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22/02/2022 | FRANCE | N°20/10831

France | France, Tribunal de grande instance de Paris, Ct0196, 22 février 2022, 20/10831


TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS

3ème chambre
3ème section

No RG 20/10831 -
No Portalis 352J-W-B7E-CTD2D

No MINUTE :

ORDONNANCE DU JUGE DE LA MISE EN ETAT
rendue le 22 Février 2022

DEMANDEUR

Monsieur [O] [S]
[Adresse 2]
[Localité 3]

représenté par Maître Arnault GROGNARD, avocat au barreau de PARIS, avocat postulan, vestiaire #E1281 et par Maître Quentin MOUTIER, avocat au barreau de TOURS, avocat plaidant

DEFENDERESSE

Société REAL GAMES
[Adresse 4]
[Localité 1])

représentée par M

aître Olivier SAMYN de l'AARPI LMT AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #R0169

MAGISTRAT DE LA MISE EN ETAT

Arthur COURILLON-HAVY, juge...

TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS

3ème chambre
3ème section

No RG 20/10831 -
No Portalis 352J-W-B7E-CTD2D

No MINUTE :

ORDONNANCE DU JUGE DE LA MISE EN ETAT
rendue le 22 Février 2022

DEMANDEUR

Monsieur [O] [S]
[Adresse 2]
[Localité 3]

représenté par Maître Arnault GROGNARD, avocat au barreau de PARIS, avocat postulan, vestiaire #E1281 et par Maître Quentin MOUTIER, avocat au barreau de TOURS, avocat plaidant

DEFENDERESSE

Société REAL GAMES
[Adresse 4]
[Localité 1])

représentée par Maître Olivier SAMYN de l'AARPI LMT AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #R0169

MAGISTRAT DE LA MISE EN ETAT

Arthur COURILLON-HAVY, juge
assisté de Lorine MILLE, greffière

DEBATS

A l'audience du 09 décembre 2021, avis a été donné aux avocats que l'ordonnance serait rendue 08 février 2022, prorogée au 22 février 2022.

ORDONNANCE

Prononcée publiquement par mise à disposition au greffe
Contradictoire
En premier ressort

Exposé du litige

1.M. [O] [S], qui a créé avec M. [W] [G] un jeu vidéo divulgué en 2014 et intitulé « Real drift car racing », reproche à la société de droit italien Real games, dont l'associé unique et le dirigeant est M. [G], d'avoir cessé de lui payer les redevances qu'il estime dues au titre de l'exploitation du jeu en vertu d'un contrat de licence « tacite », à hauteur de la moitié des « recettes ».

2.Après plusieurs échanges entre les parties au cours des années 2017 à 2020, M. [S] a, le 7 septembre 2020, assigné la société Real games en paiement de redevances et dommages et intérêts, subsidiairement dommages et intérêts et cessation de la commercialisation du jeu pour contrefaçon de droits d'auteur. Le juge de la mise en état a proposé, le 12 mars 2021, une médiation aux parties, mais constaté le 21 mai que cela n'avait pas abouti.

3.Par conclusions du 8 juillet 2021, la société Real games a soulevé la nullité de l'assignation et l'incompétence des juridictions françaises.

4.Dans ses dernières conclusions d'incident signifiées par voie électronique le 21 octobre 2021, la société Real games soulève la nullité de l'assignation, l'incompétence du présent tribunal au profit des juridictions italiennes, l'irrecevabilité de l'action en contrefaçon, et demande de réserver les dépens.

5.Contre l'assignation, elle fait valoir que n'y est mentionné qu'un avocat du barreau de Tours et non un avocat ayant la capacité de postuler devant le tribunal de Paris, ce qui est une irrégularité de fond ; et que le bordereau de communication de pièces annexé à l'assignation mentionnait seulement 17 pièces, avec certaines pièces indiquées comme « réservées », alors que les développements de l'assignation en mentionneraient 21.

6.Contre la compétence des juridictions françaises, elle soutient en substance que si la juridiction compétente peut être, par exception, celle du lieu d'exécution de l'obligation qui sert de base à la demande, à savoir selon le demandeur l'obligation de payer des redevances, la règle de conflit de loi applicable désignerait néanmoins la loi italienne, que le demandeur échouerait à identifier, de sorte qu'il faudrait en revenir au critère de principe du domicile du défendeur ; qu'en tout état de cause, les juridictions françaises seraient incompétentes lorsque le litige présente des liens plus étroits avec un autre État, tel que l'Italie en l'espèce selon elle, car le cocréateur du jeu vidéo y réside et car c'est elle qui, située également en Italie, exploite ce jeu.

