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03/02/2022 | FRANCE | N°19/8438

France | France, Tribunal de grande instance de Paris, Ct0196, 03 février 2022, 19/8438


TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS

3ème chambre
1ère section

No RG 19/08438
No Portalis 352J-W-B7D-CQJ45

No MINUTE :

Assignation du :
28 juin 2019

JUGEMENT
rendu le 03 février 2022

DEMANDERESSE

Société CRESCENTIAL
[Adresse 3]
[Adresse 2]
SCHAERBEEK (BELGIQUE)

représentée par Me Fabien STADE, avocat au barreau de PARIS, avocat postulant, vestiaire #E1502 et Me Nicolas MEYER de la SELARL LEONEM, avocat au barreau de STRASBOURG, avocat plaidant

DÉFENDERESSE

Société OKATENT
[Adresse 4]<

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[Localité 1] (ESPAGNE)

représentée par Me Tania KERN de l'AARPI KERN et WEYL, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #P0291

COMPOSITI...

TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS

3ème chambre
1ère section

No RG 19/08438
No Portalis 352J-W-B7D-CQJ45

No MINUTE :

Assignation du :
28 juin 2019

JUGEMENT
rendu le 03 février 2022

DEMANDERESSE

Société CRESCENTIAL
[Adresse 3]
[Adresse 2]
SCHAERBEEK (BELGIQUE)

représentée par Me Fabien STADE, avocat au barreau de PARIS, avocat postulant, vestiaire #E1502 et Me Nicolas MEYER de la SELARL LEONEM, avocat au barreau de STRASBOURG, avocat plaidant

DÉFENDERESSE

Société OKATENT
[Adresse 4]
PISO 3 PTA 1
[Localité 1] (ESPAGNE)

représentée par Me Tania KERN de l'AARPI KERN et WEYL, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #P0291

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Gilles BUFFET, Vice -président
Laurence BASTERREIX, Vice-Présidente
Alix FLEURIET, Juge

assistés de Caroline REBOUL, Greffière

DEBATS

A l'audience du 15 novembre 2021 tenue en audience publique, avis a été donné aux avocats que le jugement serait rendu le 20 janvier 2022.
Le délibéré a été prorogé au 03 février 2022.

JUGEMENT

Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe
Contradictoire
En premier ressort

La société de droit belge CRESCENTIAL a pour activités la fabrication et la conception de structures métalliques pour un usage temporaire ou permanent.

La société de droit espagnol OKATENT a pour objet la fabrication, la vente et la location de pavillons, de tentes, d'estrades, d'éléments publicitaires et de toutes sortes de structures démontables et d'architecture textile, leurs accessoires ainsi que leur installation et démontage.

La société SPANTECH FRANCE a déposé le 9 octobre 2009 une demande de brevet français intitulé "Poutre treillis repliable, ferme et construction incluant une telle poutre", lequel a été délivré le 18 juillet 2014 sous le noFR 09 57088, et publié sous le no2 951 207.

Ce brevet a pour objet l'invention d'une poutre treillis préassemblée caractérisée en ce qu'elle est essentiellement constituée par une membrure inférieure et une membrure supérieure reliées entre elles par au moins une diagonale fixée de façon à pouvoir pivoter, entre une position de transport et une position de montage et en ce qu'elle présente au moins un montant fixe reliant les membrures inférieure et supérieure à angle droit dans ladite position de montage ainsi qu'une ferme de toiture pour un édifice comprenant une pluralité de telles poutres.

Par acte du 13 juin 2013, la société SPANTECH FRANCE a cédé l'intégralité des droits de propriété et de jouissance qu'elle détenait sur ce brevet à la société CRESCENTIAL.

La société CRESCENTIAL fait valoir que cette invention a vocation à trouver une application fondamentale dans le cadre de son activité, dès lors qu'elle permet de mettre en oeuvre des constructions fixes ou provisoires, facilement démontables, transportables et remontables tels que des chapiteaux et autres structures modulaires.

