation du tribunal

a. validité du constat d'huissier

Indépendance du tiers acheteur professionnel

10. Le droit à un procès équitable, protégé notamment par l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales, implique que la procédure soit équitable dans son ensemble, au regard notamment de la manière dont les preuves ont été recueillies ; mais la recevabilité des preuves relève au premier chef du droit interne (CEDH, Elsholz c. Allemagne, GC, 13 juillet 2000, no25735/94, §66).

11. En droit interne, la jurisprudence a dégagé du droit au procès équitable et de l'article 9 du code de procédure civile, qui fait obligation aux parties de prouver les faits « conformément à la loi », un principe de loyauté dans l'administration de la preuve dont il a été déduit, quoique par un raisonnement implicite, que lorsqu'un huissier est assisté par un tiers pour réaliser un constat, ce tiers doit être indépendant de la partie requérante (Cass. 1re Civ., 25 janvier 2017, no15-25.210, publié).

12. Cette règle doit toutefois être interprétée à la lumière d'un autre principe relevant également du droit au procès équitable, le droit à la preuve, dont l'exercice peut rendre nécessaire l'atteinte à d'autres intérêts protégés, le juge devant alors apprécier la proportionnalité de l'atteinte (Cass. 1re Civ., 5 avril 2012, no11-14.177, publié).

13. Or il est également jugé que l'article 1er de l'ordonnance no45-2592 relative au statut des huissiers, lorsqu'il autorise ceux-ci à « effectuer des constatations purement matérielles, exclusives de tout avis sur les conséquences », leur interdit implicitement toute démarche active revenant, en quelque sorte, à créer la situation dont le constat est recherché, même lorsque la démarche est elle-même loyale (voir, sous-entendant ce principe bien que ne le posant pas en termes généraux, Cass. 1re Civ., 20 mars 2014, no12-18.518, publié). Et il est encore généralement considéré comme une évidence que l'huissier ne peut pas entrer sans autorisation dans un magasin, qui est un lieu privé, pour y constater une vente (bien qu'il soit ouvert au public).

14. Ainsi, pour constater qu'une personne offre un produit à la vente, l'huissier, qui selon ces considérations ne peut entrer dans le magasin ni procéder lui-même à l'achat, doit faire appel à un tiers qui est à la fois disposé à procéder à cette démarche et est en même temps indépendant de la partie requérante ; autrement dit un tiers qui n'a aucun intérêt à l'obtention de la preuve recherchée mais qui pourtant est prêt à y concourir. Il est évident qu'un tel concours a peu de chances d'être gratuit, sa gratuité même étant susceptible de faire douter des motifs réels et donc de l'indépendance de celui qui s'y prête, et que pour s'assurer de pouvoir en disposer au moment recherché, il faut le prévoir à l'avance, en faisant donc appel à une personne qui est amenée à exercer ce type d'activité de façon habituelle, comme en l'espèce.

15. Dès lors, en raison de la complexité des situations résultant de l'état du droit français en la matière, la possibilité pratique de constater une offre de vente dépend de l'appréciation de l'indépendance du tiers acheteur professionnel ; ce qui, au regard du droit à la preuve, appelle une appréciation souple de cette indépendance. Le fait, soulevé indirectement par la société Clédor bijoux, qu'il existe en propriété intellectuelle une procédure spéciale, la saisie-contrefaçon, ne doit pas conduire à exclure en pratique le recours aux modes de preuve de droit commun, car cette procédure dérogatoire est une faculté offerte aux titulaires de droits, et non une contrainte leur imposant le recours systématique à cette méthode plus couteuse et contraignante même dans les situations ou les modes de preuve de droit commun leur paraitraient suffisants.

16. Dans ce cadre, l'acheteur juridiquement et économiquement indépendant de la partie requérante ne perd pas cette indépendance du seul fait qu'il est un auxiliaire habituel voire professionnel des constats d'achat. Tel est le cas de l'acheteur au cas d'espèce, dont il est constant qu'il ne travaille pas même occasionnellement pour la société Oana millet ni pour son avocat, et dont seul est critiqué le fait qu'il soit habitué ou éventuellement « professionnel » des constats d'achat. La nullité n'est donc pas encourue de ce chef.

Autres critiques

17. Pour le reste, il ne peut être reproché à la société Oana Millet d'avoir choisi de prouver les faits qu'elle allègue par un constat d'huissier plutôt que par une saisie-contrefaçon seule ; au demeurant il lui fallait bien, afin de justifier sa demande de saisie-contrefaçon, apporter les « preuves raisonnablement accessibles » ; et il est observé que le constat, tel qu'il s'est déroulé en l'espèce, où les seules critiques portent en définitive sur le fait même d'avoir constaté dans une boutique ouverte au public, pendant les heures d'ouverture, les faits accomplis spontanément par l'exploitant de cette boutique, n'a porté atteinte à aucune règle de droit et moins encore à un droit fondamental, et offre également une plus grande transparence qu'un simple achat accompli par le requérant et prouvé par un ticket de vente, ou qu'un simple témoignage.