7.Contre la compétence française invoquée au titre de la demande subsidiaire en contrefaçon au regard du lieu du dommage subi, elle oppose d'une part le fait que l'assignation, qui fixerait le périmètre du litige et ne pourrait être modifiée, ne contient pas cette justification ; d'autre part le fait que cette justification, en ce qu'elle repose sur l'accessibilité de sites ou d'applications internet, s'apparenterait à une compétence universelle rendant en outre impossible l'individualisation du dommage précisément subi sur le territoire, ce qui conduirait le présent tribunal à rejeter systématiquement le critère de la seule accessibilité.

8.Contre la recevabilité des demandes, elle invoque le régime de l'indivision, M. [S] ne pouvant agir seul, selon elle, pour solliciter des redevances sur une oeuvre dont il n'est que co-auteur.

9.Dans ses dernières conclusions signifiées par voie électronique le 1er décembre 2021, M. [O] [S] demande de rejeter les exceptions et la fin de non-recevoir et réclame 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

10.Sur l'assignation, il expose que l'absence de mention d'un avocat pouvant représenter le demandeur devant la juridiction saisie est une irrégularité de fond régularisable en vertu de l'article 121 du code de procédure civile. S'agissant des pièces, il affirme que l'assignation ne viserait que 15 pièces, toutes énumérées au bordereau, et que les autres numéros de celui-ci ne seraient que des numéros « réservés » dont l'objectif est seulement de renoncer à se prévaloir de certaines pièces sans refondre sa numérotation, ce qui ne serait pas interdit ; que la communication tardive de pièces n'est pas une cause de nullité ; enfin que si les pièces 1 et 21 ont été omises dans le bordereau, cela a été régularisé.

11.Sur la compétence, outre que selon lui la désignation des « juridictions italiennes » est insuffisamment précise, il se prévaut de l'article 7, paragraphe 1, sous a) du règlement 1215/2012 sur la compétence, dit « Bruxelles 1 bis », donnant compétence, en matière contractuelle, à la juridiction du lieu d'exécution de l'obligation qui sert de base à la demande, c'est-à-dire en l'espèce, dit-il, l'obligation en paiement des redevances en vertu du contrat de licence tacite, lieu qui, selon la jurisprudence Tessili, doit être déterminé, en application de la règle de conflit de loi du for, laquelle résulte, en France, du règlement 593/2008 sur la loi applicable, dit « Rome I » en application duquel le contrat est régi par la loi du pays dans lequel la partie qui doit fournir la prestation caractéristique a sa résidence habituelle ; à ce titre il conteste le critère de rattachement selon les liens les plus étroits invoqué par la défenderesse. Il en déduit que la prestation caractéristique étant en l'espèce le transfert des droits d'auteur par lui-même, la loi française est applicable, et que si le principe à la date de conclusion du contrat était que l'obligation en paiement était quérable, la pratique des parties pouvait y déroger, comme en l'espèce selon lui, où les paiements ont eu lieu en France par virement sur son compte bancaire. Il ajoute qu'en toute hypothèse la loi italienne prévoit que le paiement d'une somme d'argent se fait au domicile du créancier.

12.Subsidiairement, il estime le présent tribunal compétent pour statuer sur sa demande subsidiaire en contrefaçon, au titre du lieu de la matérialisation du dommage allégué,

13.Il estime enfin ses demandes recevable en ce qu'il agit en son nom et non pour le compte de l'indivision, et que sa création est individualisable par rapport à celle du co-auteur ; subsidiairement que l'indivisaire est autorisé à agir seul pour la défense de ses droits indivis et qu'une action en contrefaçon visant des droits indivis est un acte de conservation pouvant être accompli seul.

14.L'incident a été entendu le 9 décembre et la décision mise en délibéré.

MOTIFS

1o) Validité de l'assignation

15.En vertu de l'article 114 du code de procédure civile, la nullité des actes de procédure ne peut être prononcée pour une irrégularité de forme qu'à charge pour l'adversaire qui l'invoque de prouver le grief que lui cause l'irrégularité. En revanche, l'article 119 dispose que sont accueillies sans besoin d'un grief les exceptions de nullité fondées sur l'inobservation des règles de fond, lesquelles sont limitativement énumérées à l'article 117 (Cass. Ch. mixte, 7 juillet 2006, no03-20.026), et parmi lesquelles figure le défaut de capacité ou de pouvoir d'une personne assurant la représentation d'une partie en justice. L'article 121 précise néanmoins que dans les cas où elle est susceptible d'être couverte, la nullité ne sera pas prononcée si sa cause a disparu au moment où le juge statue.

