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25/01/2022 | FRANCE | N°18/4839

France | France, Tribunal de grande instance de Paris, Ct0196, 25 janvier 2022, 18/4839


TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS

3ème chambre
3ème section

No RG 18/04839 -
No Portalis 352J-W-B7C-CMZOR

No MINUTE :

Assignation du :
26 Avril 2018

JUGEMENT
rendu le 25 Janvier 2022
DEMANDERESSE

S.C. [Adresse 9]
Saint-Amand
[Localité 1]

représentée par Maître Jean AITTOUARES de la SELARL OX, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #A0966

DÉFENDERESSES

S.A.R.L. VIGNOBLE [Z]
Le Bourg
[Localité 3]

représentée par Maître Annick LECOMTE de l'AARPI ALEZAN, avocat au barreau de PARIS, v

estiaire #P0401

S.A.R.L. CGM VINS
[Adresse 6]
[Localité 2]

représentée par Maître Antoine VEY de la SELEURL VEY AVOCAT, avocat au barreau de PARIS, v...

TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS

3ème chambre
3ème section

No RG 18/04839 -
No Portalis 352J-W-B7C-CMZOR

No MINUTE :

Assignation du :
26 Avril 2018

JUGEMENT
rendu le 25 Janvier 2022
DEMANDERESSE

S.C. [Adresse 9]
Saint-Amand
[Localité 1]

représentée par Maître Jean AITTOUARES de la SELARL OX, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #A0966

DÉFENDERESSES

S.A.R.L. VIGNOBLE [Z]
Le Bourg
[Localité 3]

représentée par Maître Annick LECOMTE de l'AARPI ALEZAN, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #P0401

S.A.R.L. CGM VINS
[Adresse 6]
[Localité 2]

représentée par Maître Antoine VEY de la SELEURL VEY AVOCAT, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #C0238

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Nathalie SABOTIER, 1ère vice-présidente adjointe
Arthur COURILLON-HAVY, juge
[N] [E], juge

assisté de Lorine MILLE, greffière,

DÉBATS

A l'audience du 14 Octobre 2021 tenue en audience publique devant Nathalie SABOTIER et Arthur COURILLON-HAVY, juges rapporteurs, qui, sans opposition des avocats, ont tenu seuls l'audience, et, après avoir entendu les conseils des parties, en ont rendu compte au Tribunal, conformément aux dispositions de l'article 805 du Code de Procédure Civile. L'affaire a fait l'objet de plusieurs prorogations et avis a été donné aux avocats que la décision serait rendue par mise à disposition le 25 Janvier 2022.

JUGEMENT

Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe
Contradictoire
En premier ressort

________________________________

Exposé du litige

1.La société [Adresse 9] (ci-après la société [Adresse 8]), producteur de vins de l'IGP Côtes de Gascogne et d'Armagnac, est notamment titulaire

- des marques verbales suivantes, toutes enregistrées pour désigner notamment des vins :

1- [Adresse 8], marque française no 4202685 (déposée le 10 août 2015)
2- [Adresse 8], marque de l'UE no016788151 (déposée le 1er juin 2017)

3- Premières grives, marque française no4202661 (déposée le 10 août 2015)
4- Premières grives, marque de l'UE no016957102 (déposée le 5 juillet 2017)

5- Dernières grives, marque française no4202667 (déposée le 10 aout 2015)
6- Dernières grives, marque verbale de l'UE no016957111 (déposée le 5 juillet 2017)

7- Premières grives, marque française no98744094 (déposée le 27 avril 1998 selon la base Inpi, renouvelée)
8- Dernières grives, marque française no98744093 (déposée le 27 juillet 1998 selon la base Inpi, renouvelée)
9- [Adresse 8] brut de cuve, marque française no3664645 (déposée le 17 aout 2009, renouvelée)

- des marques semi-figuratives suivantes, toutes enregistrées pour désigner des vins ou des boissons alcooliques

10- [Adresse 8], marque française no3938898 (déposée le 3 aout 2012)
11- [Adresse 8], marque française no98740280 (déposée le 30 juin 1998, renouvelée)
12- Premières grives, marque de l'UE no017882187 (déposée le 29 mars 2018)

13- [Adresse 8], marque internationale ne désignant pas la France, no793370 (déposée le 21 novembre 2002, renouvelée).

2.Elle indique avoir découvert en janvier 2018 que la société Vignobles [Z], producteur et distributeur de vins, commercialisait des vins blancs moelleux et secs IGP Côtes de Gascogne sous le signe « Faute de grives, je bois du merle », et lui avoir adressé une mise en demeure de s'arrêter le 2 février ; puis avoir découvert le 27 février 2018 que la société Cgm vins, distributeur de vins, distribuait ces vins Fautes de grives, et avait, dans un courriel de promotion et dans une brochure commerciale, indiqué que le vin Faute de grives moelleux était un « produit anthologique assimilé [Adresse 8] ».

3.Après avoir pratiqué une saisie-contrefaçon contre chacune de ces deux sociétés le 28 mars 2018, elle les a assignées le 26 avril suivant en contrefaçon des marques 1 à 6, et concurrence déloyale et parasitaire. En cours d'instance, les défenderesses ont soulevé la nullité des marques invoquées, la société Vignobles [Z] soulevant en outre la nullité des marques 7 à 13 ainsi que d'une marque française non identifiée (no4090753).

4.Dans ses dernières conclusions signifiées par voie électronique le 14 avril 2021, la société [Adresse 8] soulève l'irrecevabilité des demandes reconventionnelles en nullité des marques, résiste au fond aux prétentions adverses, et demande,
?invoquant à titre principal contre les deux défenderesses une contrefaçon des marques Premières grives (3 et 4), Dernières grives (5 et 6), contre la seule société Cgm vins une contrefaçon des marques [Adresse 8] (1 et 2) ; et subsidiairement une concurrence déloyale et parasitaire, de condamner
?en réparation du préjudice financier résultant de la contrefaçon, à titre provisionnel :
?la société [Z] à lui payer 1 263 758, 24 euros (360 195 + 903 563, 24) ;
?la société Cgm vins et la société [Z], in solidum, à lui payer 413 710, 80 euros (77 934, 8 + 335 776) ;
?en réparation du préjudice d'image résultant de la contrefaçon, à titre provisionnel :
?la société [Z] à lui payer 806 752 euros ;
?la société Cgm vins et la société [Z], in solidum, à lui payer 299 800 euros
?invoquant des actes distincts de concurrence déloyale et parasitaire, de condamner la société [Z] à lui payer, à titre provisionnel, 180 000 euros ;
?d'interdire aux sociétés [Z] et Cgm vins de commercialiser le produit « Faute de grives » ou tout produit similaire, sous astreinte ;
?leur enjoindre de lui remettre sous astreinte la copie des contrats et documents comptables relatifs aux vins « Faute de grives » depuis janvier 2017,
?ordonner la publication du jugement dans 5 journaux, sur le site internet de chaque défenderesse et sur son propre site internet ;
?enfin de condamner les défenderesses in solidum à lui payer 56 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens (avec recouvrement par son avocat) et l'exécution provisoire.

5.Dans ses dernières conclusions signifiées par voie électronique le 12 mars 2021, la société Cgm vins soulève la nullité des marques invoquées et demande d'en ordonner la radiation auprès de l'EUIPO et de l'Inpi, résiste à l'ensemble des demandes dirigées contre elle, subsidiairement demande la garantie de la société Vignobles [Z], et en toute hypothèse réclame contre la société [Adresse 8] une amende civile, 10 000 euros de dommages et intérêts pour procédure abusive, et 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens (avec recouvrement par son avocat).

6.Dans ses dernières conclusions signifiées par voie électronique le 15 juin 2021, la société Vignobles [Z] demande en substance de
?déclarer irrecevables les demandes en contrefaçon et rejeter toutes les demandes dirigées contre elle,
?subsidiairement de condamner la société Cgm vins à la garantir de toute condamnation prononcée à raison de la mention « assimilé [Adresse 8] »
?déclarer nulles les marques 1 à 12 ainsi qu'une marque française no4090753, encore la dénomination sociale « scv [Adresse 9] » « pour contrariété au droit de l'étiquetage », avec interdiction d'usage sous astreinte, et d'ordonner à la société [Adresse 8] de procéder auprès de l'Ompi à la radiation de la marque internationale (13) ;
?condamner la société [Adresse 8] à lui payer 100 000 euros de dommages et intérêts pour procédure abusive, outre une amende civile, avec exécution provisoire,
?ainsi que 40 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, et les dépens (avec recouvrement par son avocat).

7.L'instruction a été close le 24 juin 2021, mais le 6 juillet 2021, la société Cgm vins en a demandé la révocation, faisant valoir que la demanderesse avait fortement augmenté ses demandes indemnitaires dans ses dernières conclusions du 14 avril, avec de nombreuses pièces supplémentaires, et qu'elle s'est vu refuser un report de la clôture en juin 2021 alors qu'elle avait besoin d'un bref délai pour apporter des pièces comptables qu'elle n'aurait pas pu communiquer plus tôt, au regard de la date d'arrêt des comptes. La société [Z] s'est associée à cette demande. La société [Adresse 8], en revanche, s'y est opposée et a réclamé une indemnité de procédure, faisant notamment valoir que l'augmentation du montant de ses demandes ne correspondait qu'à la poursuite des actes de contrefaçon, que les nouvelles pièces étaient pour l'essentiel des tickets de vente, et que les documents comptables étaient demandés depuis 3 ans et auraient pu être communiqués sans attendre.

8.À l'audience du 14 octobre 2021, le tribunal, considérant que la société Cgm vin avait disposé d'un temps suffisant pour répondre aux dernières conclusions de la société [Adresse 8], que dès lors les motifs invoqués ne caractérisaient pas une cause grave, et qu'au demeurant elle n'avait pas pris la peine de notifier les nouvelles conclusions qu'elle voulait voir admettre ce qui indiquait que la révocation de la clôture allait causer un délai supplémentaire important, a rejeté la demande en révocation et réservé les dépens de l'incident. L'affaire a donc été plaidée, et le jugement mis en délibéré.