18. La demande en nullité du constat est, par conséquent, rejetée.

b. validité de la requête en saisie-contrefaçon, de l'ordonnance d'autorisation, de sa signification, du procès-verbal de saisie-contrefaçon du 4 mars 2020 et du procès-verbal du 10 mars 2020

19. Le juge du fond, appréciant la régularité des éléments de preuve qui lui sont soumis, peut annuler un procès-verbal de constat autorisé sur requête pour des motifs tirés des conditions de délivrance de l'ordonnance sur requête (Cass. Soc., 2 octobre 2001, no99-42.171 ; Cass. 1re Civ., 14 novembre 2012, no11-18.045, cet arrêt ayant été rendu après avis de la 2ème chambre civile). Ces décisions, transposables à la saisie-contrefaçon, opèrent une distinction entre, d'une part, l'ordonnance sur requête, qui ne peut être rétractée que par le juge même qui l'a prononcée, même si le juge du fond est saisi de l'affaire, de sorte que ce dernier est incompétent pour annuler ladite ordonnance, et, d'autre part, le procès-verbal de la mesure exécutée en application de cette ordonnance, que le juge du fond peut annuler, y compris pour des motifs tirés des conditions de délivrance de l'ordonnance sur requête (Cass. Com., 17 mars 2015, no13-15.862 ; voir aussi le jugement de ce tribunal, 25 janvier 2022, 19/10156).

20. Ainsi, les demandes en nullité de l'ordonnance d'autorisation et de la requête sur laquelle elle a été délivrée sont irrecevables, le présent tribunal n'ayant pas le pouvoir d'y faire droit, mais il faut tout de même examiner si c'est à tort que cette ordonnance a été délivrée, afin de répondre au moyen de nullité du procès-verbal de saisie-contrefaçon lui-même. La société Clédor bijoux fait valoir indirectement, à ce titre, que l'ordonnance a été rendue sur une requête irrecevable faute pour le requérant d'avoir qualité à agir. Ces critiques portent en réalité sur deux conditions (existence de droits d'auteur, et titularité de ces droits) qui ne sont pas des fins de non-recevoir mais n'en conditionnent pas moins l'autorisation de pratiquer la saisie, et qu'il convient donc d'examiner.

21. L'article L. 332-1 du code de la propriété intellectuelle ouvre en effet la saisie-contrefaçon à tout auteur d'une oeuvre de l'esprit ; plus généralement, les articles 6 et 7 de la directive 2004/48, que cet article applique et à la lumière desquels il faut donc l'interpréter, conditionnent la mesure à la communication par le requérant des éléments de preuve raisonnablement accessibles pour étayer ses allégations. Le niveau probatoire requis est donc plus faible pour délivrer l'ordonnance que pour faire droit aux demandes sur le fond. En outre, il s'apprécie au regard de l'ensemble des preuves que les parties, une fois la contradiction rétablie, souhaitent soumettre au tribunal, et non seulement au regard des éléments visés par la requête.

22. En matière de droit d'auteur, il est constamment jugé que la personne morale qui exploite de façon paisible et non équivoque une oeuvre de l'esprit sous son nom est présumée titulaire des droits patrimoniaux, à l'égard des tiers recherchés en contrefaçon et en l'absence de revendication de droits d'auteur (Cass. 1re Civ., 10 avril 2013, no12-12.886, publié).

23. La société Clédor bijoux identifie 7 bijoux, référencés CO174, CO177, CO162, C118, CO114, CO129, CO159, dont elle indique les caractéristiques qui en font selon elle l'originalité, ce qui est suffisant au stade de la requête.

24. Elle démontre avoir vendu ces 7 références à la société Clédor bijoux en 2019, par une facture du 14 mars 2019 adressée à cette société, confirmée par le reçu bancaire d'un virement du même montant émis par la société Clédor bijoux le 20 mars 2019, et par une facture de la société DHL pour un transport le 21 mars 2019 depuis les locaux de la société Oana millet vers ceux de la société Clédor bijoux (ses pièces no10 à no12), ce qu'au demeurant celle-ci ne conteste pas. Cette vente corrobore d'autres factures de vente par la société Oana millet, jointes à des attestations de personnes se disant clients professionnels de cette société et affirmant lui avoir acheté les références mentionnées sur ces factures (pièce Oana millet no1.5), et dont il ressort que les références CO174, C118, CO114, CO129 et CO159 ont été vendues pour la première fois à ces clients au plus tard en 2017. Enfin, la société Clédor bijoux n'allègue pas être elle-même titulaire des droits patrimoniaux sur ces oeuvres ni qu'un tiers le serait. Il est donc suffisamment démontré que la société Oana millet exploite de façon paisible et non équivoque les 7 bijoux en cause dont la qualification d'oeuvre de l'esprit est par ailleurs suffisamment établie pour faire droit à une requête en saisie-contrefaçon, de sorte qu'elle peut être présumée titulaire des droits qu'elle revendique.

25. Les critiques visant les conditions de délivrance de l'ordonnance sur requête sont donc infondées. Pour le reste, la société Clédor bijoux ne formule dans la partie « discussion » de ses conclusions aucun autre moyen au soutien de la nullité de la requête elle-même ou des autres actes dont la nullité est demandée. Par conséquent ces demandes en nullité sont rejetées.

