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10/05/2022 | FRANCE | N°19/5009

France | France, Tribunal de grande instance de Paris, Ct0196, 10 mai 2022, 19/5009


TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS

3ème chambre
3ème section

No RG 19/05009 -
No Portalis 352J-W-B7D-CPWZ2

No MINUTE :

Assignation du :
26 avril 2019

JUGEMENT
rendu le 10 mai 2022
DEMANDERESSE

S.A.R.L. LES BISCUITS [U]
[Adresse 3]
[Localité 2]

représentée par Maître Georges JOURDE de l'ASSOCIATION VEIL JOURDE, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #T0006

DÉFENDERESSES

FONDATION DE DOTATION EMERAUDE SOLIDAIRE
[Adresse 1]
[Localité 4]

S.A.R.L. GRAIN DE MOUTARDE
[Adresse 1]
[Loca

lité 4]

représentées par Maître Laëtitia BENARD du LLP ALLEN et OVERY, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #J0022

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Nathalie SA...

TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS

3ème chambre
3ème section

No RG 19/05009 -
No Portalis 352J-W-B7D-CPWZ2

No MINUTE :

Assignation du :
26 avril 2019

JUGEMENT
rendu le 10 mai 2022
DEMANDERESSE

S.A.R.L. LES BISCUITS [U]
[Adresse 3]
[Localité 2]

représentée par Maître Georges JOURDE de l'ASSOCIATION VEIL JOURDE, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #T0006

DÉFENDERESSES

FONDATION DE DOTATION EMERAUDE SOLIDAIRE
[Adresse 1]
[Localité 4]

S.A.R.L. GRAIN DE MOUTARDE
[Adresse 1]
[Localité 4]

représentées par Maître Laëtitia BENARD du LLP ALLEN et OVERY, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #J0022

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Nathalie SABOTIER, 1ère vice-présidente adjointe
Arthur COURILLON-HAVY, juge
Linda BOUDOUR, juge

assisté de Lorine MILLE, greffière,

DÉBATS

A l'audience du 09 février 2022 tenue en audience publique devant Nathalie SABOTIER et Arthur COURILLON-HAVY, juges rapporteurs, qui, sans opposition des avocats, ont tenu seuls l'audience, et, après avoir entendu les conseils des parties, en ont rendu compte au Tribunal, conformément aux dispositions de l'article 805 du Code de Procédure Civile. Avis a été donné aux avocats que le jugement serait rendu par mise à disposition au greffe le 05 avril 2022, à cette date la décision a fait l'objet d'une prorogation au 10 mai 2022.

JUGEMENT

Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe
Contradictoire
En premier ressort

___________________________

EXPOSÉ DU LITIGE

La Sarl Les Biscuits [U] exploite [Adresse 3] (22) un fonds de commerce de boulangerie, pâtisserie et de biscuiterie artisanale, fondé en 1934 par [Z] [U]. Depuis environ 40 ans, le fonds est exploité sous le signe "Biscuits [U]" accompagné de la représentation d'un nain :

La société Les Biscuits [U] est titulaire de :

- La marque verbale française " Biscuits [U] " déposée le 25 décembre 2016 sous le no 4324964 pour désigner en classes 29 les "Viande ; poisson ; volaille ; gibier ; extraits de viande ; fruits conservés ; fruits congelés ; fruits secs ; fruits cuisinés ; légumes conservés ; légumes surgelés ; légumes séchés ; légumes cuits ; gelées ; confitures ; compotes ; ufs ; lait ; produits laitiers ; huiles et graisses comestibles ; graisses alimentaires ; beurre ; charcuterie ; salaisons ; crustacés (non vivants) ; conserves de viande ; conserves de poisson ; fromages ; boissons lactées où le lait prédomine", 30 les "Café ; thé ; cacao ; sucre ; farine ; préparations faites de céréales ; pain ; pâtisseries ; confiserie ; glaces alimentaires ; miel ; sirop de mélasse; levure ; poudre à lever ; sel ; glace à rafraîchir ; sandwiches ; pizzas; crêpes (alimentation) ; biscuits ; gâteaux ; biscottes ; sucreries ; chocolat ; boissons à base de cacao ; boissons à base de café ; boissons à base de thé" et 32 les "Bières ; eaux minérales (boissons) ; eaux gazeuses ; boissons à base de fruits ; jus de fruits ; sirops pour boissons ; préparations pour faire des boissons ; limonades ; nectars de fruits ; sodas ; apéritifs sans alcool" ;

- La marque verbale française " Maison [U] " déposée le 14 novembre 2017 sous le no 4404183 pour désigner les mêmes produits en classes 29, 30 et 32.

La société Biscuits [U] est également titulaire du nom de domaine etlt;www.[05].fretgt;.

Le Fonds de dotation émeraude solidaire, créé en 2010 par un couple d'entrepreneurs bretons, [L] et [H] [T], a pour objet d'initier et de soutenir des actions solidaires et humanitaires.

Courant 2017, le fonds de dotation a créé un projet de cafés solidaires au sein desquels sont employées des personnes en situation de handicap, à l'origine baptisé "CHACOFF" (pour "Charity Coffee"), puis "Café [U]". Le premier établissement "Café [U]" a ouvert à [Localité 9] à la fin de l'année 2017 et a été suivi de deux établissements inaugurés à [Localité 8] dans le courant de l'année 2018. Ces ouvertures ont fait l'objet d'une importante campagne médiatique.