MOTIFS

1o) Demandes reconventionnelles en nullité (et déchéance) des marques et de la dénomination sociale

Moyens des parties

9.La société [Z] estime ses demandes recevables contre l'ensemble des marques car elles sont identiques ou appartiennent à une même famille et sont exploitées ensemble sur les mêmes étiquettes ; s'agissant de la marque internationale, elle expose (ailleurs dans ses conclusions, p.68-69) que l'égalité des armes oblige à lui permettre une « réponse du berger à la bergère » tenant à une radiation auprès de l'OMPI sous astreinte.

10.Sur le fond, visant les articles7, paragraphe 1, sous f), et 58, paragraphe 1, sous c) du règlement sur la marque de l'Union européenne, les articles L. 711-2, 7o, 8o, et L. 714-6 du code de la propriété intellectuelle, et la règlementation relative à l'étiquetage des vins, elle soutient (en substance) que les marques sont « déceptives » en ce qu'elles sont déposées pour n'importe quel vin alors que « [Adresse 8] » renverrait à une appellation d'origine précise ; et qu'elles sont exploitées sur des étiquettes dont les mentions (« domaine », « propriétaire récoltant ») désignent un produit domanial, spécial, alors qu'elles sont déposées pour désigner un produit commercial, « apatride », général.

11.Elle les estime encore nulles pour contrariété à l'ordre public, car (en substance) d'une part [Adresse 8] serait une unité géographique plus petite au sein d'une IGP et les marques y renvoyant seraient ainsi contraires à la règlementation de l'étiquetage ; d'autre part car étant déposées également pour désigner des produits non alcooliques, elles caractériseraient une publicité indirecte prohibée de ceux-ci. Par ailleurs elle invoque indirectement contre la dénomination sociale l'interdiction d'employer le terme « château » pour un vin qui n'est pas d'une AOC.

12.La société Cgm vins, visant l'article 7, paragraphe 1, sous b), et sous f) du règlement sur les marques et les articles L. 711-2 et -3 du code de la propriété intellectuelle, estime que les marques [Adresse 8] sont devenues usuelles par la faute de leur titulaire car elles seraient utilisées et comprises par les consommateurs, les autres professionnels et les restaurateurs comme un terme générique, la désignation d'une appellation (géographique ou d'origine) ou d'un cépage, sans opposition de la société [Adresse 8] qui en serait satisfaite et entretiendrait même cette confusion en faisant usage de la marque [Adresse 8] sans référence à l'IGP Côtes de Gascogne. Il en résulte également selon elle, comme pour la société [Z], le caractère trompeur de ces marques, enregistrées pour des vins en général alors que [Adresse 8] désignerait une production particulière de vins.

13.Contre les marques Premières grives et Dernières grives, elle les dit usuelles car le terme « grive » désignerait dans le milieu vinicole les vins issus de vendanges tardives, cet oiseau étant connu pour s'installer dans les vignes à l'automne ou en hiver.

14.La société [Adresse 8] quant à elle soulève l'irrecevabilité, faute de lien suffisant, des demandes reconventionnelles de la société Vignobles [Z] visant les marques qu'elle n'a pas invoquées contre elle (1, 2, 9, 10, 11, 12 et une marque française no4040753), faisant valoir que la notion de famille de marques a été conçue pour d'autres situations et viserait à protéger le titulaire de la marque, et que seule une marque strictement identique à celle invoquée par le demandeur ou causant une entrave à l'autre partie pourrait justifier une demande reconventionnelle en nullité. Elle estime également les demandes irrecevables en ce qu'elles visent des produits ou services pour lesquels les marques ne sont pas invoquées.

15.Sur le fond, elle conteste le caractère usuel des marques [Adresse 8], les preuves avancées en ce sens ne faisant, selon elle, que prouver sa notoriété, outre qu'elle n'aurait pas été « complaisante » ; conteste leur caractère trompeur, les signes ne visant, dit-elle, ni une appellation protégée, ni les termes « château » ou « domaine », [Adresse 8] n'étant pas davantage une entité géographique. Sur les marques Premières et Dernières grives, elle soutient que le terme « Grive » est seulement indirectement évocateur de la période de récolte, ce qui serait permis, et ne décrit pas une caractéristique du vin ; enfin que seules huit autres marques contiennent ce terme, ce qui à l'échelle des dizaine de milliers de marques déposées dans la même classe ne suffit pas, selon elle, à caractériser le caractère générique du terme.

Réponse du tribunal

16.Certains des moyens de « nullité » correspondent en réalité à des moyens de déchéance, et les demandes en nullité s'analysent donc, partiellement, en des demandes en déchéance.

a. recevabilité

17.En vertu de l'article 31 du code de procédure civile, l'action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d'une prétention ; et aux termes de l'article 70 du même code, les demandes reconventionnelles ou additionnelles ne sont recevables que si elles se rattachent aux prétentions originaires par un lien suffisant. Il est constamment jugé à ce titre que seules les demandes reconventionnelles dirigées contre les marques invoquées au soutien de la demande principale en contrefaçon s'y rattachent par un lien suffisant. Cela peut inclure une marque identique à la marque invoquée par le demandeur en contrefaçon (comme dans l'espèce ayant donné lieu au jugement du présent tribunal du 25 mai 2018, RG 15/10851, Terra vechia, cité par la société [Z], où le défendeur ayant acquis des vignobles se voyait opposer par le cédant une marque de vin européenne jugée trompeuse car correspondant au nom du lieu dit où se trouvaient ces vignobles, et où la demande reconventionnelle contre la marque française identique était recevable).

18.De même, en principe, lorsque seule une partie des produits ou services pour lesquels une marque est enregistrée sont invoqués au soutien de la prétention originaire, la demande reconventionnelle en nullité ou en déchéance ne s'y rattache que dans la mesure où elle concerne ces mêmes produits ou services, et est irrecevable pour le surplus, à l'égard des produits ou services non opposés par le demandeur principal (voir, par exemple, CA Paris, 18 mai 2018, RG 17/10075, cité par la société [Adresse 8]). Cette solution ne porte pas atteinte aux droits du demandeur reconventionnel, dès lors que sa demande reconventionnelle, même limitée aux seuls produits opposés par le demandeur originaire, suffit à faire échec à l'action en contrefaçon et que celui-ci, en raison de l'autorité de la chose jugée, ne pourra plus réintroduire de nouvelle demande fondée sur la même marque, même en invoquant alors les autres produits ou services.

19.En l'espèce, il est constant que la société [Adresse 8] ne reproche pas à la société Vignobles [Z] l'usage des marques [Adresse 8]. Les demandes reconventionnelles que forme celle-ci contre ces marques (1, 2, 9, 10, 11, 13) sont donc irrecevables, faute pour elle d'intérêt à agir. La demande en nullité d'une marque française no4090753, qui n'est pas invoquée par la société [Adresse 8] et dont il n'est en toute hypothèse pas démontré qu'elle lui appartienne, est également irrecevable.

20.Il est également constant que la société [Adresse 8] n'oppose ses marques que pour les vins. Les demandes reconventionnelles sont donc irrecevables en ce qu'elles visent les autres produits ou services, faute de lien suffisant avec la demande originaire.

21.S'agissant de la dénomination sociale, la société Vignobles [Z] n'expose pas en quoi elle aurait un intérêt à la contester, ni que cette contestation aurait un lien avec les prétentions originaires de la société [Adresse 8], alors que cette dénomination n'est pas invoquée par la demanderesse. La demande en nullité est par conséquent irrecevable.

22.En revanche, les marques 7 et 8 (françaises Premières grives no98744094 et Dernières grives no98744093), bien que non invoquées par la société [Adresse 8], sont identiques aux marques qu'elle invoque, dans la mesure où elles visent des boissons alcooliques dont font partie les vins ; et la marque 12 (européenne no017882187) bien que semi-figurative, est composée du même élément verbal « Premières grives », auquel s'ajoute seulement le dessin, à la façon d'une gravure, d'une grive sur une branche. Les mêmes moyens sont dirigés contre l'ensemble des marques Premières et Dernières grives, sans que la présence de l'élément figuratif sur la marque 12 ait une quelconque incidence dans ce débat. Il peut donc être statué sur ces marques prises ensemble, et les demandes reconventionnelles de la société Vignobles [Z] dirigées contre les marques Premières et Dernières grives ont ensemble un lien suffisant avec les prétentions originaires. Elles sont par conséquent recevables ensemble avec les demandes visant les marques 3 à 6, dont la recevabilité n'est pas contestée.

b. nullité

i. cadre juridique

23.En vertu de l'article 52, paragraphe 1, sous a), du règlement 207/2009 du 26 février 2009 sur la marque communautaire, applicable en l'espèce à raison de leur date de dépôt aux marques 2, 4, 6, la nullité de la marque communautaire est déclarée, sur demande reconventionnelle dans une action en contrefaçon, lorsqu'elle a été enregistrée contrairement aux dispositions de l'article 7, aux termes duquel :

« 1. Sont refusés à l'enregistrement :
(...)
b) les marques qui sont dépourvues de caractère distinctif ;
(...)

d) les marques qui sont composées exclusivement de signes ou d'indications devenus usuels dans le langage courant ou dans les habitudes loyales et constantes du commerce;
(...)

f) les marques qui sont contraires à l'ordre public ou aux bonnes m?urs;

g) les marques qui sont de nature à tromper le public, par exemple sur la nature, la qualité ou la provenance géographique du produit ou du service ;

2. Le paragraphe 1 est applicable même si les motifs de refus n'existent que dans une partie de la Communauté. »

24.L'article 52, paragraphe 3, précise que si la cause de nullité n'existe que pour une partie des produits ou des services pour lesquels la marque communautaire est enregistrée, la nullité de la marque ne peut être déclarée que pour les produits ou les services concernés.

