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17/03/2022 | FRANCE | N°18/1580

France | France, Tribunal de grande instance de Paris, Ct0196, 17 mars 2022, 18/1580


TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS

3ème chambre
1ère section

No RG 18/01580
No Portalis 352J-W-B7C-CMITH

No MINUTE :

Assignation du :
04 janvier 2018

JUGEMENT
rendu le 17 mars 2022
DEMANDEURS

Maître [N] [D], es qualité de liquidateur de la SARL EPI EAUPURE INTERNATIONAL
[Adresse 13]
[Adresse 11]
[Adresse 10]
[Localité 4]

S.A.R.L. EPI EAUPURE INTERNATIONAL
[Adresse 1]
[Adresse 12]
[Localité 5]

S.A.S GROUPE EAU PURE INTERNATIONAL
[Adresse 8]
[Localité 9]

Madame [Y] [H] [L]

[Adresse 2]
[Localité 6]

représentés par Me Sabine DU GRANRUT de l'AARPI FAIRWAY, avocat au barreau de PARIS, avocat postulant, vestiaire #K0190 et Me Lucie G...

TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS

3ème chambre
1ère section

No RG 18/01580
No Portalis 352J-W-B7C-CMITH

No MINUTE :

Assignation du :
04 janvier 2018

JUGEMENT
rendu le 17 mars 2022
DEMANDEURS

Maître [N] [D], es qualité de liquidateur de la SARL EPI EAUPURE INTERNATIONAL
[Adresse 13]
[Adresse 11]
[Adresse 10]
[Localité 4]

S.A.R.L. EPI EAUPURE INTERNATIONAL
[Adresse 1]
[Adresse 12]
[Localité 5]

S.A.S GROUPE EAU PURE INTERNATIONAL
[Adresse 8]
[Localité 9]

Madame [Y] [H] [L]
[Adresse 2]
[Localité 6]

représentés par Me Sabine DU GRANRUT de l'AARPI FAIRWAY, avocat au barreau de PARIS, avocat postulant, vestiaire #K0190 et Me Lucie GOMES de la SELARL LEX JURISMO, avocat au barreau de SENLIS, avocat plaidant

DÉFENDEURS

S.A.R.L. MICR'EAU
[Adresse 3]
[Localité 7]

Monsieur [X] [K]
[Adresse 3]
[Localité 7]

représentés par Me Anne-Laure LEYNON de la SELARL ELANTHEMIS AVOCAT, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #C1112

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Gilles BUFFET, Vice- président
Laurence BASTERREIX, Vice-Présidente
Alix FLEURIET, Juge

assistés de Caroline REBOUL, Greffière

DEBATS

A l'audience du 23 novembre 2021 tenue en audience publique, avis a été donné aux avocats que le jugement serait rendu le 03 février 2022.
Le délibéré a été prorogé au 17 février 2022, au 03 mars 2022, au 10 mars 2022 puis au 17 mars 2022.

JUGEMENT

Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe
Contradictoire
En premier ressort

EXPOSÉ DU LITIGE

M. [X] [K] a créé la société L'EAU PURE INTERNATIONALE, reprise par la SARL EPI EAU PURE INTERNATIONAL (ci-après la société EPI), constituée à cette fin le 31 décembre 2013.

Par acte du 1er décembre 2015, les parts sociales de la société EPI ont ensuite été cédées à la SAS GROUPE EAU PURE INTERNATIONAL (ci-après la société GEPI) créée le 5 août 2015 par Mme [H] [R].

Elle est ainsi la dirigeante des sociétés GEPI et EPI.

Dans le cadre de cette reprise, M. [X] [K] a été engagé en qualité de directeur commercial au sein de la société EPI.

Il est également le gérant de la SARL MICR'EAU, qu'il a créée en 1999 et qui a notamment pour objet le traitement des eaux usées urbaines ou industrielles, avec une activité commerciale notamment au Chili.

Courant 2017, les relations se sont détériorées entre M. [K] et Mme [L], celle-ci lui reprochant d'avoir créé ou financé au Chili des sociétés concurrentes d'EPI, les sociétés ACUATIERRA et ARSEPUR, et de détourner massivement les clients de sa société en les contactant depuis son adresse mail personnelle et en les adressant à sa société MICR'EAU.

Il a été mis un terme à son contrat de travail le 28 avril 2017.

Plusieurs instances sont actuellement en cours, notamment une instance pénale faisant suite à des actes de violence dénoncés par Mme [L], ainsi qu'une procédure engagée devant le conseil de prud'hommes de Lille par M. [K].

Par acte d'huissier de justice du 4 janvier 2018, la société EPI, la société GEPI et Mme [L] ont fait assigner la SARL MICR'EAU et M. [K] devant le tribunal judiciaire de Paris en concurrence déloyale.

Par un jugement du 19 février 2018, le tribunal de commerce de Lille a prononcé l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire à l'encontre de la société EPI, et nommé ès-qualités de mandataire judiciaire, Maître [N] [D].

Par des conclusions notifiées le 4 avril 2018, Maître [N] [D] est intervenu à la procédure.

Par jugement du 16 janvier 2019, la procédure a été convertie en liquidation judiciaire et Maître [D] désigné en qualité de liquidateur judiciaire.

Par une ordonnance du 19 décembre 2019, le juge de la mise en état a écarté l'exception de procédure tirée de l'incompétence de la présente juridiction au profit du tribunal de commerce soulevée par les défendeurs.

Par de nouvelles conclusions d'incident signifiées par la voie électronique le 30 octobre 2020, la SARL MICR'EAU et M. [K] ont demandé au juge de la mise en état d'écarter certaines pièces des débats et de surseoir à statuer dans l'attente de l'issue de la procédure pénale engagée par M. [X] [K] et la société MICR'EAU aux termes de sa plainte déposée auprès du doyen des juges d'instruction près le tribunal judiciaire de Paris le 16 novembre 2020 .

Par une ordonnance du 08 avril 2021, le juge de la mise en état a rejeté cette demande de rejet de pièces, ainsi que l'exception de procédure aux fins de sursis à statuer.

