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19/04/2022 | FRANCE | N°18/7740

France | France, Tribunal de grande instance de Paris, Ct0196, 19 avril 2022, 18/7740


TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS

3ème chambre
3ème section

No RG 18/07740 -
No Portalis 352J-W-B7C-CNGNO

No MINUTE :

Assignation du :
28 juin 2018

JUGEMENT
rendu le 19 avril 2022
DEMANDERESSE

S.A.S.U. EIFFAGE INFRASTRUCTURES
[Adresse 2]
[Localité 3]

représentée par Maître Thomas CUCHE de la SELARL DUCLOS THORNE MOLLET-VIEVILLE, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #P0075

DÉFENDERESSES

S.A.S. REGEPLASTIC
Zone Industrielle
[Localité 1]

S.A.S. P.R INDUSTRIE
Zone Industrielle
[

Localité 1]

représentées par Maître Martin LÉMERY, avocat au barreau de PARIS, avocats posutlant, vestiaire #P0051 et par Maître Bruno CARPENTIER de la S...

TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS

3ème chambre
3ème section

No RG 18/07740 -
No Portalis 352J-W-B7C-CNGNO

No MINUTE :

Assignation du :
28 juin 2018

JUGEMENT
rendu le 19 avril 2022
DEMANDERESSE

S.A.S.U. EIFFAGE INFRASTRUCTURES
[Adresse 2]
[Localité 3]

représentée par Maître Thomas CUCHE de la SELARL DUCLOS THORNE MOLLET-VIEVILLE, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #P0075

DÉFENDERESSES

S.A.S. REGEPLASTIC
Zone Industrielle
[Localité 1]

S.A.S. P.R INDUSTRIE
Zone Industrielle
[Localité 1]

représentées par Maître Martin LÉMERY, avocat au barreau de PARIS, avocats posutlant, vestiaire #P0051 et par Maître Bruno CARPENTIER de la SCP LE STANC-CARBONNIER, avocat au barreau de MONTPELLIER, avocat plaidant

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Nathalie SABOTIER, 1ère vice-présidente adjointe
Arthur COURILLON-HAVY, juge
Linda BOUDOUR, juge

assisté de Lorine MILLE, greffière,

DÉBATS

A l'audience du 20 janvier 2022 tenue en audience publique devant Nathalie SABOTIER et Arthur COURILLON-HAVY, juges rapporteurs, qui, sans opposition des avocats, ont tenu seuls l'audience, et, après avoir entendu les conseils des parties, en ont rendu compte au Tribunal, conformément aux dispositions de l'article 805 du Code de Procédure Civile. Avis a été donné aux avocats que le jugement serait rendu par mise à disposition au greffe le 22 mars 2022, à cette date la décision a fait l'objet d'une prorogation au 19 avril 2022.

JUGEMENT

Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe
Contradictoire
En premier ressort

____________________________

Exposé du litige

1.La société Eiffage infrastructures (ci-après Eiffage) reproche aux sociétés ‘Pr industrie' et Regeplastic de commercialiser un additif, dénommé « PR Flex 20 », sous forme de bitume modifié comprenant un copolymère styrène-butadiène-styrène, en utilisant des procédés protégés par les revendications 1, 2, 8 et 9 (limitées) du brevet FR 2 871 804 qu'elle détient. Ces deux sociétés soulèvent à titre reconventionnel la nullité de ce brevet.

2.Ce brevet français a été déposé le 16 juin 2004, enregistré sous le numéro 04 06526, publié sous le numéro 2 871 804 (ci-après le brevet FR 804, ou le brevet), délivré le 22 aout 2008, et est intitulé « procédé de préparation d'un mélange bitume-polymère » (ses annuités ont été régulièrement payées). Un brevet européen a été demandé le 9 juin 2005 sous priorité du brevet FR 804, mais la société Eiffage a retiré la France de la liste des États désignés par cette demande ; ce brevet a été délivré le 4 aout 2021.

3.Après avoir fait analyser des échantillons du produit PR Flex 20, la société Eiffage, estimant qu'ils présentaient une proportion augmentée de polymère ne pouvant s'expliquer que par la mise en oeuvre de son brevet, a fait pratiquer une saisie-contrefaçon aux sièges des sociétés Pr industrie, Regeplastic, et Labotech (appartenant toutes au même groupe) le 31 mai 2018, et a assigné les deux premières en contrefaçon par acte du 28 juin 2018. En cours de procédure, celles-ci ont soulevé la nullité des revendications du brevet qui leur sont opposées, et la société Eiffage a limité ces revendications.

4.L'instance a été suspendue de juin à décembre 2019 du fait de la demande de brevet européen avant que la société Eiffage retire la France des pays désignés ; les parties ont échangé respectivement 7 jeux d'écritures (assignation comprise) pour le demandeur et 7 pour le défendeur.