Le fonds de dotation a en outre déposé (les produits et services mentionnés ci-dessous sont ceux qui figurent à l'enregistrement après les décisions des offices) :

- la marque verbale française "[U]" no4400588, le 30 octobre 2017, pour désigner en classe 41 les servides d' "Éducation ; Formation ; Divertissement ; Activités sportives et culturelles ; Informations en matière d'éducation ; Publication de livres ; prêt de livres ; Production de films cinématographiques ; Organisation de concours (éducation ou divertissement) ; Organisation et conduite de colloques ; Organisation et conduite de conférences ; Organisation et conduite de congrès ; Organisation d'expositions à buts culturels ou éducatifs ; Publication électronique de livres et de périodiques en ligne ; Micro- édition ; Formations pour les personnes atteintes d'un handicap ; Services d'évaluation de handicaps dans le contexte d'activités de restauration rapide ; Services de formation pour personnes atteintes d'un handicap dans le contexte d'activités de restauration rapide" ;

- la marque verbale française "[U], servi avec le coeur" no4400599, le 30 octobre 2017, pour désigner en classe 9 les "Huiles et graisses comestibles ; Fruits conservés ; Fruits congelés ; Fruits secs ; Fruits cuisinés ; Gelées ; Confitures ; OEufs ; Lait ; Produits laitiers ; Beurre; Lait aromatisé; Milk-shakes [boissons frappées à base de lait]; Boissons à base de lait ; Boissons à base de lait contenant du café; Boissons à base de lait contenant des jus de fruits; Boissons à base de lait contenant des fruits; Boissons à base de lait contenant du chocolat; Boissons à base de lait contenant du thé; Boissons à base de soja servant de succédanés du lait; Boissons énergétiques à base de lait; Lait déshydraté; Mélanges pour faire des boissons à base de produits laitiers; Lait de soja; En-cas à base de fruits; Gelées de fruits, confitures, compotes; Pâtes à tartiner à base de viande; Pâte à tartiner à base de poisson; pâte à tartiner à base de volaille; Pâtes à tartiner à base de fruits; Pâte à tartiner à base de noix; Pâtes à tartiner à base de légumes; Pâtes à tartiner à base de produits laitiers; Fruits et légumes conservés; Plats préparés composés principalement de viande, soja, volaille, fruits de mer, légumes, fruits, tofu et/ou fromage; Yogourts; boissons à base de yogourt; Chantilly; Fruits à coque préparés; Fruits à coque assaisonnés; Fruits à coque grillé; En-cas à base de fruits à coque ;"
en classe 30 les "Café ; Thé ; Préparations faites de céréales ; Pâtisseries ; Glaces alimentaires ; Glace à rafraîchir ; Sandwiches ; Pizzas ; Crêpes (alimentation) ; Gâteaux ; Biscottes ; Sucreries ; Grains de café entiers et moulus; Boissons à base de café; Cacao; Cacao soluble; Thé et tisane (autre qu'à usage médicinal); Boissons à base de thés et de tisanes (autre qu'à usage médicinal); Mélange de boisson à base de café; Mélange de boisson à base d'expresso; Boissons chocolatées; Mélange de boisson à base de thé; Mélange de boisson à base de tisane (autre qu'à usage médicinal); Boissons non alcooliques à base de café, thé, cacao et expresso ; Boissons non alcooliques à base de café ; Boissons non alcooliques à base d'expresso; Boissons non alcooliques à base de thé ; Chocolat en poudre et vanille; Compotes ; Sirops aromatisés pour ajouter aux boissons; Confiseries glacées, à savoir crème glacée, lait glacé, yaourt glacé, confiseries glacées, arômes de tisanes (autre qu'à usage médicinal) et/ou de fruits; Arômes pour boissons autres que les huiles essentielles; Arômes de vanille; Chocolat, bonbons et confiseries; Produits de boulangerie, à savoir gateaux , biscuits, muffins, scones, pain; Cheese-cakes ; Cookies ; Brownies ; Muffins ; Beignets ; Viennoiserie; Donuts ; Salades ; Sandwiches; Plats préparés essentiellement à base de pâtes alimentaires; Plats préparés essentiellement à base de riz; Plats préparés composés principalement de graines; Pâtes à tartiner à base de chocolat; Produits alimentaires dérivés de céréales transformées et utilisés comme céréales de petit-déjeuner; Gruau d'avoine; En-cas à base de céréales; Crackers; Maïs grillé et éclaté [pop corn]; Sucre; Miel; Sirop d'agave, sirop d'érable; Sauces [condiments], à savoir condiments à ajouter à des boissons; Sauces à salade ;
en classe 32 les "Boissons de fruits, jus de fruits et boissons à base de fruits; Boissons à base de légumes; Jus de légumes; Boissons à base de légumes; Boissons sans alcool,à savoir boissons gazeuses ; Boissons sans alcool; Boissons énergétiques ; boissons pour sportifs; Mélanges liquides pour préparer des boissons sans alcool et des boissons à base de fruits; Poudres utilisées dans la préparation de boissons sans alcool et de boissons à base de fruits; Sirops pour boissons; Eau potable, eau minérale et eau gazeuse en bouteille aromatisée ou non; Boissons à base de soja autres que des succédanés du lait; Purées et concentrés de fruits pour la fabrication de boissons",
en classe 41 les services d' "Éducation ; Formation ; Divertissement ; Activités sportives et culturelles ; Informations en matière d'éducation; Publication de livres ; prêt de livres ; Production de films cinématographiques ; Organisation de concours (éducation ou divertissement) ; Organisation et conduite de colloques ; Organisation et conduite de conférences ; Organisation et conduite de congrès ; Organisation d'expositions à buts culturels ou éducatifs ; Publication électronique de livres et de périodiques en ligne ; Micro- édition ; Formations pour les personnes atteintes d'un handicap ; Services d'évaluation de handicaps dans le contexte d'activités de restauration rapide ; Services de formation pour personnes atteintes d'un handicap dans le contexte d'activités de restauration rapide ;"
et en classe 43 les "Services de restaurants, cafés, cafétérias, snack-bars, bars à en-cas, bars à café, salons de thé, maisons de thé et restaurants de plats à emporter ; Préparation de plats et boissons à emporter ; Services de bars ; Services de traiteurs ; Services de préparation de nourriture et de boissons ; Services de boissons dans le cadre d'un contrat ; Services de restauration rapide ; Services d'établissements de restauration rapide ; Services d'établissements de restauration rapide et de restaurants en service continu ; Services de traiteurs au sein de cafétérias de restauration rapide";

- la marque semi-figurative française "[U], servi avec le coeur" no4400608, le 30 octobre 2017, pour désigner les mêmes produits et services que précédemment ;

- la marque verbale française "Café [U]" no4406671, le 22 novembre 2017, pour désigner les mêmes services que précédemment en classes 41 et 43 ;