Aux termes de leurs dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 10 mai 2021, la société GROUPE EAU PURE INTERNATIONAL, Madame [Y] [H] [L], ès-qualités d'associée de la SARL EPI EAUPURE INTERNATIONAL et Maître [N] [D], ès-qualités de liquidateur judiciaire de la SARL EPI EAUPURE INTERNATIONAL demandent au tribunal de:

Vu les articles 143 et suivants du code de procédure civile,

DIRE la SARL EPI EAUPURE INTERNATIONAL, Madame [H] [L] et le Groupe EAU PURE INTERNATIONAL recevables et bien fondés en leur action,

AVANT DIRE DROIT,

Tous droits et moyens des parties réservés,

DESIGNER tel Expert qu'il plaira au Tribunal, au contradictoire de la SARL MICR'EAU et de Monsieur [K] avec pour mission de :

- se rendre dans les locaux de la SARL MIC'REAU, situés [Adresse 3] [Localité 7], et au besoin dans ses établissements ou annexes,

- après s'être fait remettre par les parties tous documents nécessaires à son accomplissement et les avoir entendues ainsi que leurs conseils, fournir au tribunal tous éléments comptables des sociétés MICR'EAU, ARSEPUR, ACUATIERRA et AGUAS Y ENERGIA CONSULTORIA AEC SPA de nature à lui permettre d'apprécier le préjudice de la SARL EAUPURE INTERNATIONAL, du GROUPE EAU PURE INTERNATIONAL et de Madame [H] [L],

- se faire assister au besoin de tout sapiteur nécessaire à sa mission,

- rapporter toutes autres constatations utiles à l'examen des prétentions des parties,

- établir et déposer un pré-rapport sans attendre le dépôt du rapport définitif, au cas où des mesures conservatoires de remise en état devraient être prises en urgence,

A titre provisionnel,

DIRE ET JUGER que la SARL MICR'EAU et Monsieur [X] [K] ont commis une faute, au préjudice de la SARL EPI EAUPURE INTERNATIONAL, Madame [H] [L] et le Groupe EAU PURE INTERNATIONAL, en détournant plusieurs marchés,

En conséquence,

CONDAMNER in solidum Monsieur [X] [K] et la SARL MICR'EAU à réparer les préjudices subis par la SARL EPI EAUPURE INTERNATIONAL et à lui payer la somme provisionnelle de 640.000 euros, en réparation des préjudices résultant du détournement de clientèle,

Vu les dispositions des articles 1240 et 1241 du code civil,

Vu les pièces versées aux débats,

DIRE ET JUGER que la SARL MICR'EAU et Monsieur [K] ont commis une faute, au préjudice de la SARL EPI EAUPURE INTERNATIONAL en détournant la clientèle du portefeuille de la SARL EPI EAUPURE INTERNATIONAL, en détournant les marchés au profit des sociétés dans lesquelles il est actionnaire,

DIRE ET JUGER que la SARL MICR'EAU et Monsieur [K] ont commis des actes de concurrence déloyale,

CONDAMNER la SARL MICR'EAU et Monsieur [K] in solidum à réparer l'ensemble du préjudice relatif à la perte des dividendes qui sera chiffré au regard des conclusions de l'expertise judiciaire à l'égard de la SARL EPI, Madame [L] et le Groupe EPI,

CONDAMNER la SARL MICR'EAU et Monsieur [K] in solidum à verser à Madame [H] [L] les sommes suivantes :

- 100.000 euros au titre de la perte de rémunération,
- 25.000 euros au titre du préjudice moral subi,

CONDAMNER la SARL MICR'EAU et Monsieur [K] in solidum à verser au Groupe EAU PURE INTERNATIONAL la somme de 61.000 euros dans le rachat des parts de la SARL EAU PURE INTERNATIONAL qu'il lui sera impossible de récupérer compte tenu de la procédure collective ouverte à l'encontre de la SARL EAU PURE INTERNATIONAL,

En tout état de cause,

DEBOUTER les défendeurs de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions,

ORDONNER la publication ou l'affichage aux frais de Monsieur [X] [K] et de la SARL MICR'EAU, par extrait ou en entier, du jugement à intervenir dans les journaux ou revues au choix de la SARL EPI EAUPURE INTERNATIONAL et sur les sites internet des sociétés MICR'EAU et ARSEPUR, au besoin sous astreinte de 4.000 euros par jour de retard,

CONDAMNER in solidum Monsieur [X] [K] et la SARL MICR'EAU à payer à la SARL EPI EAUPURE INTERNATIONAL la somme de 10.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

CONDAMNER in solidum Monsieur [X] [K] et la SARL MICR'EAU aux entiers dépens, dont distraction au profit de Maître SEHILI-FRANCESCHINI, Avocat aux offres de droit en vertu de l'article 699 du code de procédure civile.

Aux termes de leurs dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 31 mai 2021, la société MIC'REAU et Monsieur [X] [K] demandent au tribunal de:

A TITRE PRLIMINAIRE

REJETER les pièces communiquées la société GEPI, Me [D] es qualité de liquidateur de la société EPI, et Madame [Y], [H] [L] :

- no 10,11, 25 et 26 non traduites donc incompréhensibles,
- no 12, 13, 14, 15, 16,32,33,34 et 35 pour lesquelles les demanderesses n'ont fourni aucune explication malgré la sommation notifiée le 30 octobre 2020,

VOIR CONSTATER l'absence de preuve :

- de toute faute imputable à Monsieur [X] [K] et à la société MICR'EAU,
- du préjudice allégué par la société GEPI, Me [D] es qualité de liquidateur de la société EPI, et Madame [Y], [H] [L],

- d'un quelconque lien de causalité entre la faute et le préjudice allégués par la société GEPI, Me [D] ès-qualités de liquidateur de la société EPI, et Madame [Y], [H] [L],

EN CONSEQUENCE

VOIR CONSTATER l'absence de tout acte de concurrence déloyale imputable à Monsieur [X] [K] et à la société MICR'EAU,

EN CONSEQUENCE

DEBOUTER la société GEPI, Me [D] ès-qualités de liquidateur de la société EPI, et Madame [Y], [H] [L] de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions,

EN TOUT ETAT DE CAUSE

DECLARER les demanderesses irrecevables en leurs prétentions AVANT DIRE-DROIT aux fins d'expertise et de condamnation provisionnelle au paiement de :

- 640.000 euros à la SARL EPI EAUPURE INTERNATIONAL au titre d'un détournement de clientèle sur le fondement des articles 1240 et 1241 du code civil,
- 100.000 euros à Madame [H] [L] au titre de la perte de rémunération,
- 25.000 euros à Madame [H] [L] au titre du préjudice moral subi,

DEBOUTER les demanderesses de leur demande d'expertise, indéterminée en sa spécialité et en sa mission, sur le fondement des articles 143 du code de procédure civile ;

A TITRE RECONVENTIONNEL ;

JUGER l'action abusivement initiée au sens de l'article 32-1 du code de procédure civile ;

CONSTATER les pratiques déloyales et de dénigrement commis par les demanderesses ;

EN CONSEQUENCE

CONDAMNER in solidum la société GEPI, Me [D] ès-qualités de liquidateur de la société EPI, et Madame [Y], [H] [L] à verser chacun des défendeurs, la SARL MICR'EAU d'une part, et Monsieur [X] [K] d'autre part, la somme de 10.000 euros en réparation de leur préjudice moral et matériel ;

CONDAMNER in solidum la société GEPI, Me [D] ès-qualités de liquidateur de la société EPI, et Madame [Y], [H] [L] à verser à chacun des défendeurs, la SARL MICR'EAU d'une part, et Monsieur [X] [K] d'autre part, la somme de 10 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;

CONDAMNER les mêmes au paiement des entiers dépens par distraction au profit de Maître Anne-Laure Leynon.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 15 juin 2021.

