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10/05/2022 | FRANCE | N°19/7256

France | France, Tribunal de grande instance de Paris, Ct0196, 10 mai 2022, 19/7256


TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS

3ème chambre
3ème section

No RG 19/07256 -
No Portalis 352J-W-B7D-CQDPN

No MINUTE :

Assignation du :
21 juin 2019

JUGEMENT
rendu le 10 mai 2022
DEMANDERESSES

S.A.S. EDWARDS LIFESCIENCES
[Adresse 1]
[Localité 2]

Société EDWARDS LIFESCIENCES CORPORATION
One Edwards Way
[Localité 3], CALIFORNIE (ETATS-UNIS)

Société EDWARDS LIFESCIENCES LLC
One Edwards Way
[Localité 3], CALIFORNIE (ETATS-UNIS)

représentées par Maître Anne-Charlotte LE BIHAN de l'AAR

PI BIRD et BIRD, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #R0255

DÉFENDERESSE

Société MERIL LIFE SCIENCES PRIVATE LIMITED
Bilakhia house, Survey no135/13...

TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS

3ème chambre
3ème section

No RG 19/07256 -
No Portalis 352J-W-B7D-CQDPN

No MINUTE :

Assignation du :
21 juin 2019

JUGEMENT
rendu le 10 mai 2022
DEMANDERESSES

S.A.S. EDWARDS LIFESCIENCES
[Adresse 1]
[Localité 2]

Société EDWARDS LIFESCIENCES CORPORATION
One Edwards Way
[Localité 3], CALIFORNIE (ETATS-UNIS)

Société EDWARDS LIFESCIENCES LLC
One Edwards Way
[Localité 3], CALIFORNIE (ETATS-UNIS)

représentées par Maître Anne-Charlotte LE BIHAN de l'AARPI BIRD et BIRD, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #R0255

DÉFENDERESSE

Société MERIL LIFE SCIENCES PRIVATE LIMITED
Bilakhia house, Survey no135/139,
[Adresse 4]
396191 (REPUBLIQUE D'INDE)

représentée par Maître Grégoir TIRET de l'AARPI GIDE LOYRETTE NOUEL AARPI, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #T03

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Nathalie SABOTIER, 1ère vice-présidente adjointe
Arthur COURILLON-HAVY, juge
Linda BOUDOUR, juge

assisté de Lorine MILLE, greffière,

DÉBATS

A l'audience du 17 février 2022 tenue en audience publique devant Nathalie SABOTIER et Arthur COURILLON-HAVY, juges rapporteurs, qui, sans opposition des avocats, ont tenu seuls l'audience, et, après avoir entendu les conseils des parties, en ont rendu compte au Tribunal, conformément aux dispositions de l'article 805 du Code de Procédure Civile. Avis a été donné aux avocats que le jugement serait rendu par mise à disposition au greffe le 10 mai 2022.

JUGEMENT

Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe
Contradictoire
En premier ressort

___________________________

EXPOSÉ DU LITIGE

La société de droit américain Edwards Lifesciences Corp. se présente comme spécialisée dans le développement de produits destinés au traitement des cardiopathies et maladies vasculaires structurelles. Elle indique avoir notamment conçu l'une des valvules aortiques les plus utilisées au monde, dénommée Sapien 3, implantée dans le corps du patient au moyen d'un cathéter extensible à ballonnet, dénommé Commander.

La société de droit américain Edwards Lifesciences LLC est sa filiale qui fabrique la valvule Sapien 3 et a développé la notice d'utilisation de ce produit.

La société de droit français Edwards Lifesciences SAS distribue en France la valvule Sapien 3.

Le dispositif Sapien 3 / Commander est protégé par cinq brevets européens désignant la France, où ils sont tous maintenus en vigueur par le paiement régulier des annuités, à l'exception du premier :

- Le brevet EP 1 267 753 ayant pour titre " Valvule cardiaque minimalement invasive " (ci-après EP 753), déposé le 5 avril 2001 sous la forme d'une demande PCT publiée le 18 octobre 2001 sous le no WO 2001/076510. Il revendique la priorité de la demande de brevet US 09/549,413 du 6 avril 2000, et a été délivré le 19 octobre 2005.