Le 6 octobre 2010, la société SPANTECH FRANCE a déposé une demande de brevet européen, sous priorité du brevet français FR 09 57088, intitulé :"Poutre treillis repliable, ferme et construction incluant une telle poutre", dont la date de publication de la délivrance est intervenue le 9 septembre 2015, sous le noEP 2 486 199 B1.

Les droits sur ce brevet ont été transmis à la société CRESCENTIAL qui en est devenue titulaire.

La société CRESCENTIAL fait valoir qu'elle a découvert que la société TENNIS PADDLE CLUB DE BEAUSOLEIL, laquelle est gérée par la société TENNIS SOLEIL, exploitait, sans son autorisation, l'invention protégée par le brevet.

Par ordonnance rendue sur le fondement des articles 145 et 493 du code de procédure civile le 6 juillet 2018, le délégataire du président du tribunal de grande instance de Nice a, constatant que la société CRESCENTIAL justifiait d'un intérêt à solliciter non contradictoirement l'autorisation de faire procéder à un constat par voie d'huissier de justice sur le site de l'entreprise TENNIS SOLEIL, dès lors qu'il existait une présomption caractérisée de contrefaçon de l'invention poutre treillis, objet du brevet FR 09 57088, autorisé cette société à mandater la SCP LILAMAND-TOSELLO, huissier de justice, avec pour mission de se rendre au siège social de la société TENNIS SOLEIL, se faire remettre tout document technique et contractuel permettant d'identifier l'auteur de la structure employant la poutre treillis brevetée et de constater et décrire les caractéristiques techniques de la structure au regard des figures no2, 3a et 3b annexées au brevet.

En exécution de cette ordonnance, un procès-verbal de constat a été dressé le 24 juillet 2018.

La société CRESCENTIAL indique que la structure métallique utilisée par la société TENNIS SOLEIL, qui contreferait le brevet, a été fabriquée et installée par la société OKATENT.

Par exploit d'huissier de justice du 28 juin 2019, la société CRESCENTIAL a fait assigner la société OKATENT devant le tribunal de grande instance de Paris, devenu le tribunal judiciaire de Paris le 1er janvier 2020, en contrefaçon du brevet FR 09 57088.

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 3 juin 2021, la société CRESCENTIAL demande au tribunal de :

Vu les articles 4 et 7-2 du Règlement (UE) No 1215/2012 du Parlement Européen et du Conseil du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale,
Vu l'article 8 du Règlement (CE) no 864/2007 du Parlement Européen et du Conseil du 11 juillet 2007, sur la loi applicable aux obligations non contractuelles,
Vu l'article D. 211-6 du Code d'organisation judiciaire,
Vu l'article L. 611-2, L. 613-3, L 613-4, L. 615-1, L. 615-7-1 du Code de la propriété intellectuelle,
Vu les articles 1240 et 1241 du Code civil,

JUGER la demande recevable et bien fondée.

Y FAIRE DROIT

Sur l'action en contrefaçon :

DIRE ET JUGER que les agissements de la Société OKATENT sont constitutifs d'un acte de contrefaçon au sens de l'article L. 613-3 du Code de la propriété intellectuelle.

Par conséquent :

CONDAMNER la Société OKATENT d'avoir à payer à la Société CRESCENTIAL les sommes de :
- 148.776,00 euros TTC au titre du manque à gagner ;
- 14.877,60 euros TTC, au titre des redevances manquées ;
- 50.000,00 euros en indemnisation du préjudice moral.

ORDONNER la publication du jugement à intervenir sur la page d'accueil du site internet de la défenderesse (https://www.okatent.com), pendant le délai de 6 mois à compter de la date du jugement, le format de publication ne pouvant être inférieur à 15 cm sur 15 cm.

ORDONNER la destruction du matériel ayant servi à réaliser la contrefaçon.

ORDONNER la confiscation des objets contrefaits au profit de la Société CRESCENTIAL.

PRONONCER l'interdiction de poursuivre la fabrication, l'offre, la mise dans le commerce, l'utilisation, l'importation, l'exportation, le transbordement, ou la détention aux fins précitées du produit contrefait, sous astreinte de 500,00 euros par jour de retard, 8 jours à compter de la signification du jugement à intervenir.

