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03/03/2022 | FRANCE | N°19/9812

France | France, Tribunal de grande instance de Paris, Ct0196, 03 mars 2022, 19/9812


TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS

3ème chambre
1ère section

No RG 19/09812
No Portalis 352J-W-B7D-CQRN6

No MINUTE :

Assignation du :
17 juillet 2019

JUGEMENT
rendu le 03 mars 2022
DEMANDERESSE

Société LEA NATURE SERVICES (anciennement denommée GROUPE LEA NATURE)
[Adresse 1]
[Adresse 1]

représentée par Me Pierre-Louis DAUZIER de la SCP DAUZIER et CHAPPUIS, avocat au barreau de PARIS, avocat postulant, vestiaire #P0224 et Me François DRAGEON de la SELARL DRAGEON et ASSOCIES, avocat au barreau de LA ROCHELLE-RO

CHEFORT, avocat plaidant

DÉFENDERESSE

Entreprise DEBONAIR TRADING INTERNACIONAL LDA
[Adresse 2]
P-9000 FUNCHAL, MADEIRA (P...

TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS

3ème chambre
1ère section

No RG 19/09812
No Portalis 352J-W-B7D-CQRN6

No MINUTE :

Assignation du :
17 juillet 2019

JUGEMENT
rendu le 03 mars 2022
DEMANDERESSE

Société LEA NATURE SERVICES (anciennement denommée GROUPE LEA NATURE)
[Adresse 1]
[Adresse 1]

représentée par Me Pierre-Louis DAUZIER de la SCP DAUZIER et CHAPPUIS, avocat au barreau de PARIS, avocat postulant, vestiaire #P0224 et Me François DRAGEON de la SELARL DRAGEON et ASSOCIES, avocat au barreau de LA ROCHELLE-ROCHEFORT, avocat plaidant

DÉFENDERESSE

Entreprise DEBONAIR TRADING INTERNACIONAL LDA
[Adresse 2]
P-9000 FUNCHAL, MADEIRA (PORTUGAL)

représentée par Me Jehan-Philippe JACQUEY de la SELARL GILBEY LEGAL, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #L0112

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Gilles BUFFET, Vice- président
Laurence BASTERREIX, Vice-Présidente
Alix FLEURIET, Juge

assistés de Caroline REBOUL, Greffière

DEBATS

A l'audience du 15 novembre 2021 tenue en audience publique, avis a été donné aux avocats que le jugement serait rendu le 20 janvier 2022.
Le délibéré a été prorogé au 10 février 2022, au 17 février 2022 puis au 03 mars 2022.

JUGEMENT

Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe
Contradictoire
En premier ressort

EXPOSE DU LITIGE

1 - Présentation des parties et des marques en litige

La société LEA NATURE SERVICES, précédemment dénommée GROUPE LEA NATURE, se présente comme une société ayant pour activité la recherche, l'élaboration, la conception, la fabrication et la commercialisation de produits parapharmaceutiques, diététiques et cosmétiques et de tous produits alimentaires et biologiques, par correspondance, ainsi que par réseaux spécialisés.

Elle est notamment titulaire de la marque française semi-figurative no3 529 601 :

déposée et enregistrée le 5 octobre 2007 et renouvelée en 2017, désignant en classe 3 les produits suivants:

"Préparations pour blanchir et autres substances pour lessiver ; préparations pour nettoyer, polir, dégraisser et abraser ; savons ; parfumerie, huiles essentielles, cosmétiques, lotions pour les cheveux ; dentifrices. Eaux de toilette, produits pour parfumer le linge, produits de la parfumerie, bases pour parfums de fleurs et de plantes, microcapsules parfumées, encens, eaux de senteur, huiles pour la parfumerie, shampooings, huiles à usage cosmétique, crèmes cosmétiques, laits pour le visage et pour le corps, laits de toilette, pommade à usage cosmétique, préparations cosmétiques pour le bain non à usage médical, sels pour le bain non à usage médical, désodorisants à usage personnel ; aromates (huiles essentielles), bois odorants, eau de Cologne, savons désinfectants et désodorisants, eau de lavande, produits pour fumigations (parfums), bains moussants non à usage médical, préparations cosmétiques pour l'amincissement, masques de beauté, préparations cosmétiques pour le bronzage de la peau, produits épilatoires, cosmétiques pour animaux, produits de démaquillage, lotions à usage cosmétique, produits de maquillage, produits pour le soin des ongles, produits cosmétiques de gommage, menthe pour la parfumerie, pots-pourris odorants, savons contre la transpiration des pieds, serviettes imprégnées de lotions cosmétiques, eaux de senteur, extraits de fleurs et de plantes (parfumerie), essence de menthe pour la parfumerie pastilles et gommes à mâcher à usage cosmétique, tous ces produits étant issus de l'agriculture biologique ou élaborés à partir de produits qui en sont issus".

La société DEBONAIR Trading Internacional LDA (ci-après la société DEBONAIR), société de droit portugais, se présente comme une société ayant pour activité la conception, la fabrication et la commercialisation de produits cosmétiques, en particulier de parfums.

Elle est notamment titulaire :

- de la marque verbale internationale "SO" no 914 901, déposée le 1er mars 2007, désignant notamment la France, et en classe 3 les produits suivants :

« Préparations pour blanchir et autres substances pour lessiver ; préparations pour nettoyer, polir, dégraisser et abraser ; savons ; parfumerie, huiles essentielles, cosmétiques, lotions pour les cheveux ; dentifrices » ;

- de la marque verbale de l'Union européenne "SO? ?" no 485078, déposée le 7 mars 1997 et enregistrée le 26 février 2001 pour désigner en classe 3 des "produits de toilette ; produits pour le soin de la peau, du cuir chevelu et du corps ; produits de bronzage ; produits pour durcir et renforcer les ongles ; produits pour le bain et la douche ; savons de toilette ;produits pour tonifier le corps ; tous non médicinaux ; parfums, fragrances ; après-rasage, laits, huiles, crèmes, gels, poudres et lotions ; mousses à raser ; cosmétiques, eau de Cologne ; eaux de toilette ; huiles essentielles, shampoings ; après-shampoings ; lotions pour les cheveux ; produits pour les cheveux ; produits coiffants ; produits de toilette contre la transpiration ; déodorants à usage personnel ; dentifrices", et en classe 5 des "crèmes médicinales et lotions médicinales ; préparations médicinales pour le soin de la peau et du cuir chevelu".

- de la marque verbale française "SO ?" no 95564050, déposée et enregistrée le 22 mars 1995, en classe 3 pour désigner les produits de "parfumerie et cosmétiques".

La société Incos Limited est licenciée exclusive de la société DEBONAIR depuis le mois de janvier 1999.

2 - Le contexte procédural opposant les sociétés LEA NATURE SERVICES et DEBONAIR

Les parties entendent préciser les éléments suivants :

- par décision du 1er décembre 2005, l'INPI a rejeté la demande d'enregistrement présentée par la société LEA NATURE SERVICES de la marque verbale "SO'BIO" no 05 3 343 060, pour les produits visés en classe 3, considérant qu'elle portait atteinte aux droits antérieurs de la société DEBONAIR sur sa marque de l'Union européenne "SO...?" no 485078 ;

- à la suite de plusieurs oppositions initiées par la société DEBONAIR, la société LEA NATURE SERVICES a procédé aux retraits de plusieurs demandes de marques, notamment de sa demande de marque française "SO'BIO" no 3 504 104 (déposée le 31 mai 2007 et retirée le 26 février 2008), de sa demande de marque de l'Union européenne "SO'BIO" no 006107924 (dépôt le 17 juillet 2007 et retrait le 6 juin 2008) et de sa demande de marque semi-figurative française "SO'BiO lift" no 3 578 429 (dépôt le 26 mai 2008 et retrait le 30 mars 2009) ;

- à la suite de l'opposition formée par la société DEBONAIR devant l'EUIPO, à l'encontre de la demande d'enregistrement de la marque semi-figurative de l'Union européenne "SO'BiO etic" no 006827281 le 27 mars 2008, cette dernière a fait l'objet d'un rejet par la première chambre de recours de l'EUIPO, décision confirmée par un arrêt du tribunal de première instance de l'Union européenne du 8 juin 2017 (affaire T-341/13), la CJUE ayant, le 28 février 2019, rejeté le pourvoi formé par la société LEA NATURE SERVICES à son encontre ;