Ce brevet a expiré le 5 avril 2021.

- Le brevet EP 2 736 457 intitulé " Systèmes de pose de valvule prosthétique " (ci-après EP 457), déposé le 27 juillet 2012 sous la forme d'une demande PCT publiée le 31 janvier 2013 sous le no WO 2013/016665. Il revendique les priorités des demandes de brevet US 61/512,328 P du 27 juillet 2011 et US 13/559,395 du 26 juillet 2012, et a été délivré le 13 décembre 2017.

- Le brevet EP 3 494 930 intitulé " Cadre de fixation de feuillet pour valve prothétique " (ci-après EP 930), dérivé d'une demande déposée le 15 décembre 2008 sous la forme d'une demande PCT publiée le 25 juin 2009 sous le no WO 2009/079475. Il revendique la priorité de la demande de brevet US 61/014,007 du 14 décembre 2007, et a été délivré le 8 janvier 2020.

- Le brevet EP 2 628 464 intitulé " Valvule prothétique " (ci-après EP 464). Ce titre appartient à la même famille de brevet que le brevet EP 930 et provient d'une demande déposée le 15 décembre 2008 revendiquant la priorité du brevet US 61/014.007 du 14 décembre 2007. Il a été délivré le 12 février 2020.

- Le brevet EP 3 498 226 intitulé " Valvule cardiaque prothétique " (ci-après EP 226), dérivé d'une demande déposée le 5 octobre 2011 sous la forme d'une demande PCT publiée le 12 avril 2012 sous le nº WO 2012/048035. Il revendique les priorités des demandes de brevet US 61/390,107 du 5 octobre 2010 et US 61/508,513 P du 15 juillet 2011, et a été délivré le 5 février 2020.

La société de droit indien Meril Life Sciences Private Ltd conçoit et commercialise des dispositifs médicaux.

Soupçonnant la commercialisation prochaine au sein de l'Union européenne des valvules Myval, développées par la société Meril Life Sciences et contrefaisant selon elle les revendications de ses différents brevets, la société Edwards Lifesciences Corp. a, par requêtes du 20 mai 2019, sollicité et obtenu du délégataire du président de ce tribunal, l'autorisation de faire pratiquer des opérations de saisie-contrefaçon sur les stands occupés par la société Meril Life Sciences dans le cadre du salon "EuroPCR 2019", organisé à Paris du 21 au 24 mai 2019. Les opérations se sont déroulées les 22 et 23 mai 2019.

C'est dans ce contexte que par acte d'huissier délivré le 21 juin 2019, les sociétés Edwards Lifesciences ont fait assigner la société Meril Life Sciences devant ce tribunal en contrefaçon de brevets et concurrence déloyale et parasitaire.

Les 14 et 30 août 2020, la société Meril Life Sciences s'est opposée à la délivrance des brevets EP 464, EP 930 et EP 226.

Par un jugement du 25 mai 2021, le tribunal a déclaré irrecevable la demande de sursis à statuer présentée par la société Meril.

Dans leurs dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 1er octobre 2021, les sociétés Edwards Lifesciences Corporation, Edwards Lifesciences Llc et Edwards Lifesciences Sas, demandent au tribunal, au visa des articles L. 613-3 et suivants et L. 615-1 et suivants du code de la propriété intellectuelle, 1240 du code civil, 394 et suivants, 399 et 700 du code de procédure civile, de :
- Les DIRE recevables et fondées dans l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions ;

- CONSTATER leur acceptation du désistement de la société Meril Life Sciences Private Limited de ses demandes d'annulation des brevets EP 1 267 753 et EP 2 736 457 ;

- CONSTATER le dessaisissement du tribunal des demandes d'annulation de ces brevets;

- DEBOUTER la société Meril Life Sciences Private Limited de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;

- DIRE que les valvules prothétiques Myval reproduisent les revendications 1 et 2 du brevet EP 1 267 753 ; que la société Meril Life Sciences Private Limited a commis des actes de contrefaçon de ce brevet à l'encontre de la société Meril Life Sciences Private Limited en important, utilisant, offrant en vente et détenant aux fins précitées ces valvules sur le territoire français ;