5.Dans ses dernières conclusions signifiées par voie électronique le 30 juin 2021, la société Eiffage infrastructure résiste aux demandes reconventionnelles, et demande de :
?interdire aux sociétés Pr industrie et Regeplastic la poursuite des actes de contrefaçon, sous astreinte (par infraction et par jour),
?ordonner la confiscation, le retrait et le rappel des granulés PR Flex 20 aux fins de destruction, sous astreinte
?ordonner une expertise pour évaluer son préjudice,
?enjoindre aux sociétés Pr industrie et Regeplastic de communiquer, visées par son commissaire aux comptes, les quantités de PR Flex obtenues par les procédés brevetés, commandées, vendues et exportées, et les chiffres d'affaires et bénéfices correspondants, jusqu'au jour du jugement,
?les condamner à lui payer, « conjointement et solidairement », « une indemnité à fixer à dire d'expert » et par provision une somme de 500 000 euros,
?outre la publication du dispositif du jugement sur la page d'accueil de leur site internet, sous astreinte,
?et 100 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, l'exécution provisoire, ainsi que les dépens (avec recouvrement par son avocat).

6.Dans leurs dernières conclusions signifiées par voie électronique le 15 septembre 2021, les sociétés Pr industrie et Regeplastic demandent de déclarer nulles les revendications 1, 2, 8 et 9 du brevet, subsidiairement de déclarer nul le procès-verbal de saisie-contrefaçon du 31 mai 2018, en toute hypothèse de rejeter les prétentions de la société Eiffage ; et demandent elles-même d'interdire à la société Eiffage d'utiliser « les résultats » de la saisie-contrefaçon, la condamner à leur payer 250 000 euros chacune en réparation de leurs préjudices, outre 100 000 euros de dommages et intérêts pour la mise en oeuvre d'une procédure « manifestement abusive », et 20 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi que les dépens (avec recouvrement par leur avocat).

7.Elles estiment que les revendications 1 et 2 sont nulles car étendues au-delà de la demande de brevet, que toutes les revendications qui leur sont opposées sont nulles pour défaut de nouveauté et d'activité inventive, que l'huissier ayant pratiqué la saisie-contrefaçon a outrepassé les termes de l'ordonnance l'ayant autorisée, que son procès-verbal ainsi que d'autres pièces sont dépourvues de force probante, que la contrefaçon n'est pas démontrée, qu'elles avaient une possession personnelle antérieure de l'invention, et que la société Eiffage s'est appropriée leur savoir faire en pratiquant la saisie-contrefaçon.

8.L'instruction a été close le 23 septembre 2021, l'affaire plaidée le 20 janvier 2022 et le jugement mis en délibéré.

MOTIFS

1o) Demande en nullité du brevet

a. présentation du brevet et objet des demandes

9.L'invention porte sur un procédé de préparation d'un mélange bitume-polymère, ce polymère étant au cas particulier un copolymère styrène-butadiène-styrène (revendications 1 à 8 limitées), sur le mélange ainsi obtenu pour applications routières (revendication 9 limitée), et sur son utilisation pour la fabrication d'un liant bitumineux (revendications 10 à 15 limitées).

10.La description enseigne que les bitumes purs « sont couramment utilisés pour fabriquer des liants anhydres ou en émulsion pour applications routières », mais que pour diminuer leur sensibilité thermique, et plus généralement pour « améliorer le comportement du liant sous forte sollicitation », il est courant d'utiliser des polymères dispersés dans le bitume (formant ainsi un « bitume modifié »), ce qui « se fait en général dans des usines dédiées comportant des cuves agitées, chauffées », des « cuves de stockage où le liant peut être brassé », parfois des « systèmes de réticulation ou de dispersion » selon le taux de modification recherché, ce qui implique des investissements parfois lourds et le traitement de grandes quantités de bitume, et génère de ce fait un fort impact environnemental.

11.Une solution connue consiste alors à « réaliser des pré-mélanges appelés mélanges maitres », « couramment utilisés pour fabriquer des liants pour enduits superficiels ». On utilise dans ce cas « des produits solvants du bitume appelés fluxants ou fluidifants », ce qui permet une pré-dissolution du polymère en grande quantité et de donner, après dispersion du mélange maitre dans le bitume, un liant présentant des caractéristiques très voisines d'un liant obtenu de façon classique.

12.Mais les liants d'enrobage, eux, ne comportent pas de fluxant, de sorte qu'y incorporer un fort taux de polymère pose un problème de viscosité et nécessite par conséquent une durée de fabrication longue, ce qui limite en pratique les teneurs en polymères à 20%. Dans le cas du caoutchouc, il est nécessaire d'ajouter des additifs allongeant la durée de fabrication (p.2, l. 37 à p. 3, l. 4) ; en cas d'usage d'autres polymères non miscibles au bitume, il faut les ajouter directement à l'enrobé (p. 3, l. 6-11) ; on peut aussi utiliser le polymère sous forme d'une poudre la plus fine possible, ce qui réduit la durée d'agitation nécessaire au mélange, mais cela a un cout trop élevé (l. 13-21) ; on peut encore utiliser le polymère sous forme liquide, mais obtenir un tel liquide est long et est donc peu intéressant (l. 23-30).

13.L'invention se propose de résoudre « les inconvénients des procédés connus » en prévoyant « notamment » de mélanger le bitume et au moins un polymère par extrusion, définie comme « tout traitement permettant le cisaillement d'une masse pâteuse et son transport à travers un orifice approprié pour obtenir un profilé. » « Dans le procédé selon l'invention, le brassage assure l'homogénéisation du mélange du bitume et du polymère introduits séparément dans l'extrudeuse. Ces opérations peuvent être effectuées au moyen d'une ou plusieurs vis de type vis d'Archimède. » (p. 3, l. 32 à p. 4, l. 7)

14.Elle prévoit également que « la température du mélange peut être ajustée à des valeurs différentes le long de la cavité d'extrusion entre une zone d'introduction des constituants et un orifice de sortie » (p. 5, l.14-18) ; « la possibilité de faire varier la température de travail le long du fourreau dans lequel tourne la vis » est précisément « un avantage de l'utilisation d'une extrudeuse » (p. 6, l. 10-12) ; et « il a été constaté qu'une température supérieure à 160 oC était préférable, dans le cas [du] styrène-butadiène-styrène, dans les zones d'alimentation et de malaxage afin d'assurer le ramollissement de celui-ci », tandis que « dans les zones de transfert et au niveau de la filière, on [peut] utilement diminuer la température afin de favoriser le refroidissement » (p. 6, l. 12-18).