- la société LEA NATURE SERVICES a de son côté engagé devant l'EUIPO une action en annulation de la marque de l'Union européenne "SO? ?" no485078 de la société DEBONAIR, rejetée par une décision du 20 avril 2020, confirmée par deux décisions de la Chambre des recours du 11 février 2021, à l'encontre desquelles la société LEA NATURE SERVICES a formé un recours auprès du tribunal de première instance de l'Union européenne (procédure actuellement pendante) ;

- trois procédures d'opposition de la société DEBONAIR sont également pendantes devant l'INPI, dans l'attente de l'issue de l'instance susmentionnée portant sur la validité de la marque de l'Union européenne "SO? ?" no485078, à l'encontre de deux demandes de marques françaises verbales "SO'BiO étic Précieux Argan" no 4403305 et "SO'BiO étic HYDRA Aloe Vera" no 4403294, déposées le 10 novembre 2017 (désignant notamment des produits de parfumerie et cosmétiques en classe 3) et de la demande de marque française "SO' BIO ETIC. ETHIQUE, COMME SON NOM L'INDIQUE" no4 578 055, déposée par la société LEA NATURE SERVICES le 30 août 2019 dans les classes 3, 5 et 35.

3 - La présente instance

La société LEA NATURE SERVICES a fait assigner la société DEBONAIR, par acte d'huissier de justice du 17 juillet 2019 devant le tribunal de grande instance de Paris, devenu le tribunal judiciaire de Paris à compter du 1er janvier 2020, en déchéance de sa marque française "SO ?" no 95564050.

Aux termes de ses conclusions notifiées par la voie électronique le 25 mai 2021, la société LEA NATURE SERVICES demande au tribunal de:

Vu les articles L. 714-5 et suivants du code de la propriété intellectuelle,
Vu les pièces versées au débat,

Sur la marque internationale :

- Constater l'absence d'usage sérieux, en France, et pendant une période ininterrompue de cinq ans de la partie française de la marque internationale SO no 914 901 pour les produits qu'elle désigne, à savoir :
« Préparations pour blanchir et autres substances pour lessiver ; préparations pour nettoyer, polir, dégraisser et abraser ; savons ; parfumerie, huiles essentielles, cosmétiques, lotions pour les cheveux ; dentifrices »

En conséquence,

- Prononcer la déchéance de la marque internationale SO no 914901, en ce qu'elle désigne la France, sur le territoire français, pour les produits qu'elle désigne, à savoir :
« Préparations pour blanchir et autres substances pour lessiver ; préparations pour nettoyer, polir, dégraisser et abraser ; savons ; parfumerie, huiles essentielles, cosmétiques, lotions pour les cheveux ; dentifrices »

Sur la marque française :

- Constater l'absence d'usage sérieux, en France, et pendant une période ininterrompue de cinq ans de la marque française SO? no 95564050 pour les produits qu'elle désigne respectivement, à savoir :
« Parfumerie et cosmétiques »,

En conséquence,

- Prononcer la déchéance de la marque française SO? no 95564050 sur le territoire français, pour les produits qu'elle désigne, à savoir :
« Parfumerie et cosmétiques »

- Dire que la décision à intervenir sera transmise par la partie la plus diligente à l'Institut National de la Propriété Industrielle aux fins d'inscription sur le Registre National des Marques conformément aux dispositions de l'article R. 714-3 du code de la propriété intellectuelle ;

- Ordonner l'exécution provisoire du jugement à intervenir nonobstant appel et sans constitution de garantie ;

- Condamner la société DEBONAIR à payer à la société LEA NATURE SERVICES la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ;

- Condamner la société DEBONAIR aux entiers dépens en application de l'article 699 du code de procédure civile.

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 30 avril 2021, la société DEBONAIR Trading Internacional LDA demande au tribunal de :

Vu le Livre VII du code de la propriété intellectuelle, en particulier, les articles L. 712-6, L.713-2, et L.714-5 du code de la propriété intellectuelle,
Vu l'article 14 de la Directive (CE) 2004/48 du 29 avril 2004,

- Déclarer la société DEBONAIR Trading Internacional LDA, recevable et bien fondée en ses demandes ;

- Constater que la partie française de la marque internationale no914901, ainsi que la marque française no95 564 050, font l'objet d'un usage réel sérieux ;

- Dire et juger la société Lea Nature Services, irrecevable, à tout le moins mal fondée, en toutes ses demandes, fins et conclusions, et l'en débouter purement et simplement ;

Y faisant droit,

- Dire et Juger que l'exploitation des signes « SO' BIO (ETIC) » pour désigner des produits de la classe 3, en ce compris la marque française no3 529 601, identiques ou similaires à ceux couverts par la marque antérieure, constitue des actes de contrefaçon, et engage la responsabilité de la société Lea Nature Services ;

En conséquence,

- Ordonner à la société Lea Nature Services, de communiquer tous les documents ou information en leur possession, et notamment des factures, permettant d'identifier les noms et adresses des producteurs, fabricants, distributeurs, fournisseurs et autres détenteurs antérieurs des produits revêtus des signes litigieux, et d'autre part, les quantités produites, commercialisées, livrées, reçues ou commandées, éléments certifiés conformes par un commissaire aux comptes ou un expert-comptable, et ce sous astreinte de 500 euros par jour de retard à compter de la signification du jugement à intervenir ;

- Interdire à la société Lea Nature Services, de poursuivre ses agissements, et ce sur l'ensemble du territoire de l'Union européenne, à quelque titre que ce soit, et en particulier à titre de marque, de nom d'association, et de nom de domaine, sous astreinte de 500 euros par infraction constatée par jour de retard à compter de la signification de la décision à intervenir ;

- Ordonner le retrait du marché et la destruction devant huissier, sous le contrôle de la société DEBONAIR Trading Internacional LDA et aux frais avancés de la société Lea Nature Services, de tous les articles contrefaisants, et ce sous astreinte de 500 euros par jour de retard à compter de la signification du jugement à intervenir ;

- Ordonner le rappel des circuits commerciaux et la destruction devant Huissier, sous le contrôle de la société DEBONAIR Trading Internacional LDA, et aux frais avancés de la société Lea Nature Services, de tous les articles contrefaisants, et ce sous astreinte de 500 euros par jour de retardà compter de la signification du jugement à intervenir ;

- Dire et Juger que le tribunal se réservera la liquidation de l'astreinte conformément aux dispositions de l'article 35 de la loi du 9 juillet 1991 ;

- Condamner la société Lea Nature Services à verser à DEBONAIR Trading Internacional LDA, la somme de 240 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice résultant des actes de contrefaçon, sauf à parfaire ou compléter au vu des éléments dont la production interviendra en cours de procédure ;

- Ordonner et ce à titre de complément de dommage et intérêt, la publication du jugement dans cinq journaux ou revues au choix préalable de DEBONAIR Trading Internacional LDA, mais aux frais exclusifs et avancés de la société Lea Nature Services, sans que le coût global de ces publications ne puisse excéder la somme de 20 000 euros HT, et ce sous astreinte définitive de 500 euros par jour de retard, le tribunal se réservant le droit de liquider directement l'astreinte

- Ordonner également à titre de complément de dommage et intérêt, la publication a minima du dispositif du jugement à intervenir, sur la page d'accueil des site Internet www.leanature.com, www.leanatureboutique.com, et www.sobio-etic.com, après modification de ce dernier nom de domaine pour les produits relevant de la classe 3, et ce dans une police de caractères identique au contenu de ces pages, sans qu'il ne soit nécessaire d'utiliser le menu déroulant de ladite page d'accueil, et ce pour une durée d'un mois, et sous astreinte définitive de 500 euros par jour de retard, le tribunal se réservant le droit de liquider directement l'astreinte ;

En tout état de cause,

- Ordonner le transfert de la marque semi-figurative « SO' BIO ETIC » no3 529 601 au bénéfice de la société DEBONAIR ;

- Dire et Juger que le jugement à intervenir sera inscrit d'office au Registre National des Marques auprès de l'Institut National de la Propriété Industrielle, aux frais avancés et de la société Lea Nature Services, et qu'à défaut de se faire dans les quinze jours qui suivent la signification du jugement à intervenir, la demanderesse pourra procéder elle-même aux inscriptions nécessaires au transfert de propriété de la marque semi-figurative « SO' BIO ETIC » no3 529 601 ;

- Condamner la société Lea Nature Services à payer à la société DEBONAIR Trading Internacional LD, la somme de 20 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Condamner la société Lea Nature Services aux entiers dépens dont distraction au profit de Maître Jehan-Philippe Jacquey, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile ;

- Ordonner l'exécution provisoire de la décision à intervenir nonobstant toute voie de recours et sans constitution de garantie.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 8 juin 2021.