- DIRE que les dispositifs d'administration Navigator reproduisent les revendications 1, 2, 5, 7, 9 et 10 du brevet EP 2 736 457 ; que la société Meril Life Sciences Private Limited a commis des actes de contrefaçon de ce brevet à l'encontre de la société Edwards Lifesciences Corporation en important, utilisant, offrant en vente et détenant aux fins précitées ces dispositifs sur le territoire français ;

- DIRE que les systèmes comprenant une valvule prothétique Myval et son dispositif d'administration Navigator reproduisent la revendication 1 du brevet EP 3 494 930 ; que la société Meril Life Sciences Private Limited a commis des actes de contrefaçon de ce brevet à l'encontre de la société Edwards Lifesciences Corporation en offrant en vente ces systèmes sur le territoire français ;

- DIRE que la valvule prothétique Myval reproduit la revendication 1 du brevet EP 2 628 464 ; que la société Meril Life Sciences Private Limited a commis des actes de contrefaçon de ce brevet à l'encontre de la société Edwards Lifesciences Corporation en offrant en vente ces valvules sur le territoire français ;

- DIRE que les systèmes comprenant une valvule prothétique Myval et son dispositif d'administration Navigator reproduisent les revendications 1, 5 et 15 du brevet EP 3 498 226 ; que la société Meril Life Sciences Private Limited a commis des actes de contrefaçon de ce brevet à l'encontre de la société Edwards Lifesciences Corporation en offrant en vente ces systèmes sur le territoire français ;

- DIRE que la société Meril Life Sciences Private Limited a commis des actes de concurrence déloyale en créant un risque de confusion entre sa valvule Myval et la valvule SAPIEN 3, en utilisant le signe "PARTNER" et en associant son produit au Pr. [B], au préjudice des sociétés Edwards Lifesciences Llc et Edwards Lifesciences Sas;

- DIRE que la société Meril Life Sciences Private Limited a commis des actes de parasitisme en copiant la valvule SAPIEN 3 et sa notice d'utilisation au préjudice des sociétés Edwards Lifesciences Llc et Edwards Lifesciences Sas ;

- INTERDIRE à la société Meril Life Sciences Private Limited de fabriquer, d'importer, utiliser, mettre dans le commerce, offrir directement ou indirectement, ou détenir aux fins précitées les valvules prothétiques Myval, leurs dispositifs d'administration Navigator, tels que saisis ainsi que tout autre dispositif mettent en oeuvre les revendications des brevets EP 1 267 753, EP 2 736 457, EP 3 494 930, EP 2 628 464, EP 3 498 226 ainsi que leur notice d'utilisation en France, sous astreinte de 20 000 € par jour et par infraction constatée, dès la signification de la décision à intervenir ;

- INTERDIRE à la société Meril Life Sciences Private Limited de promouvoir et de commercialiser, directement ou indirectement, des valvules prothétiques sous le nom " MYVAL " sur le territoire français, sous astreinte de 20 000 € par jour et par infraction constatée, dès la signification de la décision à intervenir ;

- CONDAMNER la société Meril Life Sciences Private Limited au paiement d'une somme de 150.000€ à Edwards Lifesciences Corporation au titre des actes de contrefaçon de brevet ;

- CONDAMNER la société Meril Life Sciences Private Limited au paiement d'une somme de 150.000€ à chacune des sociétés Edwards Lifesciences Llc et Edwards Lifesciences Sas au titre des actes de concurrence déloyale ;

- CONDAMNER la société Meril Life Sciences Private Limited au paiement d'une somme de 150.000€ à chacune des sociétés Edwards Lifesciences Llc et Edwards Lifesciences Sas au titre des actes de parasitisme ;

- AUTORISER les sociétés Edwards Lifesciences Corporation, Edwards Lifesciences Llc et Edwards Lifesciences Sas à faire publier, par extraits de leur choix, le jugement à intervenir, dans cinq journaux ou périodiques de leur choix, aux frais de la société Meril Life Sciences Private Limited à concurrence de 4 000 € hors taxes par insertion ;

