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11/01/2022 | FRANCE | N°21/6958

France | France, Tribunal de grande instance de Paris, Ct0196, 11 janvier 2022, 21/6958


TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS

3ème chambre
3ème section

No RG 21/06958 -
No Portalis 352J-W-B7F-CUOTU

No MINUTE :

Assignation du :
16 Avril 2021

JUGEMENT
rendu le 11 Janvier 2022
DEMANDERESSE

Association QUALIBAT
[Adresse 1]
[Localité 2]

représentée par Maître Sophie MICALLEF de l'AARPI HOYNG ROKH MONEGIER VERON, avocats au barreau de PARIS,vestiaire #P0512

DÉFENDERESSE

S.A.S. [R] BAT
[Adresse 3]
[Localité 4]

défaillant

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Nathalie SABOTIER,

1ère vice-présidente adjointe
Arthur COURILLON-HAVY, juge
Alix FLEURIET, juge

assisté de Lorine MILLE, greffière,

DÉBATS

A l'audience du 04 Novembre 2021 tenu...

TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS

3ème chambre
3ème section

No RG 21/06958 -
No Portalis 352J-W-B7F-CUOTU

No MINUTE :

Assignation du :
16 Avril 2021

JUGEMENT
rendu le 11 Janvier 2022
DEMANDERESSE

Association QUALIBAT
[Adresse 1]
[Localité 2]

représentée par Maître Sophie MICALLEF de l'AARPI HOYNG ROKH MONEGIER VERON, avocats au barreau de PARIS,vestiaire #P0512

DÉFENDERESSE

S.A.S. [R] BAT
[Adresse 3]
[Localité 4]

défaillant

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Nathalie SABOTIER, 1ère vice-présidente adjointe
Arthur COURILLON-HAVY, juge
Alix FLEURIET, juge

assisté de Lorine MILLE, greffière,

DÉBATS

A l'audience du 04 Novembre 2021 tenue en audience publique devant Nathalie SABOTIER et Arthur COURILLON-HAVY, juges rapporteurs, qui, sans opposition des avocats, ont tenu seuls l'audience, et, après avoir entendu les conseils des parties, en ont rendu compte au Tribunal, conformément aux dispositions de l'article 805 du Code de Procédure Civile. Avis a été donné aux avocats que le jugement serait rendu par mise à disposition au greffe le 11 Janvier 2022.

JUGEMENT

Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe
Réputé contradictoire
En premier ressort

_________________________________

Exposé du litige

1.L'association Qualibat reproche à la société ‘[R] bat', présidée par M. [T] [R], de contrefaire ses marques verbale et semi-figurative « Qualibat » et de porter atteinte à sa dénomination, par ce choix de dénomination sociale.

2.Elle est ainsi titulaire
- de la marque française dénominative collective de certification « Qualibat », no03 257 778 déposée le 19 novembre 2003 (enregistrée 23 avril suivant et régulièrement renouvelée depuis) pour désigner des services en classes 35, 37, 38, 41 et 42, dont la construction d'édifices permanents, maçonnerie, plâtrerie, plomberie, peinture, câblage ;
- de la marque semi-figurative de l'Union européenne no015748882, représentant sous une pyramide le mot « Qualibat », déposée le 11 aout 2016 (et enregistrée le 16 décembre suivant) pour désigner des services en classes 35, 37, 41 et 42, dont des conseils en construction.

3.Ayant découvert l'immatriculation de la société [R] bat depuis le 12 novembre 2020, dont l'activité est « tous corps d'état, peinture, électricité, plomberie », et n'ayant pas obtenu de réponse à ses mises en demeure, elle l'a assignée le 16 avril 2021, en interdiction de faire usage du signe [R] bat, changement effectif de dénomination sociale, le tout sous astreinte, et paiement de 10 000 euros de dommages et intérêts pour contrefaçon de marque, 10 000 euros de dommages et intérêts du fait de l'atteinte à sa dénomination, outre la publication du jugement et 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

4.Sur la contrefaçon, elle estime que le signe [R] bat est fortement similaire aux marques antérieures Qualibat, employé pour des services relevant de la même catégorie générale ou étroitement complémentaires, amenant le consommateur d'attention moyenne à croire qu'il est une déclinaison des marques, le risque de confusion étant renforcé, ajoute-t-elle, du fait de la notoriété des marques.

5.Sur l'atteinte à sa dénomination, elle invoque la responsabilité de droit commun, et soutient que la dénomination de la défenderesse constitue une usurpation fautive en ce qu'elle crée un lien dans l'esprit des consommateurs avec son propre nom, Qualibat, et qu'il s'agit en outre d'une pratique commerciale trompeuse au sens du code de la consommation.