MOTIFS

Les demandes de déchéance des droits de la société DEBONAIR sur la partie française de la marque internationale "SO" no 914901 et sur la marque française "SO?" no 95564050

La société LEA NATURE SERVICES soutient que la société DEBONAIR ne démontre pas avoir, au cours des cinq dernières années, fait un usage sérieux en France de sa marque internationale "SO" no 914901, ni de sa marque française "SO?" no 95564050, pour l'un quelconque des produits qu'elles désignent en classe 3.

En premier lieu, elle demande au tribunal d'écarter les pièces adverses no 2 et no 7 à 12 au motif qu'elles n'ont pas été traduites de la langue anglaise au français. Elle considère en outre que les factures présentées en pièce no 11, lesquelles concernent des produits livrés à une société basée au Royaume-Uni et payés par une société située en Suisse ne sont pas pertinentes pour démontrer un quelconque usage des marques en France et qu'il en va de même du contrat passé avec la société Groupon versé en pièce no 12 et des photographies produites en pièce no 2 montrant des parfums et déodorants commercialisés au Royaume-Uni. Elle soutient par ailleurs que la force probante qui doit être accordée à l'attestation de M. [K], directeur de la société INCOS Limited, licenciée exclusive de la société DEBONAIR depuis janvier 1999, est nécessairement limitée compte tenu de sa qualité et des liens qu'elle entretient avec la société défenderesse et ce d'autant que leur contenu n'est nullement corroboré par d'autres éléments.

La société LEA NATURE SERVICES considère ensuite que les quelques pièces versées aux débats par la société DEBONAIR pour tenter de convaincre le tribunal qu'il est fait un usage sérieux de ses marques, en l'espèce quelques factures, sont tout à fait insuffisantes à lui permettre de maintenir ou créer des parts de marché sur le territoire français, dans le secteur de la grande distribution, au regard des produits visés par sa marque.

En outre, elle estime que tous les usages de ses marques "SO" sous une forme composée (avec l'adjonction d'un autre terme), tels que "SO SINFUL", "SO SWEET PEA", "SO ENCITING", "SO BRIT" etc, ne peuvent être pris en considération par le tribunal comme constituant des usages valables, lesdits ajouts étant de nature à altérer leur caractère distinctif, dès lors qu'ils n'occupent pas une place accessoire dans le signe et sont dotés d'un caractère distinctif à tout le moins équivalent à celui du terme "SO".

Elle conclut en définitive au caractère purement symbolique de l'usage fait en France de la marque internationale "SO" no 914901 et de la marque française "SO?" no 95564050.

La société DEBONAIR soutient démontrer l'exploitation sérieuse de ses marques au cours des cinq années précédant la demande de déchéance, soit entre le 11 septembre 2014 et le 11 septembre 2019, pour les produits qu'elles visent en classe 3, et ce sur le territoire français.

A cet égard, elle fait valoir que l'attestation de M. [K] est corroborée par de multiples factures et publications, ainsi que par un contrat conclu avec la société GROUPON, ces pièces étant soit traduites en langue française, soit tout à fait compréhensibles en langue anglaise.

Elle ajoute que doivent être prises en considération les conditions dans lesquelles la société LEA NATURE SERVICES a "forcé le passage", en déposant en 2007 et 2008 de multiples marques "SO' BIO" notamment en classe 3 (demandes de marques finalement retirées), en se livrant à un "acharnement procédural" contre ses différentes marques (dans le cadre de la présente instance mais également devant les juridictions de l'Union européenne), ainsi qu'en menant une campagne promotionnelle d'envergure autour de ses produits vendus sous les signes "SO'BiO" ou "SO'BiO étic", ce qui lui a gravement compliqué l'accès au marché français.

Enfin, elle conteste toute exploitation de sa marque qui en dénaturerait le caractère distinctif, arguant du fait que dans le cadre de toutes les procédures qui les ont opposées devant les juridictions européennes, il a été jugé que le caractère distinctif de ses marques réside précisément dans le terme "SO".

Le rejet des pièces no 2 et no 7 à 12 de la société DEBONAIR

Aux termes de l'article 111 de l'ordonnance royale sur le fait de justice du 25 août 1539 dite ordonnance de Villers-Cotterêts, « nous voulons dorénavant que tous arrêts, ensemble toutes autres procédures, soit de nos cours souveraines et autres subalternes et inférieures, soit de registres, enquêtes, contrats, commissions, sentences, testaments, et autres quelconques actes et exploits de justice, ou qui en dépendent, soient prononcés, enregistrés et délivrés aux parties, en langage maternel et non autrement ».

De manière constante, il est jugé que ce texte ne vise que les actes de procédure, et qu'il appartient dès lors aux juges, dans l'exercice de leur pouvoir souverain, d'apprécier la force probante des éléments qui leur sont soumis en particulier lorsqu'ils sont rédigés dans une langue étrangère (Cass. Com., 27 novembre 2012, pourvoi no 11-17.185, Bull. 2012, IV, no 213 ; Cass. Civ. 1ère, 22 septembre 2016, pourvoi no 15-21.176, Bull. 2016, I, no 175).

Il en résulte que, si le juge peut écarter un document en langue étrangère, il n'est pas tenu de le faire, et peut au contraire décider de le retenir à condition d'en indiquer la signification en français (Cass. Civ. 2ème, 11 janvier 1989, pourvoi no 87-13.860, Bull. 1989, II, no11; Cass. Civ. 1ère, 23 janvier 2008, pourvoi no06-21.011).

Aussi, l'absence de traduction n'étant pas en elle-même une cause d'irrecevabilité des pièces, cette demande sera-t-elle rejetée.

Le bien-fondé de la demande de déchéance

L'article L. 714-5 du code de la propriété intellectuelle dispose que :
"Encourt la déchéance de ses droits le titulaire de la marque qui, sans justes motifs, n'en a pas fait un usage sérieux, pour les produits ou services pour lesquels la marque est enregistrée, pendant une période ininterrompue de cinq ans. Le point de départ de cette période est fixé au plus tôt à la date de l'enregistrement de la marque suivant les modalités précisées par un décret en Conseil d'Etat.
Est assimilé à un usage au sens du premier alinéa :
1o L'usage fait avec le consentement du titulaire de la marque ;
2o L'usage fait par une personne habilitée à utiliser la marque collective ou la marque de garantie ;
3o L'usage de la marque, par le titulaire ou avec son consentement, sous une forme modifiée n'en altérant pas le caractère distinctif, que la marque soit ou non enregistrée au nom du titulaire sous la forme utilisée ;
4o L'apposition de la marque sur des produits ou leur conditionnement, par le titulaire ou avec son consentement, exclusivement en vue de l'exportation".

Sur la notion d'usage sérieux de la marque, la Cour de justice des Communautés européennes a, dans un arrêt rendu le 11 mars 2003 (CJCE, 11 mars 2003, Ansul, Aff. C-40/01), dit pour droit que :
" 43. (...) une marque fait l'objet d'un «usage sérieux» lorsqu'elle est utilisée, conformément à sa fonction essentielle qui est de garantir l'identité d'origine des produits ou des services pour lesquels elle a été enregistrée, aux fins de créer ou de conserver un débouché pour ces produits et services, à l'exclusion d'usages de caractère symbolique ayant pour seul objet le maintien des droits conférés par la marque. L'appréciation du caractère sérieux de l'usage de la marque doit reposer sur l'ensemble des faits et des circonstances propres à établir la réalité de l'exploitation commerciale de celle-ci, en particulier les usages considérés comme justifiés dans le secteur économique concerné pour maintenir ou créer des parts de marché au profit des produits ou des services protégés par la marque, la nature de ces produits ou de ces services, les caractéristiques du marché, l'étendue et la fréquence de l'usage de la marque ".