15.Le mélange ainsi obtenu peut être utilisé chaud, directement après extrusion, ce qui permet la dispersion la plus rapide dans le liant (p. 6, l. 20-24 et exemple 1) ; ou avec stockage avant dilution, auquel cas le refroidissement et la granulation permettent d'éviter la consommation d'énergie liée au maintien en température et d'éviter un pompage difficile (p. 6, l. 29, et exemples 3 et 4). La fabrication de l'enrobé « peut être encore simplifiée par l'ajout du mélange maitre directement dans le poste d'enrobage en même temps que le bitume servant à ajuster la teneur finale en bitume » (p. 8, l. 10-14). « Enfin, les performances des liants contenant des polymères élastomères diéniques peuvent être optimisées par l'emploi d'un système dit de ‘vulcanisation' » (p. 9, l. 8-13 et exemple 4).

16.Le brevet limité contient 15 revendications, dont sont soulevées en l'espèce les suivantes :

1. Procédé de préparation d'un mélange contenant du bitume et au moins un polymère, dans lequel on mélange du bitume et au moins un polymère par extrusion et le mélange obtenu est un mélange maitre à fort taux de polymère sous forme de granulés, caractérisé en ce que le polymère est un copolymère styrène-butadiène-styrène (SBS) dont le taux massique dans le mélange maitre est compris entre 20 et 60%, et en ce que la température du mélange est ajustée à des valeurs différentes le long de la cavité d'extrusion entre une zone d'introduction des constituants et un orifice de sortie.

2. Procédé selon la revendication 1, dans lequel on mélange par extrusion du bitume à l'état liquide et au moins un polymère à l'état fondu.

8. Procédé selon l'une des revendications précédentes, dans lequel le mélange obtenu par extrusion est un mélange maitre à fort taux de polymère destiné à être dilué dans un bitume pour fabriquer un liant bitumineux.

9. Mélange maitre obtenu par le procédé selon la revendication 8 pour applications routières.

b. extention au-delà du contenu de la demande

Moyens des parties

17.Les sociétés Pr industrie et Regeplastic exposent d'abord que les revendications 1 et 2 (telles que limitées) s'étendraient au-delà de la demande, en violation de l'article L. 613-25, c), car, en substance, elles portent sur un mélange maitre à fort taux de polymère sans préciser qu'il est destiné à être dilué dans un bitume pour fabriquer un liant bitumineux (procédé dit « humide » de fabrication d'enrobés bitumineux), ce qui étendrait la protection à des procédés « secs » où le mélange maitre serait directement dilué dans un enrobé bitumineux sans être dilué d'abord dans le liant bitumineux, alors que la description explique que telle est sa destination, ce qu'aurait au demeurant déjà stigmatisé l'OEB en 2009, estiment-elles.

18.La société Eiffage répond qu'en ajoutant une caractéristique à ses revendications elle en a nécessairement limité la portée ; que cette caractéristique est enseignée dans la description (p. 5 §24 et 25) ; que le mélange maitre ne peut être destiné qu'à être dilué dans du bitume, tous les enrobés contenant selon elle un liant bitumineux ; que l'objection de l'examinateur de l'OEB portait sur une formulation différente de la revendication 1, qui ne précisait pas que le mélange était à fort taux de polymère. Subsidiairement, elle demande de prononcer la limitation des revendications 1 et 2 en ajoutant la mention « destiné à être dilué dans un bitume pour fabriquer un liant bitumineux ».

Appréciation du tribunal

19.En vertu de l'article L. 613-25, c), du code de la propriété intellectuelle, le brevet est déclaré nul par décision de justice si son objet s'étend au-delà du contenu de la demande telle qu'elle a été déposée ou, lorsque le brevet a été délivré sur la base d'une demande divisionnaire, si son objet s'étend au-delà du contenu de la demande initiale telle qu'elle a été déposée. Si les motifs de nullité n'affectent le brevet qu'en partie, la nullité est prononcée sous la forme d'une limitation correspondante des revendications.