16.Or, si le défaut de constitution d'un avocat pouvant postuler devant la juridiction saisie est qualifié de défaut de pouvoir d'une personne assurant la représentation d'une partie en justice au sens de l'article 117, cette irrégularité est susceptible d'être couverte avant que le juge statue (Cass. 2e Civ., 6 juin 2019, no18-10.480, cité par M. [S]).

17.Tel est le cas en l'espèce où malgré l'absence de mention, dans l'assignation, d'un avocat pouvant postuler devant le tribunal de Paris, un avocat inscrit au barreau de cette ville s'est depuis constitué pour représenter M. [S], et est mentionné dans les actes postérieurs. La nullité invoquée n'est donc pas encourue à ce titre.

18.Quant au bordereau de pièces, la défenderesse estime seulement que l'irrégularité de forme qu'elle allègue n'a pas été régularisée car les bordereaux ultérieurs diffèrent du bordereau initial, et car certaines pièces sont toujours « réservées », ce qui reviendrait pour le demandeur à empêcher un débat contradictoire en refusant de communiquer l'intégralité de ses pièces. Mais d'une part la modification du bordereau n'est pas une irrégularité si elle permet de corriger une erreur du bordereau initial, comme en l'espèce ; d'autre part la mention de numéros qui ne correspondent à aucune pièce n'est pas interdite et ne porte pas atteinte au principe de la contradiction, le défendeur ne se voyant opposer aucune preuve non identifiée (puisque précisément il s'agit de numéros de pièces qui ne lui sont pas opposées) et le demandeur n'étant pas tenu d'invoquer l'intégralité des pièces qu'il a pu auparavant produire ou projeté de produire, sauf pour le défendeur à les lui réclamer par les voies appropriées. La nullité n'est donc pas davantage encourue à ce titre.

2o) Compétence

a. sur la demande principale, compétence spéciale du lieu d'exécution de l'obligation qui sert de base à la demande

Cadre juridique et obligation en cause

19.Le règlement 1215/2012 du 12 décembre 2012 sur la compétence judiciaire (...), dit Bruxelles I bis, prévoit par principe, à son article 4 que les personnes domiciliées sur le territoire d'un État membre sont attraites devant les juridictions de cet État, compétence générale à laquelle peuvent toutefois s'ajouter, en vertu des sections 2 à 7, des compétences spéciales, dont celle que l'article 7, paragraphe 1, prévoit dans les termes suivants :

« Une personne domiciliée sur le territoire d'un État membre peut être attraite dans un autre État membre:

1) a) en matière contractuelle, devant la juridiction du lieu d'exécution de l'obligation qui sert de base à la demande;

b) aux fins de l'application de la présente disposition, et sauf convention contraire, le lieu d'exécution de l'obligation qui sert de base à la demande est:

? pour la vente de marchandises, le lieu d'un État membre où, en vertu du contrat, les marchandises ont été ou auraient dû être livrées,

? pour la fourniture de services, le lieu d'un État membre où, en vertu du contrat, les services ont été ou auraient dû être fournis;

c) le point a) s'applique si le point b) ne s'applique pas; »

20.Interprétant les dispositions en substance identiques du règlement 44/2001 remplacé par le règlement 1215/2012, la Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit qu'un contrat, par lequel le titulaire d'un droit de propriété intellectuelle concède à son cocontractant le droit de l'exploiter en contrepartie du versement d'une rémunération, n'est pas un contrat de fourniture de services au sens de cette disposition (le point b) ne s'applique donc pas), et qu'afin de déterminer, en application du point a), la juridiction compétente pour connaître d'une demande de paiement de la rémunération due en vertu d'un tel contrat, il convient de continuer à se référer aux principes issus de la jurisprudence de la Cour portant sur l'article 5, point 1, de la convention du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale (CJCE, 23 avril 2009, Falco, C-533/07, dispositif points 1 et 2).

21.L'obligation servant de base à la demande est celle dont l'exécution est recherchée par le demandeur, soit en l'espèce l'obligation de paiement des redevances fondées sur le contrat de licence (tacite) allégué.