MOTIFS

La demande de rejet de pièces

M. [K] et la société MICR'EAU demandent le rejet des pièces adverses no 10, 11, 25 et 26, rédigées en espagnol chilien et non traduites, ainsi que celui des pièces adverses no 12, 13, 14, 15, 16, 33, 34 et 35 qui constituent selon eux soit des courriels envoyés par M. [K] avec son adresse personnelle, et ainsi protégés par le secret des correspondances privées, soit des offres commerciales envoyées par la société MICR'EAU à des clients ou prospects, protégés par le secret des affaires. Ils ajoutent ignorer de quelle manière les demandeurs y ont eu accès, et s'étonnent que certaines de ces pièces ont été transférées par les défenderesses à un dénommé M. [J] [P], qui se présente comme un enquêteur privé, et à la société INTELLIGENCE ECO, société d'investigation et d'intelligence économique.

L'EPI et le GEPI font valoir que les pièces qu'ils produisent en langue étrangère ont fait l'objet d'une traduction libre versée aux débats ; que s'agissant des courriels envoyés depuis l'adresse personnelle de M. [K], ils l'ont été avec, en copie, plusieurs salariés de l'EPI, ou ont été adressés à des clients qui les ont ensuite transférés à Mme [L], afin qu'elle soit informée des manoeuvres de M. [K]. Ils ajoutent ainsi que les correspondances en cause sont purement professionnelles et qu'en tout état de cause, les dispositions du code de commerce relatives au secret des affaires n'étaient pas en vigueur lors de l'introduction de l'instance, seules les dispositions relatives à la confidentialité contractuelle étant ici intéressantes ; que pour autant, M. [K] n'a pas mentionné dans son offre adressée à la société SOGEA (pièce no 34) que celle-ci était confidentielle et qu'elle ne pouvait dès lors la transférer à l'EPI, et ce d'autant que la présentation de l'offre en cause permettait légitimement de s'interroger sur le lien que pouvait entretenir la société MICR'EAU et l'EPI (présentation identique aux documents émanant de l'EPI et présence de photographies de ses installations).

Sur ce,

Les pièces rédigées en langue étrangère

Aux termes de l'article 111 de l'ordonnance royale sur le fait de justice du 25 août 1539 dite ordonnance de Villers-Cotterêts, « nous voulons dorénavant que tous arrêts, ensemble toutes autres procédures, soit de nos cours souveraines et autres subalternes et inférieures, soit de registres, enquêtes, contrats, commissions, sentences, testaments, et autres quelconques actes et exploits de justice, ou qui en dépendent, soient prononcés, enregistrés et délivrés aux parties, en langage maternel et non autrement ».

De manière constante, il est jugé que ce texte ne vise que les actes de procédure, et qu'il appartient dès lors aux juges, dans l'exercice de leur pouvoir souverain, d'apprécier la force probante des éléments qui leur sont soumis en particulier lorsqu'ils sont rédigés dans une langue étrangère (Cass. Com., 27 novembre 2012, pourvoi no 11-17.185, Bull. 2012, IV, no 213 ; Cass. Civ. 1ère, 22 septembre 2016, pourvoi no 15-21.176, Bull. 2016, I, no 175).

Il en résulte que, si le juge peut écarter un document en langue étrangère, il n'est pas tenu de le faire, et peut au contraire décider de le retenir à condition d'en indiquer la signification en français (Cass. Civ. 2ème, 11 janvier 1989, pourvoi no 87-13.860, Bull. 1989, II, no11; Cass. Civ. 1ère, 23 janvier 2008, pourvoi no06-21.011).

Aussi, l'absence de traduction n'étant pas en elle-même une cause d'irrecevabilité des pièces, cette demande sera-t-elle rejetée et ce d'autant que la pièce no 10 est désormais partiellement traduite et que les pièces no 25 et 26 ont fait l'objet en intégralité d'une traduction libre produite aux débats.

Les pièces no 12, 13, 14, 15, 16, 33, 34 et 35

L'article 9 du code de procédure civile dispose qu'il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention.

En l'espèce, la pièce no 12 est un courriel émanant de M. [K], adressé à M. [E] [A], directeur des ventes de la société GEH Wasserchemie GmbH et Co (cliente de l'EPI) à son adresse professionnelle "geh-wasserchemic.de". M. [A] l'a ensuite transféré à Mme [O], salariée de l'EPI, avec en copie notamment Mme [L]. Cette pièce a donc été recueillie par les défenderesses à l'initiative de M. [A]. Par ailleurs, il s'agit bien d'un courriel à caractère professionnel, M. [K] n'alléguant d'ailleurs pas le fait qu'il aurait été envoyé depuis son adresse personnelle.

Il en va de même de :

- la pièce no 13 correspondant à un échange de courriels professionnels entre M. [K] et un salarié d'une société FPS (cliente de l'EPI), dont Mme [U], salariée de l'EPI, était systématiquement en copie ;

- la pièce no 14 correspondant à un échange de courriels professionnels, entre M. [K], qui n'est plus salarié de la société EPI et qui se présente d'ailleurs comme associé ("socio") de la société ARSEPUR, et un client de la société EPI. Un courriel en réponse émanant dudit client a été adressé à un ancien salarié de la société EPI, à son adresse "@eaupureinternational.com", raison pour laquelle la société EPI y a eu accès ;

- les pièces no 15 et 16, correspondant à :
- un courriel adressé par M. [K] (depuis son adresse professionnelle de la société EPI) à Mme [L] relatif à un appel d'offres destiné à une société SEMBCORP, auquel est annexé le dossier de candidature de la société EPI,
- et à un courriel adressé par un salarié de la société SEMBCORP en réponse au dossier de candidature adressé par M. [K], cette fois-ci pour le compte de la société ARSEPUR, son dossier de candidature pour cette société y étant annexé ; ce courriel, bien qu'envoyé à l'adresse personnelle de M. [K], présente un caractère professionnel ;
par ailleurs, il est établi que les défenderesses y ont eu accès, par erreur, ce dernier courriel ayant également été adressé à l'ancienne adresse mail professionnelle de M. [G] [S], utilisée lorsqu'il était stagiaire de l'EPI ("[Courriel 14]") ;

- la pièce no 32 correspondant à un courriel à caractère professionnel de M. [K] (bien qu'émanant de sa boîte mail personnelle) adressé à la société SIAAP, et transféré à Mme [O], salariée de l'EPI, par l'intermédiaire selon elle de cette dernière société, cliente de l'EPI ;

- la pièce no 33 correspondant à un courriel de M. [G] [S], en qualité d'ingénieur salarié de la société ARSEPUR (signature avec le logo ARSEPUR et courriel envoyé depuis une adresse "[Courriel 15]") et du courriel en réponse qui lui a été adressé, sans doute par erreur, à son ancienne adresse mail "[Courriel 14]"; c'est ainsi que la société EPI a eu accès à cet échange à caractère professionnel.