20.La revendication 1 du brevet tel que déposé était libellée ainsi : « procédé de préparation d'un mélange contenant du bitume et au moins un polymère, caractérisé en ce qu'on mélange du bitume et au moins un polymère par extrusion ». Cette revendication ne se cantonnait donc pas à des mélanges maitres, lesquels étaient visés séparément dans une revendication dépendante (no12). Elle pouvait donc viser des procédés de préparation d'un mélange (éventuellement maitre) contenant du bitume et au moins un polymère destinés, éventuellement, à être intégrés directement dans l'enrobé, par le procédé « sec » décrit par les demanderesses à la nullité. Dès lors, en limitant la revendication 1 aux mélanges maitres à fort taux de polymères (éventuellement intégrés directement aux granulés pour former un enrobé bitumineux), le déposant n'a pas étendu l'objet de la protection. Au demeurant, la possibilité d'intégrer directement le mélange aux granulés constituant l'enrobé sans passer par une dilution préalable dans le bitume est prévue à la description (p. 8, l. 10-14, mode de réalisation rappelé ci-dessus point 15). L'extension alléguée n'est donc pas caractérisée.

c. nouveauté

Moyens des parties

21.Les demanderesses à la nullité invoquent un document commercial de 2004, et :
- un brevet EP0426025 publié le 8 mai 1991, leur document ‘D3'(ci-après le document Du Pont),
- un brevet BE1002939 publié le 10 septembre 1991, leur document ‘D4' (ci-après le document Fina),
- un brevet CN1300801A, publié le 27 juin 2001, leur document ‘D7' (ci-après le document Yueyang)

22.La société Eiffage répond (notamment) que :
- le document Du Pont ne divulgue pas l'emploi du styrène-butadiène-styrène (SBS) mais seulement celui du polystyrène/butadiène, qui plus est sous forme de latex et non sous forme générique ; prévoit un mélange des composants en dehors de l'extrudeuse ; ne divulgue pas l'ajustement de la température à des valeurs différentes mais seulement des moyens de chauffer ou refroidir la cavité d'extrusion dans son ensemble et une consigne de température dans une seule zone et non dans plusieurs ; ne prévoit pas de granuler le produit extrudé ;
- le document Fina ne divulgue pas l'ajustement de la température le long de la cavité d'extrusion car soit la variation de température qu'il décrit résulte de la température des composants et non d'un ajustement volontaire, soit cette variation a lieu après l'orifice de sortie ; et il ne divulgue pas l'intervalle de 20 à 60% mais seulement une teneur de 50% de SBS ;
- le document Yueyang ne divulgue pas le mélange dans l'extrudeuse car les composants sont mélangés avant d'y être introduit ; ne divulgue pas l'ajustement de la température à des valeurs différentes le long de la cavité d'extrusion, car il mentionne une température constante dans le cylindre d'extrusion, et une température différente seulement dans la tête de filière, laquelle ne fait pas partie du cylindre d'extrusion, selon elle ; il ne divulgue pas, enfin, l'intervalle de 20 à 60% car il ne mentionne qu'une proportion de 45%.

Appréciation du tribunal

23.En application de l'article L. 613-25 du code de la propriété intellectuelle, le brevet est déclaré nul par décision de justice, si son objet n'est pas brevetable aux termes des articles L. 611-10, L. 611-11 et L. 611-13 à L. 611-17. Le premier de ces textes, dans sa rédaction en vigueur lors du dépôt de la demande, prévoit que sont brevetables les inventions nouvelles impliquant une activité inventive et susceptibles d'application industrielle. La nouveauté est définie par l'article L. 611-11, selon lequel : une invention est considérée comme nouvelle si elle n'est pas comprise dans l'état de la technique (alinéa 1) ; et l'état de la technique est constitué par tout ce qui a été rendu accessible au public avant la date de dépôt de la demande de brevet par une description écrite ou orale, un usage ou tout autre moyen (alinéa 2).

24.Il résulte de ces textes que pour être comprise dans l'état de la technique et être privée de nouveauté, l'invention doit s'y retrouver tout entière, dans une seule antériorité au caractère certain avec les éléments qui la constituent dans la même forme, le même agencement, le même fonctionnement en vue du même résultat technique.

25.Or le document Du Pont ne prévoit pas que le résultat du procédé soit en forme de granulés, alors que la revendication 1 du brevet le prévoit, l'invention est donc nouvelle à cet égard ; le document Fina prévoit certes que les composants peuvent être introduits dans l'extrudeuse à des températures différentes, mais cela n'est pas équivalent à ajuster la température le long de l'extrudeuse elle-même ; l'invention est donc nouvelle à cet égard ; et le document Yueyang prévoit une proportion de SBS dans un intervalle de 45 à 60%, tandis que le brevet FR 804 prévoit un intervalle plus large, de 20 à 60%; l'invention est donc nouvelle à cet égard.

26.Quant au document commercial, il ne permet pas de déterminer le procédé employé pour la fabrication du produit. Le moyen tiré du défaut de nouveauté est donc infondé.

d. activité inventive

Moyens des parties

27.Les sociétés Pr industrie et Regeplastic soutiennent :
- que si le document Du Pont ne prévoit pas l'emploi du SBS, le choix de ce matériau dans le brevet est toutefois arbitraire et donc dépourvu d'activité inventive, et serait évident pour l'homme du métier, qu'elles définissent comme le spécialiste de la préparation de bitumes modifiés pour les applications routières, car ce polymère serait régulièrement utilisé dans le même domaine technique pour le même objectif, comme dans le document Yueyang, et car ce choix est également mentionné dans un document ‘D5' de 1986 (Document Downes) relevant du même domaine technique ;
- que si le document Fina ne divulgue pas l'ajustement de la température à des valeurs différentes le long de la cavité d'extrusion, cette caractéristique résout le problème de l'amélioration des conditions d'extrusion du mélange, pour lequel l'homme du métier était incité à consulter un manuel décrivant les procédés d'extrusion des thermoplastiques, comme le document ‘D6', de 1986 (Document Trotignon), qui enseigne que l'ajustement de la température tel que revendiqué est une pratique courante dans ce domaine technique ; que le document Yueyang, relevant du même domaine technique que le brevet, enseigne également la même caractéristique ;
- que vis à vis du document Yueyang, le fait que le SBS et le bitume soient mélangés avant leur introduction dans l'extrudeuse n'est pas exclu par la revendication 1 du brevet ; que si ce document ne décrit pas, comme le prévoit la revendication 2 du brevet, que le bitume est à l'état liquide et le SBS à l'état fondu, il ne s'agirait toutefois que d'un choix arbitraire, rattaché à aucun effet technique particulier, et dès lors dépourvu d'activité inventive.