25.La nullité des marques de l'Union européenne déposées à compter du 1er octobre 2017 (en l'espèce la marque 12) est régie en des termes identiques par les articles 59 et 7 du règlement 2017/1001.

26.La nullité des marques nationales est également régie en des termes en substances identiques à ceux du règlement, et avec lesquels ils sont interprétés de manière uniforme, par l'article 3 de la directive 2008/95 du 22 octobre 2008 rapprochant les législations des États membres sur les marques, applicable en l'espèce à raison de leur date de dépôt aux marques 1, 3, 5, et par l'article 3 de la directive 89/104, applicable en l'espèce aux marques 7 et 8, et dont les dispositions pertinentes, qui sont celles du règlement citées ci-dessus, ont été transposées en droit interne par les articles L. 711-2, points a) et b), L. 711-3 points b) et c) et L. 714-3, premier alinéa, du code de la propriété intellectuelle, dans leur rédaction antérieure au 15 décembre 2019.

ii. contrariété à l'ordre public (Article 7, paragraphe 1, sous f), et article L. 711-3, point b)

27.La critique par la société Vignobles [Z] du dépôt des marques pour d'autres classes que les vins, tenant à ce que l'emploi de la marque de vin pour d'autres produits caractériserait une publicité indirecte prohibée pour le vin, ne peut justifier que la nullité partielle des marques, pour les produits ou services non alcooliques : c'est en effet l'usage d'autres produits pour promouvoir indirectement l'alcool de façon illicite qui est prohibé, donc le dépôt de la marque dans d'autres classes ; et non le dépôt en soi d'une marque pour désigner des alcools. L'argumentation selon laquelle un tel dépôt pour d'autres produits « pollue » irrémédiablement la marque est contraire à l'article 52, paragraphe 3, du règlement de 2009, précité (et aux dispositions analogues des autres textes), selon lequel la cause de nullité qui n'affecte qu'une partie des produits ou services ne justifie la nullité de la marque que pour ces produits ou services. Ce moyen est ainsi manifestement dépourvu de sérieux.

28.Quant aux autres moyens de la société Vignobles [Z] tirés de la contrariété à l'ordre public, ils ne sont dirigés que contre les marques [Adresse 8], pour lesquelles sa demande est irrecevable.

iii. caractère trompeur (article 7, paragraphe 1, sous g), et article L. 711-3)

29.Le moyen de nullité relatif au caractère trompeur des marques consiste à soutenir que vendre, sous une marque désignant les vins en général, un vin particulier relevant d'une indication géographique protégée, serait trompeur. Mais, s'il est en effet trompeur de vendre sous une marque désignant une entité géographique un vin qui n'en provient pas, tel n'est évidemment pas le cas du titulaire de la marque qui donne aux produits vendus sous celle-ci certaines caractéristiques. Le moyen revient en définitive à interdire tout emploi d'une marque commerciale pour des vins bénéficiant d'indications qualitatives comme « domaine » et relevant d'une IGP, ce que les demanderesses ne justifient par aucun texte normatif et est manifestement dénué de sérieux.

iv. caractère usuel des marques « Grives » (article 7, paragraphe 1, sous d) et article L. 711-2 point a)

30.Il est constant que les grives sont particulièrement présentes dans les vignes du sud-ouest à l'automne, à une période relativement tardive correspondant à la récolte du raisin entrant dans la composition des vins blancs « moelleux » Premières grives et Dernières grives de la société [Adresse 8]. Ce fait, qui correspond à une coïncidence entre la période d'un phénomène naturel, la migration d'oiseaux, et celle de la récolte de l'ingrédient principal du produit, n'est pas en lui-même la preuve que le nom des oiseaux concernés soit devenu usuel dans le langage courant ou les habitudes loyales et constantes du commerce pour désigner le produit ou la période de sa fabrication.

31.En effet, les éléments composants la marque ne désignant pas en eux-mêmes une caractéristique du produit (ce qui est constant en l'espèce), leur caractère usuel suppose un lien avec le produit ou une de ses caractéristiques, qui résulterait seulement de l'usage qui en est fait par le public pertinent, c'est-à-dire l'usage par les professionnels du secteur tel qu'il est perçu par les consommateurs du produit concerné ; ce qui s'apprécie à la date du dépôt de la demande de marque.

32.À cet égard, la société Cgm vins invoque (sa pièce no12) plusieurs exemples d'étiquettes de vins contenant le mot grive (et la société [Adresse 8] ne répond pas sur ce point) :
- un vin blanc doux « la grive » dont est communiquée une photo d'une bouteille de 2014, récolté « en sur-maturation » 15 à 20 jours après les autres vignes ;
- un vin de Bourgogne rouge de 2012 appelé « cuvée des grives » ;
- un vin rouge (Crozes-Hermitage) de 2015 et un vin blanc sec de 2016 venant tous deux du « [Adresse 7] », et appelés « clos des grives »,
- un vin italien de 2013 appelé « le grive » ;
- des vins de [Localité 4] dénommés « [Adresse 5] » dont une étiquette de 1998 est produite.

33.Pour le reste, la société Cgm vins invoque des exemples non datés ou postérieurs au dépôt des marques (« refuge aux grives », « belles grives », non datés, et « Grive dorée » ou « Grive rose » issus d'un site internet visité en décembre 2018 et qui dépendent déjà, en toute hypothèse, du [Adresse 5]), ainsi que deux exemples de vins ne contenant pas le mot grive mais un dessin d'oiseau dont rien ne permet de conclure qu'il s'agirait à l'évidence de grives (l'étiquette « vina zorzal » montre une silhouette d'oiseau très stylisée, pouvant représenter n'importe quel passereau, à son côté se trouve un emballage figurant un oiseau au très long bec qui n'est manifestement pas une grive, et les étiquettes des vins « cuvée d'automne » semblent plus surement montrer un moineau et d'autres types de passereaux de cette taille, comme une mésange ou peut-être un rouge-gorge, mais assurément pas des grives). Ces exemples sont donc inutiles à la démonstration du caractère usuel des marques litigieuses.

34.Elle invoque également l'existence d'autres marques contenant le mot grives. Parmi l'ensemble, seules les marques désignant du vin, et déposées avant les marques litigieuses, sont pertinentes. La pièce Cgm no22, qui est le résultat d'une recherche faite en 2019 dans la base de l'Inpi, mentionne 20 marques en vigueur en France déposées en classe 33 et contenant le mot grives. Parmi elles, 7 appartiennent à la société [Adresse 8], et 2 sont les signes « Faute de grives, je bois du merle », objet de l'instance. Pour aucune, la date de dépôt n'est indiquée ; seules peuvent alors être prises en compte les marques indiquées comme « renouvelées », ce qui prouve qu'elles ont au moins dix ans, et les rend donc opposables aux marques litigieuses déposées après 2009 (c'est-à-dire les marques 3, 4, 5, 6, 12, mais pas les marques 7 et 8, déposées en 1998). Parmi elles, figure une marque correspondant à l'un des usages déjà évoqués (« clos des grives » du [Adresse 7]), ce qui laisse 4 marques pertinentes en l'espèce :
- « la ferme aux grives » (à supposer que cette marque, déposée par une « compagnie hôtelière » dans un très grand nombre de classes, était bien exploitée pour désigner des vins, ce qui n'est pas contesté)
- « domaine de la grive »
- « château hautes grives »
- « roche grive ».

35.Enfin, la société Cgm vins se prévaut de trois articles communiqués par la société [Adresse 8] (dans sa pièce no6 regroupant un très grand nombre d'articles sur plusieurs dizaines de pages et qui ne permet pas de rechercher un article déterminé), articles qui emploieraient le mot grives pour désigner des vins, mais elle n'en cite que de courts passages dont il ne ressort pas que cet usage ait un autre but que de désigner, précisément, les vins de la société [Adresse 8], comme celle-ci l'affirme sans être contredite. Cet argument ne tend donc pas à démontrer le caractère usuel de la marque.

36.Ainsi, hormis l'usage fait par les parties elles-mêmes, ne sont rapportés que 8 usages indépendants du mot grives pour désigner des vins en France, et 9 dans l'Union européenne (avec le vin italien), ce qui est insuffisant à démontrer que ce terme est devenu usuel pour désigner ce produit ou une de ses caractéristiques, et ce d'autant moins au regard du nombre extrêmement important de dénominations différentes que connait ce produit. Le moyen de nullité est donc infondé.

v. caractère distinctif en soi (article 7, paragraphe 1, sous b)

37.Au-delà des cas d'interdictions énumérés à l'article 7 et dont il vient d'être démontré qu'aucun ne s'applique en l'espèce, les signes [Adresse 8], Premières grives et Dernières Grives sont composés de mots aisément prononçables, mémorisables, et donc manifestement aptes, pour les consommateurs, à désigner l'origine de vins.

38.Par conséquent, aucun des moyens de nullité invoqués n'étant opérant ou fondé, les demandes en ce sens sont rejetées.

b. déchéance

i. cadre juridique

39.L'article 58 du règlement 2017/1001 du 14 juin 2017 sur la marque de l'Union européenne, applicable en l'espèce à toutes les marques à raison de la date du présent jugement, régit la déchéance en ces termes :

« 1. Le titulaire de la marque de l'Union européenne est déclaré déchu de ses droits, sur demande présentée auprès de l'Office ou sur demande reconventionnelle dans une action en contrefaçon:
(...)
b) si la marque est devenue, par le fait de l'activité ou de l'inactivité de son titulaire, la désignation usuelle dans le commerce d'un produit ou d'un service pour lequel elle est enregistrée ;

c) si, par suite de l'usage qui en est fait par le titulaire de la marque ou avec son consentement pour les produits ou les services pour lesquels elle est enregistrée, la marque est propre à induire le public en erreur notamment sur la nature, la qualité ou la provenance géographique de ces produits ou de ces services.