6.La société [R] bat a été assignée par procès-verbal de vaines recherches, l'huissier ayant tenté de délivrer l'acte à l'adresse du siège figurant à l'extrait Kbis de la destinataire mais où le nom de la société ou celui de son dirigeant ne figurent ni sur une boîte aux lettres, ni sur l'interphone, ni sur la liste des occupants de l'immeuble, les voisins déclarant ne pas la connaitre ; et ayant échoué à trouver une autre adresse malgré des recherches dans l'annuaire électronique et sur les sites Infogreffe et Google, celui-ci ayant révélé une autre adresse mais associée à un numéro de téléphone appartenant en réalité à un tiers. L'assignation est ainsi régulière ; mais la société [R] bat n'a pas comparu. Le jugement est donc réputé contradictoire, mais uniquement parce qu'il est susceptible d'appel.

7.L'instruction a été close le 23 septembre 2021, l'affaire appelée à l'audience du 4 novembre 2021 et le jugement mis en délibéré au 11 janvier 2022.

MOTIFS

8.En vertu de l'article 472 du code de procédure civile, si le défendeur ne comparaît pas, il est néanmoins statué sur le fond. Le juge ne fait droit à la demande que dans la mesure où il l'estime régulière, recevable et bien fondée.

1o) Demandes fondées sur la contrefaçon

Cadre juridique

9.Les droits sur les marques françaises et de l'Union européenne sont prévus dans des termes en substance identiques par la directive 2015/2436 rapprochant les législations des États membres sur les marques (la directive) et le règlement 2017/1001 sur la marque de l'Union européenne (le règlement) respectivement à leur article 10 et 9, aux termes desquels :

« 1. L'enregistrement d'une marque confère à son titulaire un droit exclusif sur celle-ci.

2. Sans préjudice des droits des titulaires acquis avant la date de dépôt ou la date de priorité de la marque enregistrée, le titulaire de ladite marque enregistrée est habilité à interdire à tout tiers, en l'absence de son consentement, de faire usage dans la vie des affaires, pour des produits ou des services, d'un signe lorsque :
(...)

b) le signe est identique ou similaire à la marque et est utilisé pour des produits ou des services identiques ou similaires aux produits ou services pour lesquels la marque est enregistrée, s'il existe, dans l'esprit du public, un risque de confusion ; le risque de confusion comprend le risque d'association entre le signe et la marque

(...)

3. Il peut notamment être interdit, en vertu du paragraphe 2 [« si les conditions du paragraphe 2 son remplies », dans le texte de la directive] :

(...)

d) de faire usage du signe comme nom commercial ou dénomination sociale ou comme partie d'un nom commercial ou d'une dénomination sociale »

10.Le droit exclusif conféré par la marque française est codifié en droit interne aux articles L. 713-2 et suivants du code de la propriété intellectuelle, dont l'article L. 713-3-1 vise également l'usage comme dénomination sociale.

11.Enfin, l'atteinte au droit de marque est qualifiée de contrefaçon, engageant la responsabilité civile de son auteur, par l'article L. 716-4 (dans le cas des marques françaises) et par l'article L. 717-1 (dans le cas des marques de l'Union européenne).

Existence d'un usage au sens de ces dispositions

12.La demande en l'espèce porte sur l'emploi d'un signe strictement limité à la dénomination sociale d'un tiers, sans qu'aucun autre fait ne soit porté à la connaissance du tribunal. Elle suppose donc que ce seul fait s'analyse en un usage du signe au sens du paragraphe 3, sous d) et plus généralement en un « usage dans la vie des affaires » au sens du paragraphe 2 des articles 9 et 10 précités.

13.À cet égard, le considérant 19 de la directive et le considérant 13 du règlement, qui ont introduit pour la première fois, parmi les exemples d'usages que le titulaire peut interdire, l'usage dans la dénomination sociale, précisent qu'un tel usage devrait être compris dans la contrefaçon d'une marque « dès lors que cet usage a pour but de distinguer des produits ou services ».

14.L'expression « faire usage » d'un signe doit donc être entendue comme désignant l'emploi du signe dans le but de distinguer des produits ou des services, donc comme portant atteinte ou susceptible de porter atteinte aux fonctions de la marque, ce qui est en définitive, comme l'a maintes fois jugé la Cour de justice de l'Union européenne, la condition du droit exclusif (voir CJUE, 25 juillet 2018, Mitsubishi, C-219/17, point 34, et jurisprudence citée).

15.Or, de la même manière que le seul dépôt d'une marque ne caractérise pas un usage dans la vie des affaires (Cass. Com., 13 octobre 2021, no19-20.504), le seul fait d'immatriculer une société sous une certaine dénomination n'est pas, en soi, un usage de cette dénomination dans le but de distinguer des produits ou services, et il n'est donc pas à lui seul susceptible de porter atteinte aux fonctions de la marque : il s'agit d'un acte dont l'effet est strictement juridique, qui ne caractérise pas en soi l'existence d'une activité, et il ne peut être présumé que du seul fait qu'une société existe, elle est exploitée.