2) Demandes fondées sur la contrefaçon de dessins ou modèles et de droits d'auteur

a. droits sur des dessins ou modèles communautaires non enregistrés

Moyens des parties

26. La demanderesse expose que ses bijoux CO174 et CO177 ont été divulgués pour la première fois dans l'Union européenne le 30 mars et le 16 octobre 2017, sont nouveaux, estime expliquer suffisamment en quoi ils sont individuels (cf ci-dessus point 9), les antériorités communiquées par la défenderesse étant également très différentes selon elle, de sorte qu'ils bénéficieraient de la protection des dessins ou modèles communautaires non enregistrés respectivement jusqu'au 30 mars et 16 octobre 2020, les faits litigieux ayant débuté au plus tard en janvier 2020 et constatés en février et mars 2020.

27. La défenderesse lui reproche de se placer uniquement sur le terrain de la nouveauté et de ne pas définir les caractéristiques particulières permettant de connaitre leur caractère individuel comme l'exigerait la jurisprudence européenne (C-395/16, C-29/21), au regard notamment des « contraintes fonctionnelles, techniques et historiques du domaine des colliers » ; de justifier de la commercialisation de ces modèles mais pas de la date de leur première divulgation, point de départ du délai de 3 ans de la protection

Appréciation du tribunal

28. En vertu de l'article 85, paragraphe 2, du règlement 6/2002 sur les dessins ou modèles communautaires, dans les procédures résultant d'actions en contrefaçon ou en menace de contrefaçon d'un dessin ou modèle communautaire non enregistré, les tribunaux des dessins ou modèles communautaires considèrent le dessin ou modèle communautaire comme valide si son titulaire apporte la preuve que les conditions prévues à l'article 11 sont remplies et s'il indique en quoi son dessin ou modèle communautaire présente un caractère individuel. Le défendeur peut, toutefois, en contester la validité par voie d'exception ou par une demande reconventionnelle en nullité.

Durée et point de départ de la protection

29. En vertu de l'article 11 du règlement 6/2002, un dessin ou modèle non enregistré bénéficie d'une protection de 3 ans à compter de sa première divulgation dans l'Union européenne. Or il ressort de la pièce no2 de la société Oana millet elle-même que le modèle CO174 était divulgué sur ce territoire dans le catalogue de janvier 2017 ; sa protection était donc expirée en janvier 2020, alors que la demanderesse ne rapporte des faits de contrefaçon qu'à partir de ce mois.

30. En revanche, le modèle CO177 n'apparait pas sur le catalogue de janvier 2017, mais seulement sur celui de septembre 2017 (pièce Oana millet no3) ; or un extrait du site internet Time out indique que la créatrice propose (seulement) deux collections par an (pièce Oana millet no1.3, 3e page) ; enfin aucun autre mode de divulgation n'est allégué par la défenderesse pour justifier d'une date de divulgation antérieure. C'est donc en septembre 2017 que ce modèle a été divulgué pour la première fois, et sa protection n'avait pas encore expiré à la date des faits litigieux, commis entre janvier et mars 2020.

Protection du produit CO177 comme dessin ou modèle communautaire non enregistré

31. L'article 4, paragraphe 1 du règlement 6/2002 prévoit que la protection d'un dessin ou modèle par un dessin ou modèle communautaire n'est assurée que dans la mesure où il est nouveau et présente un caractère individuel. En vertu de l'article 5, un dessin ou modèle communautaire non enregistré est considéré comme nouveau si aucun dessin ou modèle identique n'a été divulgué au public avant la date à laquelle le dessin ou modèle pour lequel la protection est revendiquée a été divulgué au public pour la première fois. Et en vertu de l'article 6, paragraphe 1, un dessin ou modèle communautaire non enregistré est considéré comme présentant un caractère individuel si l'impression globale qu'il produit sur l'utilisateur averti diffère de celle que produit sur un tel utilisateur tout dessin ou modèle qui a été divulgué au public avant la même date. Cet article précise, à son paragraphe 2, que pour apprécier le caractère individuel, il est tenu compte du degré de liberté du créateur dans l'élaboration du dessin ou modèle. Enfin, l'article 8, paragraphe 1, dispose qu'un dessin ou modèle communautaire ne confère pas de droits sur les caractéristiques de l'apparence d'un produit qui sont exclusivement imposées par sa fonction technique.

32. La demanderesse indique que le bijou référencé CO177 (représenté ci-dessous) présente un caractère individuel de par la combinaison et la disposition de ses éléments de forme et de dimension particulière qu'elle décrit ainsi :

« -Ce bijou est un sautoir composé sur sa moitié inférieure de disques de métal fins, de 2 cm de diamètre et de 7 nuances de couleurs variées, séparés les uns des autres par un tube de caoutchouc noir de 1,7 cm.
-La moitié supérieure du sautoir est nue.
-Chaque disque de métal est martelé, lui conférant un aspect irrégulier.
- La longueur du sautoir est réglable grâce à une perle coulissante permettant de le resserrer sur le cou. »