De ce qui précède, il résulte qu'aucun élément ne permet de penser que ces courriels/offres et prospects auraient été obtenus par les défenderesses de manière illégale ou par un quelconque procédé déloyal qui les rendrait irrecevables. Par ailleurs, M. [K] ne conteste aucunement être l'auteur ou l'emetteur des courriels et pièces dont il sollicite le rejet, pas plus qu'il n'allègue le fait qu'ils auraient été falsifiés avant d'être produits. Au surplus, s'il soutient que certaines pièces seraient couvertes par le secret des affaires, il n'explicite en rien en quoi les informations qu'elles contiennent répondraient aux critères de protection due au titre du secret des affaires prévu par l'article L.151-1 du code de commerce. C'est précisément le cas des pièces no 34 et 35, qui constituent des lettres des proposition de fournitures adressées à la société SOGEA par M. [K], en qualité de gérant de la société MICR'EAU, dont les défenderesses indiquent qu'elles leur ont été transférées par la société SOGEA elle-même.

Et le seul fait qu'après les avoir recueillis, les défenderesses aient transféré certaines de ces pièces à une société INTELLIGENCE ECO (dont est salarié M. [J] [P]), qui se présente comme une société d'investigation et d'intelligence économique, ne présente aucune incidence quant à leur recevabilité.

Aussi, convient-il de débouter les défenderesses de leurs demandes de rejet de l'ensemble des pièces précitées.

La concurrence déloyale

Madame [L] et les sociétés GEPI et EPI font grief à M. [K] de leur avoir dissimulé le fait qu'il avait acquis des parts d'une société ACUATIERRA et créé les sociétés ARSEPUR et AGUAS Y ENERGIA CONSULTORIA AEC au Chili, exerçant la même activité que celle de la société EPI, dont il était salarié, précisant en outre que l'EPI est titulaire de la marque "ARSEPUR", connue de ses clients, et reprise par M. [K] à titre de dénomination sociale pour l'une de ses sociétés. Elles indiquent qu'il est également associé d'une société de droit français MICR'EAU, dénomination sociale proche de l'ancienne dénomination sociale de la société L'EAU PURE INTERNATIONALE. Elles en déduisent que M. [K] a ainsi entretenu une confusion entre ces entités et l'EPI, allant jusqu'à prétendre des filiations entre celles-ci.
Elles indiquent qu'il leur a dissimulé ses activités directement concurrentes des leurs et ajoutent que cette duplicité lui a permis de détourner des clients de la société EPI au profit de ses sociétés et de capter des marchés pour lesquels elle soumissionnait.
Ces actes constituent ainsi, selon elles, des actes de concurrence déloyale sanctionnés par les dispositions des articles 1240 et 1241 du code civil.

M. [K] et la société MICR'EAU soutiennent qu'ils n'ont commis aucun acte de concurrence déloyale au préjudice des demanderesses.
Précisément, ils font valoir que les parts de la société ACUATIERRA ont été vendues en juin 2011, M. [K] n'étant plus ni associé, ni gérant de cette société pendant la période au cours de laquelle il était également salarié de la société EPI et que s'agissant de la société ARSEPUR, Madame [L] était informée de son existence puisque la société EPI avait fait affaire avec elle en 2017, dans le cadre de la vente de média filtrant pour l'aéroport de [Localité 16] du Chili. Ils ajoutent qu'en tout état de cause, cette société n'a pas le même objet social que celui de la société EPI.
M. [K] et la société MICR'EAU exposent également que la marque ARSEPUR n'est nullement détenue par la société EPI mais par sa société MICR'EAU, laquelle a été créée en 1999, donc bien antérieurement à la création de L'EAU PURE INTERNATIONALE en 2013, ce dont ils déduisent qu'il ne peut être reproché à M. [K] d'avoir choisi telle dénomination pour sa société.
Pour le reste, ils soutiennent que les demanderesses ne rapportent aucunement la preuve des faits de détournement de sa clientèle, d'informations et de captation de marchés qu'elles leur reprochent.

Sur ce,

En vertu des articles 1240 et 1241 du code civil, tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer ; chacun est responsable du dommage qu'il a causé non seulement par son fait, mais encore par sa négligence ou par son imprudence.

Au visa de ces dispositions, il est constamment jugé que la liberté du commerce autorise tout acteur économique à attirer vers lui la clientèle de son concurrent.

Néanmoins, les procédés consistant à créer dans l'esprit du public une confusion de nature à tromper la clientèle et à la détourner, caractérisent des actes de concurrence déloyale. L'appréciation de la faute doit résulter d'une approche concrète et circonstanciée des faits.

Les différentes sociétés et le rôle de M. [K]

En l'espèce, il est constant que M. [K] a, en France :

- créé la société MICR'EAU le 14 avril 1999 (RCS 422 599 779), dont il est le gérant et qui a pour activités, suivant son extrait Kbis, l'acquisition et la location professionnelle d'immeubles à usage d'habitation meublés ou destinés à être meublés, ainsi que toutes opérations commerciales industrielles financières mobilières ou immobilières susceptibles de faciliter l'extension ou le développement des affaires de la société.

- créé la SARL GROUPE EAU PURE, anciennement MICR'EAU MANAGEMENT CONSULTING, le 20 mars 2000 (RCS 429 921 125), laquelle a, le 14 novembre 2013, fait l'objet d'une procédure de liquidation judiciaire par jugement du tribunal de commerce de Paris, avant qu'il soit procédé à sa clôture pour insuffisance d'actifs et qu'elle soit radiée d'office par jugement du 10 février 2020 ;

- créé la société L'EAU PURE, qui par jugement du 26 novembre 2013, a été cédée à une société ASPA CONSEIL ;

- créé la SARL L'EAU PURE INTERNATIONALE (RCS 483 449 625), qui a fait l'objet d'une procédure de redressement judiciaire prononcée par le tribunal de commerce de Paris le 2 juillet 2013, et dont certains éléments corporels et incorporels du fonds de commerce ont été repris par la société EPI EAU PURE INTERNATIONALE (RCS 799 361 621), constituée le 31 décembre 2013 à cette fin.

Ces trois sociétés faisaient partie d'un même groupe, dirigé par M. [K].

Les parts sociales de l'EPI ont ensuite été cédées au GEPI créée le 5 août 2015 (RCS 812 798 585) par Mme [R], par acte du 1er décembre 2015.

Par contrat de travail à durée indéterminée du 31 septembre 2015, M. [K] a été embauché par l'EPI en qualité de directeur commercial export de la société EPI avec prise d'effet au 1er novembre 2015. Il était alors (et demeure) également gérant de la société MICR'EAU précitée.