28.La société Eiffage, en réponse,
- rappelle que le document Du Pont, selon elle, ne divulgue pas l'usage du SBS, le mélange par extrusion ni l'ajustement de température le long de la cavité d'extrusion, de sorte qu'il ne peut représenter l'état de la technique le plus proche, et que le brevet est inventif à son égard ; elle estime plus précisément que ce document ne divulguant que des émulsions, l'homme du métier n'est pas incité à le combiner aux documents Fina et Yueyang, qui ne divulguent pas un mélange sous forme d'émulsion, et que rien n'incite alors l'homme du métier à mélanger le SBS et le bitume, le document Downes présentant au demeurant le SBS parmi d'autres polymères en mentionnant des inconvénients, ce qui n'incite pas à le substituer aux matériaux mentionnés dans le document Du Pont, outre enfin que rien n'y incite à ajuster la température ;
- estime, en réponse aux moyens relatifs au document Fina, que le SBS n'étant pas un plastique, lesquels ne sont pas élastiques, mais un élastomère, l'homme du métier n'a aucun motif de s'orienter vers le document Trotignon, qui est un « précis de matières plastiques » et ne concerne donc pas le domaine de l'invention ; que le problème technique résolu par la variation de température n'est pas la recherche d'une amélioration des conditions d'extrusion mais (en substance) l'obtention d'un mélange maitre stockable à long terme ;
- s'agissant du document Yueyang, elle rappelle que, selon elle, il prévoit une température constante le long de la cavité d'extrusion, et en déduit que l'homme du métier n'est pas incité à le combiner avec le document Fina ; qu'il prévoit en outre un pré-mélange avant l'introduction dans l'extrudeuse, alors que la revendication 1 du brevet prévoit seulement un mélange par extrusion, ce qui serait exclusif de tout pré-mélange.

Appréciation du tribunal

29.En vertu de l'article L. 611-14 (dans sa rédaction à la date du dépôt de la demande), une invention est considérée comme impliquant une activité inventive si, pour un homme du métier, elle ne découle pas d'une manière évidente de l'état de la technique.

30.La définition de l'homme du métier proposée par les demanderesses à la nullité n'est pas contestée ; rien ne justifie toutefois de limiter le domaine technique à celui des applications routières alors que le brevet lui-même ne s'y limite pas ; l'homme du métier est donc le spécialiste de la préparation de bitumes modifiés.

État de la technique : document Yueyang

31.Le document Yueyang, qui est un brevet chinois publié en 2001 (accessible en langue anglaise sur la base de brevets internationaux de l'OEB), concerne comme le brevet en cause un mélange-maitre d'asphalte routier modifié et sa méthode de production ; il relève donc du même domaine technique.

32.La revendication 1 du brevet FR 804 est, pour mémoire, libellée ainsi : « Procédé de préparation d'un mélange contenant du bitume et au moins un polymère, dans lequel on mélange du bitume et au moins un polymère par extrusion et le mélange obtenu est un mélange maitre à fort taux de polymère sous forme de granulés, caractérisé en ce que le polymère est un copolymère styrène-butadiène-styrène (SBS) dont le taux massique dans le mélange maitre est compris entre 20 et 60%, et en ce que la température du mélange est ajustée à des valeurs différentes le long de la cavité d'extrusion entre une zone d'introduction des constituants et un orifice de sortie. »

préparation d'un mélange bitume-SBS pour obtenir un mélange maitre sous forme de granulés

33.Le document Yueyang divulgue l'emploi du SBS pour modifier le bitume (qualifié d'asphalte dans ce document, mais d'une façon qui est synonyme au bitume ici, ce que les parties ne contestent pas). Il divulgue cet emploi dans la fabrication d'un mélange maitre, sous forme de granulés.

ajustement de la température

34.Il divulgue également des consignes de température différentes entre, d'une part, la température du cylindre (« contrôlée entre 140oC et 180oC »), et d'autre part la température de la tête de filière (135oC). La société Eiffage estime que cet ajustement de la température diffère de son invention, car la tête de filière ne ferait pas partie de la « cavité d'extrusion ».

35.L'extrusion est définie par le brevet FR 804 comme « tout traitement permettant le cisaillement d'une masse pâteuse et son transport à travers un orifice approprié pour obtenir un profilé. » La tête de filière, c'est-à-dire l'orifice traversé par la masse pâteuse pour lui donner la forme désirée, est donc par définition un élément indispensable de ce traitement. La société Eiffage ne peut alors pas être suivie quand elle affirme, sans le justifier en rien, que la tête de filière ne ferait pas partie de l'extrudeuse, c'est-à-dire de l'appareil qui réalise l'extrusion. En toute hypothèse, sa propre revendication porte sur l'ajustement de la température « à des valeurs différentes le long de la cavité d'extrusion entre une zone d'introduction des constituants et un orifice de sortie » : la tête de filière, dont l'extrémité constitue cet orifice de sortie, fait donc partie de la cavité d'extrusion au sens de la revendication, et dès lors que l'ajustement de la température au niveau de la tête de filière porte sur le mélange avant qu'il ne soit sorti de l'appareil, il s'agit bien d'un ajustement dans la cavité d'extrusion au sens du brevet FR 804.