Sur l'action en concurrence déloyale :

DIRE ET JUGER que la responsabilité civile de la Société OKATENT est engagée du fait du parasitisme commercial.

CONDAMNER la Société OKATENT d'avoir à payer à la Société CRESCENTIAL les sommes de :

- 148.776,00 euros en indemnisation du préjudice matériel ;
- 50.000,00 euros en indemnisation du préjudice moral.

ORDONNER la publication du jugement à intervenir sur la page d'accueil du site internet de la défenderesse (https://www.okatent.com), pendant le délai de 6 mois à compter de la date du jugement, le format de publication ne pouvant être inférieur à 15 cm sur 15 cm.

ORDONNER la destruction du matériel imitant celui de la Société CRESCENTIAL.

PRONONCER l'interdiction de poursuivre la fabrication, l'offre, la mise dans le commerce, l'utilisation, l'importation, l'exportation, le transbordement, ou la détention aux fins précitées du produit imité, sous astreinte de 500,00 euros par jour de retard, 8 jours à compter de la signification du jugement à intervenir.

Sur la demande reconventionnelle de la Société OKATENT :

JUGER la demande reconventionnelle de la Société OKATENT irrecevable et mal fondée.

DEBOUTER la Société OKATENT de l'ensemble de ses fins et prétentions dirigées à l'égard de la Société CRESCENTIEL.

DEBOUTER la Société OKATENT de sa demande d'assortir les éventuelles condamnations qui pourraient être prononcées à l'encontre de la Société CRESCENTIAL de l'exécution provisoire.

En tout état de cause :

CONDAMNER la Société OKATENT d'avoir à payer à la Société CRESCENTIAL la somme de 10.000,00 euros par application de l'article 700 du Code de procédure civile.

CONDAMNER la Société OKATENT aux entiers frais et dépens de l'instance.

ASSORTIR le jugement à intervenir de la clause exécutoire par provision, concernant les condamnations qui seront prononcées à l'encontre de la Société OKATENT.

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 17 mai 2021, la société OKATENT demande au tribunal de :

Vu les articles 145, 493 et 495 du Code de procédure civile,

Vu les articles L.614-13, L.615-5 du Code de la propriété intellectuelle,

Vu la requête et l'ordonnance du 4 juillet 2018 et le procès-verbal de constat du 24 juillet 2018,

- Juger que la société CRESCENTIAL est irrecevable à agir en contrefaçon du brevet FR 09 57088 ;

- Prononcer la nullité du procès-verbal de constat du 24 juillet 2018 ;

- Ecarter des débats les pièces CRESCENTIAL no1, 8, 9, 10, 11, 12, 13 et 14 ;

- Dire et juger que la société OKATENT n'a commis aucun acte de concurrence déloyale ou parasitaire à l'encontre de la société CRESCENTIAL ;

A titre subsidiaire :

- Juger que la société CRESCENTIAL n'apporte pas la preuve des faits allégués ;

- Dire et juger que l'installation OKATENT litigieuse ne reproduit pas les revendications du brevet FR 09 57088 ;

- Dire et juger que la société OKATENT n'a commis aucun acte de contrefaçon à l'encontre de la société CRESCENTIAL ;

A titre reconventionnel :

- Dire et juger que la société CRESCENTIAL a commis des actes de concurrence déloyale à l'encontre de la société OKATENT ;

- Condamner la société CRESCENTIAL à payer à la société OKATENT la somme de 20 000 euros du fait des actes de concurrence déloyale ;

En tout état de cause :

- Débouter la société CRESCENCIAL de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions;

- Condamner la société CRESCENTIAL à payer à la société OKATENT la somme de 35 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- Condamner la société CRESCENTIAL aux entiers dépens, dont distraction au profit de Maître Tania Kern, Avocat au Barreau de Paris.

La clôture de l'instruction a été prononcée par ordonnance du 8 juin 2021.

Le présent jugement est contradictoire.

MOTIFS DU JUGEMENT :

Sur la recevabilité de l'action en contrefaçon de brevet de la société CRESCENTIAL :

La société OKATENT fait valoir que la société CRESCENTIAL est irrecevable en son action en contrefaçon du brevet FR 09 57088.