2. Si la cause de déchéance n'existe que pour une partie des produits ou des services pour lesquels la marque de l'Union européenne est enregistrée, le titulaire n'est déclaré déchu de ses droits que pour les produits ou les services concernés. »

40.La déchéance des droits sur les marques nationales est régie en des termes en substances identiques à ceux du règlement, et avec lesquels ils sont interprétés de manière uniforme, par l'article 20 de la directive 2015/2436 du 16 décembre 2015 rapprochant les législations des États membres sur les marques et dont les dispositions ont été transposées en droit interne par l'article L. 714-6, du code de la propriété intellectuelle, dans sa rédaction actuellement applicable.

ii. Marque devenue désignation usuelle (dégénérescence)

41.Contre les marques [Adresse 8], la société Cgm vins se prévaut de plusieurs articles ou documents indiquant qu'une partie des consommateurs de vins, dans une proportion non indiquée, associeraient ou confondraient la marque [Adresse 8] avec une « appellation », et qu'elle serait « presqu'une AOC ». Cette allégation ne repose toutefois que sur les affirmations non étayées des auteurs de ces documents, dont rien ne permet de savoir ce qui fonde leur opinion, hormis le lien qu'ils font, tous, avec la notoriété de la marque ou le volume de production, qui ne sont pas des critères pertinents. Ce fait n'est donc pas démontré.

42.En toute hypothèse, une telle confusion avec une « appellation » n'est pas de nature à caractériser un usage de la marque pour désigner d'autres produits que ceux de son titulaire : en effet, il n'existe pas d'appellation d'origine ou d'indication géographique « [Adresse 8] », de sorte que même à supposer que le public croie le contraire, il n'existe aucun concurrent qui pourrait s'en revendiquer. En définitive, un tel argument ne tend (le cas échéant) qu'à démontrer le caractère trompeur de la marque (ce qui est examiné à la partie suivante).

43.Plus généralement, les seuls exemples d'usage par des professionnels que rapporte la société Cgm vins désignent sans ambigüité les produits fabriqués par la société [Adresse 8] (extraits de sites internet faisant référence au [Adresse 8], auquel d'autres produits sont dits « équivalent », « cousin », « un peu moins sucré », une « alternative », ou convenant aux « amateurs de [Adresse 8] »), à une seule exception près, un vin mentionné comme « [Adresse 8] » sur une page internet. De même, le fait que quelques restaurants mentionnent sur leur carte la marque [Adresse 8] au même niveau que des appellations, que des cépages, ou qu'une couleur de vin, ne fait qu'indiquer une organisation libre ou peu rigoureuse de ladite carte au regard de la typologie classique des vins, et il ne s'en déduit pas que d'autres vins que ceux de la société [Adresse 8] pourraient être désignés sous cette dénomination.

44.Ainsi, la société Cgm vins ne tend qu'à démontrer la position dominante de la société [Adresse 8] au sein de l'indication géographique protégée Côtes de Gascogne, ce qui n'est pas de nature à rendre la marque usuelle, pas plus que ne l'est la politique de communication, qu'elle critique également, tenant à privilégier la marque au détriment de l'IGP, politique qui ne profite certes pas aux autres producteurs, mais ne fait pas pour autant de la marque dont la notoriété est promue une dénomination usuelle pour les autres vins de cette appellation. Le moyen, infondé, est donc écarté.

ii. marque devenue trompeuse

45.Le fait que « certains » consommateurs, dans une proportion inconnue et non démontrée, puissent associer la marque à une indication qualitative comme une appellation d'origine, ce qui n'est pas davantage démontré, ainsi qu'il a été vu (point 41), ne suffit pas à établir que la marque risque d'induire le public en erreur notamment sur la nature, la qualité ou la provenance géographique des produits : une telle confusion de la part du public entre la marque et une « appellation », qui est un terme qualitatif, pourrait aussi s'expliquer par l'image de qualité que la marque a pu acquérir elle-même, ce qui ne saurait lui être reproché. Les marques [Adresse 8] ne sont donc pas devenues trompeuses.

46.Aucun des moyens de déchéance n'étant fondé, les demandes en ce sens sont rejetées.

2o) Demandes fondées sur la contrefaçon des marques [Adresse 8], Premières grives et Dernières grives

a. contrefaçon des marques Premières et Dernières Grives

Moyens des parties

47.La société [Adresse 8] estime que le signe « Faute de grives je bois du merle » est exploité pour des produits identiques à ceux pour lesquels la marque est protégée (les vins, ou à tout le moins les vins blancs moelleux de l'appellation Côtes de Gascogne) ; que le terme déterminant en est le mot grives, comme dans les marques, ce qui serait renforcé par l'emploi isolé et en grande taille de « Faute de grives », le mot grives étant lui-même séparé du reste par un dessin de grive qui renforcerait encore le poids de cette notion, et répété à 4 reprises sur la bouteille ; que le risque de confusion serait aggravé par la grande renommée des marques, le contexte de commercialisation tenant à une description employant les mêmes mots, le choix d'une bouteille de forme et de couleur identiques bien qu'inusuelles pour ce type de vins, et la vente à un prix bas dans la grande distribution à côté des vins de la marque ; enfin que plusieurs clients et consommateurs auraient déjà commis la confusion.

48.La société Vignobles [Z] explique avoir dû s'adapter rapidement à l'interruption brutale des relations commerciales qu'elle entretenait avec la société [Adresse 8], dont elle distribuait auparavant le vin, en « mettant les rieurs de son côté » et en signifiant « à défaut de boire du vin Grives, je bois du vin Merle » (ses conclusions p. 47, citant en le « revendiquant » un passage des conclusions de la demanderesse), ce qu'elle qualifie de « légitime défense » en faisant valoir que la contrefaçon est un délit pénal, qui admet donc les faits justificatifs du droit pénal. Elle estime que ce faisant elle n'a créé aucune allusion au [Adresse 8], que le visuel des étiquettes exclut toute confusion car la grive qui y est représentée s'envole dans un cas et est posée dans l'autre, ce qui renforcerait la différence conceptuelle qu'il faut apprécier au regard de l'ensemble de l'étiquette et du sens du proverbe, qui exprime précisément l'absence de grives et la présence du merle (lequel occupe également en filigrane toute la surface de la contre-étiquette), précise-t-elle, de sorte que selon elle le mot grives n'est pas déterminant. Elle ajoute, enfin, que du fait de la présence sur toutes les étiquettes de la marque « [Adresse 8] », en position prépondérante, les marques Premières et Dernières grives n'assureraient aucune fonction d'indication d'origine, de sorte qu'aucune atteinte à cette fonction et donc aucune contrefaçon ne pourrait être caractérisée.

49.La société Cgm vins expose avoir été de bonne foi et n'avoir commis aucune faute car le signe litigieux a été déposé en tant que marque par M. [Z] et ce, sans opposition ; et conteste tout risque de confusion, le mot grive étant selon elle « de libre parcours », et les signes étant, dit-elle, très différents en ce que le signe contesté serait « Faute de grives je bois du merle le merle moqueur », qu'il serait long, rythmé et fort, que le seul point commun est le mot grive qui est issu du langage courant ; qu'ainsi visuellement et phonétiquement la partie similaire serait minime ; et que conceptuellement, la marque renverrait à la période de vendange, tandis que le signe relèverait de l'humour sans décrire sérieusement le contenu de la bouteille, boire du merle étant impossible.

Réponse du tribunal

Cadre juridique

50.Les droits sur les marques françaises et de l'Union européenne sont prévus dans des termes en substance identiques par la directive 2015/2436 et le règlement 2017/1001, respectivement à leur article 10 et 9, ce dernier étant rédigé en ces termes :

« 1. L'enregistrement d'une marque confère à son titulaire un droit exclusif sur celle-ci.

2. Sans préjudice des droits des titulaires acquis avant la date de dépôt ou la date de priorité de la marque enregistrée, le titulaire de ladite marque enregistrée est habilité à interdire à tout tiers, en l'absence de son consentement, de faire usage dans la vie des affaires, pour des produits ou des services, d'un signe lorsque :

a) ce signe est identique à la marque de l'Union européenne et est utilisé pour des produits ou des services identiques à ceux pour lesquels la marque de l'Union européenne est enregistrée » ;

b) le signe est identique ou similaire à la marque et est utilisé pour des produits ou des services identiques ou similaires aux produits ou services pour lesquels la marque est enregistrée, s'il existe, dans l'esprit du public, un risque de confusion ; le risque de confusion comprend le risque d'association entre le signe et la marque »

51.L'atteinte au droit exclusif conféré par la marque, codifié en droit interne à l'article L. 713-2 du code de la propriété intellectuelle, est qualifiée de contrefaçon, engageant la responsabilité civile de son auteur, par l'article L. 716-4 (dans le cas des marques françaises) et par l'article L. 717-1 (dans le cas des marques de l'Union européenne).

Portée du critère de l'atteinte à la fonction de la marque et absence d'incidence du cumul de marques

52.Comme le rappelle la société Vignobles [Z], la Cour de justice a précisé que le droit exclusif du titulaire de la marque, qui n'est pas absolu, ne l'autorise à s'opposer à l'usage d'un signe par un tiers en vertu de l'article 9, dans les conditions énumérées au paragraphe 2, sous a) et b), que si cet usage porte atteinte ou est susceptible de porter atteinte aux fonctions de la marque et notamment à sa fonction essentielle qui est de garantir aux consommateurs la provenance du produit ou du service (CJCE, 12 novembre 2002, Arsenal football club, C-206/01, point 51).