La charge de la preuve de l'usage sérieux de la marque dont le prononcé de la déchéance est demandé doit être rapportée par son titulaire.

En l'occurrence, la société DEBONAIR produit, pour justifier de l'usage qui est fait de sa marque internationale "SO" no 914 901 et de sa marque française "SO ?" no 95564050, sur le territoire français au cours des cinq années précédant la demande de déchéance formée par la société LEA NATURE, soit entre le 9 septembre 2014 et le 9 septembre 2019, pour les produits qu'elle vise en classe 3, une attestation de M. [K], directeur de la société INCOS Limited (pièce no 2), sa licenciée exclusive depuis janvier 1999, à laquelle sont annexées de nombreuses pièces (sous-côtes "Exhibit KG-1" à "Exhibit KG-12"), ainsi que des factures de vente de ses produits (pièces no 7 à 11) et un contrat d'option d'achat de ses produits par la société GROUPON (pièce no 12).

Il convient en premier lieu de retenir que l'attestation sur l'honneur précitée, bien qu'elle émane du directeur de la société INCOS Limited, qui est incontestablement intéressée par l'issue de la présente instance et plus généralement par les diverses procédures judiciaires opposant les parties au litige, ne peut être considérée comme dépourvue de toute force probante, sous réserve que les informations qu'elle contient soient corroborées par d'autres éléments de preuve.

En l'espèce, il résulte de deux factures des 15 et 31 mai 2018, produites aux débats par la société DEBONAIR, que la société INCOS Limited a commercialisé sur le territoire français 2 316 produits de parfumerie et cosmétiques en 2018, dont une large partie sur l'Ile de La Réunion, sous le signe "SO", généralement suivi d'autres termes tels que "Kiss me", "Sinful", "Exclusive", "Florential", "Fresh floral" etc (pièces no 7 et 8). A cet égard, il est souligné que si la société LEA NATURE considère que l'usage de tels signes ne constitue pas un usage valable des marques dont elle sollicite la déchéance, dès lors que leur forme composée est de nature à altérer leur caractère distinctif, force est de constater qu'elle ne démontre pas qu'il est fait un usage de l'élément verbal "SO", dans sa forme composée, à titre de marque.

Au contraire, il résulte des photographies des produits commercialisés par la société INCOS Limited, annexées à l'attestation sur l'honneur de M. [K], que de manière systématique, c'est bien les signes "SO" ou "SO...?" qui sont utilisés à titre de marque, tandis que les termes qui leur sont adjoints, en ce qu'ils désignent le produit lui-même ou une gamme de produits, leur sont simplement accessoires, dès lors qu'ils ne remplissent pas une fonction de garantie d'origine, celle-ci n'étant assurée que par le vocable "SO". Les photographies ci-dessous (KG-3 et KG-5) illustrent ce point :

Pour le reste, les nombreuses autres factures produites par la défenderesse ne correspondent pas à des ventes à destination du territoire français ou, si c'est le cas, elles sont bien antérieures à la période qui intéresse le présent litige.

De la même manière, les multiples publicités et publications dans la presse relatives aux produits commercialisés sous les marques "SO" ou "SO?" dont il est justifié ne concernent pas la France.

Enfin, si la société DEBONAIR produit un acte d'option d'achat de ses produits par la société GROUPON, visant notamment le territoire français, force est de constater que toutes les factures versées aux débats, au nom de la société GROUPON, concernent des produits qui ont été livrés au Royaume-Uni. Or, si l'on peut supposer que certains d'entre eux ont pu par la suite être commercialisés sur le territoire français, la société DEBONAIR produisant en pièce no 11-2 une copie d'écran du site Internet accessible à l'adresse "groupon.fr", montrant un coffret de 3 eaux de toilette "SO...?" livrable en France métropolitaine, leur quantité exacte est inconnue.

Aussi, la société DEBONAIR ne démontre en définitive avoir fait usage de ses marques que pour la commercialisation de 2 316 produits de parfumerie et cosmétiques sur le territoire français entre le 8 septembre 2014 et le 8 septembre 2019.

Ces usages de ses marques (pour l'un quelconque des produits visés à leur enregistrement) doivent être considérés comme insuffisamment sérieux sur un marché qui, fût-il très concurrentiel, vise un large public s'agissant de produits d'hygiène, cosmétiques et de parfumerie de moyenne gamme, et ce d'autant que la société DEBONAIR démontre amplement que dans d'autres Etats, notamment au Royaume-Uni, la société INCOS Limited parvient à commercialiser ses produits massivement et à en faire une importante promotion.

Par ailleurs, l'argument soulevé par la société DEBONAIR, tiré de la difficulté de commercialiser sur le marché français des produits portant ses marques en raison de la stratégie commerciale et promotionnelle agressive de la société LEA NATURE, n'est étayé par aucune pièce. De plus, elle ne démontre pas davantage que, précédemment au dépôt des marques "SO'Bio étic" par la société LEA NATURE, elle a exploité ses marques de manière plus sérieuse sur le territoire français et ce alors même qu'elle ont été déposées plus de dix ans auparavant.

En conséquence, la société DEBONAIR doit être déchue de ses droits sur :

- la partie française de sa marque verbale internationale "SO" no 914 901, déposée le 1er mars 2007, et ce pour tous les produits visés à l'enregistrement ;

- sa marque semi-figurative française "SO ?" no 95564050, déposée et enregistrée le 22 mars 1995, et ce pour tous les produits visés à l'enregistrement.

la déchéance prenant effet au 9 septembre 2019.

La contrefaçon de la marque de l'Union Européenne "SO? ?" no000485078

La société DEBONAIR soutient en substance qu'en faisant usage des signes "SO'BIO", "SO'BiO etic" ou encore de sa marque semi-figurative no3 529 601, la société LEA NATURE SERVICES contrefait sa marque de l'Union européenne "SO? ?" no000485078.

Pour voir rejeter la fin de non-recevoir soulevée par la société LEA NATURE SERVICES, tirée de la forclusion par tolérance, elle fait valoir que ce délai court, non pas à compter du jour de la publication de l'enregistrement de la marque postérieure, mais à compter du jour où son usage a été connu, mais encore qu'il incombe à celui qui s'en prévaut de l'établir, ce que la société LEA NATURE SERVICES ne fait pas en l'espèce. Elle ajoute par ailleurs avoir systématiquement agi avec célérité en s'opposant aux demandes de marque "SO'Bio etic", notamment à la demande d'enregistrement de la marque de l'Union européenne semi-figurative no006827281, strictement identique à la marque en litige. Enfin, elle allègue qu'ayant déposé cette marque, comme l'ensemble de ses marques "SO'BiO etic" de mauvaise foi, elle ne peut se prévaloir de la forclusion de son action.

Sur le fond, elle estime que les produits commercialisés par la société LEA NATURE SERVICES sont identiques, ou à tout le moins similaires, à ceux qui sont visés à l'enregistrement de sa marque et que les signes en litige présentent d'importantes ressemblances, en particulier la présence du terme "SO", systématiquement placé en position d'attaque. S'agissant des différences de longueur, de rythme, et de sonorités constatées entre les signes, elles ne sauraient suffire, selon elle, à altérer l'impression d'ensemble commune qu'ils produisent, eu égard au caractère distinctif et dominant du terme d'attaque "SO" présent dans chacun des signes et, a contrario au caractère peu distinctif des termes "BIO" et "étic", en ce qu'ils désignent respectivement la nature et la composition des produits en cause et un mode de confection respectant l'environnement et répondant au respect de valeurs morales. Elle ajoute démontrer une connaissance certaine de sa marque "SO? ?" sur le marché européen pour des produits cosmétiques, ce qui lui confère une distinctivité d'autant plus élevée. Enfin, elle rappelle être titulaire d'une famille de marques comportant le terme "SO", ce qui, en sus des ressemblances visuelles, phonétiques et intellectuelles entre les signes, de la renommée de sa marque antérieure et de l'identité entre les produits et les services visés, aggrave encore davantage le risque de confusion entre les signes en litige, les signes contestés pouvant être perçus comme une déclinaison de sa marque antérieure.

