La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

22/03/2022 | FRANCE | N°21/7910

France | France, Tribunal de grande instance de Paris, Ct0196, 22 mars 2022, 21/7910


TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE [Localité 4]

3ème chambre
3ème section

No RG 21/07910 -
No Portalis 352J-W-B7F-CUTEK

No MINUTE :

Assignation du :
21 Mai 2021

ORDONNANCE DU JUGE DE LA MISE EN ETAT
rendue le 22 mars 2022

DEMANDERESSE AU PRINCIPAL
DEFENDERESSE A L'INCIDENT

[Adresse 2]
[Adresse 2]
[Adresse 2]

représentée par Maître Eric CHAUPITRE, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #B0994

DEFENDERESSE AU PRINCIPAL
DEMANDERESSE A L'INCIDENT

Société YAGI TSUSHO LIMITED
[Adresse 1]
[Adres

se 1] (JAPON)

représentée par Maître Sophie VIARIS DE LESEGNO de la SELARL Svl Avocat, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #L0166

MAGISTRAT DE LA M...

TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE [Localité 4]

3ème chambre
3ème section

No RG 21/07910 -
No Portalis 352J-W-B7F-CUTEK

No MINUTE :

Assignation du :
21 Mai 2021

ORDONNANCE DU JUGE DE LA MISE EN ETAT
rendue le 22 mars 2022

DEMANDERESSE AU PRINCIPAL
DEFENDERESSE A L'INCIDENT

[Adresse 2]
[Adresse 2]
[Adresse 2]

représentée par Maître Eric CHAUPITRE, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #B0994

DEFENDERESSE AU PRINCIPAL
DEMANDERESSE A L'INCIDENT

Société YAGI TSUSHO LIMITED
[Adresse 1]
[Adresse 1] (JAPON)

représentée par Maître Sophie VIARIS DE LESEGNO de la SELARL Svl Avocat, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #L0166

MAGISTRAT DE LA MISE EN ETAT

Arthur COURILLON-HAVY, juge
assisté de Lorine MILLE, greffière

DEBATS

A l'audience du 17 février 2022, avis a été donné aux avocats que l'ordonnance serait rendue le 22 mars 2022.

ORDONNANCE

Prononcée publiquement par mise à disposition au greffe
Contradictoire
En pemier ressort

Exposé du litige

1.L'établissement public du domaine national de [Localité 3] a assigné (le 21 mai 2021) la société de droit japonais Yagi tsusho en nullité et déchéance de deux marques qui créeraient un lien trompeur avec le château de [Localité 3], et en concurrence déloyale et parasitaire. Celle-ci a formé un incident, contestant la validité de l'assignation, la compétence du présent tribunal, et la recevabilité des demandes.

2.Cette société est ainsi titulaire de :

- la marque de l'Union européenne « [Localité 3] » no011705266, déposée le 2 avril 2013 (et enregistrée) pour désigner des ceintures à cartouches, étuis pour fusils en classe 13, cuir et divers produits de maroquinerie en classe 18, et des vêtements, chaussures et chapeaux en classe 25.

- la marque internationale désignant l'Union européenne « [Localité 3] sellier depuis 1947 » no1398329, déposée le 30 novembre 2017 sous priorité d'une demande japonaise du 9 novembre 2017, et enregistrée, pour désigner notamment des sacs, porte-monnaies, parapluies, cannes, en classe 18, et des vêtements, chaussures et articles de chapellerie en classe 25.

3.Par des conclusions au fond du 2 février 2022, le domaine de [Localité 3] a formé des demandes additionnelles en contrefaçon de deux marques françaises qu'il détient, et a abandonné ses demandes en nullité et déchéance des marques de la société Yagi tsusho, qu'il a présentées devant l'Office européen ; et il a alors demandé qu'il soit sursis à statuer sur ses demandes restantes dans l'attente de la décision de l'Office.