- ORDONNER la publication du jugement à intervenir sur la page d'accueil des sites Internet www.merillife.com et www.myval.com, en police de caractères Times new Roman, en taille 13, et ce pour une durée de 3 mois dans un délai de 8 jours à compter de la signification du jugement à intervenir, et ce sous astreinte définitive de 2000 euros par jour de retard ;

- AUTORISER Edwards Lifesciences Corporation à publier le jugement à intervenir sur la page d'accueil de son site Internet à l'adresse www.edwards.com en haut de page, en police de caractères times new roman, en taille 13, et ce pour une durée de 3 mois à compter du jugement à intervenir ;

- CONDAMNER la société Meril Life Sciences Private Limited à payer à chacune des sociétés Edwards Lifesciences Corporation, Edwards Lifesciences Llc, et Edwards Lifesciences Sas la somme de 190 000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

- CONDAMNER la société Meril Life Sciences Private Limited aux entiers dépens, dont distraction au profit de Me Anne-Charlotte Le Bihan, avocat, en application de l'article 699 du code de procédure civile ;

- ORDONNER l'exécution provisoire du jugement à intervenir nonobstant appel et sans constitution de garantie.

Dans ses dernières conclusions du 20 octobre 2021, la société Meril Life Sciences Private Limited demande au tribunal, au visa des articles 384, 385, 394, 396 et suivants, 700 et 787 du code de procédure civile, L.613-25 du code de la propriété intellectuelle, 54, 56 et 123(2) de la Convention de Munich sur le Brevet européen, 1240 du code civil, de :

- CONSTATER qu'elle se désiste de ses demandes reconventionnelles en nullité formées à l'encontre des brevets européens EP 1 267 753 et EP 2 736 457 ;

- CONSTATER le dessaisissement du tribunal du litige relatif à la nullité de ces brevets;

- DONNER ACTE à Meril Life Sciences de ce qu'elle s'engage à ne pas commercialiser, offrir à la vente et importer sur le territoire français les produits MyVal et Navigator saisis et fondant la présente action ;

- DONNER ACTE de ce que Meril Life Sciences ne reconnait pas la validité des brevets EP 1 267 753, EP 2 736 457, EP 2 628 464, EP 3 494 930, EP 3 498 226 ;

- DONNER ACTE de ce que Meril Life Sciences ne reconnait ni les actes de contrefaçon ni les actes de concurrence déloyale et de parasitisme allégués ;

- DEBOUTER les sociétés Edwards Lifesciences Corporation, Edwards Lifesciences Llc et Edwards Lifesciences Sas de l'ensemble de leur demandes, fins et conclusions ;

A titre subsidiaire :

- DIRE que les dommages et intérêts et les condamnations sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ne peuvent être que symboliques.

L'instruction a été clôturée par une ordonnance du 21 octobre 2021 et l'affaire plaidée à l'audience du 17 février 2022.

MOTIFS DE LA DÉCISION

1o) Sur la validité des brevets opposés

Conformément aux dispositions des articles 394, 395 alinéa 2 et 399 du code de procédure civile, il y a lieu de déclarer parfait le désistement de la société Meril Life Sciences de ses demandes reconventionnelles en vue de mettre fin à l'instance aux fins d'annulation des brevets EP 1 267 753 et EP 2 736 457.

Ce désistement laisse, de droit, intact son droit d'agir sur ce point de sorte qu'il n'y a pas lieu de lui en donner acte.

2o) Sur la contrefaçon

La défenderesse n'articule aucun moyen visant à contester que les produits Myval / Navigator reproduisent les revendications des brevets EP 457, EP 930, EP 464 et EP 226.

Elle s'engage à ne pas commercialiser en France ces produits et conteste l'existence d'actes de contrefaçon commis en France, les systèmes Myval et Navigator n'ayant quoi qu'il en soit jamais été commercialisés en France, et n'étant pas davantage disponibles en France au moment du salon "EuroPCR 2019", comme indiqué dans son communiqué de presse ("Myval-THV System is not available for sale in France").

