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18/03/2022 | FRANCE | N°20/7917

France | France, Tribunal de grande instance de Paris, Ct0196, 18 mars 2022, 20/7917


TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS

3ème chambre
2ème section

No RG 20/07917
No Portalis 352J-W-B7E-CST64

No MINUTE :

Assignation du :
05 Août 2020

JUGEMENT
rendu le 18 Mars 2022
DEMANDEUR

Monsieur [V] [P]
[Adresse 2]
[Localité 4]

représenté par Maître Florent DESARNAUTS, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #W10

DÉFENDERESSES

S.A.R.L. DACOR PRODUCTIONS
[Adresse 3]
[Localité 4]

représentée par Maître Sébastien HAAS, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #C2251

S.N.C. PREST

IGE ET COLLECTIONS INTERNATIONAL
[Adresse 1]
[Localité 4]/FRANCE

représentée par Maître Alain HAZAN, de la SELARL TAOMA PARTNERS SPE , avocat au barreau de PA...

TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS

3ème chambre
2ème section

No RG 20/07917
No Portalis 352J-W-B7E-CST64

No MINUTE :

Assignation du :
05 Août 2020

JUGEMENT
rendu le 18 Mars 2022
DEMANDEUR

Monsieur [V] [P]
[Adresse 2]
[Localité 4]

représenté par Maître Florent DESARNAUTS, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #W10

DÉFENDERESSES

S.A.R.L. DACOR PRODUCTIONS
[Adresse 3]
[Localité 4]

représentée par Maître Sébastien HAAS, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #C2251

S.N.C. PRESTIGE ET COLLECTIONS INTERNATIONAL
[Adresse 1]
[Localité 4]/FRANCE

représentée par Maître Alain HAZAN, de la SELARL TAOMA PARTNERS SPE , avocat au barreau de PARIS, vestiaire #P0539

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Madame Catherine OSTENGO, Vice-présidente
Madame Elise MELLIER, Juge
Madame Linda BOUDOUR, Juge

assisté de Madame Caroline REBOUL, Greffière lors des débats et de Monsieur Quentin CURABET, Greffier lors de la mise à disposition

DÉBATS

A l'audience du 10 février 2022 tenue en audience publique, avis a été donné aux parties que le jugement serait rendu par mise à disposition au greffe le 18 mars 2022.

JUGEMENT

Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe
Contradictoire
En premier ressort

EXPOSE DU LITIGE

M. [V] [P] se présente comme graphiste indépendant et réalisateur exerçant dans les secteurs de la publicité et de l'audiovisuel.

La société DACOR PRODUCTIONS (ci-après « DACOR ») est une agence de création et de production audiovisuelle spécialisée dans la fabrication de films publicitaires, en particulier dans les domaines de la beauté et du luxe.

Pour sa part, la société PRESTIGE et COLLECTIONS INTERNATIONAL (ci-après « PCI ») est une société du Groupe L'OREAL, qui fabrique et commercialise des produits cosmétiques de luxe, notamment de parfumerie, soins et maquillage, sous la marque « LANCÔME ».

Elle a confié début 2011 à la société DACOR la réalisation d'un film institutionnel intitulé « LANCÔME NEO » destiné à assurer la promotion du nouveau flacon de son parfum « LA VIE EST BELLE ». La société DACOR a dans ce cadre fait appel à [V] [P] pour selon elle donner au film un rendu dit « fusain de lumière », pour réaliser le film selon ce dernier.

Considérant que l'utilisation ultérieure et mondiale d'éléments du film LANCÔME NEO, dans le cadre de nouveaux films publicitaires LANCÔME publiés notamment sur Internet, au-delà du périmètre initialement convenu, selon lui sans cession de droits d'auteur ni rémunération, portait atteinte à ses droits d'auteur-réalisateur du film, M. [P] a adressé plusieurs mises en demeure, par l'intermédiaire de son conseil à compter du 3 octobre 2017, tant à la société DACOR qu'à la société PCI.

Faute de réponse satisfaisante à ses yeux, il a obtenu du juge des référés par ordonnance du 18 juillet 2019, rendue sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile, la communication sous astreinte de devis et factures de la part de la société DACOR.

Il a ensuite fait assigner les sociétés DACOR et PCI devant ce tribunal, par actes des 5 et 20 août 2020, en contrefaçon de droits d'auteur.