Parallèlement, au Chili :

- il résulte des statuts de la société de droit chilien ACUATIERRA, enregistrée au registre du commerce de Santiago le 28 novembre 2006 et spécialisée dans le traitement de l'eau et des déchets de tous types qu'elle a été créée par la société GROUPE EAU PURE, anciennement MICR'EAU MANAGEMENT CONSULTING (créée par M. [K] en 2000), avec deux autres associés (pièce no 17 des demanderesses) ;

- il résulte des statuts de la société de droit chilien ARSEPUR SPA, enregistrée au registre du commerce de Santiago le 28 avril 2016 et spécialisée dans la fourniture de services de maintenance et de remplacement des médias filtrants de station de potabilisation, qu'elle a été créée par M. [X] [K], avec deux autres associés, Monsieur [B] [I] et la société TRATAMIENTOS DE AGUA MANANTIAL CHILE (pièce no 18 des demanderesses).

Si M. [K] entend démontrer qu'il n'a plus aucun intérêt dans la société ACUATIERRA, en produisant un acte de promesse de cession des parts sociales détenues par la société GROUPE EAU PURE au profit de la société INVERSIONES PARTNER LIMITADA daté du 11 juin 2011 (pièce no 19 des défendeurs), il ne rapporte pas la preuve que cette cession a finalement abouti.

Par ailleurs, force est de constater que la copie de l'inscription de la société ACUATIERRA au registre du commerce de Santiago, versée aux débats par les demanderesses, et certifiée par "el Conservador de Comercio" le 27 mars 2017, ne fait pas état d'une telle cession.

De la même manière, s'il est soutenu par M. [K] que les demanderesses avaient connaissance de l'existence de la société ARSEPUR, pour avoir déjà fait affaire avec elle, il ne démontre aucunement qu'elles avaient connaissance de l'existence de ses intérêts dans cette société lorsqu'il a été embauché par la société EPI, la pièce no 23 des demanderesses sur laquelle il fonde son argument datant du 6 avril 2017, alors que les relations entre les parties étaient déjà fortement dégradées, Mme [L] le soupçonnant de commettre à son encontre des actes de concurrence déloyale.

Par ailleurs, il ne peut sérieusement soutenir que cette société a une activité différente de celle de la société EPI alors même qu'il est démontré par les demanderesses que les deux sociétés ont répondu à un même appel d'offres (pièces no 15, 16 et 33).

Enfin, il résulte de courriels échangés entre M. [K] et une salariée de la société SEMBCORP en mai 2016 que celui-ci s'est présenté comme le président de la société EAU PURE au Chili, ainsi que d'une société AGUAS Y ENERGIA CONSULTORIA AEC SPA, exerçant son activité au Chili dans le même domaine (pièce no 26 des demanderesses).

En dissimulant à la société EPI et à sa dirigeante qu'il était associé des sociétés ACUATIERRA et ARSEPUR, exerçant une activité similaire à celle de la société EPI au Chili, territoire sur lequel cette dernière développait également des projets, M. [K] a adopté un comportement déloyal, de nature à lui permettre de disposer d'informations confidentielles pouvant favoriser les intérêts de ses sociétés ou encore de détourner la clientèle de la société EPI.

A cet égard, le fait que M. [K] expose à plusieurs reprises dans ses écritures que Mme [L] était "totalement profane dans le milieu du traitement de l'eau" et qu'elle ne connaissait pas les "usages et règles du marché", est particulièrement éclairant.

La dénomination sociale MICR'EAU

Les demanderesses ne peuvent sérieusement reprocher à M. [K] d'être le gérant d'une société ayant pour dénomination sociale "MICR'EAU", au motif que la société GROUPE EAU PURE, qui a fait l'objet d'une liquidation judiciaire en 2013 a été anciennement dénommée MICR'EAU MANAGEMENT CONSULTING et ce alors que cette dernière avait été créée en 2000, soit postérieurement à la constitution de la société MICR'EAU (en 1999), et qu'elle n'a jamais présenté aucun lien avec les demanderesses, étant distincte de la société L'EAU PURE INTERNATIONALE, reprise par la société EPI.

La marque ARSEPUR

Les défendeurs démontrent qu'une marque verbale française "arsepur" no 4418052 a été déposée le 9 janvier 2018 par M. [K], en qualité de mandataire de la société MICR'EAU (pièce no 10) et soutiennent en conséquence qu'il en est le titulaire.

Les demanderesses justifient quant à elles de l'existence d'une marque de l'Union européenne "arsepur" no 010294585, déposée par la société GROUPE EAU PURE et publiée le 13 janvier 2012, ainsi que d'un acte de cession du 10 octobre 2014, comprenant notamment une marque "arsepur", à la société EPI par la société L'EAU PURE INTERNATIONALE (pièces no 6 et 24).

Pour autant, il n'est pas démontré que la société L'EAU PURE INTERNATIONALE a été titulaire de ladite marque, seul un contrat de licence de cette marque, conclu entre la société GROUPE EAU PURE (qui a déposé la marque) et la société L'EAU PURE INTERNATIONALE étant produit aux débats.

Et la société EPI ne démontre pas avoir pu faire procéder à l'enregistrement du changement de titulaire de la marque en litige à l'EUIPO.

Elle ne peut en conséquence aucunement se prévaloir d'une atteinte à cette marque.

Il n'est en outre pas démontré par la société EPI qu'elle fait un usage de ce signe dans le cadre de son activité, ni que ses clients ou partenaires l'y associeraient.

Les candidatures concurrentes aux appels d'offres de la société SEMBCORP

Les demanderesses démontrent bien que la société ARSEPUR et la société EPI, sous l'impulsion de M. [K], ont répondu simultanément en décembre 2016 à deux appels d'offres émis par la société SEMBCORP. Le projet présenté par la société ARSEPUR concernait la "planta de remocion de arsenico de Valle Alegre", tandis que celui de la société EPI concernait la "planta de remocion de arsenico de Algarroba" (pièces no 15 et 16).

Il est également justifié du fait que quelques mois plus tard, en mai 2017, alors qu'il venait d'être mis un terme au contrat de travail de M. [K] (lettre du 28 avril 2017), la société ARSEPUR a modifié son dossier de candidature, dès lors intitulé "plantas de remocion de arsenico de Valle Alegre y Algarroba" (pièce no 33).

Il résulte de ces éléments que M. [K] a nécessairement bénéficié vis-à-vis de la société EPI, d'un avantage concurrentiel en soumissionnant à cet appel d'offres en qualité d'associé de la société ARSEPUR, alors même qu'il avait contribué à l'élaboration du dossier de candidature de la société EPI répondant au même appel et en connaissait donc parfaitement les termes.

Or, il est constant que la société SEMBCORP a attribué le marché à la société ARSEPUR, ce dont il doit être déduit que la société EPI a nécessairement perdu une chance de voir sa candidature retenue, outre le fait qu'elle a engagé inutilement des frais dans l'élaboration de ce projet.