36.Or tel est précisément ce que divulgue le document Yueyang, qui prévoit une valeur pour le cylindre et une valeur pour la tête de filière, et qui expose ses deux consignes de températures après avoir donné la consigne générale « augmenter la température de l'extrudeuse », ce qui implique sans ambigüité que c'est à l'intérieur de l'extrudeuse que la température est ajustée, et non dans une zone extérieure. La caractéristique tenant à l'ajustement de la température le long de la cavité d'extrusion est donc divulguée dans le document Yueyang. Le moyen de la société Eiffage est dès lors manifestement dépourvu de sérieux.

mélange par extrusion

37.Ce document divulgue encore l'emploi d'une extrudeuse pour la préparation du mélange maitre. Les parties s'opposent, en substance, sur le caractère exclusif ou non, dans la revendication 1 du brevet FR 804, de l'expression : « mélange du bitume et au moins un polymère par extrusion ». Le tribunal observe toutefois que le mélange « par extrusion », qu'il soit exclusif ou non de tout autre mélange complémentaire, ne fait pas partie de la partie caractérisante de la revendication, ce qui suppose qu'aux yeux même du déposant il faisait partie de l'état de la technique.

38.En toute hypothèse, à supposer que, selon la description du brevet FR 804, le mélange par extrusion à l'exclusion de tout autre procédé apporte l'avantage de se dispenser des installations industrielles nécessaires au mélange préalable, il s'agit d'un avantage évident (supprimer une étape permet de supprimer les inconvénients causés par cette étape) ; l'homme du métier était donc incité à rechercher, en complément du document Yueyang, si l'art antérieur ne validait pas, déjà, un procédé contenant uniquement une extrusion sans mélange préalable. Or le document Fina, publié en 1991, divulgue précisément un procédé permettant d'obtenir un mélange maitre dans lequel « on utilisera avantageusement un type particulier d'extrudeuse à simple ou à double vis, comportant un moyen d'introduire le bitume le long de la vis, à un endroit où les polymères sont déjà fondus » (p. 9, 1er §), et où « on prépare un mélange-maitre comprenant [telles proportions] par extrusion, suivie d'un découpage en granulés » (p. 9, 2e §). La suite confirme que le mélange se fait exclusivement par extrusion, en expliquant que « dans la mesure où l'on utilise plusieurs polymères, il est préférable de les mélanger dans les proportions désirées dès le début de l'extrusion avant d'ajouter le bitume. ». Ainsi, l'homme du métier, qui était incité à chercher une méthode permettant de se passer d'une étape préalable si cette étape avait des inconvénients connus, était incité, dans le cadre d'essais de routine, à combiner le document Fina au document Yueyang, pour appliquer le second, notamment en ce qu'il prévoit un ajustement des températures, tout en essayant de se contenter de la méthode de mélange plus simple du premier.

proportion de styrène-butadiène-styrène dans le mélange

39.Le document Yueyang divulgue un mélange dans lequel se trouve du SBS dans une proportion massique de 45 à 60% (sa revendication 1). Le brevet FR 804 part du principe que l'augmentation de la proportion de polymère dans le bitume, et donc dans le mélange maitre qui a vocation à y être dilué, est un avantage recherché par l'homme du métier, et que l'un des inconvénients de « l'art antérieur » était précisément qu'il était pratiquement impossible de dépasser 20% de polymère. Le fait d'augmenter la proportion n'est donc évidemment pas inventif en soi. Comme il vient d'être rappelé, le fait de l'augmenter à un intervalle compris entre 45 et 60% était déjà divulgué dans le document Yueyang. Quant au fait de le limiter à un intervalle compris entre 20 et 45%, ni le brevet ni la société Eiffage n'y attache un avantage technique. Ainsi, au vu de ce qu'enseignent le brevet, le document Yueyang, ainsi que l'ensemble des antériorités communiquées aux débats, selon lesquels l'augmentation (jusqu'à un certain point) du taux de polymère est avantageuse, une proportion de 20 à 45% est moins avantageuse que la proportion déjà connue de 45 à 60%. Elle ne suppose donc aucune activité inventive.

40.En toute hypothèse, le document Fina divulgue déjà une proportion de polymère comprise entre 25 et 86%, et de préférence 33 à 75% (p. 9, 2e §, exprimant la proportion de bitume dans un « rapport pondéral compris entre 1:6 et 3:1 et de préférence de 1:3 à 2:1 », ce qui en pourcentage de la masse totale correspond à 14 à 75%, de préférence 25 à 66%, de bitume, et donc inversement, 25 à 86%, de préférence 33 à 75%, de polymère).

conclusion sur la revendication 1

41.L'ensemble des caractéristiques de la revendication 1 font donc partie de l'art antérieur, soit qu'elles soient présentes dans le brevet Yueyang constituant l'état de la technique le plus proche, soit qu'elles soient issues d'une combinaison de ce qu'enseigne ce brevet avec les enseignements du brevet Fina, qui relève du même domaine technique ; et ce, à supposer qu'aucun de ces éléments ne fasse, en réalité, partie des connaissances générales de l'homme du métier.

revendication 2

42.La revendication (dépendante) 2, pour mémoire, est libellée ainsi : « Procédé selon la revendication 1, dans lequel on mélange par extrusion du bitume à l'état liquide et au moins un polymère à l'état fondu. ».