- la marque verbale de l'Union européenne "[U]" no17513193, le 23 novembre 2017, pour désigner en classe 29 les "Plats préparés composés principalement de soja, tofu" et, en classe 41, les services d' "Éducation; Formation; Divertissement; Activités sportives et culturelles; Informations en matière d'éducation; Publication de livres; prêt de livres; Production de films cinématographiques; Organisation de concours (éducation ou divertissement); Organisation et conduite de colloques; Organisation et conduite de conférences; Organisation et conduite de congrès; Organisation d'expositions à buts culturels ou éducatifs; Publication électronique de livres et de périodiques en ligne; Micro- édition; Formations pour les personnes atteintes d'un handicap; Services de formation pour personnes atteintes d'un handicap dans le contexte d'activités de restauration rapide" ;

- la marque verbale de l'Union européenne "[U], servi avec le coeur" no17513235 le 23 novembre 2017, pour désigner différents produits et services en classes 29, 30, 32, 41 et 43 ;

- la marque de l'Union européenne semi-figurative "[U], servi avec le coeur" no17513284, le 23 novembre 2017, pour désigner différents produits et services en classes 29, 30, 32, 41 et 43 :

La société Grain de moutarde, créée en 2017, et dotée du statut d'entreprise de l'économie sociale et solidaire, est titulaire du nom de domaine etlt;www.[06].cometgt;.
Estimant que le dépôt et l'exploitation de ces signes portaient atteinte à ses droits antérieurs, la société Les Biscuits [U] a engagé au cours de l'année 2018, avec le Fonds de dotation solidaire, un processus de médiation lequel n'a pas permis aux parties de parvenir à une résolution librement négociée de leur litige.

C'est en cet état que, par acte d'huissier délivré le 14 novembre 2018, la société Les biscuits [U] a fait assigner devant le président de ce tribunal statuant en référé le Fonds de dotation emereaude solidaire et la société Grain de moutarde aux fins d'obtenir des mesures provisoires, indemnitaires et d'interdiction d'usage, du signe "[U]" par les défenderesses.

Par une ordonnance du 29 mars 2019, le juge des référés a partiellement fait droit aux demandes faisant défense aux défenderesses de faire usage du signe "[U]" seul.

Par acte d'huissier délivré le 26 avril 2019, la société Les Biscuits [U] a fait assigner le Fonds de Dotation Émeraude Solidaire et la société Grain de moutarde devant ce tribunal en contrefaçon de marques.

Par un arrêt du 19 juin 2020, la Cour d'appel de Paris a infirmé l'ordonnance du 29 mars 2019 et dit n'y avoir lieu à référé sur les demandes de la société Les Biscuits [U].

Par une décision du 5 novembre 2019, la cour d'appel de Paris a confirmé la décision du directeur de l'INPI ayant refusé l'enregistrement de la marque "[U]" en classe 43 (services de restaurant) et par une décision du 1er février 2021, la division d'opposition de l'EUIPO a refusé l'enregistrement de la marque "[U]" en classes de produits 29 et 32 (Viande, poisson, volaille et gibier et Bières, eaux minérales et gazeuses).

Dans ses dernières conclusions no5 notifiées par la voie électronique le 23 juin 2021, la société Les biscuits [U] demande au tribunal, au visa des articles L.713.3, L.716.1 et L.716.9 du code de la propriété intellectuelle, L.711.4 et L.714.3 du code de la propriété intellectuelle, 1240 et 1241 du code civil, 56, 699, 752 et 755 du code de procédure civile, L.716.6 et R.716.1 du code de la propriété intellectuelle, de :

- DIRE que l'assignation est valable ;
- DIRE que la société LES BISCUITS [U] est titulaire de droits antérieurs sur la marque française " BISCUITS [U] " no16 4 324 964 enregistrée le 26 décembre 2016 ainsi que sur la dénomination sociale " LES BISCUITS [U] ", le nom commercial et l'enseigne "BISCUITS [U]", de même que sur le nom de domaine "biscuitsjoyeux.fr " ;
- DIRE que la fondation FONDS DE DOTATION EMERAUDE SOLIDAIRE et la société GRAIN DE MOUTARDE ont respectivement déposé à titre de marques et exploité des signes ou expressions réalisant un usage à titre distinctif du terme "[U]" pour désigner des produits identiques et des services similaires aux produits visés au libellé de la marque "BISCUITS [U]" no 16 4 324 964 dont la société LES BISUITS [U] est titulaire ainsi que pour développer une activité suscitant, avec celle de la demanderesse, un risque de confusion avéré ;
- DIRE qu'en reproduisant et en utilisant le signe "[U]" pour désigner des produits identiques et des services similaires aux produits visés au libellé de la marque "BISCUITS [U]" no 16 4 324 964 et notamment une activité de restauration, le FONDS DE DOTATION EMERAUDE SOLIDAIRE et la société GRAIN DE MOUTARDE ont commis des actes de contrefaçon par imitation de la marque "BISCUITS [U]" et porté atteinte au nom commercial, à l'enseigne, à la dénomination sociale et au nom de domaine " BISCUITS [U] " dans des conditions caractérisant des actes de concurrence déloyale ;
En conséquence :
- PRONONCER la nullité des marques verbales "[U]" no4400588 et no17513193 ; "CAFE [U]" no4406671 ; "[U] servi avec le c?ur" no4400599 et no17513235 ; et des marques semi-figuratives "[U] servi avec le coeur" no4400608 et no17513284 ; pour les produits et services visés à leurs libellés respectifs en classes 29, 30, 32 et 43 ;
- FAIRE INTERDICTION à la fondation FONDS DE DOTATION EMERAUDE SOLIDAIRE et à la société GRAIN DE MOUTARDE de faire usage du signe "[U] " à titre distinctif, que ce soit isolément et notamment à titre de nom de domaine, ou au sein d'expressions telles que "CAFE [U]", "[U] servi avec le c?ur" ; "BUVEZ [U] ", "[U] aime servir dans la joie et ouvrir les c?urs" etc. personnifiant le terme "[U]" et lui conférant une fonction distinctive ; et ce sur quelque support que ce soit (papier, enseigne ; site internet ; comptes sociaux ; supports publicitaires et promotionnels et notamment bateau, voile, drapeaux ; ballons, casquettes...) sous astreinte de 1.000 euros par jour de retard, l'astreinte prenant effet 10 jours après la signification du jugement à intervenir ;
- SE RESERVER la liquidation de l'astreinte conformément aux dispositions de l'article 111-3 du code des procédures civiles d'exécution ;
- CONDAMNER conjointement et solidairement la fondation FONDS DE DOTATION EMERAUDE SOLIDAIRE et la société GRAIN DE MOUTARDE à payer à la société LES BISCUITS [U] la somme de 120 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait des actes de contrefaçon ;
- CONDAMNER conjointement et solidairement la fondation FONDS DE DOTATION EMERAUDE SOLIDAIRE et la société GRAIN DE MOUTARDE à payer à la société LES BISCUITS [U] la somme de 100 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait des actes de concurrence déloyale ;
- ORDONNER la publication du dispositif du jugement à intervenir dans trois journaux ou revues ou sites internet au choix de la société LES BISCUITS [U] et aux frais du FONDS DE DOTATION EMERAUDE SOLIDAIRE et de la société GRAIN DE MOUTARDE dans la limite de cinq mille (5.000) euros HT par insertion ;
- CONDAMNER conjointement et solidairement la fondation FONDS DE DOTATION EMERAUDE SOLIDAIRE et la société GRAIN DE MOUTARDE à payer à la société LES BISCUITS [U] la somme de 40 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- CONDAMNER conjointement et solidairement la fondation FONDS DE DOTATION EMERAUDE SOLIDAIRE et la société GRAIN DE MOUTARDE aux entiers dépens ;
- ORDONNER l'exécution provisoire de la décision à intervenir nonobstant appel et sans constitution de garantie ;
- DEBOUTER le FONDS DE DOTATION EMERAUDE SOLIDAIRE et la société GRAIN DE MOUTARDE de leurs demandes reconventionnelles.