Les demanderesses soutiennent quant à elles que :
- les valvules Myval sont des copies serviles de ses produits brevetés Sapien 3,
- des exemplaires physiques de valvules Myval et de leurs dispositifs d'administration Navigator ont été utilisés dans le cadre de la promotion et des démonstrations organisées par la société Meril sur le "Training Village" du salon Euro PCR 2019,
- les valvules Myval et leurs dispositifs d'administration Navigator utilisés durant le salon ont été importés en France depuis l'Inde par la société Meril,
- en exposant ses valvules Myval et leurs dispositifs d'administration sur à l'occasion du salon, la société Meril a offert à la vente ses produits sur le territoire français,
- la société Meril n'a pas caché ses intentions d'introduire son produit en Europe en communiquant abondamment sur sa certification européenne.

Appréciation du tribunal

Aux termes de l'article L.615-1 alinéa 1er du code de la propriété intellectuelle, "Toute atteinte portée aux droits du propriétaire du brevet, tels qu'ils sont définis aux articles L. 613-3 à L. 613-6, constitue une contrefaçon."

En outre, selon l'article L.613-3, a) de ce même code, "Sont interdites, à défaut de consentement du propriétaire du brevet :
a) La fabrication, l'offre, la mise dans le commerce, l'utilisation, l'importation, l'exportation, le transbordement, ou la détention aux fins précitées du produit objet du brevet ;"

En application de ces dispositions, il est constamment jugé que l'exposition d'un produit fini reproduisant sans autorisation les revendications d'un brevet à l'occasion d'un salon destiné à d'éventuels acheteurs constitue une offre en vente prohibée, une telle présentation étant susceptible de détourner la clientèle du breveté (Cass. Com., 30 janvier 2001, pourvoi no 98-13.641 ; Cass. Com., 5 juillet 2017, pourvoi no 15-20.554, Bull. 2017, IV, no 101).

Il résulte en l'occurrence des pièces produites aux débats et en particulier des procès-verbaux de saisie-contrefaçon dressés les 22 et 23 mai 2019, que la société Meril Life Sciences a offert à la vente, dans le cadre du salon "Euro PCR 2019" qui s'est tenu à [Localité 5] du 21 au 24 mai 2019, les dispositifs Myval et Commander lesquels reproduisent, sans autorisation du breveté, les revendications de ses brevets.

Il s'agit d'actes de contrefaçon au sens des dispositions précitées susceptibles de détourner la clientèle, en particulier étrangère, du breveté, participant à ce salon professionnel.

3o) Sur la concurrence déloyale et parasitaire

Moyen des parties

Les demanderesses soutiennent qu'outre la contrefaçon de la valvule Sapien 3, la société Meril utilise également le nom "PARTNER", qui est le nom des études cliniques portant sur sa valvule Sapien, de même qu'elle associe sa valvule Myval au Pr. [B], fondateur des mêmes valvules.

Elles lui reprochent également de s'être livrées à une copie servile du manuel d'utilisation de leur valvule Sapien 3.

Les demanderesses en concluent que la société Meril cherche manifestement à créer une confusion entre sa valvule Myval et la valvule Sapien 3, ainsi qu'à se placer dans son sillage afin de tirer profit de ses investissements et de ses efforts intellectuels.

La défenderesse ne développe aucun moyen aux fins de contester l'existence d'actes de concurrence déloyale et parasitaire.

Appréciation du tribunal

Au visa des articles 1240 et 1241 du code civil, il est constamment jugé que la liberté du commerce autorise tout acteur économique à attirer vers lui la clientèle de son concurrent. Aussi, l'imitation d'un concurrent n'est, en tant que telle, pas fautive, à moins que ne soient utilisés des procédés illicites ou contraires aux usages loyaux du commerce.

A cet égard, les procédés consistant, par imitation des signes d'un concurrent, à créer dans l'esprit du public une confusion de nature à tromper la clientèle et la détourner, caractérisent des actes de concurrence déloyale.

L'appréciation de la faute doit résulter d'une approche concrète et circonstanciée des faits en prenant en compte le caractère plus ou moins servile, systématique ou répétitif de l'imitation, l'ancienneté du signe imité, l'originalité ou la notoriété du signe copié.