Par ordonnance du 7 mai 2021, le juge de la mise en état a rejeté la demande de prescription et les fins de non-recevoir soulevées par les défenderesses, considérant qu'elles consistaient en réalité à critiquer, non la titularité des droits revendiqués, mais le caractère d'oeuvre originale de la contribution de M. [P], qu'il appartient au seul tribunal statuant au fond d'apprécier.

*
Aux termes de ses dernières conclusions signifiées par voie électronique le 2 novembre 2021, [V] [P] demande au tribunal de :

Vu les articles L. 111-1, L. 122-7, L. 131-2, L. 131-3, L. 132-24, L. 331-1-3 et L. 335-3 du code de la propriété intellectuelle,
Vu les articles 514 et suivants du code de procédure civile,

- DIRE ET JUGER que toutes les exploitations télévisuelles sur internet, du film de Monsieur [V] [P] autorisées par la société DACOR PRODUCTIONS et effectuées directement ou indirectement par la société PRESTIGE ET COLLECTIONS INTERNATIONAL sont constitutives d'actes de contrefaçon ;

En conséquence,
- CONDAMNER in solidum la société DACOR PRODUCTIONS et la société PRESTIGE ET COLLECTION INTERNATIONAL à payer à Monsieur [V] [P] la somme globale de 270 000 euros à titre de dommages-intérêts, ainsi décomposée :
- 150 000 euros au titre de son manque à gagner ;
- 20 000 euros au titre de l'atteinte portée à son droit moral ;
- 100 000 euros au regard des bénéfices indûment tirés des exploitations contrefaisantes de son oeuvre ;
- INTERDIRE à la société DACOR PRODUCTIONS et à la société PRESTIGE ET COLLECTIONS INTERNATIONAL toute exploitation, directe ou indirecte, même dérivée du film de Monsieur [V] [P] sous astreinte de 2 000 euros par infraction constatée courant 15 jours après la signification du jugement à intervenir ;
- ORDONNER la publication du jugement à intervenir sous forme de communiqué judiciaire aux frais des défenderesses, dans trois organes de presse au choix de Monsieur [V] [P], à hauteur de 6 000 euros par insertion ;
- CONDAMNER in solidum la société DACOR PRODUCTIONS et la société PRESTIGE ET COLLECTIONS INTERNATIONAL à payer à Monsieur [V] [P] la somme de 15 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ce montant incluant celui de 5 328 euros payé à la société Kantar Média ;
- CONDAMNER in solidum la société DACOR PRODUCTIONS et la société PRESTIGE ET COLLECTIONS INTERNATIONAL aux entiers dépens ;
- DIRE n'y avoir lieu à écarter l'exécution provisoire du jugement à intervenir, vu notamment la nature alimentaire des droits d'auteur.

*

Aux termes de ses conclusions récapitulatives no 2 signifiées par voie électronique le 2 décembre 2021, la société DACOR PRODUCTIONS demande au tribunal de :

Vu les articles L. 111-1, L. 112-1, L. 112-2 6o, L. 113-1, L. 113-7 et L. 331-1-3 du code de la propriété intellectuelle,
Vu les articles 699 et 700 du code de procédure civile,
Vu les pièces versées au débat,

- RECEVOIR DACOR PRODUCTIONS en ses conclusions et les dire bien fondées ;

A titre principal :
- DÉBOUTER [V] [P] de l'ensemble de ses demandes faute pour lui de bénéficier d'une présomption légale ou d'apporter la preuve d'un apport créatif ;

A titre subsidiaire :
- DÉBOUTER [V] [P] de l'ensemble de ses demandes, ou à tout le moins les ramener à de plus justes proportions ;

En toutes hypothèses,
- CONDAMNER [V] [P] à verser à DACOR PRODUCTIONS la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens au bénéfice de Me Sébastien Haas.

*

Aux termes de ses conclusions au fond no 2 signifiées par voie électronique le 30 novembre 2021, la société PRESTIGE ET COLLECTIONS INTERNATIONAL demande au tribunal de :

Vu les articles L. 111-1 et suivants du code de la propriété intellectuelle,
Vu l'article L. 331-1-3 du code de la propriété intellectuelle,
Vu l'article 1626 du code civil,

- RECEVOIR PRESTIGE ET COLLECTIONS INTERNATIONAL en ses conclusions et les dire bien fondées ;

A titre principal :
- CONSTATER que [V] [P] n'est pas titulaire de droits sur l'oeuvre qu'il invoque faute d'avoir fait preuve d'un apport créatif ;

En conséquence :
- DÉBOUTER [V] [P] de l'ensemble de ses demandes ;