Dans ses dernières conclusions no5 notifiées par la voie électronique le 15 juin 2021, le Fonds de dotation emeraude solidaire et la société Grain de moutarde demandent au tribunal, au visa des articles 9 et 124 du Règlement (UE) 2017/1001 sur la marque de l'Union européenne, 713-3, 711-1, 711-2 du code de la propriété intellectuelle, 56, 752 et 755 du code de procédure civile, 1112 et 1240 du code civil, de :
- PRONONCER la nullité de l'assignation signifiée le 26 avril 2019 au fonds de dotation EMERAUDE SOLIDAIRE et à la société GRAIN DE MOUTARDE ;
- SE DECLARER INCOMPETENT au profit de l'Office de l'Union européenne (EUIPO) pour statuer sur les demandes tendant à la nullité des marques de l'Union Européenne "[U]" no 17513193 et "[U] SERVI AVEC LE C?UR" no 17513235 ;
- DEBOUTER la société LES BISCUITS [U] de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions ;
- CONDAMNER la société LES BISCUITS [U] à payer au fonds de dotation EMERAUDE SOLIDAIRE et à la société GRAIN DE MOUTARDE 60.000 euros, sauf à parfaire, en réparation du préjudice subi du fait de la rupture abusive des pourparlers sous astreinte de 500 euros par jour à compter de la signification du jugement à intervenir ;
- CONDAMNER la société LES BISCUITS [U] à payer au fonds de dotation EMERAUDE SOLIDAIRE et à la société GRAIN DE MOUTARDE 80.000 euros en réparation du préjudice subi du fait des actes de concurrence déloyale et parasitaire, sauf à parfaire, sous astreinte de 500 euros par jour à compter de la signification de l'ordonnance ;
- CONDAMNER la société LES BISCUITS [U] à payer au fonds de dotation EMERAUDE SOLIDAIRE 50.000 euros, sauf à parfaire, en réparation du préjudice subi du fait de la contrefaçon de sa marque de l'Union européenne "[U]" no 17513193 sous astreinte de 500 euros par jour à compter de la signification du jugement à intervenir ;
- FAIRE INTERDICTION à la société LES BISCUITS [U] de faire usage du signe "[U] depuis 1963", "MAISON [U] depuis 1963" et "[U]" sous astreinte de 500 euros par jour, l'astreinte prenant effet au jour du prononcé du jugement à intervenir ;
- CONDAMNER la société LES BISCUITS [U] à payer au fonds de dotation EMERAUDE SOLIDAIRE la somme de 50.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- CONDAMNER la société LES BISCUITS [U] aux entiers dépens à recouvrer par Maître Laetitia BENARD aux termes de l'article 699 du code de procédure civile.

L'instruction a été clôturée par une ordonnance du 30 septembre 2021 et l'affaire plaidée à l'audience du 9 février 2022.

MOTIFS DE LA DÉCISION
1o) Sur la validité de l'assignation contestée en défense

Moyens des parties

Les défendeurs soutiennent que l'assignation est nulle en ce qu'elle ne définit pas les faits en litige et les demandes de manière suffisamment précise. Ce moyen de nullité est fondé sur l'article 56 du code de procédure civile et il est soutenu par les défendeurs que l'irrégularité leur a "nécessairement" causé grief.

La demanderesse réplique que l'assignation caractérise à suffisance les atteintes à ses marques ainsi qu'à ses autres droits privatifs qu'elle reproche aux défendeurs.

Appréciation du tribunal

Selon l'article 56 du code de procédure civile, "L'assignation contient à peine de nullité, outre les mentions prescrites pour les actes d'huissier de justice et celles énoncées à l'article 54 : (...)
2o Un exposé des moyens en fait et en droit ;"

Il résulte également de l'article 73 du même code que "Constitue une exception de procédure tout moyen qui tend soit à faire déclarer la procédure irrégulière ou éteinte, soit à en suspendre le cours."
Selon les articles 114 et 115 du code de procédure civile, "Aucun acte de procédure ne peut être déclaré nul pour vice de forme si la nullité n'en est pas expressément prévue par la loi, sauf en cas d'inobservation d'une formalité substantielle ou d'ordre public.
La nullité ne peut être prononcée qu'à charge pour l'adversaire qui l'invoque de prouver le grief que lui cause l'irrégularité, même lorsqu'il s'agit d'une formalité substantielle ou d'ordre public.
La nullité est couverte par la régularisation ultérieure de l'acte si aucune forclusion n'est intervenue et si la régularisation ne laisse subsister aucun grief."