43.Le document Yueyang ne divulgue pas explicitement l'état liquide ou fondu des composants, mais il est assez évident que des composants à l'état liquide, ou fondu, se mélangent plus aisément ; et le document Fina, par exemple, mentionne l'extrusion avec un bitume liquéfié (exemple 2), et évoque par ailleurs, incidemment, ce qui montre l'évidence du phénomène, un moment où « les polymères sont déjà fondus » (p. 9, 1er §). Il n'est donc pas inventif, pour l'homme du métier, d'utiliser du bitume à l'état liquide et un polymère à l'état fondu.

revendications 8 et 9

44.La revendication 8 prévoit que le mélange maitre est destiné à être dilué dans un bitume pour fabriquer un liant bitumineux, et la revendication 9 porte sur l'emploi de ce mélange pour applications routières. Tel est précisément l'objet du document Yueyang, et au demeurant la destination la plus évidente (si ce n'est la seule) du procédé selon la revendication 1. Ces revendications dépendantes ne sont donc pas inventives en elles-mêmes.

conclusion

45.Faute d'activité inventive, les revendications 1, 2, 8 et 9 du brevet FR 804 doivent être annulées.

2o) Demandes fondées sur la contrefaçon du brevet

46.Les demandes en interdiction, confiscation, retrait, rappel, destruction, expertise, communication de document, paiement, et publication du jugement, formées par la société Eiffage, étant fondées sur des revendications nulles, doivent être rejetées.

3o) Demandes reconventionnelles en interdiction d'utiliser les « résultats » de la saisie-contrefaçon et dommages et intérêts du fait de cette saisie

Moyens des parties

47.Les sociétés Pr industrie et Regeplastic estiment que la société Eiffage, qui devait savoir que son brevet était manifestement nul au regard des difficultés qu'elle a rencontrées pour se faire délivrer le brevet européen demandé pour la même invention, aurait détourné la saisie-contrefaçon pour obtenir des informations sur leur procédé, secret, ce qu'elle cherchait selon elles à obtenir depuis plusieurs années ; qu'ainsi, elle se serait fait remettre, à travers un laboratoire d'analyse qui ne serait pas indépendant, immédiatement après la saisie, des échantillons, ce qui lui aurait permis de s'approprier leur savoir-faire, ce pour quoi elles demandent 500 000 euros de dommages et intérêts et l'interdiction d'exploiter les résultats de la saisie-contrefaçon.

48.La société Eiffage répond qu'elle a obtenu loyalement l'ordonnance l'autorisant à pratiquer la saisie-contrefaçon, a respecté cette ordonnance ; que certains échantillons ont été analysés par le laboratoire Insa (ou « Imp »), puis lui ont été remis, mais qu'elle ne les a jamais ouverts ; que les autres échantillons ont été conservés par l'huissier sous scellé ; que le produit saisi ne recèle aucun secret de fabrication.

Appréciation du tribunal

49.Ont été saisis, lors de la saisie-contrefaçon du 31 mai 2018, les échantillons suivants :
- A1 à A4 : 4 prélèvements de « Pr flex 20 », le produit litigieux commercialisé par les sociétés Pr industrie et Regeplastic ;
- B1 à B4 : 4 prélèvements de bitume ;
- C1 à C4 : 4 prélèvements de carbonate, un ingrédient dont une personne présente a indiqué lors de la saisie qu'il entrait également dans la composition du Pr flex 20 ;
- D1 à D4 : 4 prélèvements de SBS.

50.Un échantillon de chaque sorte a été remis à un laboratoire puis à la société Eiffage industrie ; tous ces produits, néanmoins, auraient pu être obtenus par la société Eiffage elle-même en achetant ou faisant acheter le Pr flex, produit vendu dans le commerce.

51.L'huissier s'est également fait remettre un document intitulé « spécifications pour extrudeuse bi-vis / Pr flex 20 », qui mentionne seulement une vitesse maximale de 350 tours / minute pour la vis de l'extrudeuse, et des indications générales hormis les indications de températures, assez précises selon 11 zones. Les sociétés Pr industrie et Regeplastic n'exposent pas en quoi ce document aurait permis à la société Eiffage d'accéder au secret de leur procédé ou plus généralement de leur savoir-faire, ou d'une quelconque information protégée par le secret des affaires.

52.L'huissier s'est enfin fait remettre une fiche de données de sécurité d'un produit, dont pas davantage les demanderesses reconventionnelles n'exposent en quoi elles en subiraient un préjudice.

53.Ainsi, sans qu'il soit besoin d'examiner les fautes alléguées, il n'est démontré aucun détournement d'un secret protégé, et plus généralement aucun préjudice. Les demandes à ce titre sont par conséquent rejetées.