Lieu d'exécution

22.S'agissant de la notion de « lieu d' exécution », la Cour a dit pour droit qu' il revient au juge saisi d'établir, en vertu de la convention, si le lieu où l'obligation a été ou doit être exécutée est localisé dans le domaine de sa compétence territoriale et qu'à cet effet il doit déterminer, en vertu de ses propres règles de conflit, quelle est la loi applicable au rapport juridique en cause et définir, conformément à cette loi, le lieu d'exécution de l'obligation contractuelle litigieuse (voir notamment CJCE, 6 octobre 1976, Tessili, aff. 12/76, point 13 ; et CJCE, 29 juin 1994, Custom Made Commercial, C-288/92).

23.La règle de conflit dépend, pour les conventions conclues à partir du 17 décembre 2009, comme celle en cause, du règlement 593/2008 du 17 juin 2008 sur la loi applicable aux obligations contractuelles, dit Rome I, qui prévoit la loi applicable à défaut de choix à son article 4, dont le paragraphe 1 vise des types de contrat qui ne sont pas applicables au contrat de licence de droits d'auteur, et dont les paragraphes suivants, qui régissent les autres cas, sont ainsi rédigés :

« 2. Lorsque le contrat n'est pas couvert par le paragraphe 1 ou que les éléments du contrat sont couverts par plusieurs des points a) à h) du paragraphe 1, le contrat est régi par la loi du pays dans lequel la partie qui doit fournir la prestation caractéristique a sa résidence habituelle.

3. Lorsqu'il résulte de l'ensemble des circonstances de la cause que le contrat présente des liens manifestement plus étroits avec un pays autre que celui visé au paragraphe 1 ou 2, la loi de cet autre pays s'applique.

4. Lorsque la loi applicable ne peut être déterminée sur la base du paragraphe 1 ou 2, le contrat est régi par la loi du pays avec lequel il présente les liens les plus étroits. »

24.Le demandeur en l'espèce invoque un contrat entre deux parties, lui-même et la société Real games, emportant concession à cette société des droits qu'il détient sur le jeu vidéo. La prestation caractéristique de ce contrat est donc cette concession, qui est fournie par M. [S], dont il est constant qu'il a sa résidence habituelle en France, de sorte que la loi française est applicable.

25.Or en droit français, pour les conventions conclues avant le 1er octobre 2016, si le paiement est fait par principe au domicile du débiteur, les parties peuvent y déroger, ce qui est le cas lorsque le paiement est fait par virement bancaire international sur le compte du bénéficiaire, dont l'exécution se réalise au lieu où ce compte est crédité (Cass. 1re Civ., 22 février 2005, no02-14.758). En l'espèce les paiements ont été virés sur le compte de M. [S] ouvert dans une banque à [Localité 5], en France (pièce [S] no3 pp. 25-55).

26.Par conséquent, le lieu d'exécution de l'obligation servant de base à la demande, au sens de l'article 7, paragraphe 1, sous a) du règlement 1215/2012 étant à Tours, la juridiction de ce lieu est compétente, c'est-à-dire, parmi les juridictions françaises, le tribunal judiciaire de Paris, dès lors qu'est invoqué un droit d'auteur et que Tours relève, en cette matière, de ce tribunal, en application du tableau IV annexé à l'article D. 311-1 et du tableau VI annexé à l'article D. 211-6-1 du code de l'organisation judiciaire).

b. sur la demande subsidiaire, compétence limitée au dommage causé en France

27.Le défendeur conteste également la compétence du présent tribunal quant à la demande subsidiaire en contrefaçon formée par M. [S]. Toutefois, contrairement à ce qu'il affirme de manière péremptoire, le débat sur la compétence, tout comme le débat sur le fond au demeurant, n'est pas « fixé » par l'assignation, et rien n'interdit qu'il soit « modifié pour justifier a posteriori la compétence de la juridiction saisie », le principe de la contradiction imposant, au contraire, que chaque partie puisse répondre aux moyens de l'autre, ce qui a été fait en l'espèce par les conclusions d'incident.

28.L'article 7, paragraphe 2 du règlement 1215/2012 sur la compétence judiciaire, dit Bruxelles I bis, prévoit, au-delà de la compétence de principe du domicile du défendeur, qu'une personne domiciliée sur le territoire d'un État membre peut être attraite dans un autre État membre, en matière délictuelle ou quasi délictuelle, devant la juridiction du lieu où le fait dommageable s'est produit ou risque de se produire.

29.Cette règle de compétence est fondée sur l'existence d'un lien de rattachement particulièrement étroit entre la contestation et les juridictions du lieu où le fait dommageable s'est produit ou risque de se produire, qui justifie une attribution de compétence à ces dernières pour des raisons de bonne administration de la justice et d'organisation utile du procès (voir par exemple CJUE, 16 mai 2013, Melzer, C-228/11, point 26).