La société LEA NATURE SERVICES soulève en premier lieu, sans toutefois reprendre cette prétention dans le dispositif de ses conclusions, l'irrecevabilité de la demande formée par la société DEBONAIR tirée de la forclusion par tolérance. A ce sujet, elle estime que la société DEBONAIR a nécessairement eu connaissance de la demande d'enregistrement de sa marque semi-figurative française no3 529 601 dès sa publication, soit le 16 novembre 2007, et ce compte tenu du contexte procédural qui les opposait déjà, du fait qu'elles opèrent sur le même marché des produits cosmétiques et de la large distribution de ses produits en France, de surcroît en grande distribution.

Sur le fond, elle soutient que le terme "SO", élément commun aux signes en litige est faiblement distinctif, d'une part du fait de son caractère laudatif (il serait principalement utilisé pour intensifier les mots qui le suivent) et de son usage massif sur le marché des produits cosmétiques ; que les signes en litige ne sont pas similaires que ce soit d'un point de vue visuel, phonétique ou conceptuel ; qu'en définitive, l'absence de similitude entre les signes est de nature à écarter tout risque de confusion dans l'esprit du public.

Sur ce,

Il est relevé à titre liminaire que si la société LEA NATURE soutient dans ses développements que la demande présentée par la société DEBONAIR est irrecevable, elle ne formule toutefois aucunement cette prétention dans le dispositif de ses écritures.

Dès lors, en application de l'article 446-2 du code de procédure civile, dans sa rédaction issue du décret no 2017-892 du 6 mai 2017 portant diverses mesures de modernisation et de simplification de la procédure civile, lequel dispose que le juge ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif des écritures des parties, le tribunal n'est ici saisi d'aucune fin de non-recevoir et considère en conséquence que la demande formée par la société DEBONAIR est recevable.

En vertu de l'article L. 717-1 du code de la propriété intellectuelle, "Constitue une contrefaçon engageant la responsabilité civile de son auteur la violation des interdictions prévues aux articles 9, 10, 13 et 15 du règlement (UE) 2017/1001 du 14 juin 2017 sur la marque de l'Union européenne".

Et l'article 9 du règlement (UE) no 2017/1001 du 14 juin 2017 sur la marque de l'Union européenne dispose que :
" 1. L'enregistrement d'une marque de l'Union européenne confère à son titulaire un droit exclusif.
2. Sans préjudice des droits des titulaires acquis avant la date de dépôt ou la date de priorité d'une marque de l'Union européenne, le titulaire de cette marque de l'Union européenne est habilité à interdire à tout tiers, en l'absence de son consentement, de faire usage dans la vie des affaires d'un signe pour des produits ou services lorsque :
a) ce signe est identique à la marque de l'Union européenne et est utilisé pour des produits ou des services identiques à ceux pour lesquels la marque de l'Union européenne est enregistrée ;
b) ce signe est identique ou similaire à la marque de l'Union européenne et est utilisé pour des produits ou services identiques ou similaires aux produits ou services pour lesquels la marque de l'Union européenne est enregistrée, s'il existe un risque de confusion dans l'esprit du public ; le risque de confusion comprend le risque d'association entre le signe et la marque".

Le risque de confusion doit être apprécié globalement, selon la perception que le public pertinent a des signes et des produits ou des services en cause, et en tenant compte de tous les facteurs pertinents en l'espèce, notamment de l'interdépendance de la similitude des signes et de celle des produits ou des services désignés.

Ainsi, un faible degré de similitude entre les produits ou services en cause peut être compensé par un degré élevé de similitude entre les signes et inversement (CJUE, 29 septembre 1998, Canon Kabushiki-Kaisha c. Metro-Goldwyn-Mayer, C-39/97).

L'appréciation de la similitude visuelle, auditive et conceptuelle des signes doit être fondée sur l'impression d'ensemble produite par ceux-ci en tenant compte, notamment, de leurs éléments distinctifs et dominants. À cet égard, le consommateur moyen perçoit normalement une marque comme un tout et ne se livre pas à un examen de ses différents détails (CJUE, 12 juin 2007, OHMI/Shaker, C-334/05 P).

En l'espèce, il est établi en pièce no 21 de la société DEBONAIR que la société LEA NATURE SERVICES fait usage sur son site Internet accessible à l'adresse "leanatureboutique.com", du signe verbal "SO'BIO étic" et du signe semi-figuratif suivant :

qui constitue une déclinaison de sa marque semi-figurative no3 529 601 :

pour commercialiser des produits cosmétiques (soins capillaires, maquillage, crèmes, produits d'hygiène, eaux florales, huiles beauté...).

Les produits couverts par les signes en litige

Pour rappel :

- la marque de l'Union Européenne "SO? ?" no000485078, dont la société DEBONAIR est titulaire, désigne les produits relevant de la classe 3 suivants : « Produits de toilette ; produits pour le soin de la peau, du cuir chevelu et du corps ; produits de bronzage ; produits pour renforcer et durcir les ongles ; produits pour le bain et la douche ; savons de toilette ; produits pour tonifier le corps ; tous non médicinaux ; parfums ; fragrances ; après-rasage, laits, huiles, crèmes, gels, poudres et lotions ; mousses à raser ; cosmétiques ; eau de Cologne ; eaux de toilette ; huiles essentielles ; shampooings ; après-shampooings ; lotions pour les cheveux ; produits pour les cheveux ; produits coiffants ; produits de toilette contre la transpiration ; déodorants à usage personnel ; dentifrices » ;

- la marque française semi-figurative "SO'BIO étic" no3 529 601, dont la société LEA NATURE SERVICES est titulaire, désigne en classe 3 les produits suivants:"Préparations pour blanchir et autres substances pour lessiver ; préparations pour nettoyer, polir, dégraisser et abraser ; savons ; parfumerie, huiles essentielles, cosmétiques, lotions pour les cheveux ; dentifrices. Eaux de toilette, produits pour parfumer le linge, produits de la parfumerie, bases pour parfums de fleurs et de plantes, microcapsules parfumées, encens, eaux de senteur, huiles pour la parfumerie, shampooings, huiles à usage cosmétique, crèmes cosmétiques, laits pour le visage et pour le corps, laits de toilette, pommade à usage cosmétique, préparations cosmétiques pour le bain non à usage médical, sels pour le bain non à usage médical, désodorisants à usage personnel ; aromates (huiles essentielles), bois odorants, eau de Cologne, savons désinfectants et désodorisants, eau de lavande, produits pour fumigations (parfums), bains moussants non à usage médical, préparations cosmétiques pour l'amincissement, masques de beauté, préparations cosmétiques pour le bronzage de la peau, produits épilatoires, cosmétiques pour animaux, produits de démaquillage, lotions à usage cosmétique, produits de maquillage, produits pour le soin des ongles, produits cosmétiques de gommage, menthe pour la parfumerie, pots-pourris odorants, savons contre la transpiration des pieds, serviettes imprégnées de lotions cosmétiques, eaux de senteur, extraits de fleurs et de plantes (parfumerie), essence de menthe pour la parfumerie pastilles et gommes à mâcher à usage cosmétique, tous ces produits étant issus de l'agriculture biologique ou élaborés à partir de produits qui en sont issus" ;

- les signes verbaux et semi-figuratifs "SO'BIO étic" susmentionnés sont utilisés par la société LEA NATURE SERVICES pour commercialiser des produits cosmétiques (soins capillaires, maquillage, crèmes, produits d'hygiène, eaux florales, huiles beauté...).

Les produits visés par les signes en litige sont par conséquent pour l'essentiel identiques ou similaires.

Le public pertinent

Le public pertinent est constitué par le consommateur moyen, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé de produits cosmétiques et parfums, qui sont des produits de consommation courante s'adressant au grand public.