Les commandes passées par M. [K], pour le compte de la société EPI, après son licenciement

Il ressort de la pièce no 39 produite par les demanderesses que M. [K] a, courant juin et juillet 2017, soit après avoir quitté la société EPI en mai 2017, passé commande auprès de la société LANXESS de 30 tonnes de bayoxide E33, depuis son adresse mail personnelle, mais en laissant croire à son interlocuteur intervenir pour le compte de la société EPI. Ainsi, les échanges de courriels avaient pour objet "Conditions de paiement - confirmation 30 T bayoxide E33 fin 2017 - EAU PURE - LANXESS", de même que l'ordre de commande en pièce jointe était intitulé "order for 30 000 kg bayoxide to lanxess from EPI.pdf". Et dans l'un des courriels qui lui a été adressé par un salarié de la société LANXESS, celui-ci lui expose rencontrer des difficultés en termes de conditions de paiement, la "couverture crédit pour EAU PURE" étant inférieure au montant de la commande passée. Ces échanges, qui démontrent que la société LANXESS a légitimement pensé bénéficier d'une commande émanant de la société EPI, ont été transférés à Mme [L] en septembre 2017.

Le détournement de clients au profit des sociétés MICR'EAU et AGUAS Y ENERGIA CONSULTORIA AEC

De la pièce no 29 des demanderesses (identique à leur pièce no 41), il résulte que la société MICR'EAU, dont M. [K] est gérant, a émis deux factures les 13 et 15 mars 2017, correspondant à des prestations réalisées par la société MICR'EAU, ayant en entête le logo de la société EPI.

De la même manière, elles prouvent en pièce no 26 que M. [K] s'est présenté à la société SEMBCORP, dans le cadre de la fourniture d'une prestation, comme "presidente" de la société EPI et de la société AGUAS Y ENERGIA CONSULTORIA AEC, et ce alors que la société EPI y était totalement étrangère et qu'elle n'a ainsi reçu aucun paiement au titre de cette prestation, le règlement intervenu ayant été réalisé au profit de la société AGUAS Y ENERGIA CONSULTORIA AEC.

Il est ainsi démontré que M. [K] a sciemment entretenu une confusion entre la société EPI et les sociétés MICR'EAU et AGUAS Y ENERGIA CONSULTORIA AEC, incitant les clients à croire en l'existence de liens entre lesdites sociétés, de manière à les induire en erreur et à les détourner de la société EPI.

Les autres agissements invoqués

S'agissant des autres faits invoqués par les demanderesses, notamment :

- le détournement de clients ou de marchés par la société ACUATIERRA ;
- le détournement du marché "AGUAS ANDINAS" par la société ARSEPUR ;

force est de constater qu'ils ne sont pas suffisamment démontrés, les pièces produites au soutien de ces allégations, consistant essentiellement en des tableaux de suivi de marchés difficilement interprétables et dont le contenu n'est pas fiable (tableaux de suivi sur des périodes données corroborés par aucun élément extérieur), ainsi qu'en des bribes d'échanges de courriels tout aussi difficilement interprétables.

De la même manière, elles ne démontrent aucunement que M. [K] aurait utilisé, au profit des sociétés dans lesquelles il a des intérêts, les brevets acquis par la société EPI sans aucune régularisation de licences ou de transfert de technologie.

En revanche, Madame [L] justifie, notamment par la production de plusieurs courriels que M. [K] s'est régulièrement présenté comme étant le dirigeant de la société EPI, ce qui a eu pour conséquence d'évincer Mme [L] de la gérance effective de son entreprise.

La demande d'expertise (avant-dire droit)

Les sociétés EPI, GEPI et Mme [L] sollicitent le prononcé, avant-dire droit, d'une mesure d'expertise à effet de se voir communiquer les pièces comptables des sociétés MICR'EAU, ARSEPUR, ACUATIERRA et AGUAS Y ENERGIA CONSULTORIA AEC SPA de nature à lui permettre d'apprécier l'étendue de leur préjudice, ainsi que d'obtenir "toutes autres constatations utiles à l'examen" de leurs prétentions.

M. [K] et la société MICR'EAU soutiennent que cette demande est irrecevable car elle nécessite de statuer sur le fond de l'affaire, en l'occurrence sur le principe de leur responsabilité. Ils ajoutent que cette demande doit en tout état de cause être rejetée au motif qu'elle a pour objet de pallier la carence des demanderesses dans l'administration de la preuve de leurs allégations, mais également car les mesures qu'elles sollicitent sont indéterminées, visent des sociétés tierces qui ne sont pas parties à la présente instance, sont manifestement disproportionnées et de nature à violer le secret des affaires.

Sur ce,

Est dit mixte le jugement qui tranche une partie du litige au fond et ordonne une mesure d'instruction ou une mesure provisoire.

Ainsi, les sociétés EPI, GEPI et Mme [L] sont parfaitement recevables à demander au tribunal de statuer au fond sur la responsabilité de M. [K] et de la société MICR'EAU et, parallèlement, d'ordonner avant-dire droit une mesure d'expertise destinée à déterminer l'intégralité de leur préjudice.

En revanche, il est relevé que la mesure sollicitée vise plusieurs sociétés qui ne sont pas parties à l'instance, en l'occurrence les sociétés ACUATIERRA, ARSEPUR et AGUAS Y ENERGIA CONSULTORIA AEC SPA, et qu'elle ne peut dès lors être ordonnée les concernant au seul motif que M. [K] présente des intérêts dans ces sociétés.

Quant à la société MICR'EAU, le tribunal a seulement retenu qu'elle avait obtenu, en entretenant une confusion quant à l'existence de liens de filiation entre elle et la société EPI, un marché comprenant deux interventions en mars 2017 (pièce no 29 précitée : deux factures des 13 et 15 mars 2017). Or, les demanderesses, qui produisent lesdites factures, ont parfaite connaissance du montant de ce marché (1 230 euros au total). La mesure d'expertise sollicitée apparaît dès lors inutile à l'établissement du préjudice subi par la société EPI de ce chef.

Cette demande est par conséquent rejetée.

Les demandes de provision

La société EPI soutient avoir subi un préjudice résultant de la perte de deux marchés (SEMBCORP d'un montant de 650 000 euros et AGUAS ANDINAS d'un montant de 400 000 euros) et réclame en réparation la somme provisionnelle de 640 000 euros correspondant à la marge brute de 40 % du montant de ces deux marchés qu'elle aurait obtenue si elle les avait remportés.

Madame [L] fait quant à elle valoir qu'elle a subi :

- en premier lieu, un préjudice moral "considérable", évoquant le fait d'avoir été évincée de la gérance de la société EPI du fait des manoeuvres déloyales de M. [K], d'avoir dû déployer une "énergie importante à reprendre contact avec l'ensemble des clients" pour leur expliquer, avec une gêne particulière, cette situation, et de ne jamais avoir eu aucune chance de redresser l'activité commerciale de sa société ;

- en second lieu, une perte de rémunération qu'elle évalue à 100 000 euros. Elle expose en effet qu'elle n'a jamais pu se verser de salaire depuis l'achat de la société fin 2015 alors qu'au regard du résultat d'exploitation qui était dégagé par la société EPI au moment de son rachat, elle pouvait s'attendre à une rémunération d'au moins 50 000 euros par an.
Elle rappelle que la société EPI fait aujourd'hui l'objet d'une procédure de liquidation judiciaire.