La société OKATENT expose qu'en application de l'article L.614-13 alinéa 1er du code de la propriété intellectuelle, le brevet FR 09 57088 a cessé de produire ses effets à compter du 9 juin 2016, date à laquelle, en raison de l'expiration du délai d'opposition, le brevet EP 2 486 199 est devenu irrévocable et s'est substitué au brevet FR 09 57088, de sorte que ce dernier brevet ne peut servir de fondement à une action en contrefaçon, les faits reprochés au titre de la contrefaçon étant postérieurs à la date d'effet de la substitution des brevets.

La société OKATENT fait valoir que l'extinction du brevet EP 2 486 199 postérieure à la date de substitution opérée à laquelle la délivrance du brevet européen est devenue irrévocable est sans effet sur la déchéance du brevet français. Elle soutient qu'un brevet ne cesse de produire ses effets à la suite du non-paiement d'une annuité qu'à partir de la date de décision du directeur de l'INPI constatant la déchéance du brevet et non la date de défaut de paiement de ses annuités. Elle rappelle que la partie française du brevet EP 2 486 199 a été déchue pour défaut de paiement des annuités auprès de l'INPI par décision du directeur de l'INPI constatant la déchéance le 30 juin 2016 et fait valoir que c'est la date de cette décision qui doit être prise en compte pour déterminer si une substitution entre les brevets français et européen est intervenue. La société OKATENT indique que la décision de constatation de déchéance du volet français du brevet européen intervenue le 30 juin 2016 est postérieure à la date de délivrance irrévocable du brevet européen le 9 juin 2016 à laquelle la substitution des brevets est intervenue, que le brevet français a cessé de produire tout effet et que la décision de constatation de déchéance du volet français du brevet européen n'a pu affecter la substitution de ce dernier au brevet français intervenue antérieurement, le fait que la décision de constatation de la déchéance du directeur de l'INPI de la partie française du brevet EP 2 486 199 pour défaut de paiement des annuités a un effet rétroactif à la date du non-paiement de l'annuité, en l'espèce au 31 octobre 2015, n'ayant aucun effet sur le sort du brevet FR 09 57088 définitivement déchu depuis le 9 juin 2016. La société OKATENT conclut que la cessation du brevet français est définitive et ne peut renaître même si le brevet européen disparaît par la suite d'une cause quelconque, étant ajouté que la société CRESCENTIAL n'a jamais renoncé au volet français du brevet européen, la renonciation à un brevet étant strictement encadrée par l'article R.613-45 du code de la propriété intellectuelle et devant faire l'objet d'une requête en ce sens.

La société CRESCENTIAL réplique qu'elle est recevable en ses demandes au titre du brevet FR 09 57088.

Elle fait valoir, en premier lieu, que la déchéance des droits afférents au volet français du brevet européen est intervenue avant l'expiration du délai d'opposition de 9 mois, la déchéance prenant effet à la date d'échéance de la redevance annuelle non acquittée conformément à l'article L.613-22 du code de la propriété intellectuelle, l'extinction des droits attachés au volet français du brevet européen étant survenue le 9 novembre 2015, pour défaut de paiement de la sixième annuité. Le délai de six mois accordé au bénéficiaire du brevet pour régulariser la situation d'impayé est échu le 9 mai 2016, tandis que la date d'expiration du délai d'opposition au brevet européen est le 10 juin 2016. La société CRESCENTIAL conclut qu'au moment où le brevet européen est devenu irrévocable, il ne comportait pas de volet français et que le brevet européen n'a pas valablement substitué le brevet français.

La société CRESCENTIAL indique, en second lieu, qu'elle a renoncé, par des actes positifs et non équivoques, au volet français du brevet européen, dans la mesure où elle ne s'est pas acquittée des annuités qui y étaient relatives, cette renonciation étant intervenue avant que le brevet européen ne devienne définitif, le délai de grâce de six mois pour régulariser l'annuité impayée du mois de novembre 2015 ayant expiré le 9 mai 2016.