53.Plus précisément, dans le cas où l'article 9, paragraphe 2, sous a) est applicable (double identité de signe et de produits ou services), il peut s'agir d'une atteinte à l'une quelconque des fonctions de la marque : non seulement la fonction essentielle (garantie de provenance), mais aussi celle qui consiste « à garantir la qualité de ce produit ou de ce service, ou celles de communication, d'investissement ou de publicité » (CJCE, 18 juin 2009, L'Oréal, C-487/07, point 58).

54.Mais dans le cas prévu au paragraphe 2, sous b) (similitude de signes et de produits ou services), la condition spécifique de la protection est « le risque de confusion et donc une possibilité d'atteinte à la fonction essentielle de la marque » (L'Oréal précité, point 59). Ainsi, alors que dans le cas d'une double identité prévu au paragraphe 2, sous a), le risque d'atteinte à une fonction de la marque est une condition supplémentaire de la protection, dans le cas prévu au paragraphe 2, sous b), le risque d'atteinte à la fonction essentielle de la marque est associé au risque de confusion, le premier découlant du second : le signe doit en effet porter atteinte à la fonction d'indication d'origine « en raison d'un risque de confusion dans l'esprit du public » (CJCE, 12 juin 2008, O2 holdings, C-533/06, point 57 ; voir aussi CJUE, 3 mars 2016, Daimler, C-179/15, point 27).

55.L'analyse doit donc porter sur le risque de confusion, dont se déduit le risque d'atteinte à la fonction de la marque, et non l'inverse. Et le risque de confusion s'apprécie au regard de la marque telle qu'elle est enregistrée, et non de la façon dont elle est exploitée : qu'elle soit exploitée sur une étiquette avec plusieurs autres marques est dès lors indifférent. Le moyen de la société Vignobles [Z] selon lequel la marque secondaire sur une étiquette n'aurait pas de fonction d'indication d'origine est donc à double titre inopérant.

56.Ce moyen est au demeurant infondé, le cumul de plusieurs marques n'étant pas en soi de nature à priver l'une ou l'autre de ses fonctions ; au contraire, une marque exploitée en tant que partie d'une autre marque ou en combinaison avec elle peut même acquérir un caractère distinctif par l'usage (par exemple, CJCE, 7 juillet 2005, Société des produits Nestlé, C-353/03, dispositif et nota. points 26-27).

Éléments constitutifs de la contrefaçon en l'espèce

57.En l'espèce, il est constant que le signe litigieux est exploité dans la vie des affaires, sans l'autorisation du titulaire de la marque, pour désigner des vins, produit identique à celui pour laquelle celle-ci est enregistrée.

58.Sur les étiquettes des bouteilles de la société Vignobles [Z], à fond blanc, figurent, occupant l'essentiel de l'espace, sur une première ligne les mots « FAUTE DE GRIVES » et sur une seconde ligne, en plus petits caractères, les mots « Je bois du Merle » ; puis, en plus petits caractères encore, en-dessous, « IGP COTES DE GASCOGNE » ; au-dessus de « Faute de grives » est représenté un oiseau gris, aux ailes déployées, dont les parties s'accordent à dire qu'il s'agit d'une grive, dont les pattes prennent appui sur le G de « grives », et dont la queue occupe un grand espace séparant les mots « faute de » et « grives » ; sous les mots « IGP Côtes de Gascogne » est figuré un merle sur une branche, plus petit que la grive dominant le haut de l'étiquette ; enfin, dans un bandeau à fond coloré, tout en bas, se trouvent en caractères blancs les mots « LE MERLE MOQUEUR ».

59.L'étiquette comprend ainsi plusieurs signes clairement distincts : un signe semi-figuratif « Faute de grives je bois du merle » avec le dessin de grive, qui forme une phrase cohérente ; la mention de l'IGP ; et le signe « le merle moqueur » associé au dessin de merle, qui est clairement distinct, et semble servir de marque supplémentaire, voire de marque ombrelle. Le signe à comparer à la marque n'est donc pas l'ensemble de l'étiquette comme le soutient la société Cgm vins, ni seulement « Fautes de grives », mais « Faute de grives, je bois du merle ».

60.Comme le soulignent l'ensemble des parties, les critères pertinents du risque de confusion incluent la notoriété de la marque ; ils incluent également le degré de distinctivité de celle-ci, une marque recevant une protection d'autant plus étendue qu'elle est très distinctive, et inversement. Or s'il est constant que les marques Premières et Dernières grives sont notoires, comme le montrent également les extraits d'articles auxquels la société [Adresse 8] fait référence et dont les défenderesses ne contestent pas la pertinence, il ressort également des développements précédents (points 32 à 36) que le mot grive, sans être pour autant la dénomination usuelle d'aucun type de vin, est utilisé par plus d'une dizaine d'entreprises indépendantes dans le domaine, ce qui en réduit la distinctivité.

61.Il est flagrant, et au demeurant « revendiqué » par la société Vignobles [Z], que le signe « Faute de grives, je bois du merle » est « une évocation par contraste des Premières grives » (ses conclusions, p. 47). Il s'agit en effet du détournement du « dicton » (selon [Adresse 8]) ou du « proverbe » (selon Vignobles laur) « Faute de grive(s), je mange du merle », dont il est constant qu'il indique le choix contraint d'un mets de substitution, moins désirable. Au demeurant, même sans connaitre la formule, son sens est transparent, et il en résulte que le signe litigieux indique de façon évidente, pour le consommateur de vins, c'est-à-dire le grand public, que le produit vendu est un remplacement d'un produit identifiable sous le terme « grives », ce qui fait de ce mot l'élément de loin le plus déterminant, et crée une similitude conceptuelle particulièrement forte avec les marques Premières et Dernières grives, dont l'élément le plus significatif est précisément ce mot.

62.Cette forte similitude, que la faible similitude visuelle et auditive ne renforce certes pas mais ne neutralise pas pour autant, est fondée sur la recherche d'une association avec la marque : le consommateur est induit, par le sens du signe, à associer celui-ci avec une marque de référence, ce qui, renforcé par la renommée de la marque en cause, compense largement sa faible distinctivité qui aurait pu, autrement, conduire le public à ne pas associer deux signes similaires ne comportant que le mot grives en commun. Or le risque de confusion inclut le risque d'association. Il est donc caractérisé et, partant, la contrefaçon.

63.Quant à la « légitime défense » qu'invoque la société Vignobles [Z], elle est sans application au civil, sauf à y voir l'invocation d'une faute de la victime ayant elle-même causé son propre préjudice. Toutefois, elle n'allègue pas en quoi la rupture des relations commerciales qu'elle invoque à ce titre, dont elle ne donne aucune caractéristique (ni les dates, ni les volumes, ni les conditions exactes de leur fin), serait fautive ; en toute hypothèse une rupture de relations, même fautive, ne justifierait pas une atteinte au droit de marque par « réaction » et « réponse du berger à la bergère » (conclusions Vignobles laur p. 55, 3e §) telle qu'en l'espèce, et serait donc sans lien causal avec le préjudice subi de ce fait.

b. contrefaçon des marques [Adresse 8]

Moyens des parties

64.La société [Adresse 8] soutient que l'emploi des termes « assimilé [Adresse 8] » dans un courriel et une brochure commerciale constitue l'usage dans la vie des affaires d'un signe identique à ses marques au plan phonétique et extrêmement proche au plan visuel, pour des produits identiques, sans qu'il s'agisse, selon elle, d'un usage à des fins purement descriptives au sens de l'arrêt Holterfoff de la Cour de justice cité par la défenderesse, car il faudrait pour cela que les produits soient identiques alors que le terme [Adresse 8] renvoie, dit-elle, non à un produit en général mais seulement à un domaine et à la gamme de produits qu'elle commercialise.

65.La société Cgm vins expose d'abord que l'article L. 713-2 du code de la propriété intellectuelle n'interdit pas l'utilisation de la marque d'un tiers à des fins purement descriptives, comme l'a jugé la Cour de justice dans un arrêt Holterfoff ; qu'en effet elle n'a jamais utilisé la marque dans le cadre de la commercialisation de produits, seulement dans un courriel adressé à deux sociétés et dans une seule brochure imprimée à un nombre limité d'exemplaires, l'huissier n'ayant trouvé aucun autre usage lors de la saisie-contrefaçon ; que la référence recherchée était celle de l'appellation géographique ; que cet usage, destiné à des professionnels avertis, excluait toute confusion.

Réponse du tribunal

66.Il est constant que la société Cgm vins a désigné, dans un courriel adressé à au moins deux distributeurs de vins, et dans une brochure commerciale, un vin « Faute de grives je bois du merle » comme étant « assimilé [Adresse 8] ». La mention « assimilé » introduit le signe distinctif qui suit et n'en fait donc pas partie. Le signe dont il a ainsi été fait usage, dans la vie des affaires, est donc « [Adresse 8] », et il a été utilisé pour désigner des vins, produits identiques à ceux pour lesquels les marques sont enregistrées.

67.Pour qu'un tel usage enfreigne le droit exclusif du titulaire de la marque, encore faut-il qu'il porte atteinte ou soit susceptible de porter atteinte à l'une des fonctions de celle-ci (voir les développements qui précèdent, points 52 et 53). À cet égard, la société Cgm vins se prévaut d'un arrêt de la Cour de justice (CJUE, 14 mai 2002, [L], C-2/00) dont l'apport est que « le titulaire d'une marque ne peut pas invoquer son droit exclusif lorsqu'un tiers, dans le cadre de tractations commerciales, révèle que le produit provient de sa propre fabrication et n'utilise la marque en cause qu'à la seule fin de décrire les propriétés spécifiques du produit qu'il propose, si bien qu'il est exclu que la marque utilisée soit interprétée comme se référant à l'entreprise de provenance dudit produit. » Toutefois, en l'espèce, rien n'indique que la société Cgm vins ait indiqué clairement que les produits offerts à la vente n'émanaient pas du titulaire de la marque [Adresse 8], ce qui ne se déduit pas du simple usage du terme « assimilé », qui est ambigu ; et l'usage de la marque par la société Cgm vins a eu pour objet de faire référence aux produits de la société [Adresse 8] en général, auxquels les produits qu'elle proposait elle-même étaient « assimilés », et non à une caractéristique unique, particulière et clairement identifiée, qu'il se serait agi de décrire, comme dans l'espèce ayant donné lieu à l'arrêt [L], qui concernait une méthode particulière de taille des pierres précieuses, arrêt dont la solution, exceptionnelle, ne doit pas donner lieu à une interprétation extensive.