La comparaison des signes

Les signes en litige sont les suivants :

- d'une part, la marque verbale de l'Union européenne "SO...?" no000485078 dont est titulaire la société DEBONAIR ;

- d'autre part, le signe verbal "SO'BIO étic", la marque semi-figurative française no3 529 601 reproduite ci-dessous et le signe semi-figuratif présenté précédemment, qui en est une déclinaison :

Sur le plan visuel

La marque antérieure est composée du terme "SO" écrit en lettres capitales, suivi de trois points de suspension, puis d'un point d'interrogation. Seul élément verbal de la marque, et de surcroît placé en attaque de celle-ci, le terme "SO" apparaît largement dominant par rapport aux éléments de ponctuation qui le suivent.

Le signe verbal "SO'BIO étic" est composé, en attaque, du même élément verbal "SO" écrit en lettres capitales, suivi d'une apostrophe et du terme "BIO", écrit exclusivement en lettres capitales ou en partie seulement, le "i" central pouvant apparaître en lettre minuscule. Quant au terme "étic", il est écrit en lettres minuscules.

Les termes "SO" et "BiO", apparaissent visuellement dominants par rapport aux autres éléments du signe, notamment au terme "étic" écrit en lettres minuscules et dès lors moins visible.

La marque postérieure est une marque semi-figurative composée de l'élément verbal "SO" écrit en lettres capitales, suivi d'une apostrophe et du terme "BIO", également écrit en lettres capitales (à l'exception du "i" central apparaissant en lettre minuscule), puis du terme "etic" écrit en lettres minuscules, un trait horizontal étant placé au-dessus du "e". Ces éléments verbaux et de ponctuation sont positionnés à l'intérieur d'un rectangle aux bords arrondis de couleur bleu foncé sur fond blanc, la partie basse dudit rectangle étant également colorée de ce même bleu. Le terme "SO" suivi de l'apostrophe, occupant la partie haute du rectangle, apparaissent dans une police de couleur bleue claire, au-dessus de l'élément verbal "BIO" (écrit dans une police de la même couleur bleue foncée que celle du contour du rectangle), lui-même situé au-dessus du terme "etic", écrit en blanc, en partie basse du rectangle.

Le signe semi-figuratif dont fait usage la société LEA NATURE SERVICES pour commercialiser ses produits en est une déclinaison, les seules différences constatées résidant dans les couleurs utilisées (le noir pour les contours du rectangle et la police utilisée pour écrire le terme "BiO", le vert pour la partie basse du rectangle et l'élément verbal "SO").

Il est généralement observé, s'agissant des marques semi-figuratives, que l'élément verbal de la marque est plus distinctif que son élément figuratif, le consommateur moyen étant plus enclin à se référer à un produit en citant son nom qu'en décrivant l'élément figuratif du signe, ce qui est d'autant plus vrai en l'espèce que l'élément figuratif est banal, uniquement destiné à mettre en valeur les éléments verbaux de la marque. Par ailleurs, les éléments "SO" et "BIO" sont de taille équivalente, beaucoup plus importante que celle de l'élément "etic", celui-ci apparaissant dès lors secondaire par rapport aux deux autres, qui seront plus facilement retenus par le consommateur moyen. Il en va de même s'agissant de l'apostrophe, particulièrement insignifiant et qui n'aura pas vocation à être gardé en mémoire.

De manière incontestable, il apparaît que le terme "SO" se démarque des autres éléments de la marque et du signe figuratif qui en est la déclinaison, en raison de sa couleur d'une part et de sa position d'autre part (en attaque des éléments verbaux).

Il est ainsi observé que l'élément dominant dans l'ensemble des signes en litige (le terme "SO") est identique, ce qui leur confère une certaine similarité, quand bien même ils ne présentent pas la même longueur ou la même structure.

Sur le plan auditif

Les signes "SO'BIO ethic" comportent 4 syllabes, tandis que la marque "SO...?" n'en comporte qu'une.

Cela étant dit, si les signes en litige n'ont en commun qu'une même prononciation du mot "SO" (fût-ce avec une intonation différente, la marque antérieure se terminant par un point d'interrogation), il n'en reste pas moins qu'il se situe en attaque des signes "SO'BIO ethic" et aura donc vocation à être relativement bien retenu.

Il existe ainsi, sur le plan phonétique, une similarité relative entre les signes en litige.

Sur le plan conceptuel

Ainsi que l'a retenu la Chambre des recours puis le tribunal de l'Union européenne dans son arrêt du 8 juin 2017, rendu dans l'affaire T-341/13, opposant la société LEA NATURE SERVICES à l'EUIPO et à la société DEBONAIR, l'élément verbal "bio" composant ses signes peut aisément être compris par le public pertinent comme la contraction du terme "biological", signifiant "organique", et renvoyant ainsi à la composition des produits commercialisés par la société LEA NATURE SERVICES, tandis que l'élément verbal "etic" évoque les termes "ethic" ou "ethical", qui dans le domaine qui nous intéresse renvoie à l'importance de l'attention portée à la provenance des substances utilisées et à leur incidence sur la santé de leurs consommateurs, ainsi qu'au processus de fabrication des produits en cause, respectueux de l'environnement.

La marque antérieure "SO...?" n'évoque en revanche que le début d'une question.

Ainsi, d'un point de vue conceptuel, les signes en conflit ne sont en rien similaires.

Sur le risque de confusion

La société DEBONAIR a amplement démontré par la production de nombreuses pièces (factures de ventes, pièces comptables, photographies) annexées à l'attestation du directeur de la société INCOS Limited, que les produits portant sa marque sont largement commercialisés sur une partie significative du territoire de l'Union européenne, notamment au Royaume-Uni (qui en faisait encore partie dans la période objet du litige), et qu'elle y consacre d'importants investissements promotionnels. Il en ressort que sa marque est connue par le public concerné, qui est le grand public, en ce qu'elle vise des produits cosmétiques, d'hygiène et de parfums offerts à la vente à des coûts très raisonnables.

Le caractère distinctif de la marque antérieure, tant intrinsèque qu'acquis par la connaissance qu'en a le public concerné, ne peut ainsi être sérieusement contesté.

Quant au signe "SO'BiO étic" et à la marque semi-figurative française no3 529 601 dont est titulaire la société LEA NATURE, force est de constater que leur élément dominant commun, le terme "SO", sur le plan visuel et phonétique, constitue également l'élément le plus distinctif des signes en cause, les éléments verbaux "bio" et "étic" étant évocateurs de l'origine et de qualité de ses produits et de leur processus de production, tandis que les éléments de ponctuation ou figuratifs n'apparaissant pas de nature à être retenus par le consommateur moyen.

Il résulte de ces éléments que la relative similarité visuelle et auditive et l'absence de similarité conceptuelle des signes en litige est ici entièrement compensée par l'importante similarité des produits en cause et la forte distinctivité de la marque antérieure, résultant particulièrement de sa large connaissance par le public concerné.

Au surplus, le risque de confusion est encore aggravé par le fait que la société DEBONAIR justifie être titulaire d'une famille de marques comportant le terme "SO", désignant des produits en classe 3.

Le risque est en effet élevé que le consommateur moyen associe les signes exploités par la société LEA NATURE SERVICES aux marques de la société DEBONAIR et pense qu'ils en constituent une nouvelle déclinaison.

Il résulte de tous ces éléments que la société LEA NATURE SERVICES a commis des actes de contrefaçon de la marque de l'Union européenne "SO...?" no485078.

Le dépôt frauduleux de la marque française semi-figurative "SO'BIO étic" no 3 529 601

La société DEBONAIR soutient que la société LEA NATURE SERVICES, lors du dépôt de sa marque semi-figurative « SO' BIO etic » no3 529 601 ne pouvait sérieusement ignorer l'exploitation de la dénomination "SO", et ce notamment du fait de sa renommée d'une part, et des conflits préexistants entre les parties d'autre part.