La société CRESCENTIAL fait valoir, enfin, qu'elle paye toujours les annuités relatives au brevet français, s'étant vue délivrer un certificat d'utilité du 7 décembre 2018.

Sur ce :

L'article 31 du code de procédure civile dispose que l'action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d'une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d'agir aux seules personnes qu'elle qualifie pour élever ou combattre une prétention, ou pour défendre un intérêt déterminé, tandis que l'article 122 dudit code prévoit que constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d'agir, tel le défaut de qualité, le défaut d'intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée.

Aux termes de l'article L.614-13 du code de la propriété intellectuelle, dans la mesure où un brevet français couvre une invention pour laquelle un brevet européen a été délivré au même inventeur ou à son ayant cause avec la même date de dépôt ou de priorité, le brevet français cesse de produire ses effets soit à la date à laquelle le délai prévu pour la formation de l'opposition au brevet européen est expiré sans qu'une opposition ait été formée, soit à la date à laquelle la procédure d'opposition est close, le brevet européen ayant été maintenu.
Toutefois, lorsque le brevet français a été délivré à une date postérieure à l'une ou l'autre, selon le cas, de celles qui sont fixées à l'alinéa précédent, ce brevet ne produit pas d'effet.
L'extinction ou l'annulation ultérieure du brevet européen n'affecte pas les dispositions prévues au présent article.

En l'espèce, le brevet FR 09 57088 a été déposé le 9 octobre 2009, tandis que le brevet EP 2 486 199 a été déposé le 6 octobre 2010 sous priorité de la demande FR 09 57088.

Ces brevets ont été déposés par la société SPANTECH FRANCE et couvrent la même invention.

Le délai pour la formation de l'opposition au brevet EP 2 486 199 a expiré le 10 juin 2016. Aucune opposition n'ayant été formée, le brevet est devenu irrévocable à cette date.

Par décision du 30 juin 2016, le directeur de l'INPI a constaté la déchéance des droits attachés à la partie française du brevet EP 2 486 199 pour défaut de paiement de la 6ème annuité.

La société CRESCENTIAL soutient qu'en application de l'article L.613-22 du code de la propriété intellectuelle, la déchéance de la partie française du brevet EP 2 486 199 a pris effet le 9 novembre 2015, pour défaut de paiement de cette annuité, soit avant que la partie française de ce brevet ait pu se substituer le 10 juin 2016 au brevet FR 09 57088. La société OKATENT réplique que le point de départ de la déchéance pour non-paiement de la redevance est la décision du directeur de l'INPI la constatant.

Selon l'article L.613-22 du code de la propriété intellectuelle, est déchu de ses droits le propriétaire d'une demande de brevet ou d'un brevet qui n'a pas acquitté la redevance annuelle prévue à l'article L. 612-19 dans le délai prescrit par ledit article.
La déchéance prend effet à la date de l'échéance de la redevance annuelle non acquittée.
Elle est constatée par une décision du directeur de l'Institut national de la propriété industrielle ou, à la requête du breveté ou d'un tiers, dans les conditions fixées par voie réglementaire.
La décision est publiée et notifiée au breveté.

La Cour de cassation a été saisie d'un pourvoi en cassation formé contre un arrêt rendu le 2 juillet 2010 par la cour d'appel de Paris (TREVES C/RENAULT, SILAC, SIMOLDES PLASTICOS FRANCE), qui a retenu que la décision du directeur de l'INPI du 31 décembre 2001, constatant la déchéance de la partie française du brevet européen pour non-paiement de la redevance annuelle échue au 30 avril 2000, postérieure à la substitution du brevet français au brevet européen intervenue le 29 septembre 2000, a emporté extinction de la partie française de ce brevet au sens de l'article L.614-13, alinéa 3, du code de la propriété intellectuelle, et que, dès lors qu'elle est intervenue le 31 décembre 2001 après la substitution du brevet européen au brevet français, cette décision, bien qu'ayant pris effet au 30 avril 2000, n'a pu avoir pour conséquence d'affecter la situation irrémédiablement acquise au 29 septembre 2000.