4.Dans ses dernières conclusions d'incident signifiées par voie électronique le 9 février 2022, la société Yagi tsusho demande de déclarer nulle l'assignation, subsidiairement soulève l'incompétence du tribunal pour annuler les marques en cause et pour juger des actes de commercialisation effectués hors du territoire français, en déduit l'irrecevabilité et le malfondé des demandes ; « à titre infiniment subsidiaire » demande le rejet des demandes ; et réclame 10 000 euros pour procédure abusive et 6 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

5.Contre l'assignation, elle expose d'une part que l'adresse mentionnée n'est pas celle de son siège (à Osaka) mais celle de son bureau de liaison à [Localité 4], qui n'aurait pas d'autonomie de gestion, de sorte qu'il s'agirait d'un vice de fond, qui lui causerait un grief « dès lors que le demandeur n'a pas respecté les conditions procédurales propres aux significations d'actes juridiques à l'étranger » ; d'autre part que l'assignation violerait l'article 56 du code de procédure civile en l'absence de précision dans les moyens de fait et de droit qui y sont présentés : la « teneur » des textes visés ne serait pas citée précisément, sans indiquer s'il s'agit de la version antérieure ou postérieure à l'ordonnance no2019-1169, puis en indiquant qu'il s'agirait de la version en vigueur à la date de l'assignation, ce qui serait erroné ; sans préciser les produits et services visés par la demande et sans motiver une demande en nullité totale ; et le demandeur allèguerait des faits sans les prouver valablement.

6.Sur la compétence, elle fait valoir que la demande en nullité d'une marque de l'Union européenne relève de l'EUIPO, et que le dommage allégué ne serait pas matérialisé sur le territoire français, en ce qu'aucun fait de commercialisation sur le territoire français n'est démontré, les sites internet invoqués en demande n'étant notamment pas destinés au public français, précise-t-elle. Elle estime, en passant, que la demande de sursis à statuer est injustifiée car la demande additionnelle en contrefaçon serait irrecevable pour n'être pas motivée en fait et en droit, et qu'il s'agirait seulement pour le demandeur de complexifier la procédure.

7.Sur la recevabilité, la société Yagi tsusho soulève un défaut de qualité à agir en ce que les demandes visent son établissement parisien, dépourvu d'autonomie, de capacité et de personnalité juridique ; et en ce que le demandeur n'aurait pas qualité à invoquer une atteinte au nom « [Localité 3] », qui est celui de la commune alors que lui n'est chargé que de la gestion du château et du domaine.

8.Enfin, elle estime la procédure abusive car elle, dont le dirigeant a même été décoré de l'ordre national du mérite, exploiterait les marques depuis longtemps (le premier dépôt daterait de plus de 55 ans), en connaissance du Domaine de [Localité 3] qui lui a même proposé un partenariat en 2019, qu'elle a refusé, ce qui aurait motivé la présente action, fondée ainsi selon elle sur une intention de nuire via un détournement du droit des marques et du code du patrimoine, en alléguant des faits non étayés voire qu'il savait inexacts.

9.Dans ses dernières conclusions d'incident signifiées par voie électronique le 17 février 2022, l'établissement public du domaine national de [Localité 3] résiste à « la demande principale en nullité de l'assignation, ainsi [qu'à la] demande infiniment subsidiaire et reconventionnelle », et demande de surseoir à statuer sur l'intégralité des demandes.

10.Contre l'exception de nullité, il soutient que la société pouvait valablement être citée à son établissement français, immatriculé au RCS, et que la société ayant comparu il n'y aurait pas de grief ; que les fondements en droit de l'action sont exposés, la mention de la date des textes visés n'étant pas obligatoire selon lui ; que des moyens de fait sont mentionnés, leur caractère éventuellement infondé étant une autre question.

11.Sur la compétence, il fait valoir qu'il a formé une demande additionnelle en contrefaçon de ses marques françaises, qui relèverait de la compétence du présent tribunal, et ajoute que cette demande dépend des preuves d'usage que la défenderesse apportera elle-même par ailleurs dans la procédure en déchéance qu'il a initiée devant l'EUIPO, de sorte qu'il faudrait surseoir à statuer dans l'attente de la décision de l'Office.

12.Enfin sur son droit d'agir en se prévalant du nom [Localité 3], il fait valoir que celui-ci désigne avant tout le château et son domaine, qui préexistaient à la création de la commune, laquelle au demeurant ne possèderait aucun domaine public, celui-ci appartenant entièrement à l'État.

MOTIFS

1o) Nullité de l'assignation

a. adresse du destinataire de l'acte

13.L'article 648 du code de procédure civile impose à tout acte d'huissier de justice d'indiquer, à peine de nullité, si l'acte doit être signifié, les nom et domicile du destinataire, ou, s'il s'agit d'une personne morale, sa dénomination et son siège social.