68.Au demeurant, à supposer qu'il n'ait pas été porté atteinte à la fonction d'indication d'origine de la marque, la référence à une marque pour attribuer dans la vie des affaires, à un produit qui n'en est pas revêtu, des qualités que le public prête à cette marque, ce qui a été fait en l'espèce par l'emploi de « assimilé [Adresse 8] » pour caractériser un autre produit sans l'autorisation de la société [Adresse 8], porte atteinte, a minima, aux fonctions de garantie de qualité, d'investissement et de publicité de la marque.

69.Par conséquent, l'atteinte au droit que le titulaire tient du paragraphe 2, sous a) est caractérisée, et partant, la contrefaçon.

c. demandes en réparation et droit d'information

Moyens des parties

70.La société [Adresse 8] estime d'abord la marge des sociétés Vignobles [Z] et Cgm vins sur les produits contrefaisants, pour la première à partir d'un prix de revient qu'elle estime et du prix de vente à la société Cgm vins, et pour la seconde de celui-ci et de son prix de revente, marge qu'elle applique au nombre de bouteilles dont les ventes sont avérées grâce à la saisie-contrefaçon de 2018, puis en les projetant sur la période postérieure pendant 3 ans, en estimant s'agissant de Vignobles laur que ses ventes ont progressé à 50 000 bouteilles par an, et pour Cgm vins qu'elles se sont maintenues au même niveau ; et calcule une marge totale de 360 195 euros pour la première, et 413 710,80 euros pour la seconde. Elle estime ensuite son manque à gagner en supposant que chaque bouteille vendue par l'une ou l'autre défenderesse lui aurait été achetée, à elle, et applique ainsi au nombre de bouteilles vendues qu'elle a calculées pour déterminer la marge des défenderesses son propre prix de vente en gros, puis sa propre marge brute qu'elle détermine en lui appliquant le même taux de marge que retenu pour Vignobles [Z], estimant que produisant la totalité de son vin elle-même et le vendant nettement plus cher, elle bénéficie en réalité d'un taux de marge supérieur ; et en déduit un manque à gagner de 903 563,24 euros au titre des bouteilles vendues par Vignobles [Z], et 335 776 euros au titre des bouteilles vendues par Cgm vins. Elle additionne ces résultats, pour réclamer in solidum aux sociétés Vignobles [Z] et Cgm vins le total (bénéfice et manque à gagner) résultant des ventes de cette dernière, et à la société Vignobles [Z] seule le total résultant de l'ensemble de ses propres ventes.

71.Elle allègue en outre un préjudice d'image tenant à la piètre qualité, selon elle, du vin de la société Vignobles [Z], et qu'elle évalue à 4 euros par bouteille vendue par chacune des deux défenderesses, soit respectivement 806 752 euros et 299 800 euros.

72.La société Vignobles [Z] conteste l'hypothèse selon laquelle chaque bouteille achetée aux défenderesses aurait été achetée à la société [Adresse 8] en l'absence de contrefaçon, ainsi que la critique de la qualité de son produit, et fait valoir que ses vins sont vendus en grande distribution contrairement à ceux de la société [Adresse 8], de sorte qu'il ne pourrait y avoir de détournement de clientèle.

73.La société Cgm vins critique l'absence de communication par la société [Adresse 8] de pièces comptables pour démontrer ses allégations, conteste notamment la marge qu'on lui impute, l'estimant à 0,48 euros par bouteille pour le vin moelleux et 0,44 euros par bouteille pour le rosé, ainsi que le prix de vente revendiqué par [Adresse 8], estimant au contraire, sur la base des prix auxquels elle achetait elle-même ce vin jusqu'en 2013, qu'il est de 2,06 euros par bouteille et non 4,49 ou 9,83. Elle expose en outre avoir été de bonne foi, ayant vérifié le dépôt par M. [Z] de la marque « Faute de grive je bois du merle », et conteste le préjudice d'image en avançant qu'elle ne commercialise les produits litigieux que dans le département de la Gironde.

Réponse du tribunal

74.En vertu de l'article L. 717-2 du code de la propriété intellectuelle, les dispositions des articles L. 716-4-10, L. 716-4-11 et L. 716-8 à L. 716-13 sont applicables aux atteintes portées au droit du titulaire d'une marque de l'Union européenne.

75.Ainsi, en application du premier de ces textes, pour fixer les dommages et intérêts, la juridiction prend en considération distinctement :

1o Les conséquences économiques négatives de la contrefaçon, dont le manque à gagner et la perte subis par la partie lésée ;

2o Le préjudice moral causé à cette dernière ;

3o Et les bénéfices réalisés par le contrefacteur, y compris les économies d'investissements intellectuels, matériels et promotionnels que celui-ci a retirées de la contrefaçon.

76.Toutefois (2nd alinéa de l'article L. 716-4-10), la juridiction peut, à titre d'alternative et sur demande de la partie lésée, allouer à titre de dommages et intérêts une somme forfaitaire. Cette somme est supérieure au montant des redevances ou droits qui auraient été dus si le contrefacteur avait demandé l'autorisation d'utiliser le droit auquel il a porté atteinte. Elle n'est pas exclusive de l'indemnisation du préjudice moral causé à la partie lésée.

i. Montant du préjudice matériel

77.La demande de la société [Adresse 8] cumule le bénéfice qui serait réalisé par les défenderesses et le manque à gagner qu'elle aurait subi. Une telle méthode n'est pas conforme aux dispositions précitées, qui visent, par la prise en compte successive de différents aspects, à assurer la réparation intégrale du préjudice, et non à l'excéder. Le bénéfice du contrefacteur vise donc à aider à déterminer le préjudice du titulaire de droit en complément de l'analyse des conséquences économiques négatives, mais évidemment pas à s'y ajouter arithmétiquement comme s'il s'agissait d'un préjudice distinct.

78.De même, la société [Adresse 8] calcule sa perte économique à la fois sur les bouteilles vendues par la société Vignobles [Z], y-compris celles vendues à la société Cgm vins, et les bouteilles revendues par celle-ci ; ces dernières sont donc comptées deux fois, ce qui n'est pas valable. Ces calculs se fondent au demeurant sur l'hypothèse elle aussi dénuée de pertinence selon laquelle chaque vente d'une bouteille contrefaisante correspondrait systématiquement à une bouteille non vendue par la société [Adresse 8]. Or si la marque est un élément important du choix du consommateur, son effet dépend de l'intensité du risque de confusion, et elle n'est pas le seul critère de choix, lequel dépend aussi, notamment, de la différence de prix, comme de la différence de canaux de commercialisation (la société [Adresse 8] affirmant ne pas vendre ses bouteilles en grande distribution), qui doivent donc conduire à retenir un taux de report d'un produit sur l'autre très significativement réduit. Enfin, pour déterminer le manque à gagner de la société [Adresse 8], encore faudrait-il connaitre le prix auquel elle vend ses produits, mais si elle l'allègue dans ses conclusions, elle n'y vise aucune pièce pour le démontrer. Seul le bénéfice des contrefacteurs peut donc, en l'espèce, permettre d'estimer le préjudice.

79.À cet égard, il n'est pas contesté que, comme l'a établi la saisie-contrefaçon, la société Vignobles [Z] a vendu, entre le 1er janvier 2017 et le 28 février 2018, soit en 14 mois, des produits contrefaisants pour 92 573,37 euros de vin blanc moelleux et 17 220,93 euros de vin blanc sec soit 109 794,30 euros au total. La société [Adresse 8] en déduit, sans être contredite, et sur la base des prix de vente issus de la saisie (3 euros la bouteille de blanc moelleux et 2,30 euros la bouteille de blanc sec), 38 344 bouteilles au total dont 80% de blanc moelleux. Par ailleurs, la saisie-contrefaçon pratiquée chez Cgm vins a démontré que du vin rosé était vendu par la société Vignobles [Z], dans une proportion égale à celle du blanc sec, de sorte que comme l'a fait la société [Adresse 8], d'une façon non contestée, mais en adaptant toutefois la proportion de vin moelleux à la baisse (et non à la hausse, ce qui n'est pas cohérent) il peut être retenu qu'ont été vendus 70% de blanc moelleux, 15% de blanc sec et 15% de blanc moelleux.

80.Les parties s'opposent quant au prix de revient des bouteilles de la société Vignobles [Z], laquelle avance des montants (1,38 à 1,59 euros la bouteille) mais sans démontrer son allégation, et la société [Adresse 8] avançant elle-même par supposition et sans preuve un prix de revient de 0,85 euros la bouteille. Or rapporté au prix de vente (2,30 pour le sec et le rosé, 3 euros pour le moelleux), ce prix de revient correspondrait à un taux de marge de 63% (sec et rosé) à 72% (moelleux). Un tel taux est inhabituellement élevé, et à défaut de la moindre explication d'une telle exception, il ne peut être retenu. Un taux de marge correspondant à des conditions économiques favorables doit être retenu, tenant compte de l'ensemble des couts pertinents, soit 30%.