33. Ces éléments sont suffisants pour indiquer en quoi le modèle présente un caractère individuel, conformément à l'article 85 du règlement ; il est donc présumé valide. La défenderesse communique l'image de bijoux d'Amérique ou d'Océanie qui révèlent certes une relative proximité d'inspiration, mais le modèle s'en distingue très nettement et produit manifestement une impression visuelle différence de celle produite par ces objets. Cette impression, enfin, n'est pas causée par des caractéristiques imposées par la fonction technique du modèle. Il bénéficie donc de la protection conférée aux dessins ou modèles communautaires non enregistrés.

b. droits d'auteur

Moyens des parties

34. La demanderesse, qui a déjà fait valoir que les fin de non-recevoir n'étaient plus recevables devant le tribunal et qu'elle démontrait suffisamment, selon elle, être titulaire des droits d'exploitation sur les 7 bijoux en cause (cf point 9), estime ensuite que ceux-ci, pris chacun dans son ensemble, sont d'une très grande originalité, en combinant des caractéristiques tenant à leurs couleurs, leur composition particulière et l'agencement de leurs divers éléments géométriques, qui leur confèreraient une physionomie propre traduisant un parti pris esthétique qui porterait l'empreinte de la personnalité de leur auteur.

35. La société Clédor bijoux estime que les bijoux en cause ne constituent pas des oeuvres de l'esprit, telles que la Cour de justice de l'Union européenne en a précisé les critères ; qu'en particulier, la demanderesse allèguerait seulement des caractéristiques esthétiques, qui sont indifférentes, se bornerait à décrire les bijoux de façon générale, lesquels seraient en fait puisés dans un fond commun ancien, notamment des arts primitifs, et qu'elle confondrait l'originalité avec la nouveauté.

Appréciation du tribunal

36. Conformément à l'article L. 111-1 du code de la propriété intellectuelle, l'auteur d'une oeuvre de l'esprit jouit sur l'oeuvre, du seul fait de sa création, d'un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous comportant des attributs d'ordre intellectuel et moral ainsi que des attributs d'ordre patrimonial. La protection d'une oeuvre de l'esprit est acquise à son auteur sans formalité et du seul fait de la création d'une forme originale, en ce sens qu'elle porte l'empreinte de la personnalité de son auteur et n'est pas la banale reprise d'un fonds commun non appropriable.

37. Pour l'application de la directive 2001/29 sur l'harmonisation de certains aspects des droits d'auteurs, la notion d'oeuvre, qui conditionne la protection exigée par ce texte, implique un objet original, c'est-à-dire une création intellectuelle propre à son auteur, qui en reflète la personnalité en manifestant ses choix libres et créatifs ; et cet objet doit être identifiable avec suffisamment de précision et d'objectivité, ce qui exclut une identification reposant essentiellement sur les sensations de la personne qui reçoit l'objet (CJUE, 12 septembre 2019, Cofemel, C-683/17, points 29 à 35).

38. Dans ce cadre, il appartient à celui qui se prévaut d'un droit d'auteur dont l'existence est contestée de définir et d'expliciter les contours de l'originalité qu'il allègue. En effet, seul l'auteur, dont le juge ne peut suppléer la carence, est en mesure d'identifier les éléments traduisant sa personnalité et qui justifient son monopole.

39. Les caractéristiques revendiquées par la société Oana millet pour le bijou référencé CO177 (reproduites ci-dessus au point 32) sont purement descriptives, et ne révèlent aucun choix créatif et personnel de l'auteur ; elles décrivent des éléments et couleurs a priori assez banals, y-compris dans leur combinaison. Cet objet n'est donc pas une oeuvre de l'esprit protégée au titre des droits d'auteur.

40. Le bijou référencé CO174 (représenté ci-dessous) est original, selon la demanderesse, de par la combinaison des éléments ci-après :

« -Il est composé, en sa moitié inférieure, de 7 éléments de métal fin.
-Chaque élément est composé de la combinaison d'un disque d'un diamètre de 2.5 cm et d'un cercle d'un diamètre de 2.9 cm.
-La combinaison de couleur des disques et des cercles est la suivante : (de gauche à droite) disque turquoise/cercle vert, disque orange/cercle rose, disque bleu/cercle turquoise, disque rose/cercle violet, disque vert/cercle bleu, disque jaune/cercle orange, disque vert/cercle bleu.
-Sur la moitié gauche du collier, chaque disque se superpose sur la partie supérieure du cercle et la recouvre, ne laissant apparaître qu'un demi-cercle.
-Sur la moitié droite du collier, le disque se superpose sur la partie inférieure du cercle et la recouvre, ne laissant apparaître qu'un demi-cercle.
-Les 7 éléments sont reliés entre eux par des anneaux métalliques perforant le métal.
-Chaque plaque de métal est martelée, ce qui lui confère un aspect irrégulier, qui est absent de la face arrière du bijou, plus lisse. »
41. La combinaison de disques pleins sur des cercles vides ainsi que leur couleur ne sont pas inusuelles en elles-mêmes, et les caractéristiques invoquées n'indiquent pas qu'elles résultent d'un choix créatif ou personnel tel qu'il reflèterait la personnalité de son auteur. Il en va de même des anneaux métalliques et du système d'attache en général. Il ne s'agit donc pas d'une oeuvre originale.