A titre subsidiaire :
- CONSTATER que [V] [P] n'apporte pas la preuve des agissements reprochés à PRESTIGE ET COLLECTIONS INTERNATIONAL et DACOR PRODUCTIONS ;

En conséquence :
- DÉBOUTER [V] [P] de l'ensemble de ses demandes ;

A titre infiniment subsidiaire :
- CONSTATER que les demandes en réparation formulées par [V] [P] sont manifestement excessives ;

En conséquence,
- DÉBOUTER [V] [P] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions, ou à tout le moins les ramener à de plus justes proportions ;

En tout état de cause,
- DIRE ET JUGER DACOR PRODUCTIONS devra relever et garantir intégralement PRESTIGE ET COLLECTIONS INTERNATIONAL de toutes les condamnations qui pourraient être prononcées à son encontre, à quelque titre que ce soit ;
- CONDAMNER la partie succombante à verser à intégralement PRESTIGE ET COLLECTIONS INTERNATIONAL la somme de 10.000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
- CONDAMNER la partie succombante aux entiers dépens.

*

La clôture a été prononcée le 16 décembre 2021 et l'affaire a été plaidée le 10 février 2022.

Pour un exposé complet de l'argumentation des parties, il est, conformément à l'article 455 du code de procédure civile, renvoyé à leurs dernières conclusions précitées.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la qualité d'auteur d'une oeuvre originale de M. [P]

[V] [P] soutient être l'auteur du film litigieux, qu'il a intégralement réalisé seul et sans qu'aucun story-board ne lui soit remis, et pour lequel il a opéré les choix créatifs originaux suivants :
- la réalisation d'un film en plan séquence,
- la mise en oeuvre d'un déroulé et d'un rythme de plan propre,
- l'insertion de transitions originales, visant à insuffler un réel dynamisme,
- la création d'un décor d'époque,
- l'intervention d'[G] [R], mis en scène dans le film.
Il conteste que la moindre directive lui ait été donnée, ce que les défenderesses sont d'ailleurs selon lui incapables d'établir.

Les sociétés DACOR et PCI répondent au contraire que le demandeur, simple exécutant d'instructions précises, n'a réalisé qu'une prestation technique à l'aide du logiciel « AFTER EFFECTS », ne manifestant aucun effort créatif et de ce fait dépourvue de toute originalité.

Sur ce,

Aux termes des articles 6 et 9 du code de procédure civile, les parties ont la charge d'alléguer les faits propres à fonder leurs prétentions et il incombe à chacune d'elles de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de ces prétentions.

En application des dispositions de l'article L. 111-1 du code de la propriété intellectuelle, l'auteur d'une oeuvre de l'esprit jouit sur cette oeuvre, du seul fait de sa création, d'un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous, comportant des attributs d'ordre intellectuel et moral ainsi que des attributs d'ordre patrimonial, pour autant que la création soit originale, c'est-à-dire qu'elle soit issue de choix personnels et arbitraires de l'auteur, révélant l'empreinte de la personnalité de celui-ci.

Il sera tout d'abord observé que le film sur lequel M. [P] revendique des droits d'auteur ne correspond en réalité pas à la totalité du film intitulé « LANCÔME NEO », lequel comprend un montage supplémentaire d'images d'archives, mais seulement à la séquence d'animation du film précité. La séquence animée en question (ci-après « le film d'animation ») n'est pas versée telle quelle au bordereau, mais uniquement à titre de base de comparaison avec les spots publicitaires litigieux dans les pièces 66 et 67 du demandeur. Pour autant, les défenderesses ne contestent pas être en mesure d'identifier précisément le contour de la création revendiquée, i.e. le film d'animation dans son intégralité tel que présenté dans les pièces 66 et 67 précitées, et ont été à même d'en débattre contradictoirement.

Il n'est par ailleurs pas non plus contesté que le film d'animation en cause répond à une commande, confiée par la société PCI à la société DACOR. Pour autant, le résultat d'un tel travail de commande n'est pas exclu de la protection du droit d'auteur, la seule condition requise à cette fin étant, comme pour toute oeuvre, l'originalité dont il doit être emprunt.

En l'espèce, les caractéristiques revendiquées originales par M. [P], à savoir un film en plan séquence déroulé selon une mise en scène et un rythme déterminés, chaque scène étant introduite par une transition via un objet spécifique, traduisent à l'évidence des choix suffisamment arbitraires pour qualifier d'oeuvre le film réalisé en réponse à la commande passée. Et il en est de même, non du recours à un décor d'époque, qui peut s'avérer contraint par la contingence historique, mais du choix des éléments dudit décor mis en scène dans le film, ainsi que de la décision d'y intégrer [G] [R], créateur historique du flacon.