L'auteur du pourvoi a fait valoir que la déchéance d'un brevet intervient de plein droit et prend effet dès la date de non-paiement d'une échéance de la redevance, que la décision du directeur de l'INPI constatant la déchéance du brevet pour non-paiement à l'échéance produit un simple effet déclaratif, puisqu'elle se borne à constater l'existence d'une situation acquise antérieurement et que dès lors que l'expiration du délai d'opposition au brevet européen intervient à une date postérieure au défaut de paiement d'une échéance du brevet européen emportant sa déchéance, la substitution ne peut s'opérer, de sorte que la cour d'appel avait violé les articles L.613-22 et L.614-13, alinéa 1, du code de la propriété intellectuelle.

Aux termes d'un arrêt du 18 octobre 2011 (no de pourvoi 10-24.326), la Cour de cassation a rejeté le pourvoi, aux motifs "qu'ayant énoncé qu'aux termes du troisième alinéa de l'article L.614-13 du code de la propriété intellectuelle, l'extinction ou l'annulation ultérieure du brevet européen n'affecte pas la substitution de celui-ci au brevet français et retenu que la déchéance constitue une cause d'extinction du brevet, la cour d'appel en a exactement déduit que la décision ayant constaté la déchéance des droits de la société TREVES sur la partie française du brevet européen a emporté extinction de celle-ci mais que, dès lors qu'elle est intervenue le 31 décembre 2001, après la substitution du brevet européen au brevet français, cette décision n'a pu avoir pour conséquence d'affecter la situation irrévocablement acquise au 29 septembre 2000, date d'expiration du délai pour former opposition".

Par conséquent, en l'espèce, si la déchéance de la partie française du brevet EP 2 486 199 prend effet rétroactivement à la date de l'échéance de la redevance annuelle non payée, soit le 9 novembre 2015, elle n'a été constatée par le directeur de l'INPI que le 30 juin 2016.

Or, le brevet européen EP 2 486 199 s'est substitué, en application de l'article L.614-13 du code de la propriété intellectuelle, au brevet FR 09 57088, le 10 juin 2016, de sorte que le brevet français a cessé de produire ses effets à cette date. La décision du 30 juin 2016 qui a constaté la déchéance de la partie française du brevet EP 2 486 199 étant intervenue postérieurement au 10 juin 2016, n'a pu avoir pour conséquence d'affecter la situation irrévocablement acquise à cette date.

Par ailleurs, le non-paiement des redevances est un motif de déchéance du brevet et n'a pas les effets d'une renonciation, qui est un acte express devant être accompli dans les conditions de l'article R.613-15 du code de la propriété intellectuelle, étant précisé que, même après une décision de déchéance, la société CRESCENTIAL pouvait toujours, dans les conditions requises, manifester sa volonté de rétablir ses droits, par application de l'article L.612-16 du code de la propriété intellectuelle.

Aussi, en l'absence de requête en renonciation antérieure au 10 juin 2016, la partie française du brevet EP 2 486 199 s'est automatiquement substituée au brevet FR 09 57088.

Enfin, la société CRESCENTIAL ne justifie d'aucune délivrance d'un certificat d'utilité à son nom, titre distinct d'un brevet, étant précisé qu'elle fonde son action sur le brevet FR 09 57088.

Aussi, la société CRESCENTIAL sera déclarée irrecevable en ses demandes formées au titre du brevet FR 09 57088, les effets de ce brevet ayant cessé le 10 juin 2016, tandis que la société CRESCENTIAL ne se prévaut d'aucun fait de contrefaçon de ce brevet antérieur à cette date, le premier devis de la société OKATENT correspondant au dispostif litigieux étant daté du 12 mai 2017.

Sur les demandes formées par la société CRESCENTIAL au titre de la concurrence déloyale et parasitaire :

La société CRESCENTIAL fait valoir que la société OKATENT commercialise une structure métallique, faisant l'objet de la protection par le droits des brevets et en constituant une copie quasi servile, la société OKATENT publiant régulièrement sur les réseaux sociaux les produits reprenant les caractéristiques essentielles de la structure brevetée, les produits qu'elle commercialise présentant une similitude, voire une reprise à l'identique, des produits brevetés. La société CRESCENTIAL soutient que la société OKATENT a profité de son savoir-faire et a ainsi bénéficié des économies liées aux travaux de conception matérielle et intellectuelle de la structure métallique litigieuse, le brevet de la société CRESCENTIAL pouvant être consulté par tout intéressé sur le registre des brevets.