La nullité des actes d'huissiers est régie par les dispositions qui gouvernent la nullité des actes de procédure (article 649), lesquelles disposent, s'agissant des irrégularités de forme (article 114), que la nullité ne peut être prononcée qu'à charge pour l'adversaire qui l'invoque de prouver le grief que lui cause l'irrégularité.

14.En l'espèce, l'éventuelle irrégularité tirée de l'adresse de la société Yagi tsusho n'a causé à celle-ci aucun grief dès lors qu'elle a pu comparaitre sans retard. Elle n'allègue, au demeurant, aucun grief réel.

b. moyens en fait et en droit

15.En application de l'article 56, 2o du code de procédure civile, l'assignation contient, à peine de nullité, un exposé des moyens en fait et en droit. Par ailleurs, l'article 67 prévoit que la demande incidente (notion qui inclut la demande additionnelle qui est définie par l'article 65 comme celle par laquelle une partie modifie ses prétentions antérieures) doit exposer les prétentions et les moyens de la partie qui la forme.

16.Et, en vertu de l'article 115, la nullité est couverte par la régularisation ultérieure de l'acte si aucune forclusion n'est intervenue et si la régularisation ne laisse subsister aucun grief.

17.En l'espèce, la défenderesse estime erronée la date de la version des textes visés par le demandeur au soutien de ses demandes ; ce qui implique que des textes ont été visés, donc que des moyens de droit sont invoqués ; au demeurant, puisqu'elle peut expliquer dans ses conclusions d'incident quelle est la version réellement applicable des textes invoquées, elle est bien informée du fondement juridique de la demande. Quant aux moyens de fait, le fait que la demande en nullité ne précise pas pour quels produits et services elle est dirigée, sans motiver spécialement une nullité totale, est susceptible de constituer un motif de rejet de la demande, mais ne s'assimile pas à une absence de moyen de fait (ni de droit). Plus généralement, la défenderesse ne conteste pas réellement l'existence de moyens de fait, mais seulement l'absence ou l'insuffisance de preuves, ce qui là aussi n'est pas un motif de nullité mais une défense au fond.

18.L'exception de nullité est donc manifestement infondée et est, par conséquent, écartée. Il en va de même de la fin de non-recevoir visant la demande additionnelle, pour le même motif (outre qu'il s'agirait en toute hypothèse d'une cause de nullité, et non d'une fin de non-recevoir).

2o) Compétence

a. action en nullité et déchéance des marques de l'Union européenne

19.En vertu des articles 394 à 396 du code de procédure civile, le demandeur peut, en toute matière, se désister de sa demande en vue de mettre fin à l'instance, désistement qui n'est parfait, si le défendeur a déjà présenté une défense au fond ou une fin de non-recevoir, que ci celui-ci l'accepte, ou si sa non-acceptation ne se fonde sur aucun motif légitime.

20.En l'espèce, le domaine national de [Localité 3] a demandé à titre principal la nullité de deux marques de l'Union européenne ; il a abandonné ces prétentions, mais après que la défenderesse a formé une fin de non-recevoir ; le désistement n'est donc pas parfait et le tribunal reste saisi de ces demandes en nullité.

21.Or il résulte des articles 58, 59, 60, et 124, point d), du règlement 2017/1001 sur la marque de l'Union européenne que le tribunal des marques de l'Union européenne n'est compétent pour connaitre d'une demande en déchéance ou en nullité de marque de l'Union qu'à titre reconventionnel, et non à titre principal. Le tribunal n'est donc pas compétent.

b. action en concurrence déloyale (et parasitisme)

22.L'article 6, paragraphe 1, du règlement 1215/2012 sur la compétence judiciaire en matière civile et commerciale prévoit que si le défendeur n'est pas domicilié sur le territoire d'un État membre, la compétence est, dans chaque État membre, réglée par la loi de cet État, sous réserve de l'application des règles impératives relatives à certaines matières qui ne sont pas celle de la présente espèce. Tel est le cas en l'espèce, où la défenderesse est domiciliée au Japon.

23.Les règles de compétences internes prévues par le code de procédure civile, qui sont étendues le cas échéant à la compétence internationale, prévoient notamment (article 56) que le demandeur peut saisir à son choix, outre la juridiction du lieu où demeure le défendeur, en matière délictuelle, la juridiction du lieu du fait dommageable ou celle dans le ressort de laquelle le dommage a été subi.