42. Le bijou référencé CO162 (représenté ci-dessous) est original, selon la demanderesse, de par la combinaison des éléments ci-après :

« -Ce bijou est un sautoir composé de disques et de segments de métal fins qui s'intercalent.
-Chaque segment est de couleur noire et d'une longueur de 4.5 cm et d'une largeur de 0.5 cm.
- Les disques sont de deux dimensions différentes, certains d'un diamètre de 2.5 cm, d'autres d'un diamètre de 2cm.
-Chaque disque est d'une couleur parmi des nuances variées.
-Les disques sont reliés entre eux par un segment de métal.
-Sur la moitié droite du collier, la partie basse du segment se juxtapose sur le disque qui est positionné en dessous. La partie haute du segment est perforée et reliée au disque placé au-dessus par un anneau métallique.
-Sur la moitié gauche du collier, la partie haute du segment se juxtapose sur le disque qui est positionné au-dessus. La partie basse du segment est perforée et reliée au disque placé au-dessous par un anneau métallique.
-Chaque plaque de métal est martelée, ce qui leur confère un aspect irrégulier, qui est absent de la face arrière du bijou, plus lisse. »

43. Ce bijoux est, comme les deux précédents, apparemment assez banal de par sa forme, sa couleur, le détail de ses éléments, sans que l'auteur n'invoque aucun choix créatif particulier. Il ne s'agit pas d'une oeuvre.

44. Le bijou référencé C118 (représenté ci-dessous) est original, selon la demanderesse, de par la combinaison des éléments ci-après :

« -Ce bijou est un collier ras de cou composé de deux plaques fines de métal en forme de feuilles oblongues, de couleurs différentes, de dimensions équivalentes et se superposant.
-La feuille de gauche est positionnée à la verticale et orientée vers la gauche, tandis que la feuille de droite, qui la recouvre sur une partie de sa largeur, est positionnée de biais vers la droite.
-L'extrémité supérieure de chaque feuille est perforée afin de laisser passer une cordelette permettant d'attacher le collier.
-Chaque plaque de métal est martelée, ce qui leur confère un aspect irrégulier, qui est absent de la face arrière du bijou, plus lisse.
-Ce bijou est décliné en plusieurs coloris »
45. Si le choix d'orientation et d'inclinaison des deux éléments de ce bijou est relativement arbitraire, il est extrêmement simple et ne suffit pas, en lui-même, à porter l'empreinte de la personnalité de son auteur ; le reste de l'objet (forme des deux feuilles, système d'attache, couleurs) n'est pas en soi original et il n'est pas plus allégué ici de choix créatif que dans les bijoux précédents. Il ne s'agit donc pas d'une oeuvre.

46. Le bijou référencé CO114 (représenté ci-dessous) est original, selon la demanderesse, de par la combinaison des éléments ci-après :

« -Ce bijou est un collier ras de cou composé de 22 fines branches de métal de longueurs différentes, qui s'entrecroisent.
-Chaque branche est légèrement incurvée, certaines vers le centre du collier, d'autres vers l'extérieur.
-L'alternance des branches de longueurs et d'incurvations différentes, ainsi positionnées, crée un effet visuel d'entrecroisement.
-L'accumulation des branches, bien que fines, et leur densité, donne à l'ensemble les caractéristiques d'un plastron.
-Chaque branche est suspendue au cordon par le pliage du métal autour du cordon, formant ainsi un crochet.
-Chaque branche de métal est martelée, ce qui leur confère un aspect irrégulier, qui est absent de la face arrière du bijou, plus lisse.
-Ce bijou se décline plusieurs coloris »
47. L'idée de laisser des branches métalliques s'entrecroiser ne peut être appropriée en elle-même ; la façon exacte dont se croisent ces branches, le jeu précis des longueurs différentes dans le croisement qu'elles adoptent pourraient, en revanche, être le fruit d'un choix personnel ; toutefois, le croisement précis des branches n'est pas revendiqué, et en effet il n'est pas déterminé ni figé dans cet objet : le catalogue de janvier 2017 (pièce Oana millet no2) montre une représentation du même bijou avec un agencement différent des branches métalliques. Il ne s'agit donc que d'un ensemble d'éléments métalliques incurvés de longueurs légèrement différentes, ce qui n'est pas une caractéristique originale. Il ne s'agit donc pas d'une oeuvre protégée par le droit d'auteur.

48. Le bijou référencé CO129 (représenté ci-dessous) est original, selon la demanderesse, de par la combinaison des éléments ci-après :

« -Ce bijou est un collier ras de cou composé d'une accumulation de fines plaques de métal de dimensions identiques et de 7 nuances de couleurs variées, positionnées les unes à côté des autres et se chevauchant.
-Chaque plaque de métal a la forme d'un triangle dont l'un des angles de sa base aurait été atténué.
-Les plaques sont alternativement orientées vers la droite et la gauche.
-Elles sont suspendues au cordon par le pliage du métal de l'angle supérieur autour du cordon, formant ainsi un crochet.
-Chaque plaque de métal est martelée, ce qui leur confère un aspect irrégulier, qui est absent de la face arrière du bijou, plus lisse. »
49. Il s'agit ici encore de caractéristiques descriptives qui ne paraissent pas originales en elle-même et dont la demanderesse n'établit pas qu'elles sont le fruit d'un processus créatif.