Au visa de l'article 1240 du code civil, il est également jugé qu'est fautif le fait, pour un professionnel, de s'immiscer dans le sillage d'un autre afin de tirer profit, sans rien dépenser, de ses efforts et de son savoir-faire particulier (Cass. Com., 26 janvier 1999, pourvoi no 96-22.457 ; Cass. Com., 10 septembre 2013, pourvoi no 12-20.933), ce qui constitue un acte de parasitisme.

En outre, la présentation, lors d'un salon international, de marchandises et la distribution d'un catalogue présentant ces marchandises sont, malgré l'absence de commercialisation ou d'offre de commercialisation, susceptibles de constituer des actes de parasitisme si ces marchandises reprennent les éléments de présentation caractéristiques de produits notoires (Cass. Com., 3 mars 2021, pourvoi no 18-22.804).

En réalisant une copie servile de la valvule Sapien 3, qui est le produit "phare" des demanderesses (pièce noE01-2), dont elle a fait la promotion dans la cadre du salon EuroPCR 2019 en utilisant le slogan "Partner the future", alors que "Partner" est aussi le nom des études relatives aux valvules Sapien 3 (pièces no E76, E77 et E78), en communiquant sur sa collaboration avec le professeur [B], qui a inventé la valvule Sapien (pièce noE82), acquise par la société Edwards Lifesciences, et en reproduisant enfin des paragraphes entiers de la notice d'utilisation développée par la société Edwards Lifesciences Llc, la société Meril a indéniablement recherché une certaine confusion avec les sociétés Edwards Lifesciences Llc et Edwards Lifesciences Sas (pièces noE74 - commentaires de participants au salon commentant la ressemblance entre les valvules) et cherché à se placer dans leur sillage, afin de tirer profit, sans rien dépenser, de leurs investissements et de leurs efforts.

Il s'agit d'actes de concurrence déloyale et parasitaires, distincts de la contrefaçon, commis au préjudice des sociétés Edwards Lifesciences Llc et Edwards Lifesciences Sas.

4o) Sur les mesures de réparation

Moyens des parties

Les demanderesses sollicitent :
- une mesure d'interdiction à l'encontre des valvules Myval et des dispositifs d'administration Myval ainsi que toutes autres valves ou dispositifs d'administration portant atteinte aux brevets EP 753, EP 457, EP 930, EP 464 et EP 226 ;
- la publication du jugement.

Elles sollicitent également aux fins de réparation de leur préjudice le paiement des sommes suivantes :
- 150.000 euros réparant forfaitairement le préjudice causé par les actes de contrefaçon de brevet, notamment en ce que tout acte de promotion sur un salon d'envergure internationale aurait des conséquences majeures, tant sur le plan commercial que sur le plan de l'image ;
- 150.000 euros pour le préjudice d'image causé par les actes de concurrence déloyale, en raison du risque de confusion crée entre les dispositifs Myval et Sapien 3, renforcé par la reprise du nom " PARTNER " et par les références au Pr. [B] ;
- 150.000 euros pour le préjudice causé par les actes de parasitisme résultant de la copie de leurs valvules Sapien 3 et de leur notice d'utilisation.

La société Meril soutient qu'aucun préjudice n'a pu être subi par les demanderesses puisque seuls quelques exemplaires du dispositif Myval / Navigator ont été importés en France et découvers lors des opérations de saisie-contrefaçon, tandis qu'elle n'a jamais, ni commercialisé ni offert à la vente les produits incriminés sur le territoire français.

Elle ajoute que le simple fait que les produits argués de contrefaçon aient été présentés dans le cadre de démonstrations médicales ne peut avoir provoqué un préjudice aux sociétés Edwards.

Appréciation du tribunal

Aux termes de l'article L.615-3 du code de la propriété intellectuelle, "(...)La juridiction peut interdire la poursuite des actes argués de contrefaçon,(...)"