Au demeurant, la qualité d'oeuvre originale de ce film d'animation n'est pas contestée en tant que telle, les défenderesses déniant seulement en réalité expressément à M. [P] toute liberté créative au motif qu'il n'aurait effectué qu'une prestation technique assistée par ordinateur et n'aurait fait que mettre en oeuvre des directives précises qui lui auraient été données, et partant, lui refusant la qualité d'auteur de l'oeuvre de commande que constitue le film d'animation. Ainsi, aux termes des écritures de la société DACOR, le différend « porte exclusivement sur la qualification de la prestation effectuée par Monsieur [P] ».

S'il appartient à celui qui s'en prétend l'auteur d'établir l'originalité de l'oeuvre sur laquelle il revendique des droits, il n'a pas en principe à démontrer qu'il n'a pas été contraint dans ses choix. Il en va toutefois différemment si un tiers lui dénie au contraire toute liberté créative au motif que les instructions qu'il lui a communiquées ne lui laissaient aucune marge propre, comme le font les défenderesses. En pareil cas, l'auteur revendiqué devra établir avoir opéré des choix arbitraires à même de marquer l'oeuvre de sa personnalité.

Après avoir observé liminairement que le fait que M. [P] n'ait pas été en contact direct avec le client final durant la majeure partie de la mission est sans aucune pertinence quant à l'existence ou non d'une possible liberté de création, laquelle ne s'évalue qu'à l'aune de l'apport intellectuel éventuel, les pièces versées de part et d'autre seront examinées.

La société DACOR soutient en premier lieu s'être vue transmettre « un cahier des charges bien précis en vue d'obtenir un résultat conforme à sa stratégie de communication », imposant notamment que « le film présente le processus créatif suivi par le fondateur de Lancôme, [G] [R], lorsqu'il dessina le flacon du parfum « La vie est belle » » et qu'il reprenne des codes issus ou inspirés d'autres créations auxquelles la société PCI s'est expressément référée. Quant à cette dernière, elle affirme de la même manière que le demandeur s'est vu remettre un « brief établi par LANCÔME décrivant dans les détails le film souhaité, scène par scène ». Aucun document s'apparentant à un cahier des charges ou à une liste de directives précises telles qu'un brief n'est cependant versé aux débats par l'une ou l'autre des défenderesses.

La société DACOR soutient encore que la prestation de M. [P] a uniquement consisté « en une prestation technique d'animation à partir du logiciel « AFTER EFFECTS » par laquelle M. [P] transforme les éléments visuels sélectionnés sur Internet par les équipes des sociétés LANCÔME et DACOR en style graphique « fusain de lumière », suivant les instructions précises, encadrées, univoques de LANCÔME ».

Elle verse au soutien de ses allégations deux attestations émanant (i) pour l'une (pièce 10 DACOR), de [O] [I], qui exerçait au moment des faits litigieux comme directeur de production « freelance salarié » (sic) pour la société DACOR et apparaît avoir été un des interlocuteurs privilégiés du client donneur d'ordres pour le travail de commande objet du présent litige, étant l'auteur notamment des courriels produits par cette dernière en pièces 2, 12 et 13 ; (ii) pour l'autre (pièce 9 DACOR), de [V] [W], se présentant comme salarié en charge de la direction artistique de la société DACOR à l'époque des faits litigieux.

M. [P] considère que ces attestations ne peuvent être tenues pour impartiales dès lors qu'elles ont été rédigées par d'anciens salariés ou toujours en relation d'affaires avec la société DACOR, de surcroît près de dix ans après les faits. Le contenu de ces pièces, longuement et contradictoirement débattu, n'apparaît toutefois pas devoir être écarté pour la seule raison qu'elles proviennent de personnes ayant été le salarié ou étant encore le prestataire ponctuel de la société défenderesse, alors en outre qu'elles ont été rédigées conformément aux prescriptions de l'article 202 du code de procédure civile.

Les déclarations de M. [I], selon lesquelles « Nous lui demandions cette fois-ci purement et simplement [de] venir exécuter un travail précis, dicté par la marque, soumis à ma validation et celle de [J], puis exposé au client qui fait lui-même ses retours et modifications » et « [V] (sic) [P] n'intervenait sur ce projet que comme le dernier maillon de la production en exécutant simplement des décisions prises bien en amont de son intervention », apparaissent peu précises ni étayées, et davantage relatives au fonctionnement de l'équipe dédiée au projet.