Les défendeurs soutiennent en substance qu'aucune faute ne peut leur être imputée et que les préjudices allégués par les demanderesses ne sont pas démontrés.

Sur ce,

A titre liminaire, il convient de préciser qu'aucune mesure d'instruction n'étant ordonnée, il sera statué de manière définitive sur l'indemnisation des préjudices subis par la société EPI et Mme [L].

Les préjudices subis par la société EPI

Il est rappelé en premier lieu que la société EPI ne peut ici prétendre qu'à la réparation d'une perte de chance de remporter les marchés ci-dessus évoqués, préjudice qui ne peut être réparé que par l'allocation d'un pourcentage de la marge qu'elle aurait pu espérer réaliser en cas d'obtention de ceux-ci.

Le tribunal ayant précédemment retenu que le détournement du marché "AGUAS ANDINAS" n'était pas démontré, aucune demande d'indemnisation ne peut prospérer au titre de la perte de chance de le remporter.

Concernant le marché SEMBCORP précité ("plantas de remocion de arsenico de Valle Alegre y Algarroba") remporté in fine par la société ARSEPUR, si la société EPI soutient qu'il a porté sur la somme de 650 000 euros en visant la pièce no 25 de son bordereau, il est pourtant constaté que celle-ci concerne un ordre d'achat datant de 2015 et qu'elle est ainsi nécessairement étrangère à la prétention présentée (l'attribution du marché en cause datant de 2017).

Il résulte néanmoins de sa pièce no 33 que la société ARSEPUR avait dans son dossier de candidature offert ses prestations pour un montant de 196 900 000 CLP (pesos chiliens), soit aujourd'hui environ 222 500 euros.

Il résulte également du tableau qu'elle produit en pièce no 21 que s'agissant de ce projet, la société EPI l'avait élaboré avec la société MANATIAL, cette dernière devant y contribuer à hauteur de 80 %, tandis que la société EPI devait y contribuer à hauteur de 20 % seulement.

Au regard de l'ensemble de ces éléments, il apparaît justifié d'allouer à la société EPI en réparation de la perte de chance de remporter le marché SEMBCORP précité la somme de 20 000 euros.

Seul M. [K] sera condamné au paiement de cette somme, la société MICR'EAU étant étrangère aux faits litigieux.

Les préjudices subis par Mme [L]

Il est incontestable que Mme [L] a subi un préjudice moral résultant du comportement déloyal de M. [K], lequel a notamment contribué à l'évincer de la gérance effective de la société EPI, en s'en faisant passer pour le dirigeant à l'égard de ses clients ou partenaires. La somme de 10 000 euros lui sera allouée en réparation de ce préjudice. Les autres préjudices d'ordre moral dont elle se plaint ont été subis par la seule société EPI et ne peuvent en conséquence ouvrir droit à réparation à son profit.

S'agissant en revanche de la perte de rémunération invoquée, résultant de la perte de bénéfices de la société EPI, il n'est pas justifié qu'elle est imputable aux seuls agissements commis par M. [K], étant rappelé à cet égard que la société EPI ne demande à ce titre que la réparation du préjudice qu'elle a subi du fait de la perte de chance de remporter le marché SEMBCORP précédemment évoqué, préjudice pour lequel elle est indemnisée à hauteur de 20 000 euros.
La demande formée par Mme [L] à ce titre est en conséquence rejetée.

La demande de condamnation au titre de la perte de dividendes de la société EPI

La société EPI sollicite la condamnation de M. [K] et de la société MICR'EAU à "réparer l'ensemble du préjudice relatif à la perte de dividendes qui sera chiffrée au regard des conclusions de l'expertise judiciaire".

Outre le fait que cette demande est indéterminée, il est rappelé qu'il n'est pas fait droit à la demande d'expertise sollicitée, de sorte qu'elle doit être rejetée.

La demande de condamnation au titre de l'impossibilité pour la société GEPI de récupérer les sommes déboursées pour le rachat des parts de la société EPI

La société GEPI soutient qu'elle ne sera jamais remboursée de son apport de 61 000 euros réalisé lors de l'achat des parts de la société EPI, du fait de son placement en liquidation judiciaire.

Ainsi que précédemment rappelé, il n'est nullement démontré que les seuls agissements de M. [K] prouvés en l'espèce seraient à l'origine du placement en liquidation judiciaire de la société EPI.

Cette demande est dès lors rejetée.

La demande de publication

Les préjudices subis par la société EPI et Mme [L] étant suffisamment réparés dans les limites de leurs demandes, il n'y a pas lieu de faire droit à leur demande complémentaire de publication de la présente décision.

La demande reconventionnelle fondée sur le dénigrement

M. [K] et la société MICR'EAU soutiennent que les demanderesses leur ont causé un préjudice moral en les dénigrant et les déstabilisant auprès de leurs clients et partenaires.

Sur ce,

Le dénigrement est un comportement contraire aux usages loyaux du commerce consistant à jeter publiquement le discrédit sur une personne, une entreprise ou un produit, dans le but de l'évincer.

Il est à cet égard constamment jugé que la divulgation d'une information de nature à jeter le discrédit sur un concurrent constitue un dénigrement peu important que l'information divulguée soit matériellement exacte (Cass. Com., 24 septembre 2013, no12-19.790, Bull. 2013, IV, no139).

A cet égard, la divulgation à la clientèle d'un concurrent d'une action en justice diligentée à son encontre, n'ayant pas donné lieu à une décision de justice, dépourvue de base factuelle suffisante peut constituer un dénigrement fautif.

En l'espèce, l'échange de courriels entre M. [K] et un salarié de la société SEMBCORP datant du 29 décembre 2017 (pièce no 25), ne démontre en rien que c'est Mme [L] qui a porté à la connaissance de la société SEMBCORP l'existence d'un litige ou d'une procédure les opposant ; qu'en toute hypothèse, à supposer qu'elle soit à l'origine d'une telle divulgation, les termes précis dans lesquels elle aurait présenté cette situation ne sont aucunement restitués, de sorte que leur caractère modéré ou non ne peut être apprécié.

De la même manière, le courriel reçu par un client de M. [K], faisant état du fait que Mme [L] l'aurait informé de l'existence d'un litige les opposant est insuffisant à démontrer qu'elle aurait fait état de ses griefs à son encontre ou encore de l'existence d'une procédure judiciaire en cours (pièce no 26).