Selon l'article L.615-7 de ce même code, "Pour fixer les dommages et intérêts, la juridiction prend en considération distinctement :
1o Les conséquences économiques négatives de la contrefaçon, dont le manque à gagner et la perte subis par la partie lésée ;
2o Le préjudice moral causé à cette dernière ;
3o Et les bénéfices réalisés par le contrefacteur, y compris les économies d'investissements intellectuels, matériels et promotionnels que celui-ci a retirées de la contrefaçon.
Toutefois, la juridiction peut, à titre d'alternative et sur demande de la partie lésée, allouer à titre de dommages et intérêts une somme forfaitaire. Cette somme est supérieure au montant des redevances ou droits qui auraient été dus si le contrefacteur avait demandé l'autorisation d'utiliser le droit auquel il a porté atteinte. Cette somme n'est pas exclusive de l'indemnisation du préjudice moral causé à la partie lésée."

Il résulte enfin de l'article L.615-7-1, alinéa 2, "La juridiction peut aussi ordonner toute mesure appropriée de publicité du jugement, notamment son affichage ou sa publication intégrale ou par extraits dans les journaux ou sur les services de communication au public en ligne qu'elle désigne, selon les modalités qu'elle précise.
Les mesures mentionnées aux deux premiers alinéas sont ordonnées aux frais du contrefacteur."

Conformément aux dispositions précitées, il y a lieu de faire droit aux mesures d'interdiction (à l'exclusion de l'interdiction de commercialiser une valvule sous le nom "Myval" qui n'apparaît pas justifiée), et de publication, sollicitées selon les modalités précisées au dispositif de la présente décision.

Le préjudice de la société Edwards Lifesciences Corp., titulaire du brevet, doit être indemnisé en tenant compte du fait qu'aucun dispositif contrefaisant Myval / Navigator n'a été commercialisé dans le cadre du salon Euro PCR de 2019, de sorte qu'aucune perte financière ne peut être retenue, tandis que le salon a duré quatre jours et qu'un faible nombre de produits contrefaisants a été en définitive importé en France. Les faits litigieux sont quoi qu'il en soit indicutablement à l'origine d'une banalisation des produits brevetés et de la technologie qu'ils protègent, subie pendant un important salon professionnel. En outre, en faisant la promotion des produits contrefaisants, la société défenderesse a réalisé des économies d'investissement et attiré indûment la clientèle sur d'autres de ses produits. Aussi, ces faits justifient la condamnation de la société Meril Life Sciences à payer à la société Edwards Lifesciences Corp. la somme de 30.000 euros à titre de dommages-intérêts réparant le préjudice résultant de la contrefaçon.

Les faits de concurrence déloyale et parasitaire constatés sont de la même manière à l'origine d'un préjudice d'image pour les sociétés Edwards Lifescences Llc et Edwards Lifesciences Sas qui commercialisent les valvules Sapien 3 et les dispositifs Commander, dont les produits sont banalisés et les efforts détournés. La société Meril sera ainsi condamnée à leur payer la somme de 10.000 euros chacune, en réparation du préjudice subi au titre de la concurrence déloyale et parasitaire.

5o) Dispositions finales

Partie perdante au sens de l'article 700 du code de procédure civile, la société Meril Life Sciences sera condamnée aux dépens, ainsi qu'à payer aux sociétés demanderesses la somme (globale) de 30.000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, cette somme tenant compte du fait, ainsi d'ailleurs que les demanderesses le retiennent elles-mêmes, que la défense de la société Meril Life Sciences a essentiellement consisté à soulever des incidents de procédure, pour lesquels elles ont déjà été indemnisées (à hauteur de 11.500 euros), le tribunal estimant nécessaire de prendre en compte, en sa faveur, du désistement de la société Meril Life Sciences de ses demandes reconventionnelles aux fins d'annulation de certains des brevets opposés.

Nécessaire et compatible avec la nature de l'affaire, l'exécution provisoire de la présente décision sera ordonnée.