Il est en outre constamment jugé au visé de ces textes qu'il incombe aux demandeurs qui agissent en contrefaçon (de droits d'auteur), aux fins de permettre aux défendeurs d'exercer leur droit de se défendre, d'indiquer clairement et précisément dans leur assignation les éléments sur lesquels des droits sont revendiqués, ainsi que les éléments qu'ils considèrent comme ayant été reproduits au mépris de ces droits. (Cass. Civ.1ère, 5 avril 2012, pourvoi no 11-10.463, Bull. 2012, I, no 83)

Il est enfin rappelé qu'aux termes de l'article 789 du code de procédure civile, dans sa rédaction issue du Décret no2019-1333 du 11 décembre 2019 (et antérieure à ce décret sur ce point), "Lorsque la demande est présentée postérieurement à sa désignation, le juge de la mise en état est, jusqu'à son dessaisissement, seul compétent, à l'exclusion de toute autre formation du tribunal, pour:
1o Statuer sur les exceptions de procédure, les demandes formées en application de l'article 47 et les incidents mettant fin à l'instance ;
Les parties ne sont plus recevables à soulever ces exceptions et incidents ultérieurement à moins qu'ils ne surviennent ou soient révélés postérieurement au dessaisissement du juge ;"

Selon l'article 791 de ce même code enfin, "Le juge de la mise en état est saisi par des conclusions qui lui sont spécialement adressées distinctes des conclusions au sens de l'article 768, sous réserve des dispositions de l'article 1117."

Force est en l'occurrence de constater que les défendeurs qui, sous le couvert d'un défaut de précision de l'objet des demandes reprochent en réalité à la société demanderesse le caractère trop large et selon eux disproportionné de ses demandes, ne caractérisent l'existence d'aucun grief, se bornant à l'affirmer. L'exception de procédure ainsi soulevée ne peut donc qu'être écartée, étant au surplus rappelé que, faute d'en avoir saisi le juge de la mise en état par le biais de conclusions lui étant spécialement adressées, cette exception de procédure n'est en tout état de cause plus recevable à ce stade.

2o) Sur l'incompétence de ce tribunal soulevée en défense

Moyen des parties

Les défendeurs n'articulent aucun moyen au soutien de cette prétention qui n'est pas combattue par la demanderesse.

Appréciation du tribunal

Selon l'article 768 du code de procédure civile, "Les conclusions doivent formuler expressément les prétentions des parties ainsi que les moyens en fait et en droit sur lesquels chacune de ces prétentions est fondée avec indication pour chaque prétention des pièces invoquées et de leur numérotation. Un bordereau énumérant les pièces justifiant ces prétentions est annexé aux conclusions.
Les conclusions comprennent distinctement un exposé des faits et de la procédure, une discussion des prétentions et des moyens ainsi qu'un dispositif récapitulant les prétentions. Les moyens qui n'auraient pas été formulés dans les conclusions précédentes doivent être présentés de manière formellement distincte. Le tribunal ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif et n'examine les moyens au soutien de ces prétentions que s'ils sont invoqués dans la discussion.
Les parties doivent reprendre dans leurs dernières conclusions les prétentions et moyens présentés ou invoqués dans leurs conclusions antérieures. A défaut, elles sont réputées les avoir abandonnés et le tribunal ne statue que sur les dernières conclusions déposées."

La prétention visant à ce que le tribunal se déclare incompétent pour connaître des demandes en nullité des marques de l'Union européenne, en tout état de cause irrecevable à ce stade de la procédure conformément aux dispositions des articles 73 et 789, 1, du code de procédure civile rappelées ci-dessus, n'est quoi qu'il en soit soutenue par aucun moyen dans la discussion des écritures des défendeurs. L'exception de procédure tirée de l'incompétence de la présente juridiction ne peut donc, de la même manière que la précédente, qu'être écartée.

3o) Sur la contrefaçon de marques

Moyens des parties

La demanderesse soutient en substance que :
- le dépôt et l'exploitation des sept marques " [U] ", " [U] servi avec le c?ur " et " CAFE [U]" constituent une imitation de la marque " BISCUITS [U] " et que l'élément dominant et essentiel de cete marque est le terme " [U] ", parfaitement distinctif et arbitraire pour désigner l'un ou l'autre des produits visés au dépôt, et que c'est cet élément seul qui sera retenu par le consommateur mis en présence de la marque " BISCUITS [U] " et qui lui indiquera l'origine des produits qu'elle désigne, comme provenant ici de l'entreprise " [U] " ;
- l'exploitation du signe " [U] " par le Fonds de dotation et la société Grain de moutarde caractérise une atteinte à la marque " BISCUITS [U] " (en particulier la réservation et l'exploitation du nom de domaine etlt;[U].fretgt;, l'exploitation à titre d'enseigne et de nom commercial du terme " [U] ", l'identification des comptes sociaux @cafejoyeux), aggravée par la similarité voire l'identité des produits et services visés au dépôt de la marque " BISCUIT [U] " et ceux commercialisés par le Fonds de dotation.

La société demanderesse en déduit l'existence d'un risque de confusion évident, encore aggravé par la communication entreprise par les défendeurs autour de la ville de [Localité 7], berceau de de la maison [U].

Les défendeurs concluent quant à eux au rejet des demandes soutenant en premier lieu qu'aucun usage à titre de marque du signe "[U]" pris isolément n'est caractérisé. Ils ajoutent proposer un service de restauration salée servie à table dans de la véritable vaisselle de porcelaine, contrairement à la demanderesse. Ils soutiennent surtout que le fait que les aliments (désignés par les marques antérieures) soient servis dans des restaurants est parfaitement insuffisant pour cobnclure à un risque de confusion entre les produits et services de restauration proposés dans les Cafés [U].

Les défendeurs contestent enfin tout risque de confusion rappelant que la société Biscuits [U] a elle-même reconnu l'absence de risque de confusion résultant de certains usages du signe "[U]", en particulier "Café [U]", tandis qu'ainsi que l'a déjà retenu la cour d'appel dans cette affaire, les différences conceptuelles entre les signes en présence permettent d'exclure tout risque de confusion. Ils ajoutent que la demanderesse ne peut prétendre s'octroyer un monopole sur l'exploitation du signe "[U]".

Appréciation du tribunal

Aux termes de l'article L.713-2 du code de la propriété intellectuelle, "Est interdit, sauf autorisation du titulaire de la marque, l'usage dans la vie des affaires pour des produits ou des services : (...)
2o D'un signe identique ou similaire à la marque et utilisé pour des produits ou des services identiques ou similaires à ceux pour lesquels la marque est enregistrée, s'il existe, dans l'esprit du public, un risque de confusion incluant le risque d'association du signe avec la marque."