Il est également fait état, aux termes d'une attestation d'un ancien salarié de la société SATTLER CENO-TOP-TEX GmbH, d'un litige ayant éclaté entre M. [K] et Mme [L] au cours d'une réunion qui s'est tenue le 30 mai 2017 dans les locaux du "client SUEZ", l'auteur de l'attestation mettant en cause Mme [L] comme ayant été à l'origine de l'esclandre, M. [K] ayant été quant à lui contraint de quitter la réunion (pièce no 29).

Il est toutefois relevé en premier lieu que ne sont pas relatés dans cette attestation les termes employés par Mme [L] ni les griefs qu'elle auraient émis à l'encontre de M. [K] ; que M. [K] y est présenté comme étant alors "PDG" de la société EPI alors que le litige exposé s'est déroulé en mai 2017, Mme [L] étant dirigeante de cette société depuis fin 2015, cette remarque démontrant bien la confusion entretenue par M. [K] quant à la fonction qu'il a souhaité se donner dans la société EPI ; qu'au surplus, les demanderesses démontrent amplement (pièces no 31 et 32) que le projet devant être évoqué au cours de cette réunion concernait la société EPI, M. [K] ayant tenté de le détourner à son profit après la rupture de son contrat de travail, en envoyant début mai 2017 un courriel, relatif au projet en cause, depuis son adresse personnelle aux salariés de la société SUEZ, ainsi qu'à l'auteur de l'attestation précitée, et en se présentant à ladite réunion le 30 mai 2017.

Au regard de l'ensemble de ces éléments, les faits de dénigrement invoqués par M. [K] et la société MICR'EAU ne sont pas établis.

En revanche, les défendeurs produisent en pièce no24 un courriel adressé par Mme [L] le 25 octobre 2018 à un client de la société MICR'EAU, aux termes duquel elle expose que différents litiges en cours l'opposent à M. [K], notamment concernant des faits de "concurrence déloyale par usurpation d'identité".

En divulguant à un client de la société MICR'EAU l'existence d'une procédure judiciaire en cours pour les faits ci-dessus évoqués en des termes qui ne sont pas mesurés et alors qu'aucune décision de justice n'avait encore été rendue, Mme [L] a commis un acte de dénigrement qui justifie sa condamnation à verser à M. [K] et à la société MICR'EAU la somme de 1 000 euros chacun. Les demandes formées à l'encontre de la société GEPI sont rejetées, celle-ci étant étrangère à ces faits, de même que les demandes formées à l'encontre de la société EPI, la faute reprochée à Mme [L] constituant une faute détachable de sa fonction de dirigeante de la société EPI.

Les autres demandes

a - Compte tenu du sens de cette décision, M. [K] et la société MICR'EAU sont déboutés de leur demande en réparation du préjudice moral qu'ils invoquent, ainsi que de leur demande fondée sur l'abus de droit d'agir en justice.

b - Partie succombante, M. [K] est condamné aux dépens, ainsi qu'à payer aux sociétés EPI, GEPI, ainsi qu'à Mme [L] la somme totale de 10 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

c - Compte tenu de la nature et de l'ancienneté du litige, il convient d'ordonner l'exécution provisoire de la présente décision.

PAR CES MOTIFS

Statuant par décision contradictoire, rendue en premier ressort, par mise à disposition au greffe,

Déboute M. [K] de sa demande de rejet des pièces adverses no 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 25, 26, 33, 34 et 35 ;

Dit que M. [K] a commis des actes de concurrence déloyale à l'encontre de la société EAU PURE INTERNATIONALE (EPI) en détournant, en qualité de salarié ou d'ancien salarié de cette société, sa clientèle au profit de sociétés tierces, dans lesquelles il a des intérêts ;

Dit que M. [K] a commis des actes de concurrence déloyale en soumissionnant à un même appel d'offres (SEMBCORP) pour le compte de la société ARSEPUR dont il est associé et pour le compte de la société EAU PURE INTERNATIONALE (EPI) en qualité de salarié ;

Dit que M. [K] a commis une faute à l'encontre de Mme [Y] [H] [L] en se présentant comme le dirigeant de la société EAU PURE INTERNATIONALE (EPI) ;

Dit que la société MICR'EAU a commis des actes de concurrence déloyale en détournant la clientèle de la société EAU PURE INTERNATIONALE (EPI), en se présentant comme étant liée à cette dernière ;

Rejette la demande d'expertise judiciaire formée par Mme [Y] [H] [L], la société EAU PURE INTERNATIONALE (EPI) et la société GROUPE EAU PURE INTERNATIONAL (GEPI) ;

Condamne M. [X] [K] à payer à la société EAU PURE INTERNATIONALE (EPI), représentée par Maître [N] [D], ès-qualités de liquidateur judiciaire, la somme de 20 000 euros en réparation de la perte de chance de remporter le marché SEMBCORP ;

Condamne M. [X] [K] à payer à Mme [Y] [H] [L] la somme de 10 000 euros en réparation de son préjudice moral ;

Déboute Mme [Y] [H] [L], la société EAU PURE INTERNATIONALE (EPI) et la société GROUPE EAU PURE INTERNATIONAL (GEPI) de leurs demandes formées à l'encontre de la société MICR'EAU ;

Déboute Mme [Y] [H] [L], la société EAU PURE INTERNATIONALE (EPI) et la société GROUPE EAU PURE INTERNATIONAL (GEPI) de leurs autres demandes indemnitaires formées à l'encontre de M. [X] [K] ;

Déboute Mme [Y] [H] [L], la société EAU PURE INTERNATIONALE (EPI) et la société GROUPE EAU PURE INTERNATIONAL (GEPI) de leur demande de publication de la présente décision ;

Condamne Mme [Y] [H] [L] à payer à M. [X] [K] et à la société MICR'EAU la somme de 1 000 euros chacun, en réparation du préjudice résultant d'actes de dénigrement commis à leur encontre ;

Déboute M. [X] [K] et la société MICR'EAU de leurs demandes de condamnation des sociétés EAU PURE INTERNATIONALE (EPI) et GROUPE EAU PURE INTERNATIONALE (GEPI) fondées sur le dénigrement ;

Déboute M. [X] [K] et la société MICR'EAU de leur demande en abus de droit d'agir en justice ;

Condamne M. [X] [K] à payer à Mme [Y] [H] [L], la société EAU PURE INTERNATIONALE (EPI), représentée par Maître [N] [D], ès-qualités de liquidateur judiciaire, et la société GROUPE EAU PURE INTERNATIONAL (GEPI) la somme totale de 10 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne M. [X] [K] aux dépens de l'instance ;

Admet Maître [W] au bénéfice des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile ;

Ordonne l'exécution provisoire de la présente décision.

Fait et jugé à Paris le 17 mars 2022

LA GREFFIÈRE LE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Tribunal de grande instance de Paris
Formation : Ct0196
Numéro d'arrêt : 18/1580
Date de la décision : 17/03/2022

Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.grande.instance.paris;arret;2022-03-17;18.1580 ?
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