En revanche, l'attestation de M. [W] est plus explicite quant aux instructions reçues du client et transmises à M. [P] :
« Le brief était clair : Lancôme nous fournissait une vidéo de référence de la marque Christian Dior, et nous devions recréer l'effet visuel pour en faire une vidéo autour du créateur de la marque Lancôme, [G] [R].
Les clients souhaitaient un fil conducteur bien clair, écrit par leurs soins, et nous devions juste leur fabriquer le contenu vidéo.
Lancôme voulait un plan séquence qui nous replongeait dans le passé et le travail d'[G] [R] sur un flacon créé par ses soins et remis au gout du jour avec le parfum « La vie est belle ».
Nous devions utiliser des éléments emblématiques du personnage d'[G] [R], notamment des lunettes et autres accessoires, et dans la mesure du possible les utiliser en tant que transitions d'une scène à l'autre.
(?) Ces éléments pris dans leur ensemble ont permis de fabriquer le film sans aucune intervention créative de la part du graphiste qui a exécuté un ensemble de directives données par la marque ».

Le demandeur réfute le fait que lui aient été imposés un plan séquence et des transitions d'une scène à l'autre, de même que le choix des accessoires, notamment des lunettes.

Toutefois, la société DACOR produit encore à l'appui de ses assertions, les documents suivants :
- une liste de films audiovisuels préexistants devant manifestement servir d'inspirations pour un « film concept » (pièce 11 DACOR) ; outre que cette liste ne ressort au mieux que du domaine de l'idée générale dans laquelle devrait s'inscrire le film en question, il est évoqué dans l'un des courriels un tournage à démarrer le 10 mai 2011, ce qui interroge sur le fait que cette pièce soit relative à la création de la séquence d'animation litigieuse, laquelle ne semblait requérir a priori aucun tournage, et qu'elle ne soit pas plutôt relative au film qui a suivi avec l'actrice [Z] [L] ;
- des courriels internes à la société DACOR et d'autres échangés avec la société L'ORÉAL, tous datés du 12 mai 2011 (pièces 2, 12 et 13 DACOR), dont il peut être considéré qu'ils établissent que le client donneur d'ordres avait sollicité l'ajout « d'[G] [R] sur le tableau, d'un chevalet dans le décor, d'un cadre au mur, d'une lampe », ainsi que « d'un croquis supplémentaire sur le plan final » et « du plan de la main qui dessine le flacon », étant précisé que « le rendu nécessite une 15aine d'heures de calcul » ; ces courriels établissent en outre que le client entendait intervenir également sur « le rendu global du film (enchaînements, flare, split screen éventuel etc.) », de sorte qu'il apparaît qu'il avait une vision relativement précise du résultat attendu ;
- une pièce 4 présentée comme les « éléments visuels sélectionnés sur Internet par les équipes des sociétés LANCÔME et DACOR » ; cette pièce, non datée et possiblement créée pour les besoins de la cause n'apporte pas d'information pertinente sur l'origine ou l'auteur de la sélection des images préexistantes à partir desquelles ont pu être conçus les objets graphiques mis en oeuvre dans le film d'animation (i.e. tableau représentant [G] [R], flacon, bureau de celui-ci et plume utilisée pour le dessin dudit flacon, lampe bibliothèque et lunettes) ; elle révèle néanmoins comment une telle conception a pu avoir lieu, à travers l'assemblage et la vectorisation d'images préexistantes, puis le passage en mode « fusain de lumière » du résultat obtenu.

De son côté, M. [P] soutient que seuls les flacons de parfum et le portrait d'[G] [R] lui ont été fournis, et qu'il a dû mener des recherches sur Internet pour trouver les autres éléments du décor intégré au film d'animation. Sa pièce 64, qui n'est pas davantage datée que celle, critiquée, de son adversaire, ne permet toutefois pas plus que la précédente d'établir avec certitude qui est à l'origine du choix des objets ayant servi au décor du film.