Interprétant les dispositions de l'article 5 § 1 de la première Directive du Conseil du 21 décembre 1988 rapprochant les législations des États membres sur les marques (89/104/CEE), dont les dispositions précitées réalisent la transposition en droit interne, la Cour de Justice des Communautés européennes a dit pour doit que, constitue un risque de confusion au sens de ce texte, le risque que le public puisse croire que les produits ou services en cause proviennent de la même entreprise ou, le cas échéant, d'entreprises liées économiquement (voir arrêt Canon, C-39/97, point 29 ; arrêt Lloyd Schuhfabrik, C-342/97 ).

Selon cette même jurisprudence, l'existence d'un risque de confusion dans l'esprit du public doit être appréciée globalement en tenant compte de tous les facteurs pertinents du cas d'espèce (voir, arrêt SABEL, C-251/95, point 22), cette appréciation globale impliquant une certaine interdépendance entre les facteurs pris en compte (voir arrêt Canon, point 17).
En outre, l'appréciation globale du risque de confusion doit, en ce qui concerne la similitude visuelle, auditive ou conceptuelle des marques en cause, être fondée sur l'impression d'ensemble produite par celles-ci, en tenant compte en particulier de leurs éléments distinctifs et dominants. En effet, il ressort du libellé de l'article 5, paragraphe 1, sous b), de la directive, aux termes duquel «... il existe, dans l'esprit du public, un risque de confusion...», que la perception des marques qu'a le consommateur moyen de la catégorie de produits ou services en cause joue un rôle déterminant dans l'appréciation globale du risque de confusion.

Aux fins de cette appréciation globale, le consommateur moyen de la catégorie de produits concernée est censé être normalement informé et raisonnablement attentif et avisé (voir, arrêt Gut Springenheide et Tusky, C-210/96, point 31 ; arrêt Lloyd Schuhfabrik, C-342/97, point 26). Il doit également être tenu compte du fait que le consommateur moyen perçoit normalement une marque comme un tout et ne se livre pas à un examen de ses différents détails (voir, arrêt SABEL précité, point 23).

Afin d'apprécier le degré de similitude existant entre les marques concernées, la juridiction nationale doit déterminer leur degré de similitude visuelle, auditive et conceptuelle et, le cas échéant, évaluer l'importance qu'il convient d'attacher à ces différents éléments, en tenant compte de la catégorie de produits ou services en cause et des conditions dans lesquelles ils sont commercialisés (voir arrêt Lloyd Schuhfabrik, C-342/97 ).

Enfin, pour apprécier la similitude entre des produits ou des services, il y a lieu de tenir compte de tous les facteurs pertinents qui caractérisent le rapport entre ces produits ou ces services ; ces facteurs incluent, en particulier, leur nature, leur destination, leur utilisation ainsi que leur caractère concurrent ou complémentaire (voir arrêt Canon, C-39/97, point 23).

Parmi les facteurs pertinents, le caractère complémentaire des produits ou services est un critère autonome, susceptible de fonder, à lui seul, l'existence d'une similitude (voir arrêt Hesse, C-50/15, point 21), tandis que, pour appliquer ce critère, le Tribunal de l'Union européenne a développé une jurisprudence selon laquelle les produits ou les services complémentaires sont ceux entre lesquels existe un lien étroit, en ce sens que l'un est indispensable ou important pour l'usage de l'autre, de sorte que les consommateurs peuvent penser que la responsabilité de la fabrication de ces produits ou de la fourniture de ces services incombe à la même entreprise (TPICE, 1er mars 2005, [N] [G], T-169/03, point 60 ; pour une application récente, TUE, 22 septembre 2021, Sociedade da agua de Monchique, T-195/20, point 46).

Sur le public pertinent :

Il est constitué du public susceptible d'utiliser tant les produits visés par la marque antérieure que les produits et services visés par les signes argués de contrefaçon.

Il s'agit ici des consommateurs de pâtisserie, biscuits, boissons, et plus globalement des produits alimentaires et des services de cafés / restaurants. S'agissant de produits courants, en l'état des indications fournies par les parties, il y a lieu de retenir que le public pertinent est ici d'attention moyenne.

Sur la comparaison des signes :

Visuellement, les marques et signes en litige ont en commun le terme "[U]", relativement arbitraire pour désigner les produits alimentaires mentionnés au dépôt. Toutefois, hormis les signes "[U]" seul et "Café [U]", les signes se distinguent des marques par l'utilisation du signe "[U]" en attaque et l'ajout d'un élément figuratif et/ou d'un élément verbal ("servi avec le coeur") leur donnant un aspect complexe, qui ne peut que conduire à retenir que leur ressemblance visuelle avec les marques est modérée.

La distinctivité du signe "[U]" pour désigner des produits gourmands tels que ceux visés aux dépôts des marques antérieures (biscuits, sucreries, chocolats, pâtisseries...), évocateurs en eux-mêmes d'un sentiment de joie, est en outre modérée, comme l'a déjà relevé le juge des référés.

D'un point de vue auditif également, la ressemblance des signes avec les marques antérieures (sauf pour les signes "[U]" et "Café [U]") est moyenne, voire faible.

D'un point de vue conceptuel, les marques renvoient au patronyme du fondateur de l'entreprise, en particulier le signe "Maison [U]", tandis que les signes argués de contrefaçon évoquent l'adjectif "[U]" et des produits et services proposés "avec joie" ou "dans la joie". Les marques "[U] servi avec le coeur" ajoutent en outre au concept de joie, celui de la générosité, absent des signes "Maison [U]" et "Biscuits [U]". Les marques antérieures et les signes en litige sont donc conceptuellement distincts.

Sur la comparaison des produits et services :

La marque verbale française "[U]" n'a été enregistrée que pour désigner les services d'éducation en classe 41 et, ainsi que le rélèvent à juste titre les défenderesses, il n'est pas démontré d'exploitation de ce signe seul pour exploiter d'autres services.

La marque verbale "Café [U]" n'a quant à elle été enregistrée que pour les services d'éducation et de bars, restaurants, salons de thé. Ces derniers services ne sont qu'en apparence complémentaires des produits alimentaires, dès lors que c'est le restaurateur, hors la présence du consommateur, qui fait en principe le choix des produits alimentaires proposés pour le service de restauration. Il en résulte que la similitude entre les produits et services est faible.