Elle ajoute que la mauvaise foi et la malignité de la société LEA NATURE SERVICES sont établis par :

- la multiplication soudaine en 2007 et 2008 de ses demandes de marques "SO' BIO", notamment en classe 3 (demandes de marques finalement retirées) ;
- l'introduction de son action en nullité de sa marque de l'Union européenne "SO...?" no485078 et le recours immédiatement formé contre la décision de rejet de cette action par l'EUIPO ;
- l'introduction de la présente instance en septembre 2019 ;
- la campagne promotionnelle d'envergure qu'elle a menée, sur tout support, notamment à la télévision, de sa marque semi-figurative no no3 529 601 déposée et enregistrée le 5 octobre 2007.

Ce comportement traduit selon elle l'intention de la société LEA NATURE SERVICES de la priver de l'usage d'un terme nécessaire au développement de son activité, ainsi que de nuire à ses intérêts, en lui compliquant gravement l'accès au marché français.

Elle sollicite en conséquence le transfert de la marque semi-figurative « SO' BIO etic » no3 529 601 à son profit.

La société LEA NATURE SERVICES soutient que la société DEBONAIR ne démontre pas ni même n'explique en quoi le dépôt de sa marque le 5 octobre 2007, soit plus de 10 ans après le dépôt de la marque de l'Union européenne "SO? ?" no 485078 du 7 mars 1997, pour désigner notamment divers produits cosmétiques et ménagers en classe 3, issus de l'agriculture biologique, aurait été effectué dans le but de la priver de l'usage de sa marque et ce d'autant plus que la société DEBONAIR propose des parfums "conventionnels", alors qu'elle offre à la vente, quant à elle, une large gamme de produits cosmétiques issus de l'agriculture biologique.

Elle ajoute qu'alors que sa marque a été déposée le 5 octobre 2007, ce dont la société DEBONAIR avait connaissance, celle-ci n'a pas immédiatement agi à son encontre et a attendu la présente instance pour présenter sa demande de transfert de la marque, détournant ainsi toutes les règles de prescription et plus particulièrement de forclusion par tolérance.

Sur ce,

Il est observé par le tribunal, à titre liminaire, que la société LEA NATURE SERVICES ne soulève aucunement l'irrecevabilité de la demande formée par la société DEBONAIR, tirée de sa prescription. Il est en conséquence retenu que cette demande est recevable.

L'article L. 712-6 alinéa 1 du code de la propriété intellectuelle, dans sa version issue de la loi no 92-597 du 1er juillet 1992, applicable lors de l'enregistrement du dépôt de la marque en litige, prévoyait que :
"Si un enregistrement a été demandé soit en fraude des droits d'un tiers, soit en violation d'une obligation légale ou conventionnelle, la personne qui estime avoir un droit sur la marque peut revendiquer sa propriété en justice ".

Un dépôt de marque est entaché de fraude au sens de l'article L.712-6 du code de la propriété intellectuelle lorsqu'il est effectué dans l'intention de priver autrui d'un signe nécessaire à son activité. (Com., 25 avril 2006, pourvoi no 04-15.641, Bull. 2006, IV, no 100)

L'annulation d'un dépôt de marque, pour fraude, ne suppose pas la justification de droits antérieurs de la partie plaignante sur le signe litigieux, mais la preuve de l'existence d'intérêts sciemment méconnus par le déposant. (Com., 19 décembre 2006, pourvoi no 05-14.431)

Il est également jugé que l'intention du déposant au moment du dépôt des demandes d'enregistrement est un élément subjectif qui doit être déterminé par référence à l'ensemble des facteurs pertinents propres au cas d'espèce, lesquels peuvent être postérieurs au dépôt. (Cass. Com., 3 février 2015, no13-18.025)

Il est rappelé que la société DEBONAIR est titulaire d'un important portefeuille de marques pour désigner notamment des produits de parfumerie et cosmétiques en classe 3 et qu'antérieurement au dépôt de la marque française semi-figurative "SO'BIO étic" no3 529 60 le 5 octobre 2007, avaient déjà été publiées les demandes d'enregistrement de :

- sa marque française "SO ?" no 95564050 le 22 mars 1995 (publication du 28 avril 1995) ;
- sa marque de l'Union Européenne "SO? ?" no485078 le 7 mars 1997 (publication du 15 juin 1998) ;
- sa marque verbale internationale "SO" no 914 901, désignant la France, le 1er mars 2007 (publication du 12 avril 2007).

Surtout, la société DEBONAIR démontre bien que lors du dépôt de la marque litigieuse par la société LEA NATURE SERVICES, les parties s'étaient déjà opposées au sujet de leurs marques respectives, l'INPI ayant notamment, par décision du 1er décembre 2005, rejeté la demande d'enregistrement par la société LEA NATURE SERVICES d'une marque verbale "SO'BIO".

Il s'en déduit que la société LEA NATURES SERVICES ne pouvait sérieusement ignorer l'exploitation de la dénomination "SO" par la société DEBONAIR lors du dépôt de sa marque semi-figurative "SO'BIO étic" no3 529 60.

Pour autant, il ne peut être considéré que celle-ci était de nature à priver la société DEBONAIR de l'usage de ses marques, y compris sur le territoire français, la marque contestée, bien que contrefaisant la marque antérieure "SO...?", n'en constituant pas une reproduction servile, tandis qu'il n'est pas justifié d'une exploitation sérieuse des marques de la société DEBONAIR en France pendant la période précédant le dépôt de la marque litigieuse.

Aussi, les préjudices dont se plaint la société DEBONAIR ne résultent pas d'une impossibilité pour elle, ou plutôt pour sa licenciée exclusive, de faire usage de ses marques en France, mais du risque de confusion entre les signes en litige, découlant des actes de contrefaçon précédemment retenus, préjudices ayant vocation à être réparés notamment en tenant compte des conséquences économiques négatives de la contrefaçon, dont le manque à gagner et la perte subis par la partie lésée, en application des dispositions de l'article L. 716-4-10 du code de la propriété intellectuelle.

Sa demande est en conséquence rejetée.

Les demandes en réparation et le droit d'information

La société DEBONAIR soutient qu'en utilisant illicitement depuis plusieurs années les signes litigieux, et ce malgré les actions entreprises et décisions d'ores et déjà rendues, la société LEA NATURE SERVICES a nécessairement détourné les consommateurs de ses produits et tenté de lui empêcher l'accès au marché français. Elle estime que la société LEA NATURE SERVICES réalise un chiffre d'affaires annuel de l'ordre de 150 millions d'euros, s'établissant à hauteur de 55 millions d'euros pour les produits SO'BIO de la classe 3, soit un chiffre d'affaires supérieur à 155 millions d'euros pour les faits non prescrits. Elle considère être ainsi fondée à solliciter la condamnation de la société LEA NATURE SERVICES à lui verser la somme de 200 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice commercial, à défaut de production de pièces en cours de procédure par son adversaire.
Au titre de l'atteinte portée à la valeur patrimoniale de sa marque, qu'elle considère importante au regard de l'exploitation conséquente qui en est faite, de sa connaissance auprès du public concerné et des nombreux investissements promotionnels qui lui sont consacrés, elle demande la condamnation de la société LEA NATURE SERVICES à lui payer la somme de 20 000 euros.
Enfin, elle estime que la somme de 10 000 euros doit lui être allouée en réparation du préjudice moral qu'elle subit du fait de la dilution de sa marque et de la diminution de son pouvoir attractif résultant de sa banalisation.

La société LEA NATURE SERVICES n'apporte aucune réponse à ces demandes.

Sur ce,

Le montant de la réparation

Il résulte des dispositions de l'article L. 716-4-10 du code de la propriété intellectuelle, applicables aux atteintes portées au droit du titulaire d'une marque de l'Union européenne en application de l'article L. 717-2 du même code, que pour fixer les dommages et intérêts, la juridiction prend en considération distinctement :

1o Les conséquences économiques négatives de la contrefaçon, dont le manque à gagner et la perte subis par la partie lésée ;

2o Le préjudice moral causé à cette dernière ;

3o Et les bénéfices réalisés par le contrefacteur, y compris les économies d'investissements intellectuels, matériels et promotionnels que celui-ci a retirées de la contrefaçon.

Toutefois, la juridiction peut, à titre d'alternative et sur demande de la partie lésée, allouer à titre de dommages et intérêts une somme forfaitaire. Cette somme est supérieure au montant des redevances ou droits qui auraient été dus si le contrefacteur avait demandé l'autorisation d'utiliser le droit auquel il a porté atteinte. Cette somme n'est pas exclusive de l'indemnisation du préjudice moral causé à la partie lésée.