Le demandeur ne conteste par ailleurs pas que l'univers colorimétrique, en particulier le recours au mauve, correspondant à la couleur du parfum, lui était imposé. Il ne conteste pas non plus avoir reçu pour consigne ferme de reproduire au plus proche le rendu visuel du film publicitaire du parfum « J'ADORE » de la marque DIOR, en recourant à un plan séquence et en appliquant la technique dite « fusain » ou « trait » de lumière (ou encore « light pencil »), ce résultat apparaissant du reste indubitable lors du visionnage du film d'animation. M. [P] rejoint au demeurant sur ce point la société DACOR lorsqu'il écrit dans ses conclusions que si celle-ci a fait appel à lui, « c'est en raison de sa maîtrise [du logiciel « After Effects »] et de son expérience en tant qu'auteur de plusieurs films comportant des effets de faisceaux de lumière », mais également au motif qu'il avait déjà recouru, dans ses projets précédents (notamment carte de v?ux, pièces 59-2 et 59-3 [P]) à des « transitions à travers un élément du décor, sorte de trompe l'?il ».

En définitive, le seul point pour lequel les défenderesses n'établissent pas avoir donné une consigne claire autre qu'une vue d'[G] [R] en train de dessiner le flacon, avec ajout d'un plan sur sa main en pleine oeuvre créatrice, est le fait de l'avoir représenté de dos. Cet unique choix discrétionnaire, si tant est qu'il revienne à M. [P] seul, constitue néanmoins un apport créatif trop limité pour considérer que le demandeur, graphiste professionnel disposant d'une parfaite maîtrise des outils logiciels et d'un savoir-faire reconnu lui permettant de mettre en oeuvre avec un talent indéniable les techniques de l'animation par ordinateur, notamment vectorisation et light pencil, a marqué de l'empreinte de sa personnalité le film d'animation en litige, lui ouvrant droit à la qualité d'auteur.

Et il ne peut valablement soutenir que la société DACOR lui aurait pourtant reconnu une telle qualité au motif qu'elle se serait contentée d'acquiescer par un « exact ! mea culpa [V] ! » à son commentaire sur une page Facebook selon lequel il revendiquait « Par contre la première partie en animation c'est de moi, pas de [X], désolé » (pièce 8 [P]), cet échange lapidaire pouvant tout au plus valoir reconnaissance de la prestation réalisée et n'impliquant aucun aveu manifeste du statut d'auteur du demandeur, au sens du code de la propriété intellectuelle. Aucune reconnaissance implicite de cette qualité ne peut davantage être tirée de l'absence de réaction au post par M. [P] sur une page Facebook en février 2013, aux termes duquel il écrivait « Une vignette de sa vidéo dans le figaro. Ça fait plaisir ! ».

M. [P] sera en conséquence débouté de ses demandes au titre de la contrefaçon de droit d'auteur, et la demande en garantie formée par la société PCI à l'encontre de la société DACOR étant devenue sans objet, il n'y a pas lieu de l'examiner.

*

[V] [P], qui succombe, supportera la charge des dépens et ses propres frais.

En application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, la partie tenue aux dépens ou à défaut, la partie perdante, est condamnée au paiement d'une somme au titre des frais exposés et non compris dans les dépens, en tenant compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée.

Il apparaît équitable de condamner M. [P] à payer à chacune des sociétés DACOR et PCI, qui ont dû exposer des frais pour se défendre, la somme de 3 000 euros au titre des frais irrépétibles.

L'exécution provisoire est de droit et il n'est pas justifié de l'écarter au cas d'espèce.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal statuant publiquement, par mise à disposition au greffe, par jugement contradictoire rendu en premier ressort,

DIT que [V] [P] n'établit pas avoir la qualité d'auteur de la séquence animée du film « LANCÔME NEO » faute de démontrer un apport créatif propre ;

en conséquence,

DÉBOUTE [V] [P] de ses demandes en contrefaçon de droit d'auteur ;

DIT sans objet la garantie sollicitée par la société PRESTIGE ET COLLECTIONS INTERNATIONAL ;

CONDAMNE [V] [P] à payer à chacune des sociétés DACOR PRODUCTIONS et PRESTIGE ET COLLECTIONS INTERNATIONAL la somme de 3 000 (trois mille) euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE [V] [P] aux entiers dépens de l'instance, dont distraction au profit de Maître Me Sébastien Haas, avocat, pour ceux dont il aura fait l'avance sans en avoir reçu provision, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile ;

RAPPELLE que l'exécution provisoire est de droit.

Fait et jugé à Paris, le 18 mars 2022.

Le GreffierLe Président


Synthèse
Tribunal : Tribunal de grande instance de Paris
Formation : Ct0196
Numéro d'arrêt : 20/7917
Date de la décision : 18/03/2022

Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.grande.instance.paris;arret;2022-03-18;20.7917 ?
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