Les autres signes argués de contrefaçon ("[U] servi avec le coeur") ont été enregistrés pour désigner les mêmes produits que les marques antérieures.

De tout ce qui précède il résulte que le public pertinent, quoique d'attention moyenne, en présence de produits et services de consommation courante, ne pourra toutefois en l'occurrence attribuer aux produits et services une origine commune :

- soit que l'identité des produits concernés est compensée par la faible ressemblance, tant visuelle, qu'auditive et surtout conceptuelle des signes ("Biscuits [U]" et "Maison [U] " d'une part, et "[U] servi avec le coeur" d'autre part),

- soit que la similarité auditive et visuelle des signes ("Maison [U]" et "Biscuits [U]" d'une part, et "Café [U]" d'autre part) est compensée par la différence de produits et services concernés (les marques ne désignant que des produits alimentaires, et le signe "Café [U]" ne désignant que les services de bar, restaurants, salons de thé), alliée à la différence conceptuelle entre les signes, les marques antérieures, ainsi qu'il a été vu, renvoyant au patronyme du fondateur de l'entreprise et le signe renvoyant à un service fourni avec joie.

Aucune confusion ne peut exister enfin dans l'esprit du public pertinent des services d'éducation pour lesquels est utilisé le signe "[U]" seul, compte tenu de l'attention élevée de ce public et de la différence entre les produits et services concernés.

L'existence d'un risque de confusion étant exclue en l'état des enregistrements acceptés par les offices et des usages démontrés des signes litigieux, il y a lieu de rejeter les demandes au titre de la contrefaçon de marques, de même que celles aux fins d'annulation des marques postérieures déposées par les sociétés défenderesses.

4o) Sur la concurrence déloyale

Moyens des parties

La demanderesse reproche de ce chef aux défenderesses des actes d'atteinte à sa dénomination sociale, son nom commercial et son enseigne "BISCUITS [U]" et "MAISON [U]", très similaires aux siennes puisque chacune d'elles offre à la vente au sein de boutiques des mets sucrés et salés de nature identique et adopte une même stratégie publicitaire et commerciale sur Internet avec une forte présence sur les réseaux sociaux. La société Les Biscuits [U] ajoute que le choix d'un même mot ( « [U] »), particulièrement distinctif, dans un contexte commercial et géographique aussi proche, a débouché sur une communication qui ne fait qu'accroître la confusion ou à tout le moins le risque d'association entre les deux entreprises.

Les défendeurs concluent au rejet de ces demandes soutenant que les conditions de l'application de l'article 1240 du code civil ne sont pas remplies tandis que les droits privatifs sur lesquels les demandes sont fondées ne sont pas distincts des faits de contrefaçon de marques.

Appréciation du tribunal

Aux termes des articles 1240 et 1241 du code civil, "Tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer." et "Chacun est responsable du dommage qu'il a causé non seulement par son fait, mais encore par sa négligence ou par son imprudence."

Au visa de ces deux textes, il est constamment jugé que la liberté du commerce autorise tout acteur économique à attirer vers lui la clientèle de son concurrent. Aussi, l'imitation d'un concurrent n'est, en tant que telle, pas fautive, à moins que ne soient utilisés des procédés illicites ou contraires aux usages loyaux du commerce.

A cet égard, les procédés consistant, par imitation des signes d'un concurrent, à créer dans l'esprit du public une confusion de nature à tromper la clientèle et la détourner, caractérisent des actes de concurrence déloyale.

L'appréciation de la faute doit résulter d'une approche concrète et circonstanciée des faits en prenant en compte le caractère plus ou moins servile, systématique ou répétitif de l'imitation, l'ancienneté du signe imité, l'originalité ou la notoriété du signe copié.

Ainsi qu'il a été vu précédemment, le signe "[U]" est relativement distinctif pour désigner l'enseigne d'un commerce de produits alimentaires, le nom commercial et le nom de domaine d'un tel commerce. Ce signe jouit en outre d'une certaine notoriété, également très ancienne, sur la Côte d'Emeraude, ainsi qu'en atteste la revue de presse versée aux débats.

Aucune pièce toutefois n'établit l'existence d'un procédé déloyal résultant de la reprise du signe "[U]" par les défendeurs, dès lors que le signe en question est combiné avec d'autres, pour former des signes différents et désigner une eneigne commercialisant des produits pour partie seulement similaires, dans le cadre d'un projet que le public ne peut confondre avec le sien.

Il en résulte l'absence d'imitation servile et systématique du signe "[U]" sur lequel la demanderesse ne peut prétendre bénéficier d'un monopole, tandis qu'elle ne peut davantage reprocher aux défenderesses de communiquer, comme elle, sur les réseaux sociaux.

Les demandes fondées sur la concurrence déloyale ne peuvent donc qu'être rejetées.

5o) Sur les demandes reconventionnelles

Moyens des parties

Les défendeurs sollicitent reconventionnellement la condamnation de la société Les Biscuits [U] à leur payer :
- la somme de 60.000 euros en réparation du préjudice subi du fait de la rupture abusive des pourparlers précontractuels ; ils reprochent de ce chef à la demanderesse sa volte face soudaine dans le cadre du processus de médiation aux fins de parvenir entre elles à un accord de coexistence ;
- la somme de 80.000 euros en réparation du préjudice subi du fait de la concurrence déloyale et parasitaire ; ils invoquent ici tout à la fois les lettres adressées par la demanderesse à leurs partenaires évoquant leur litige, ainsi que l'usage qu'elle développe du signe "[U]" seul ou avec d'autres termes que "Biscuits" ou "Maison" ;
- 50.000 euros en réparation du préjudice subi du fait de la contrefaçon de sa marque de l'Union européenne " [U] " no 17513193 reprochant de la même manière à ce titre à la demanderesse l'usage qu'elle développe du signe "[U]" pour la formation d'apprentis.

La demanderesse (au principal) conteste le bien-fondé de ces demandes.