50. Le bijou référencé CO159 (représenté ci-dessous) est original, selon la demanderesse, de par la combinaison des éléments ci-après :

« -Ce bijou est un collier ras de cou composé d'une accumulation de fins segments de métal, de dimensions identiques et de sept couleurs aux nuances variées, positionnés les uns à côté des autres et suspendus au cordon par le pliage du métal autour du cordon, formant ainsi un crochet.
-Chaque segment de métal est martelé, ce qui leur confère un aspect irrégulier, qui est absent de la face arrière du bijou, plus lisse. »
51. Il s'agit de franges colorées dont ni le principe ni l'agencement des couleurs (qui n'est pas revendiqué précisément) ne sont en eux-mêmes originaux, et aucun choix personnel et créatif n'est caractérisé.

52. Aucun des bijoux invoqués n'est dès lors protégé au titre du droit d'auteur, et par conséquent les demandes fondées sur la contrefaçon de droits d'auteur doivent être rejetées.

c. contrefaçon du dessin ou modèle communautaire non enregistré

53. En application de l'article 10 du règlement 6/2002, la protection conférée par le dessin ou modèle communautaire s'étend à tout dessin ou modèle qui ne produit pas sur l'utilisateur averti une impression visuelle globale différente ; et pour apprécier l'étendue de la protection, il est tenu compte du degré de liberté du créateur dans l'élaboration du dessin ou modèle.

54. Dans ce cadre, le titulaire du dessin ou modèle dispose d'un droit exclusif régi par l'article 19 du règlement dans les termes suivants :

« 1. Le dessin ou modèle communautaire enregistré confère à son titulaire le droit exclusif de l'utiliser et d'interdire à tout tiers de l'utiliser sans son consentement. Par utilisation au sens de la présente disposition, on entend en particulier la fabrication, l'offre, la mise sur le marché, l'importation, l'exportation ou l'utilisation d'un produit dans lequel le dessin ou modèle est incorporé ou auquel celui-ci est appliqué, ou le stockage du produit à ces mêmes fins.

2. Le dessin ou modèle communautaire non enregistré ne confère cependant à son titulaire le droit d'interdire les actes visés au paragraphe 1 que si l'utilisation contestée résulte d'une copie du dessin ou modèle protégé.

L'utilisation contestée n'est pas considérée comme résultant d'une copie du dessin ou modèle protégé si elle résulte d'un travail de création indépendant réalisé par un créateur dont on peut raisonnablement penser qu'il ne connaissait pas le dessin ou modèle divulgué par le titulaire. »

55. Et l'article L. 515-1 du code de la propriété intellectuelle prévoit que toute atteinte à ce droit exclusif constitue une contrefaçon engageant la responsabilité civile de son auteur.

56. La société Oana millet a fait acheter et a fait saisir plusieurs exemplaires d'un collier offert à la vente dans la boutique de la société Clédor bijoux et qui, comme son modèle CO177, se compose d'un même nombre (25) de disques métalliques de même taille, au même nombre de couleurs gaies quoique légèrement plus ternes (jaune, rouge, bleu, vert, mauve, orangé, bleu plus clair), séparés par des éléments noirs d'épaisseur et de longueur apparemment identiques le long d'une tige également flexible. Il s'agit donc de la copie presque identique du modèle, qui nonobstant l'éclat moins fort des couleurs produit manifestement sur l'utilisateur averti une impression visuelle identique, dans un secteur, les colliers de fantaisie, où la liberté du créateur est forte. Le fait qu'il s'agisse d'une copie résulte non seulement de l'identité quasi-parfaite des objets en cause, mais également de la preuve de ce que la société Clédor bijoux avait préalablement acheté le modèle à la société Oana millet.

57. Le droit exclusif de celle-ci a donc été atteint, ce qui caractérise la contrefaçon. La protection ayant toutefois expiré depuis septembre 2020, aucune interdiction n'est possible à ce titre.

d. réparation

Moyens des parties

58. La société Oana milet invoque un préjudice économique tiré des ventes et des importations de bijoux, critique l'absence d'identification des produits sur les pièces comptables, affirme que comme tout commerçant la défenderesse connait forcément son stock produit par produit, réclame donc que soient communiqués des éléments comptables au titre du droit d'information et demande une provision de 100 000 euros. Elle demande encore une provision de 50 000 euros pour son préjudice moral au regard de la piètre qualité des produits contrefaisants par rapport aux siens, du succès important que connaissent les colliers en cause, de l'atteinte à son image, ses clients pouvant penser du fait de la contrefaçon qu'elle manque de créativité et de sérieux, de ce que la société Clédor bijoux a échappé au risque inhérent à la commercialisation d'un nouveau produit, et de la mauvaise foi de celle-ci qui a d'abord commandé les colliers originaux avant de les faire fabriquer en Chine pour les vendre moins cher.

59. La société Clédor bijoux estime que le préjudice allégué n'est pas démontré, que le stock découvert lors de la saisie-contrefaçon et par le constat d'achat correspond à un chiffre d'affaires potentiel de 800 euros, mais qu'en toute hypothèse ces produits n'ayant pas été vendus ils n'ont causé aucun préjudice ; et que la société Oana millet ne peut réclamer un préjudice moral car le droit moral appartient exclusivement à l'auteur et n'est pas prévu pour les dessins et modèles.