16.Il appartient donc au titulaire de la marque de prouver que le tiers dont il critique la dénomination exerce effectivement une activité économique en lien avec des produits ou services déterminés, ce qui n'est pas une charge excessive dès lors que la protection du droit de marque est spéciale et concrète et non abstraite et absolue.

17.Cette preuve n'est pas rapportée en l'espèce, où seule l'existence de la société [R] bat est démontrée, par son extrait Kbis et ses statuts, ce qui ne permet pas de démontrer qu'elle exerce une activité ni la nature réelle de cette activité, et où les recherches de cette société par sa dénomination sociale n'ont permis de découvrir aucun établissement.

18.Par conséquent, à défaut de preuve d'usage du signe litigieux, la contrefaçon invoquée n'est pas caractérisée.

Risque de confusion

19.À titre surabondant, si les services indiqués sur l'extrait Kbis de la société défenderesse (à supposer que cela corresponde à des services effectivement fournis par elle) sont similaires à ceux pour lesquels les marques sont enregistrées, la comparaison des signes exclut tout risque de confusion (à supposer que l'appréciation d'un tel risque soit possible en l'absence de tout contexte d'exploitation du signe litigieux).

20.En effet, phonétiquement, le signe ne diffère certes de la marque verbale et de la partie verbale de la marque semi-figurative que par l'omission du son « qu » en attaque, mais cette attaque est déterminante, modifiant radicalement la première syllabe d'un signe qui n'en contient que trois, d'une façon très apparente, et ce même « en prononçant vite les deux termes », la demanderesse ne justifiant pas son affirmation péremptoire du contraire, outre qu'il n'est pas dit pour quelle raison un consommateur aurait à prononcer vite le signe litigieux ou la marque pour faire le choix d'un service de construction.

21.Cette ressemblance phonétique déjà modérée en elle-même est largement neutralisée par l'analyse cognitive et visuelle des signes, la marque Qualibat faisant référence à la qualité dans le bâtiment, tandis qu'[R] bat, en 2 mots, désigne le bâtiment d'[R] (ou l'entreprise de bâtiment d'[R]), le mot « [R] » étant au demeurant presque moitié plus court que « quali ».

22.En définitive, la partie commune des deux signes est leur élément le plus descriptif, « bat » pour bâtiment alors qu'il s'agit de fournir des services de travaux de bâtiment. Pour le reste, « [R] » qui renvoie indiscutablement à un nom, ou éventuellement au début d'un mot comme « alimentation », ne peut être pris pour une abréviation de « qualité », dont il ne reprend qu'une partie centrale dénuée de singularité, tout en scindant la première syllabe pour n'en prendre que la deuxième partie (« a » au lieu de « qua »), ce qui n'a aucun sens. Les consommateurs de services de bâtiment ne peuvent donc pas voir dans les trois lettres « [R] » un lien avec l'abréviation du mot « qualité ».

23.Rien n'est donc susceptible, dans la faible proximité entre « [R] » et « quali » suivis de « bat », appréciés dans leur ensemble, d'amener un consommateur normalement informé et raisonnablement attentif et avisé à prendre un signe pour l'autre, ou à croire que l'un soit une déclinaison de l'autre et désigne une entreprise liée économiquement à la première, et ce même face à des services identiques, et même à supposer que la notoriété de la marque Qualibat soit maximale.

2o) Atteinte à la dénomination

24.En l'absence de risque de confusion avec la marque, le choix de la dénomination [R] bat, par une personne physique dont le nom est [R], n'est pas fautive.

25.Par conséquent, les demandes en interdiction, changement de dénomination, dommages et intérêts et publication, qui sont toutes fondées sur la contrefaçon ou l'atteinte à la dénomination, doivent être rejetées.

26.Vu les articles 696 et 700 du code de procédure civile, la demanderesse qui perd le procès est tenue aux dépens et sa demande d'indemnité de procédure est rejetée.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal, statuant publiquement en premier ressort par jugement réputé contradictoire mis à disposition au greffe,

Rejette l'ensemble des demandes de la société Qualibat ;

Laisse les dépens à sa charge.

Fait et jugé à Paris le 11 Janvier 2022

La GreffièreLa Présidente


Synthèse
Tribunal : Tribunal de grande instance de Paris
Formation : Ct0196
Numéro d'arrêt : 21/6958
Date de la décision : 11/01/2022

Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.grande.instance.paris;arret;2022-01-11;21.6958 ?
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