PAR CES MOTIFS,

Statuant publiquement par mise à disposition au greffe, par jugement rendu contradictoirement et en premier ressort,

Le tribunal,

CONSTATE le désistement d'instance de la société Meril Life Sciences Private Limited de ses demandes reconventionnelles aux fins d'annulation des brevets EP 1 267 753 et EP 2 736 457 et le dessaisissement de la juridiction des demandes de ce chef ;

DIT qu'en offrant à la vente, dans le cadre du salon EuroPCR 2019, organisé à [Localité 5] du 21 au 24 mai 2019, les valvules prothétiques Myval et les dispositifs d'administration Navigator, reproduisant les revendications 1 et 2 de la partie française du brevet EP 1 267 753, la revendication 1 de la partie française du brevet EP 2 628 464, les revendications 1, 2, 5, 7, 9 et 10 de la partie française du brevet EP 2 736 457, la revendication 1 de la partie française du brevet EP 3 494 930, ainsi que les revendications 1, 5 et 15 de la partie française du brevet EP 3 498 226, la société Meril Life Sciences Private Limited a commis des actes de contrefaçon au préjudice de la société Edwards Lifesciences Corp. ;

DIT qu'en réalisant une copie servile de la valvule SAPIEN 3, en utilisant le slogan "PARTNER the future" pour faire la promotion de cette contrefaçon, en associant son produit au Pr. [B], et en copiant sept paragraphes de la notice d'utilisation de la valvule Sapien 3, la société Meril Life Sciences Private Limited a commis des actes de parasitisme au préjudice des sociétés Edwards Lifesciences Llc et Edwards Lifesciences Sas ;

FAIT DEFENSE à la société Meril Life Sciences Private Limited de fabriquer, d'importer, utiliser, mettre dans le commerce, offrir directement ou indirectement, ou détenir aux fins précitées, sur le territoire français, les valvules prothétiques Myval, leurs dispositifs d'administration Navigator, tels que saisis, mettant en oeuvre les revendications des brevets EP 2 736 457, EP 3 494 930, EP 2 628 464, EP 3 498 226, et ce, sous astreinte de 2.000 € par infraction constatée, courant à l'expiration d'un délai de 48 heures suivant la signification du présent jugement et ce, jusqu'à l'expiration des droits de brevets de la société Edwards Lifesciences Corporation ;

CONDAMNE la société Meril Life Sciences Private Limited au paiement d'une somme de 30.000€ à Edwards Lifesciences Corporation au titre des actes de contrefaçon de brevet ;

CONDAMNE la société Meril Life Sciences Private Limited au paiement d'une somme de 10.000€ à chacune des sociétés Edwards Lifesciences Llc et Edwards Lifesciences Sas au titre des actes de concurrence déloyale et parasitaire ;

AUTORISE les sociétés Edwards Lifesciences Corporation, Edwards Lifesciences Llc et Edwards Lifesciences Sas à faire publier le dispositif du présent jugement, dans trois journaux ou périodiques de leur choix, aux frais de la société Meril Life Sciences Private Limited, à concurrence de 4 000 € hors taxes par insertion ;

AUTORISE la société Edwards Lifesciences Corporation à publier le dispositif du présent jugement sur la page d'accueil de son site Internet à l'adresse etlt;www.edwards.cometgt; en haut de page, en police de caractères times new roman, en taille 12, et ce pour une durée de 2 mois à compter du jour où le présent jugement est devenu définitif ;

REJETTE toutes les autres demandes des parties ;

CONDAMNE la société Meril Life Sciences Private Limited aux dépens, et autorise Me Anne-Charlotte Le Bihan, avocat, à recouvrer directement ceux dont elle aurait fait l'avance sans avoir reçu provision conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile;

CONDAMNE la société Meril Life Sciences Private Limited à payer aux sociétés Edwards Lifesciences Corporation, Edwards Lifesciences Llc, et Edwards Lifesciences Sas la somme de 10.000 € chacune par application de l'article 700 du code de procédure civile ;

ORDONNE l'exécution provisoire de la présente décision, sauf en ce qui concerne la publication (par voie de presse et sur le site internet "edwards.com") de la présente décision ;

Fait et jugé à Paris le 10 mai 2022.

La GreffièreLa Présidente


Synthèse
Tribunal : Tribunal de grande instance de Paris
Formation : Ct0196
Numéro d'arrêt : 19/7256
Date de la décision : 10/05/2022

Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.grande.instance.paris;arret;2022-05-10;19.7256 ?
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