Appréciation du tribunal

60. En application de l'article L. 521-7 du code de la propriété intellectuelle, applicable aux atteintes portées aux dessins ou modèles communautaires en vertu de l'article L. 522-1, pour fixer les dommages et intérêts, la juridiction prend en considération distinctement :

1o Les conséquences économiques négatives de la contrefaçon, dont le manque à gagner et la perte subis par la partie lésée ;

2o Le préjudice moral causé à cette dernière ;

3o Et les bénéfices réalisés par le contrefacteur, y compris les économies d'investissements intellectuels, matériels et promotionnels que celui-ci a retirées de la contrefaçon.

61. Toutefois (2nd alinéa de l'article L. 521-7), la juridiction peut, à titre d'alternative et sur demande de la partie lésée, allouer à titre de dommages et intérêts une somme forfaitaire. Cette somme est supérieure au montant des redevances ou droits qui auraient été dus si le contrefacteur avait demandé l'autorisation d'utiliser le droit auquel il a porté atteinte. Cette somme n'est pas exclusive de l'indemnisation du préjudice moral causé à la partie lésée.

62. Il résulte de la saisie-contrefaçon que lorsqu'elle a été réalisée, le 4 mars 2020, le collier contrefaisant le modèle CO177 se trouvait dans la boutique de la défenderesse en 5 exemplaires seulement (pièce Oana millet no14). La responsable de la boutique présente lors de la saisie a toutefois indiqué avoir commencé à vendre les différents modèles incriminés en janvier 2020 soit 2 mois plus tôt. Une facture remise lors de la saisie-contrefaçon révèle que les bijoux sont achetés à un fournisseur dans des quantités variables mais souvent supérieures à 100 pièces par référence, et pouvant aller jusqu'à 300 pièces. Il en résulte que la quasi-totalité du stock acheté a été vendue, et que ce stock initial peut être estimé, en l'absence d'autres éléments, à 200 pièces.

63. Pour déterminer la perte économique du titulaire des droits, il faut se fonder sur la probabilité que les clients qui ont acheté un produit contrefaisant eussent acheté un produit authentique si la contrefaçon n'avait pas eu lieu. La société Oana millet revendique des ventes de 247 exemplaires au total pour son collier CO177 (sa pièce 1.4) ; elle ne démontre, ni au demeurant ne revendique, bénéficier d'une renommée particulière. Le produit authentique n'était donc pas recherché pour lui-même par les clients de la société Clédor bijoux, qui n'avaient aucune raison de savoir qu'ils trouveraient dans cette boutique le collier CO177 de la demanderesse, de sorte que les achats du produit contrefaisant sont essentiellement des achats d'opportunité et non des achats motivés par la volonté d'acquérir à moindre cout un produit imitant l'original. Le taux de report entre le produit contrefaisant et produit authentique est donc très faible. Ainsi, compte tenu du prix de vente unitaire du collier authentique (25 euros, pièce Oana millet no3), et d'un bénéfice marginal pouvant être estimé, en retenant une hypothèse favorable, à 40%, la perte économique peut être évaluée à 200 euros.

64. Le prix de vente de ce collier par la société Clédor bijoux est de 9,90 euros HT (soit 11,88 euros TTC) ; rapporté au prix d'achat des bijoux mentionnés sur la facture du fournisseur (environ 2 euros en moyenne), et en tenant compte des couts exposés pour vendre ce type d'objet dans une boutique physique, il peut être estimé que la défenderesse a tiré un bénéfice marginal d'environ 3,5 euros par bijou vendu, soit un bénéfice d'environ 700 euros du fait de la contrefaçon.

65. Enfin, le fait de s'être fait copier un modèle protégé par un concurrent a nécessairement provoqué pour la société Oana millet une contrariété constitutive d'un préjudice moral, d'autant plus important que des clients achetaient le modèle en cause sans même savoir que c'est elle qui en était à l'origine.

66. Il résulte de ces éléments que tous chefs confondus la société Oana millet a subi un préjudice de 2 000 euros, que la société Clédor bijoux est par conséquent condamnée à réparer. La demanderesse ayant demandé une provision, le tribunal ne peut accorder qu'une provision, et non une somme définitive .

67. Pour autant, l'ordre de grandeur économique de la contrefaçon est suffisamment connu grâce à la facture identifié et il constitue une part très minoritaire du préjudice total, essentiellement composé du préjudice moral. L'information réclamée à la défenderesse est dès lors insusceptible de modifier le montant du préjudice, donc inutile, et il n'y a pas lieu d'en ordonner la communication.

68. Le préjudice est suffisamment réparé par l'indemnité et il n'y a donc pas lieu à publication.

3) Demandes subsidiaires en concurrence déloyale et parasitaire

69. La concurrence déloyale, sanctionnée en application de l'article 1240 du code civil, doit être appréciée au regard du principe de la liberté du commerce qui implique qu'un produit qui ne fait pas l'objet de droits de propriété intellectuelle puisse être librement commercialisé sous certaines conditions tenant à l'absence de faute par la création d'un risque de confusion dans l'esprit de la clientèle sur son origine, circonstance attentatoire à l'exercice loyal des affaires. L'appréciation de la faute au regard du risque de confusion doit résulter d'une approche concrète et circonstanciée des faits de l'espèce prenant en compte notamment le caractère plus ou moins servile, systématique ou répétitif de la reproduction ou de l'imitation, l'ancienneté d'usage, l'originalité et la notoriété de la prestation copiée.