4o) Demande reconventionnelle pour procédure déloyale

54.Les sociétés Pr industrie et Regeplastic soutiennent que la société Eiffage a caché le fait que l'auteur d'un rapport d'expertise qu'elle prétendait indépendant était en réalité salarié de sa licenciée, ce qui caractérise selon elles un abus de procédure dont elles demandent réparation à hauteur de 100 000 euros, exposant avoir dû subir de ce fait une saisie-contrefaçon, « en créant des preuves de toutes pièces ». La société Eiffage répond qu'elle a fondé sa demande de saisie sur deux analyses, l'une pratiquée par un laboratoire indépendant (« Imp »), l'autre par une salariée de sa licenciée, ce qu'elle n'a, dit-elle, jamais caché.

55.Il ressort de la liste des pièces sur lesquelles s'appuie la requête en contrefaçon (annexée au procès-verbal de saisie, pièce Eiffage no12), que la société Eiffage a en effet communiqué 2 analyses. Et il ressort des copies d'écran qu'en ont faites les sociétés Pr industrie et Regeplastic elles-mêmes dans leurs conclusions (pp. 44-45) que le rapport du laboratoire « Imp » n'est pas la même pièce que le rapport dont l'auteur, au nom initialement biffé, était un salarié du licencié ; au demeurant ce second rapport comporte, toujours dans la même copie d'écran (conclusions Pr industrie p. 45) le logo dudit licencié (Roadway solutions). Il n'y a donc eu aucune dissimulation, et le grief formé par les sociétés Pr industrie et Regeplastic, qui tient en réalité à une confusion entre les deux rapports d'analyse, est infondé. Par conséquent, leur demande doit être rejetée.

5o) Frais de la procédure, exécution provisoire et demande fondée sur le caractère abusif de la procédure dans son ensemble

56.Aux termes de l'article 696 du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n'en mette la totalité ou une fraction à la charge d'une autre partie. L'article 700 du même code permet au juge de condamner en outre la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l'autre, pour les frais exposés mais non compris dans les dépens, une somme qu'il détermine, en tenant compte de l'équité et de la situation économique de cette partie.

57.La société Eiffage, qui perd le procès, doit être tenue aux dépens, et doit indemniser de leurs frais les défenderesses au principal, en tenant compte en leur faveur de la complexité apportée au débat par la résistance infondée de la société Eiffage quant à la validité de son brevet, et du peu de sérieux de son action en général, celle-ci étant motivée par la forte proportion de polymère du produit des défenderesses, alors que des brevets anciens, comme le document Fina de 1991, prévoyaient déjà des proportions aussi importantes (cf ci-dessus point 40), de sorte qu'aucun soupçon légitime ne rattachait objectivement ce produit à son propre brevet. Ainsi, malgré le caractère infondé des autres demandes reconventionnelles des défenderesses, cette indemnité peut être fixée au montant demandé, soit 20 000 euros.

58.Toutefois, il n'est pas établi avec un niveau de certitude suffisante que la société Eiffage savait ou devait savoir que son brevet était nul ; à cet égard le fait, soulevée par les sociétés Pr industrie et Regeplastic, que le brevet européen demandé sous priorité de ce brevet n'était toujours pas délivré, 13 ans après le dépôt de la demande, était sans doute un indice de la faiblesse de ce titre, mais n'est pas de nature en lui-même à prouver la mauvaise foi du breveté. Il n'est donc pas tout à fait démontré que la décision d'engager puis de maintenir la présente instance caractérise un abus du droit d'agir en justice. Au demeurant, les sociétés Pr industrie et Regeplastic n'exposent pas en quoi la procédure elle-même (au-delà des actes liés à la saisie-contrefaçon, objets de demandes distinctes déjà examinées) leur a causé un préjudice autre que les frais exposés pour leur défense, et déjà indemnisés au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

59.L'exécution provisoire, nécessaire au regard du cout déjà exposé pour la procédure, doit être ordonnée, sauf s'agissant de l'inscription de la nullité au registre des brevets, en raison de son caractère définitif.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal, statuant publiquement en premier ressort par jugement contradictoire mis à disposition au greffe,

Déclare nulles les revendications 1, 2, 8 et 9 du brevet français publié sous le numéro FR 2 871 804 ;

Ordonne la transmission à l'INPI du présent jugement, lorsqu'il ne sera plus susceptible de recours, à l'initiative de la partie la plus diligente, aux fins d'inscription au registre, ;

Rejette les demandes en interdiction, confiscation, retrait, rappel, destruction, expertise, communication de document, paiement, et publication du jugement, formées par la société Eiffage infrastructures;

Rejette les demandes reconventionnelles des sociétés Pr industrie et Regeplastic en interdiction et dommages et intérêts au titre d'un détournement de la saisie-contrefaçon ;

Rejette leur demande en dommages et intérêts pour procédure déloyale (ou abusive) ;

Condamne la société Eiffage infrastructures aux dépens, avec recouvrement par l'avocat des sociétés Pr industrie et Regeplastic dans les conditions de l'article 699 (le cas échéant), ainsi qu'à payer à celles-ci la somme de 20 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Ordonne l'exécution provisoire, sauf en ce qui concerne la transmission de la décision à l'INPI ;

Fait et jugé à Paris le 19 avril 2022

La Greffière La Présidente


Synthèse
Tribunal : Tribunal de grande instance de Paris
Formation : Ct0196
Numéro d'arrêt : 18/7740
Date de la décision : 19/04/2022

Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.grande.instance.paris;arret;2022-04-19;18.7740 ?
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