81.Il s'ensuit que sur la période considérée, en rapportant le taux retenu aux quantités de bouteilles vendues par la société [Z], le bénéfice de celle-ci peut-être évalué à 24 100 euros pour le moelleux, 4 000 euros pour le sec et autant pour le rosé, soit 32 100 euros au total. Il n'est pas contesté que la contrefaçon s'est poursuivie après la saisie-contrefaçon, et la société [Adresse 8] apporte des tickets de vente d'un grand nombre de points de vente, jusqu'en 2021, qui le démontrent. Elle souligne également le nombre d'étiquettes et de capsules « Faute de grives... » commandées entre fin 2020 et début 2021 (100 000 capsules en janvier 201, 98 000 étiquettes entre le 23 décembre 2020 et le 15 mars 2021) dont il peut être déduit comme elle le fait que les ventes ont cru après 2017, passant de 38 344 en 14 mois (soit 32 866 en un an) à 50 000 bouteilles par an. Il s'en déduit un bénéfice supplémentaire, sur les 3 années suivantes, de 94 500 euros pour le moelleux, 15 500 euros pour le sec et autant pour le rosé, soit 125 500 euros au total. Soit au total toutes périodes confondues une somme de 157 600 euros.

82.S'agissant de la société Cgm vins, la demanderesse indique, s'appuyant sur la saisie-contrefaçon et sans être contredite, que cette société a vendu 6 424 bouteilles contrefaisantes entre le 10 novembre 2017 et le 27 mars 2018 (elle avait également commandé 1 071 bouteilles supplémentaires mais elles ne peuvent pas être prises en compte pour cette période, n'étant précisément pas livrées). La défenderesse n'ayant apporté aucun élément de nature à indiquer l'ampleur de la contrefaçon après la saisie, il faut retenir qu'elle s'est maintenue au moins au même niveau, de sorte que si 6 424 bouteilles ont été vendues entre le 10 novembre 2017 et le 27 mars 2018 (137 jours), il s'en est vendu, pendant 3 années de plus (limite du décompte de la demanderesse), soit 1 096 jours, 51 392 de plus, soit un total de bouteilles vendues de 57 816. La société [Adresse 8] a relevé de la saisie-contrefaçon que la société Cgm vins avait acheté pour environ 85% de blancs moelleux, 7,5% de blancs secs et 7,5% de rosés.

83.Pour déterminer le bénéfice, la demanderesse retient la différence entre le prix d'achat et le prix de revente (4,25 euros pour le moelleux, 3,36 pour le sec, et 3,50 pour le rosé) ce qui correspond à une marge brute de 29% à 34% ; cette marge brute n'inclut toutefois pas l'ensemble des couts causés par la vente de ces produits, de sorte que pour déterminer le bénéfice du contrefacteur, au sens de la réparation du préjudice causé par la contrefaçon, il faut appliquer un taux marginal plus réduit, en tenant compte de ce que ce taux s'applique à un prix de vente plus élevé que celui du fabricant, et de ce qu'il s'agit seulement d'un intermédiaire de distribution du produit, soit 15% (la défenderesse admettant, pour sa part, une marge correspondant à un taux de 11% environ). En l'appliquant au volume déterminé au point précédent et aux prix de revente rappelés ci-dessus, il en résulte un bénéfice, pour la société Cgm vins, de 35 800 euros.

84.À l'égard de la contrefaçon des marques « [Adresse 8] », la demanderesse n'invoque aucun préjudice distinct.

ii. droit d'information et caractère provisionnel des sommes allouées

85.L'article L. 716-4-9 du code de la propriété intellectuelle, appliquant en droit national l'article 8 de la directive 2004/48 relative au respect des droits de propriété intellectuelle, prévoit au bénéfice du demandeur à l'action en contrefaçon un droit d'information en vertu duquel, s'il n'existe pas d'empêchement légitime, la juridiction peut ordonner, au besoin sous astreinte, afin de déterminer l'origine et les réseaux de distribution des produits argüés de contrefaçon qui portent atteinte aux droits du demandeur, la production de tous documents ou informations détenus par le défendeur ou par toute personne qui a été trouvée en possession de produits argués de contrefaçon ou qui fournit des services utilisés dans de prétendues activités de contrefaçon ou encore qui a été signalée comme intervenant dans la production, la fabrication ou la distribution de ces produits ou la fourniture de ces services.

86.La directive précitée, à son article 8, paragraphe 2, sous b) prévoit que les informations visées peuvent comprendre des renseignements sur les quantités ainsi que sur le prix obtenu pour les marchandises ou services en question. Il s'ensuit que les renseignements sur « l'origine et les réseaux de distribution » incluent ceux portant sur l'étendue du préjudice.

87.En l'espèce, les défenderesses n'ayant pas apporté les éléments permettant d'établir la totalité de leurs ventes, alors qu'elles les détiennent, la demande formée au titre du droit à l'information doit être accueillie, l'astreinte étant en outre rendue nécessaire par cette inaction prolongée des défenderesses, que rien ne justifie. Il en résulte également que les sommes établies à la partie précédente ne peuvent être qu'une provision.

iii. obligation in solidum

88.Les règles régissant de façon générale la réparation d'un préjudice impliquent que lorsque plusieurs personnes ont concouru à la réalisation d'un même préjudice, chacune en est responsable en totalité. Il faut donc examiner si, et dans quelle mesure, les défenderesses ont concouru à un préjudice unique.

89.La société Cgm vins a revendu une partie des produits fabriqués par la société Vignobles [Z] et destinés aux consommateurs de vin. Il s'agit du même produit, dont la société Cgm vins n'assure que la distribution, ce qui profite à la société Vignobles [Z]. La fabrication du produit revêtu du signe litigieux et sa distribution sont donc indissociables, et concourent à la réalisation du même préjudice. Ces deux sociétés doivent donc être tenues in solidum de l'entier préjudice causé par les produits contrefaisants fabriqués par Vignobles [Z] et distribués par Cgm vins.

90.Il a été estimé que 57 816 bouteilles avaient été vendues par Cgm vins (point 82) sur le total de 188 344 commercialisées par Vignobles [Z] (38 444 + 3*50 000, cf points 79 et 81), soit 31%. La répartition des vins étant à peu près du même ordre, cette proportion peut être appliquée au préjudice tel qu'il a été calculé grâce aux bénéfices de la société Vignobles [Z], soit 31% * 157 600 = 48 900 euros. Ce préjudice commun inclut le préjudice tel qu'il se fonde sur le bénéfice de la société Cgm vins, et ne s'y ajoute donc pas. En effet, la méthode du bénéfice du contrefacteur est utile pour apprécier le préjudice causé par la contrefaçon, mais elle est trop imprécise pour autoriser à elle seule l'addition arithmétique des bénéfices de chaque acteur de la chaîne de distribution. Ce montant de 48 900 euros correspond donc (à titre provisionnel) au montant du préjudice causé en commun par les deux défenderesses et se déduit du montant que la société Vignobles [Z] doit au titre du préjudice auquel Cgm vins n'a pas contribué.

91.Et il s'ensuit que la société Cgm vins doit être condamnée, in solidum avec la société Vignobles [Z], à payer cette provision à la société [Adresse 8] ; tandis que la société Vignobles [Z] doit être condamnée à lui payer, seule, une provision de 157 600 - 48 900 = 108 700 euros.

iv. bonne foi et recours entre coresponsables

92.La bonne foi, invoquée par la société Cgm vins, n'est pas de nature à faire obstacle à la réparation du préjudice de la victime de la contrefaçon. Elle peut en revanche être un critère pertinent dans les rapports des coresponsables entre eux. En l'espèce la société Cgm vins a commis une erreur de droit sur la licéité des marques, en partie provoquée par la société Vignobles [Z] dont le comportement ouvertement déloyal est franchement fautif. Néanmoins, l'usage propre, par la société Cgm vins, de la marque [Adresse 8] pour désigner les vins « Faute de grives je bois du merle », révèle qu'elle n'était pas entièrement de bonne foi et savait à quels intérêts juridiquement protégés la commercialisation qu'elle réalisait était très susceptible de porter atteinte. Il s'ensuit qu'une garantie seulement partielle est due par la société Vignobles [Z], qui peut être limitée en laissant définitivement à la charge de la société Cgm vins la moitié de son bénéfice tel qu'il a été estimé au point 83, c'est-à-dire 35 800 / 2 = 17 900 euros, soit une garantie due à hauteur de la différence, 48 900 - 17 900 = 31 000 euros.

v. préjudice d'image

93.La faible qualité du vin contrefaisant, alléguée par la demanderesse, n'est fondée que sur une suspicion tenant à la mention, sur la contre-étiquette, du chef [F] [G] sans l'accord de celui-ci, ce qui n'est pas en soi un indice de bonne ou de mauvaise qualité. Alors que les vins blancs en cause viennent de la même IGP, l'absence d'autre élément objectif ne permet pas de présumer que l'un serait en soi d'une moins bonne qualité que l'autre.

94.En revanche, la contrefaçon des marques Premières et Dernières grives par la commercialisation d'un grand nombre de bouteilles destinées au même public, bien que par un canal de distribution différent, a contribué significativement à affaiblir le caractère distinctif de la marque. Il en résulte un préjudice pouvant être estimé, à titre provisoire, à 50 000 euros au total, dont 15 500 euros dûs in solidum, soit une différence de 34 500 euros dus par la société Vignobles [Z] seule, et une garantie de celle-ci due à la société Cgm vins dans la même proportion environ que pour le préjudice matériel, soit à hauteur de 9 800 euros.

d. autres demandes fondées sur la contrefaçon

i. publication

95.Le préjudice étant déjà réparé, dans toute la mesure où il est avéré au regard des éléments déjà connus, par les dommages et intérêts, au regard des circonstances des actes commis par les défenderesses, la demande de publication, qui est une modalité de la réparation, doit être rejetée.

ii. interdiction

96.Les demandes en interdiction formées par la société [Adresse 8] doivent être accueillies, sous une astreinte de 100 euros par unité commercialisée malgré l'interdiction, l'unité correspondant à une bouteille.