70. Le parasitisme, qui s'apprécie dans le même cadre que la concurrence déloyale dont il constitue une déclinaison mais dont la caractérisation est toutefois indépendante du risque de confusion, consiste dans le fait pour une personne physique ou morale de profiter volontairement et de façon injustifiée des investissements, d'un savoir-faire ou d'un travail intellectuel d'autrui produisant une valeur économique individualisée, et générant un avantage concurrentiel.

71. En l'espèce, la société Clédor bijoux a volontairement copié les bijoux de la société Oana millet. Néanmoins, ces bijoux ont bénéficié d'une protection, au titre des dessins ou modèles communautaires non enregistrés, dont le législateur européen a lui-même prévu la duré afin de permettre la rentabilisation des investissements sans entraver excessivement la concurrence (voir (CJUE, 12 septembre 2019, Cofemel, C-683/17, précité, point 50). Une fois la protection expirée, la copie du modèle ne saurait dès lors être fautive en elle-même.

72. La défenderesse a certes acheté les produits de la demanderesse afin de pouvoir les copier. Mais dès lors que la copie est licite, il ne peut être jugé illicite d'acheter l'original pour le copier.

73. Enfin, l'identité visuelle entre les produits vendus par la société Clédor bijoux et les produits de la société Oana millet ne cause pas à elle seule une confusion dans l'esprit du consommateur. L'admettre reviendrait là encore à entraver la libre concurrence en protégeant les modèles indéfiniment, au mépris de l'équilibre issu de la législation. Or il n'est reproché à la défenderesse aucun autre acte de nature à susciter la confusion dans l'esprit du consommateur.

74. Par conséquent, le parasitisme et la concurrence déloyale invoquées ne sont pas établies, et les demandes en ce sens doivent être rejetées.

4) Dispositions finales

75. Aux termes de l'article 696 du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n'en mette la totalité ou une fraction à la charge d'une autre partie. L'article 700 du même code permet au juge de condamner en outre la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l'autre, pour les frais exposés mais non compris dans les dépens, une somme qu'il détermine, en tenant compte de l'équité et de la situation économique de cette partie.

76. En l'espèce, la demanderesse voit une de ses prétentions accueillie, de sorte que la défenderesse, qui s'opposait à la totalité des demandes et a en outre contesté de manière infondée certaines des preuves, perd le procès. Néanmoins la demanderesse, qui voit également ses demandes rejetées dans une large mesure, a dans cette mesure inutilement complexifié le litige et provoqué une résistance légitime de la part de la défenderesse. Par conséquent, si celle-ci doit être condamnée aux dépens, car elle aurait dû supporter même si la demanderesse avait limité ses demandes à la seule partie qui est finalement accueillie, l'équité interdit en revanche de lui faire indemniser les frais de la demanderesse au-delà d'une proportion minime, soit 1 000 euros.

77. L'exécution provisoire est de droit et rien ne justifie de l'écarter dans la présente affaire, ni d'ordonner spécialement un séquestre des sommes payées en exécution du jugement.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal, statuant publiquement en premier ressort par jugement contradictoire mis à disposition au greffe,

Rejette la demande de la société Clédor bijoux en nullité du constat du 13 février 2020,

Déclare irrecevables ses demandes en nullité de l'ordonnance du 28 février 2020 ayant autorisé la saisie-contrefaçon et de la requête sur laquelle cette ordonnance a été rendue ;

Rejette ses demandes en nullité du procès-verbal de saisie-contrefaçon du 4 mars 2020 pratiquée en vertu de cette ordonnance et du procès-verbal de « non réception de document » du 10 mars 2020 qui l'a suivi ;

Rejette la demande en dommages et intérêts fondée sur la contrefaçon de droits d'auteur ;

Rejette la demande en dommages et intérêts fondée sur la contrefaçon de dessin ou modèle communautaire pour le collier CO174 ;

Condamne la société Clédor bijoux à payer à la société Oana millet la somme provisionnelle de 2 000 euros de dommages et intérêts en réparation de la contrefaçon du dessin ou modèle communautaire non enregistré pour le collier CO177 ;

Rejette les demandes d'interdiction et de rappel des produits ;

Rejette la demande de droit d'information ;

Rejette la demande de publication ;

Rejette les demandes subsidiaires en concurrence déloyale et parasitaire ;

Condamne la société Clédor bijoux aux dépens et la condamne à payer 1 000 euros à la société Oana millet au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Dit n'y avoir lieu à écarter l'exécution provisoire, ni à séquestre ;

Fait et jugé à Paris le 24 Mai 2022

La GreffièreLa Présidente


Synthèse
Tribunal : Tribunal de grande instance de Paris
Formation : Ct0196
Numéro d'arrêt : 20/03773
Date de la décision : 24/05/2022

Analyses

x


Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.grande.instance.paris;arret;2022-05-24;20.03773 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award