La société OKATENT réplique que la société CRESCENTIAL ne se prévaut pas de faits distincts des actes de contrefaçon reprochés, l'installation proposée par la société OKATENT ne constituant pas, en toute hypothèse, une copie servile ou quasi servile de l'invention brevetée portant sur une poutre treillis.

Sur ce :

En vertu des dispositions des articles 1240 et 1241 du code civil, tout fait quelconque de l'homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer, chacun étant responsable du dommage qu'il a causé non seulement par son fait, mais encore par sa négligence ou par son imprudence.

La concurrence déloyale doit être appréciée au regard du principe de la liberté du commerce qui implique qu'un signe ou un produit qui ne fait pas l'objet de droits de propriété intellectuelle puisse être librement reproduit sous certaines conditions tenant à l'absence de faute par la création d'un risque de confusion dans l'esprit de la clientèle sur l'origine du produit, circonstance attentatoire à l'exercice paisible et loyal du commerce.

L'appréciation de la faute au regard du risque de confusion doit résulter d'une approche concrète et circonstanciée des faits de la cause prenant en compte notamment le caractère plus ou moins servile, systématique ou répétitif de la reproduction ou de l'imitation, l'ancienneté d'usage, l'originalité, la notoriété de la prestation copiée.

Le parasitisme, qui s'apprécie dans le même cadre que la concurrence déloyale dont il est une déclinaison mais dont la constitution est toutefois indifférente au risque de confusion, consiste dans le fait pour une personne physique ou morale de profiter volontairement et déloyalement sans bourse délier des investissements, d'un savoir-faire ou d'un travail intellectuel d'autrui produisant une valeur économique individualisée et générant un avantage concurrentiel.

Sous couvert de ses demandes formées au titre de la concurrence déloyale et parasitaire, la société CRESCENTIAL ne se prévaut d'aucun fait distinct de la contrefaçon du brevet FR 09 57088 pour laquelle elle a été déclarée irrecevable.

Par conséquent, il convient de rejeter ses demandes formées au titre de la concurrence déloyale et parasitaire.

Sur la demande reconventionnelle formée par la société OKATENT au titre de la concurrence déloyale :

La société OKATENT fait valoir que la société CRESCENTIAL a été l'auteur de faits de concurrence déloyale par dénigrement en n'hésitant pas à répéter des opérations de constats ou de saisies-contrefaçon chez des clients ou prospects de la société OKATENT et à les contacter directement pour les intimider en leur adressant des mises en demeure abusives, non circonstanciées et comminatoires.

La société CRESCENTIAL réplique qu'elle a été autorisée à pratiquer des opérations de saisie-contrefaçon auprès de la société ABRIetCO, ignorant que cette société était en relations d'affaires avec la société OKATENT. Elle affirme qu'elle n'a jamais cherché à dénigrer la société OKATENT, n'ayant tenu aucun propos malveillant ou démesuré, propre à jeter le discrédit sur cette société, laquelle n'est pas citée aux termes des courriers incriminés.

Sur ce :

L'exercice d'une action en justice constitue, en principe, un droit et ne dégénère en abus pouvant donner naissance à une dette de dommages-intérêts que dans les cas de malice, de mauvaise foi ou d'erreur grossière équipollente au dol.

Il est rappelé que les saisies-contrefaçon ou les mesures de constatations sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile constituent des mesures exorbitantes en ce qu'elles permettent à celui qui invoque un droit de faire procéder à des investigations dans des locaux privés aux fins d'obtenir la preuve d'actes délictueux allégués. Il importe, dans ces conditions, que le demandeur à de telles mesures s'abstienne de tout abus.

Le dénigrement est un comportement contraire aux usages loyaux du commerce consistant à jeter publiquement le discrédit sur une personne, une entreprise ou un produit, dans le but de l'évincer.