3o) Demandes fondées sur les actes distincts de concurrence déloyale et parasitaire

Moyens des parties

97.La société [Adresse 8] critique l'imitation du conditionnement de ses vins par la reprise des mêmes formats et couleur de bouteille, la reprise du dessin d'un oiseau, en choisissant de commercialiser des vins de Côtes de Gascogne, le tout pour produire un vin en apparence similaire au sien ; l'imitation des caractéristiques du vin, un vin blanc moelleux issu de vendanges tardives, le tout pour en faire un produit de substitution ; le choix d'un prix inférieur au sien ; l'orchestration de la présentation accolée des vins dans les rayonnages d'au moins 25 supermarchés, par l'achat de vins [Adresse 8] dans le but de les vendre en même temps que les vins « Faute de grives » ; enfin la promotion de ces vins par un discours trompeur en ce que la contre-étiquette annonce que les producteurs ont été inspirés par [F] [G]

98.La société Vignobles [Z] invoque à nouveau la rupture brutale de leurs relations commerciales par la société [Adresse 8] comme d'un « fait justificatif », et expose que la forme des bouteilles est uniforme au sein d'une même appellation, que si les vins [Adresse 8] se trouvent en grande surface c'est qu'un autre de ses acquéreurs les y a vendues à sa place, et que son propre prix bas vient de sa volonté de rester au plus près de son prix de revient.

Réponse du tribunal

99.La concurrence déloyale, sanctionnée en application de l'article 1240 du code civil, doit être appréciée au regard du principe de la liberté du commerce qui implique qu'un produit qui ne fait pas l'objet de droits de propriété intellectuelle puisse être librement commercialisé sous certaines conditions tenant à l'absence de faute par la création d'un risque de confusion dans l'esprit de la clientèle sur son origine, circonstance attentatoire à l'exercice loyal des affaires. L'appréciation de la faute au regard du risque de confusion doit résulter d'une approche concrète et circonstanciée des faits de l'espèce prenant en compte notamment le caractère plus ou moins servile, systématique ou répétitif de la reproduction ou de l'imitation, l'ancienneté d'usage, l'originalité et la notoriété de la prestation copiée.

100.Le parasitisme, qui s'apprécie dans le même cadre que la concurrence déloyale dont il constitue une déclinaison mais dont la caractérisation est toutefois indépendante du risque de confusion, consiste dans le fait pour une personne physique ou morale de profiter volontairement et de façon injustifiée des investissements, d'un savoir-faire ou d'un travail intellectuel d'autrui produisant une valeur économique individualisée, et générant un avantage concurrentiel.

101.En l'espèce, le fait de vendre un vin aux caractéristiques identiques à un prix plus faible ne saurait être fautif, l'imitation des caractéristiques d'un produit étant par principe autorisée et les prix, libres. L'imitation de la forme de la bouteille n'est pas davantage fautive dès lors qu'elle concerne des différences mineures entre les appellations et les types de vins, que le grand public, a fortiori dans un supermarché qui n'est pas un commerce spécialisé, ne connait pas, et auxquelles il ne fait pas spécialement attention. La forme et le contenu de l'étiquette ont été pris en compte pour caractériser le risque de confusion et ne constituent donc pas un fait distinct. La mention du nom d'[F] [G] n'est pas en soi trompeuse, bien que peu loyale.

102.En revanche, la société [Adresse 8] justifie, par une facture (pièce [Adresse 8] no78) adressée le 17 avril 2020 par la société So conseils à la société Vignobles [Z], et que celle-ci ne conteste pas, que cette dernière a acheté à cette occasion 2 100 bouteilles « Premières grives ». Elle n'apporte aucune explication à cet achat alors qu'elle se plaint à maintes reprises d'avoir dû cesser de commercialiser les vins [Adresse 8], et répète également que la multiplication des intermédiaires est la cause du prix élevé du vin [Adresse 8] en supermarché. L'achat de ce vin, par elle, à un intermédiaire, ne trouve donc aucune autre justification que celle, avancée par la société [Adresse 8], de le revendre simultanément avec ses propres vins « Faute de grives je bois du merle », afin de créer la présence simultanée de ces deux vins sur les mêmes rayons. Car s'il est naturel que les magasins placent côte à côte des vins de la même IGP, il était beaucoup moins probable qu'un vin dont il est constant que le producteur ne le commercialise pas en grande distribution se trouve vendu en même temps que le vin « Faute de grives » à de si nombreuses reprises. Or une telle manipulation consistant à orchestrer la présence simultanée des produits, qui aggrave manifestement le risque de confusion créé par l'emploi du signe contrefaisant, est fautive.

103.Au regard du nombre de bouteilles vendues, le préjudice causé par cette concurrence déloyale doit être estimé à une provision de 60 000 euros.

4o) Autres demandes

104.Les demandes principales étant accueillies, la procédure n'était pas abusive. Les demandes en ce sens sont donc rejetées.

105.Aux termes de l'article 696 du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n'en mette la totalité ou une fraction à la charge d'une autre partie. L'article 700 du même code permet au juge de condamner en outre la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l'autre, pour les frais exposés mais non compris dans les dépens, une somme qu'il détermine, en tenant compte de l'équité et de la situation économique de cette partie.

106.Les deux défenderesses perdent le procès et sont donc tenues aux dépens. Ayant soulevé des contestations manifestement infondées ayant inutilement et fortement complexifié le litige, l'équité commande qu'elles indemnisent la demanderesse de ses frais ; toutefois, celle-ci ayant également grossièrement exagéré ses prétentions indemnitaires, une partie du cout du procès doit rester à sa charge.

107.Enfin, vu l'article 515 du code de procédure civile dans sa rédaction en vigueur à la date d'introduction de l'instance, l'exécution provisoire, qui est rendue nécessaire par le caractère manifestement infondé de la résistance des défenderesses, et qui est compatible avec la nature de l'affaire, doit être ordonnée.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal, statuant publiquement en premier ressort par jugement contradictoire mis à disposition au greffe,

Déclare irrecevables les demandes en nullité et radiation formées par la société Vignobles [Z] à l'égard des marques 1, 2, 9, 10, 11, 13 (selon la numérotation posée en exposé du litige) et de la marque française no4090753 ;

Déclare irrecevables les demandes en nullité et radiation de marques formées par les sociétés Vignobles [Z] et Cgm vins en ce qu'elles désignent des produits autres que les vins ;

Déclare irrecevable la demande en nullité de la dénomination sociale ‘Chateau du [Adresse 8]' formée par la société Vignobles [Z] ;

Rejette les demandes de la société Vignobles [Z] en nullité (et déchéance) des marques 3, 4, 5, 6, 7, 8, 12 ;

Rejette les demandes de la société Cgm vins en nullité (et déchéance) des marques 1, 2, 3, 4, 5, 6 ;

Condamne in solidum les sociétés Cgm vins et Vignobles [Z] à payer une provision de 48 900 euros à la société [Adresse 8] sur la réparation de son préjudice matériel au titre des ventes réalisées à et par la société Cgm vins, en contrefaçon des marques Premières grives et Dernières grives ;

Condamne in solidum les sociétés Cgm vins et Vignobles [Z] à payer une provision de 15 500 euros à la société [Adresse 8] sur la réparation de son préjudice d'image causé par les mêmes ventes ;

Dit que dans leurs rapports entre eux, la société Vignobles [Z] doit garantir la société Cgm vins de ces condamnations à hauteur de
- 31 000 euros pour le préjudice matériel
- 9 800 euros pour le préjudice d'image ;

Condamne la société Vignobles [Z] à payer en outre une provision de 108 700 euros à la société [Adresse 8] sur la réparation de son préjudice matériel causé par la contrefaçon des mêmes marques Premières grives et Dernières grives ;

La condamne à lui payer encore une provision de 34 500 euros sur la réparation de son préjudice d'image causé par la même contrefaçon ;

Condamne les sociétés Cgm vins et Vignobles [Z] à remettre à la société [Adresse 8] la copie de tout contrat, devis, bon de commande, facture, et extraits du grand livre comptable, relatifs à la production et la distribution des vins « Faute de grives je bois du merle » depuis janvier 2017, et ce dans un délai de 30 jours à compter de la signification du jugement, puis sous astreinte de 500 euros par jour de retard, qui courra pendant 180 jours, contre chacune de ces deux sociétés ;

Interdit aux sociétés Cgm vins et Vignobles [Z] de commercialiser, de quelque manière que ce soit, du vin ou des produits similaires sous un signe contenant « Faute de grive(s) », sous astreinte de 100 euros par infraction constatée passés 15 jours suivant la signification du présent jugement, chaque bouteille commercialisée caractérisant une infraction, l'astreinte commençant à courir 15 jours après la signification du jugement et courant au maximum pendant 180 jours à compter de la première infraction constatée ;

Se réserve la liquidation des astreintes

Condamne la société Vignobles [Z] à payer à la société [Adresse 8] une provision de 60 000 euros sur la réparation du préjudice causé par les faits distincts de concurrence déloyale et parasitaire ;

Renvoie les parties à la détermination amiable du préjudice et, à défaut d'accord, par le tribunal saisi par nouvelle assignation ;

Rejette les demandes en procédure abusive (et amende civile) ;

Condamne in solidum les sociétés Vignobles [Z] et Cgm vins aux dépens, avec recouvrement par l'avocat de la société [Adresse 8] dans les conditions de l'article 699 du code de procédure civile ;

Condamne à payer à la société [Adresse 8], au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- la société Vignobles [Z], 30 000 euros,
- la société Cgm vins, 10 000 euros,

Et rejette leur propre demande à ce titre ;

Ordonne l'exécution provisoire.

Fait et jugé à Paris le 25 janvier 2022

La GreffièreLa Présidente


Synthèse
Tribunal : Tribunal de grande instance de Paris
Formation : Ct0196
Numéro d'arrêt : 18/4839
Date de la décision : 25/01/2022

Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.grande.instance.paris;arret;2022-01-25;18.4839 ?
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