24.En l'espèce, le demandeur allègue des faits de parasitisme tenant à l'emploi des marques [Localité 3] et [Localité 3] sellier depuis 1947, et l'utilisation de l'image du château, à des fins commerciales, dans une communication qui prête à confusion (ses conclusions du 17 février 2022, p. 17). Au regard des propres captures d'écran produites par le demandeur dans ses conclusions au fond, qui montrent des communications en Japonais, avec le mot-diese « Japan » sans aucune autre indication pouvant les relier à d'autres territoires, il n'est pas sérieusement contestable que la commercialisation des produits utilisant ces signes ne se fait qu'à destination du Japon, de sorte que le préjudice n'est subi que dans ce territoire. De même, le demandeur ne conteste pas que la commercialisation litigieuse est décidée et organisée depuis le siège de la société au Japon ; à cet égard le fait dommageable est donc commis au Japon. Par conséquent, la demande échappe à la compétence du présent tribunal.

c. action en contrefaçon

25.Le domaine de [Localité 3] invoque deux marques françaises, qui, en tant que telles, n'accordent à leur titulaire un droit exclusif qu'en France. La demande en contrefaçon de marque française est donc nécessairement limitée aux actes commis sur le territoire français, et les tribunaux français sont les seuls compétents. Quant à l'existence de tels actes, il s'agit précisément d'une condition (au fond) de la demande soumise au tribunal, et non d'une condition de la compétence de celui-ci.

26.L'exception d'incompétence est donc écartée à cet égard.

3o) Fins de non-recevoir

27.La demande est dirigée contre la société Yagi tsusho, de droit japonais, qui a la personnalité juridique, et est au demeurant représentée dans cette procédure. Quant au nom [Localité 3], il est constant qu'il s'agit du nom du demandeur, et la défenderesse n'invoque pas quelle disposition normative réserverait l'action fondée sur ce nom à une autre personne. Les fin de non-recevoir sont donc dépourvues de sérieux, et doivent être écartées.

4o) Sursis à statuer

28.La procédure initiée devant l'Office européen porte sur la validité de marques postérieures détenues par le défendeur. Qu'elles soient valides ou non est dès lors sans incidence sur l'existence, ou non, d'actes de contrefaçon des marques antérieures invoquées par le demandeur. Le sursis à statuer ne se justifie donc pas. Le fait que le demandeur espère obtenir dans la procédure devant l'Office des preuves utiles pour la présente instance n'est pas un élément pertinent pour justifier le retard de celle-ci.

5o) Autres demandes

29.L'instance n'étant pas éteinte, la demande en procédure abusive devra être examinée au fond, et de même pour la demande d'indemnité de procédure.

PAR CES MOTIFS

Le juge de la mise en état, statuant publiquement en premier ressort par ordonnance contradictoire mise à disposition au greffe,

Écarte l'exception de nullité de l'assignation ;

Écarte le moyen tiré de l'absence de motivation de la demande additionnelle ;

Se déclare incompétent pour connaitre des demandes en nullité et déchéance de la marque de l'Union européenne no011705266 et des effets de l'enregistrement international désignant l'Union no1398329 ;

Se déclare incompétent pour connaitre de la demande subsidiaire en concurrence déloyale et parasitaire ;

Écarte l'exception d'incompétence quant à la demande en contrefaçon de marques françaises ;

Écarte les fins de non-recevoir tirées du défaut de qualité à agir contre « l'établissement » de la société Yagi tsusho, et du défaut de qualité à agir sur le nom [Localité 3] ;

Rejette la demande de la société Yagi tsusho formée au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais de l'incident ;

Rejette la demande de sursis à statuer ;

Renvoie l'affaire à la mise en état (dématérialisée) du 19 mai 2022 pour les conclusions actualisées du demandeur tenant compte de la présente ordonnance.

Faite et rendue à Paris le 22 mars 2022

La Greffière Le Juge de la mise en état


Synthèse
Tribunal : Tribunal de grande instance de Paris
Formation : Ct0196
Numéro d'arrêt : 21/7910
Date de la décision : 22/03/2022

Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.grande.instance.paris;arret;2022-03-22;21.7910 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award