30.Selon la jurisprudence constante de la Cour de justice de l'Union européenne, ce lieu s'entend soit du lieu de la matérialisation du dommage, soit du lieu de l'évènement causal qui est à l'origine de ce dommage ; le lieu de la matérialisation du dommage s'entend de celui où le dommage allégué se manifeste concrètement (CJUE, 12 septembre 2018, Löber, C–304/17, point 27 et jurisprudence citée), et non de tout lieu où peuvent être ressenties les conséquences préjudiciables d'un fait ayant causé un dommage effectivement survenu dans un autre lieu (même arrêt, point 23, et CJCE, 19 septembre 1995, [I], C-364/93, point 14), ni, en particulier, le lieu où se trouve le centre du patrimoine du demandeur au seul motif qu'il y aurait subi un préjudice financier (CJCE, 10 juin 2004, Kronhofer, C-168/02, dispositif). Enfin, il peut varier en fonction de la nature du droit prétendument violé (CJUE, 3 octobre 2013, Pinckney, C-170/12, point 32).

31.Ainsi, en cas d'atteinte alléguée à des droits patrimoniaux d'auteur au moyen d'une mise à disposition de l'oeuvre sur l'internet, il résulte du principe de territorialité du droit d'auteur ainsi que de l'objectif recherché par la règle de compétence, rappelé ci-dessus au point 28, que la juridiction saisie est compétente du seul fait que l'État membre dans lequel elle se trouve protège les droits patrimoniaux dont le demandeur se prévaut et que le dommage allégué risque de se matérialiser dans son ressort ; mais que cette juridiction n'est compétente que pour connaitre du dommage causé sur le territoire dont elle relève (CJUE, 3 octobre 2013, Pinckney, C-170/12, points 39 à 47).

32.Le dommage, en l'espèce, se manifeste concrètement par le téléchargement non-autorisé du jeu par le public, ce qui se produit en chaque lieu où est le jeu est accessible, donc, entre autres, en France.

33.Il en résulte que le tribunal de Paris est compétent pour connaitre des demandes en contrefaçon des droits d'auteur allégués sur le jeu vidéo en cause, mais uniquement pour le dommage causé en France, à l'exclusion du dommage caractérisé par les usages du jeu réalisés dans d'autres territoires.

3o) fin de non recevoir tirée du régime de l'indivision

34.Tout indivisaire peut agir seul en justice pour la défense de ses droits indivis (Cass. 1re Civ., 6 mai 2009, no07-20.635). Tel est le cas de celui qui agit en paiement contre la société par laquelle son co-indivisaire exploite le bien indivis. La demande est donc recevable.

4o) Frais

35.Aux termes de l'article 696 du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n'en mette la totalité ou une fraction à la charge d'une autre partie. L'article 700 du même code permet au juge de condamner en outre la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l'autre, pour les frais exposés mais non compris dans les dépens, une somme qu'il détermine, en tenant compte de l'équité et de la situation économique de cette partie.

36.L'instance n'étant pas éteinte, il n'y a pas lieu à décision sur les dépens, mais l'équité permet de condamner la société Real games, qui perd l'incident, à indemniser le demandeur pour les frais exposés à cette occasion.

PAR CES MOTIFS

Le juge de la mise en état, statuant publiquement en premier ressort par ordonnance contradictoire mise à disposition au greffe,

Écarte l'exception de nullité de l'assignation ;

Déclare le tribunal judiciaire de Paris compétent pour connaitre des demandes fondées sur l'obligation de paiement de redevances par la société Real games ;

Déclare le tribunal judiciaire de Paris compétent pour connaitre des demandes subsidiaires fondées sur l'atteinte aux droits d'auteur de M. [S] sur le jeu vidéo en cause, mais seulement au regard du dommage causé en France ;

Écarte la fin de non-recevoir tirée du régime de l'indivision ;

Condamne la société Real games à payer 2 000 euros à M. [S] pour les frais de l'incident au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Renvoie l'affaire à la mise en état (dématérialisée) du 19 mai 2022 ;

Enjoint à la société Real games de conclure au fond avant cette date.

Faite et rendue à Paris le 22 Février 2022

La GreffièreLe Juge de la mise en état


Synthèse
Tribunal : Tribunal de grande instance de Paris
Formation : Ct0196
Numéro d'arrêt : 20/10831
Date de la décision : 22/02/2022

Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.grande.instance.paris;arret;2022-02-22;20.10831 ?
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