Elle fait d'abord valoir que le propre de la médiation est son caractère confidentiel de même que la possibilité d'y mettre fin à tout moment et qu'il est particulièrement mal venu de lui reprocher dans le cadre du présent litige son attitude au cours de la médiation. Elle ajoute que sous couvert de dénigrement, les défendeurs lui reprochent en réalité d'avoir porté atteinte à la réputation de leurs dirigeants, c'est à dire une diffamation, dont la présente action ne remplit ni les conditions de fond ni les conditions de forme, en particulier de délai très stricts. La société Les biscuits [U] ajoute qu'elle est libre d'exploiter ses signes distinctifs et son histoire, tandis que les défendeurs, qui ont fait le choix d'utiliser le signe "[U]" en pleine connaissance de cause, sont particulièrement mal venus à lui en faire aujourd'hui le grief.

Appréciation du tribunal

a - La phase de pourparlers précontractuels se caractérise par la liberté de rompre ces pourparlers, en raison du principe de liberté contractuelle qui suppose la liberté de contracter et son corollaire, celle de ne pas contracter (article 1102 du code civil). Il est donc possible de rompre des pourparlers, même à un stade avancé, si le projet de contrat ne satisfait pas les partenaires. En effet, la phase de pourparlers précontractuels s'ouvre avec le rapprochement de deux opérateurs économiques distincts dans un but commun défini mais n'implique pas, par définition, qu'un accord, même de principe, ait été trouvé.

Cette liberté ne dispense toutefois pas les partenaires pressentis de participer loyalement aux négociations.

Aussi, la rupture des pourparlers engage la responsabilité de son auteur en cas de faute, laquelle consiste généralement dans une volte face soudaine mettant fin à de longs pourparlers qui avaient laissés croire à la conclusion du contrat. L'abus du droit de rompre se caractérise alors par la rupture brutale et sans motif légitime d'une négociation avancée.

Même en supposant que le processus de médiation puisse s'analyser en des pourparlers pré-contractuels, ce qui apparaît douteux, le règlement d'un différend ne s'apparentant nullement à la recherche d'un partenariat, force est quoi qu'il en soit de constater que les conditions de la rupture abusive de tels pourparlers ne sont pas remplies ici. La durée de la médiation n'a en effet pas excédé six mois, tandis qu'aucun élément ne permet de considérer que la société Les biscuits [U] a laissé croire aux défenderesses qu'une issue favorable avait été trouvée.

La demande de ce chef ne peut donc qu'être rejetée.

b - Il est en outre constamment jugé que, même en l'absence d'une situation de concurrence directe et effective entre les personnes concernées, la divulgation, par l'une, d'une information de nature à jeter le discrédit sur un produit commercialisé par l'autre constitue un acte de dénigrement, à moins que l'information en cause repose sur une base factuelle suffisante, et sous réserve qu'elle soit exprimée avec une certaine mesure. (Com. 9 janv. 2019, pourvoi no 17-18.350)

L'ordonnance de référé rendue en leur faveur constitue ici une base factuelle suffisante, tandis que l'opinion exprimée par les dirigeants de la société Les biscuits [U] dans les lettres adressées à certains partenaires des défendeurs, pour solliciter leur aide dans la résolution du présent litige qualifié de "triste conflit" (pièce no95 des défendeurs), l'a été avec mesure. Les conditions du dénigrement ne sont donc pas remplies et la demande à ce titre sera rejetée.

Aucune pièce n'établit par ailleurs l'existence d'un procédé déloyal résultant de l'exploitation du signe "[U]" par la société Les Biscuits [U], dans le cadre de son activité propre que le public ne peut confondre avec celle du Fonds de dotation et de la société Grain de moutarde, les usages du signe "[U]" critiqués ici étant tous en lien avec le patronyme du fondateur de la biscuiterie artisanale et son histoire ("une spécialité [U]", "l'histoire [U]", "les [U]").

c - Le fonds de dotation et la société Grain de moutarde font ici grief à la demanderesse l'usage du signe "L'Atelier [U]" pour le recutement de ses apprentis. Ils ne démontrent ce faisant aucun usage du signe "[U]" seul par la demanderesse, pour désigner des services d'éducation ou de formation, non plus qu'aucun usage de ce signe sous une forme imitant le signe complexe sur lequel, seul, ils bénéficient d'un monopole. Ils ne caractérisent pas davantage l'existence d'un risque de confusion, le public ne pouvant être amené à penser que la formation d'apprentis proposée au sein du fonds de boulangerie exploité par la société Les biscuits [U] émanerait des défendeurs.
Les demandes au titre de la contrefaçon de marque ne peuvent donc qu'être rejetées.

6o) Dispositions finales

Partie perdante au sens de l'article 696 du code de procédure civile, la société Les Biscuits [U] sera condamnée aux dépens ainsi qu'à payer aux défendeurs la somme de 7.000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Nécessaire et compatible avec la nature de l'affaire l'exécution provisoire de la présente décision sera ordonnée.

PAR CES MOTIFS,

Statuant publiquement par mise à disposition au greffe, par jugement rendu contradictoirement et en premier ressort,
Le tribunal,

Ecarte les exceptions de procédure (nullité de l'assignation et incompétence du tribunal) soulevées par le Fonds de dotation Emeraude solidaire et la société Grain de moutarde ;

Rejette les demandes de la société Les Biscuits [U] fondées sur la contrefaçon de ses marques (interdiction d'usage sous astreinte, paiement de dommages-intérêts et publication), ainsi par conséquent que celles aux fins d'annulation des marques du Fonds de dotation emeraude solidaire ;

Rejette les demandes de la société Les Biscuits [U] fondées sur la concurrence déloyale ;

Rejette les demandes reconventionnelles du Fonds de dotation emeraude solidaire et de la société Grain de moutarde ;

Condamne la société Les Biscuits [U] aux dépens et autorise Maître Laëtitia Benard à recouvrer directement ceux dont elle aurait fait l'avance sans avoir reçu provision ;

Condamne la société Les Biscuits [U] à payer au Fonds de dotation emeraude solidaire et à la société Grain de moutarde la somme de 7.000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

Ordonne l'exécution provisoire de la présente décision.

Fait et jugé à Paris le 10 mai 2022.

La GreffièreLa Présidente


Synthèse
Tribunal : Tribunal de grande instance de Paris
Formation : Ct0196
Numéro d'arrêt : 19/5009
Date de la décision : 10/05/2022

Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.grande.instance.paris;arret;2022-05-10;19.5009 ?
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