Le tribunal relève que la société DEBONAIR est mal fondée en sa demande d'indemnisation au titre d'un prétendu préjudice commercial qu'elle subirait du fait des actes de contrefaçon de sa marque, commis par la société LEA NATURE SERVICES, dès lors que la commercialisation de ses produits sur le territoire de l'Union européenne est opérée par la seule société INCOS Limited, sa licenciée exclusive, qui n'intervient pas dans le cadre de la présente instance.

Sa demande est en conséquence rejetée de ce chef.

Il ne peut toutefois être contesté que les actes de contrefaçon ici retenus ont été de nature à porter atteinte à la fonction essentielle de sa marque, qui est de garantir l'origine des produits qu'elle commercialise, et ont ainsi contribué à sa dilution.

En revanche, il n'est pas démontré que l'image véhiculé par sa marque s'en serait trouvée ternie, la qualité des produits commercialisés par la société LEA NATURE SERVICES n'étant nullement remise en cause, et ainsi que son pouvoir attractif s'en serait trouvé fortement affaibli.

La société DEBONAIR se verra ainsi allouer la somme de 10 000 euros qu'elle sollicite, en réparation de son préjudice moral, ainsi que la même somme de 10 000 euros, au titre de la perte de la valeur patrimoniale de sa marque.

Le droit d'information

L'article L. 716-4-9 du code de la propriété intellectuelle, appliquant en droit national l'article 8 de la directive 2004/48 relative au respect des droits de propriété intellectuelle, prévoit au bénéfice du demandeur à l'action en contrefaçon un droit d'information en vertu duquel le tribunal peut ordonner, au besoin sous astreinte, afin de déterminer l'origine et les réseaux de distribution des produits argüés de contrefaçon qui portent atteinte aux droits du demandeur, la production de tous documents ou informations détenus par le défendeur ou par toute personne qui a été trouvée en possession de produits argués de contrefaçon ou qui fournit des services utilisés dans de prétendues activités de contrefaçon ou encore qui a été signalée comme intervenant dans la production, la fabrication ou la distribution de ces produits ou la fourniture de ces services.

Le 2ème paragraphe b) de la directive précise que les informations précitées peuvent comprendre des renseignements sur les quantités produites, fabriquées, livrées, reçues ou commandées des marchandises en question.

Au cas précis, la société LEA NATURE SERVICES n'a communiqué aucune information permettant d'identifier l'origine et les réseaux de distribution de ses produits ou d'établir la quantité desdits produits qu'elle a vendus en faisant usage des différents signes "SO'BiO étic", alors que ce sont des éléments dont elle dispose nécessairement.

Aussi, convient-il d'accueillir la demande d'information présentée par la société DEBONAIR, et ce sous astreinte, compte tenu de l'inaction dont a fait preuve la demanderesse.

Les demandes d'interdiction, de retrait, de rappel des circuits et de destruction

Les demandes d'interdiction, de retrait et de rappel des circuits doivent être accueillies dans les conditions qui seront définies au dispositif de cette décision, pour faire cesser l'atteinte portée à la marque de l'Union européenne "SO? ?" no000485078.

En revanche, la mesure de destruction sollicitée, en ce qu'elle apparaît excessive, n'étant pas démontré que la société LEA NATURE SERVICES se trouve dans l'impossibilité de se conformer à la présente décision en modifiant l'étiquetage de ses produits, est rejetée.

La demande de publication

Les dispositions du présent jugement réparant suffisamment le préjudice subi par la société DEBONAIR, sa demande de publication à titre de réparation complémentaire est rejetée.

Les autres demandes

La société LEA NATURE SERVICES, bien qu'ayant vu ses demandes en déchéance prospérer, doit être considérée en définitive comme la partie succombante, dès lors qu'il lui est fait interdiction de faire usage de sa marque française semi-figurative no3 529 601 "SO'BiO étic".

Elle est par conséquent condamnée aux dépens, ainsi qu'à payer à la société DEBONAIR la somme de 15 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

Compte tenu de la nature de l'affaire et de l'ancienneté du litige, il convient d'ordonner l'exécution provisoire de la présente décision, sauf en ce qui concerne les mesures de transcription au registre des marques.

PAR CES MOTIFS

Statuant par décision contradictoire, rendue en premier ressort, par mise à disposition au greffe,

Prononce à l'encontre de la société DEBONAIR Trading Internacional LDA la déchéance, pour défaut d'usage sérieux, de ses droits sur :

- la partie française de sa marque verbale internationale "SO" no 914 901, déposée le 1er mars 2007, et ce pour tous les produits visés à l'enregistrement ;

- sa marque semi-figurative française "SO ?" no 95564050, déposée le 22 mars 1995, et ce pour tous les produits visés à l'enregistrement ;

Dit que la déchéance prend effet au 9 septembre 2019 ;

Ordonne la communication de la présente décision, une fois celle-ci devenue définitive, à l'INPI, à l'initiative de la partie la plus diligente, aux fins d'inscription sur le Registre National des Marques ;

Dit qu'en faisant usage des signes « SO'BIO étic » et notamment de sa marque française semi-figurative no3 529 601 déposée et enregistrée le 5 octobre 2007 pour commercialiser ses produits cosmétiques, la société LEA NATURE SERVICES a commis des actes de contrefaçon de la marque de l'Union européenne "SO? ?" no485078 déposée le 7 mars 1997, dont est titulaire la société DEBONAIR Trading Internacional LDA ;

Ordonne à la société LEA NATURE SERVICES de communiquer tous les documents ou information en sa possession, et notamment des factures, permettant d'identifier les noms et adresses des producteurs, fabricants, distributeurs, fournisseurs et autres détenteurs antérieurs des produits revêtus des signes litigieux, et d'autre part, les quantités produites, commercialisées, livrées, reçues ou commandées, éléments certifiés conformes par un commissaire aux comptes ou un expert-comptable, et ce sous astreinte de 500 euros par jour de retard prenant effet 30 jours après la signification de la présente décision et pendant 180 jours ;

Fait interdiction à la société LEA NATURE SERVICES de poursuivre ses agissements, et ce sur l'ensemble du territoire de l'Union européenne, à quelque titre que ce soit, et en particulier à titre de marque, de nom d'association, et de nom de domaine, sous astreinte 500 euros par infraction constatée prenant effet 30 jours après la signification de la présente décision et pendant 180 jours ;

Ordonne le retrait du marché de tous les articles contrefaisants, et ce sous astreinte de 500 par jour de retard, laquelle prendra effet à l'expiration d'un délai de 15 jours à compter de la signification et pour durée de six mois ;

Ordonne le rappel des circuits commerciaux de tous les articles contrefaisants, et ce sous astreinte de 500 par jour de retard, laquelle prendra effet à l'expiration d'un délai de 15 jours à compter de la signification et pour durée de six mois ;

Se réserve la liquidation de l'astreinte ;

Rejette la demande de destruction des produits litigieux ;

Condamne la société LEA NATURE SERVICES à payer à la société DEBONAIR Trading Internacional LDA la somme de 20 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice résultant des actes de contrefaçon ;

Rejette la demande de transfert de la marque semi-figurative « SO' BIO ETIC » no3 529 601 au bénéfice de la société DEBONAIR Trading Internacional LDA ;

Rejette les demandes de publication du présent jugement ;

Condamne la société LEA NATURE SERVICES à payer à la société DEBONAIR Trading Internacional LDA la somme de 15 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la société LEA NATURE SERVICES aux dépens ;

Admet Maître [T] [P] au bénéfice des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile ;

Ordonne l'exécution provisoire de la présente décision, sauf en ce qui concerne les mesures de transcription au registre des marques.

Fait et jugé à Paris le 03 mars 2022

LA GREFFIERE LE PRESIDENT


Synthèse
Tribunal : Tribunal de grande instance de Paris
Formation : Ct0196
Numéro d'arrêt : 19/9812
Date de la décision : 03/03/2022

Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.grande.instance.paris;arret;2022-03-03;19.9812 ?
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