Il est, à cet égard, constamment jugé que la divulgation d'une information de nature à jeter le discrédit sur un concurrent constitue un dénigrement peu important que l'information divulguée soit matériellement exacte ( Cass. Com., 24 septembre 2013, no12-19.790, Bull. 2013, IV, no139).

Hormis les opérations de constat autorisées dans les locaux de la société TENNIS SOLEIL par ordonnance du 6 juillet 2018, qui sont contestables en ce que la mission confiée à un huissier de justice de se faire remettre tout document technique et contratuel permettant d'identifier l'auteur de la structure employant la poutre treillis sur laquelle la société CRESCENTIAL revendiquait des droits de breveté, et établir si la structure en cause reproduisait les caractéristiques du brevet invoqué s'analyse en une saisie-contrefaçon déguisée, il n'est justifié que d'une saisie-contrefaçon pratiquée le 1er février 2019 auprès de la société ABRI et CO, laquelle a déclaré qu'il n'existait aucun marché entre elle et la société TENNIS SOLEIL, qu'elle n'est pas intervenue sur le chantier évoqué dans la requête et qu'elle ne disposait d'aucun document sur le brevet objet du litige.

Aussi, il n'est pas établi que la société CRESCENTIAL, qui cherchait à identifier l'installateur et les acquéreurs de la structure qui reproduirait les revendications du brevet FR 09 57088, aurait multiplié abusivement les opérations de saisie ou de constat.

Par ailleurs, aux termes de son courrier du 14 mars 2019, la société CRESCENTIAL a écrit à la société ABRI et CO qu'elle avait constaté, qu'en dépit de ses déclarations faites lors de la saisie-contrefaçon, elle avait publié, le 21 février 2019, une vidéo présentant la structure estimée contrefaisante, lui rappelant les droits invoqués sur le brevet FR 0957088 et lui demandant, au regard de l'atteinte alléguée, de retirer les photographies et les vidéos qu'elle diffusait sur les réseaux sociaux.

Enfin, aux termes de sa lettre du 22 mars 2019, la société CRESCENTIAL a sommé la société ABRI et CO, qui aurait maintenu la vidéo litigieuse tout en faisant une nouvelle publication de la structure litigieuse sur son compte Twitter le 20 mars 2019, de supprimer ces publications.

Il n'est pas caractérisé que ces courriers, qui sont circonstanciés, alors que la société ABRI et CO avait déjà fait l'objet d'une saisie-contrefaçon, présenteraient un caractère dénigrant.

Par conséquent, il convient de débouter la société OKATENT de sa demande reconventionnelle au titre de la concurrence déloyale.

Sur les demandes accessoires :

Partie succombante, la société CRESCENTIAL sera condamnée aux dépens et à payer à la société OKATENT 15.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

Nécessaire et compatible avec la nature de l'affaire, l'exécution provisoire du jugement sera ordonnée.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal, statuant publiquement, par jugement contradictoire et en premier ressort, mis à disposition par le greffe le jour du délibéré,

Déclare la société CRESCENTIAL irrecevable en ses demandes formées au titre du brevet FR 0957088,

Déboute la société CRESCENTIAL de ses demandes formées au titre de la concurrence déloyale et parasitaire,

Déboute la société OKATENT de sa demande reconventionnelle pour concurrence déloyale,

Condamne la société CRESCENTIAL aux dépens, qui pourront être recouvrés par Me Tania KERN, dans les conditions de l'article 699 du code de procédure civile,

Condamne la société CRESCENTIAL à payer à la société OKATENT 15.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

Ordonne l'exécution provisoire du présent jugement.

Fait et jugé à Paris le 03 février 2022

LA GREFFIERE LE PRESIDENT


Synthèse
Tribunal : Tribunal de grande instance de Paris
Formation : Ct0196
Numéro d'arrêt : 19/8438
Date de la décision : 03/02/2022

Références :

Décision attaquée : Tribunal de grande instance d'Auxerre


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.grande.instance.paris;arret;2022-02-03;19.8438 ?
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