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11/01/2022 | FRANCE | N°20/9742

France | France, Tribunal de grande instance de Paris, Ct0196, 11 janvier 2022, 20/9742


TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS

3ème chambre
3ème section

No RG 20/09742 -
No Portalis 352J-W-B7E-CS5WS

No MINUTE :

Assignation du :
13 Octobre 2020

Incident

ORDONNANCE DU JUGE DE LA MISE EN ETAT
rendue le 11 Janvier 2022

DEMANDERESSES
DEFENDERESSES A L'INCIDENT

S.A. L'ECOLE DES LOISIRS
[Adresse 2]
[Localité 6]

S.A.S.U. [Adresse 2]
[Adresse 2]
[Localité 6]

Madame [T] [V], intervenante volontaire
[Adresse 4]
[Localité 6]

Madame [X] [Z], intervenante volontaire
[Adresse

1]
[Localité 3]

représentées par Maître Marc ARTINIAN de la SELAS MAPG Avocats, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #B0016

DEFENDERESSE
DEMANDERESSE A L'INC...

TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS

3ème chambre
3ème section

No RG 20/09742 -
No Portalis 352J-W-B7E-CS5WS

No MINUTE :

Assignation du :
13 Octobre 2020

Incident

ORDONNANCE DU JUGE DE LA MISE EN ETAT
rendue le 11 Janvier 2022

DEMANDERESSES
DEFENDERESSES A L'INCIDENT

S.A. L'ECOLE DES LOISIRS
[Adresse 2]
[Localité 6]

S.A.S.U. [Adresse 2]
[Adresse 2]
[Localité 6]

Madame [T] [V], intervenante volontaire
[Adresse 4]
[Localité 6]

Madame [X] [Z], intervenante volontaire
[Adresse 1]
[Localité 3]

représentées par Maître Marc ARTINIAN de la SELAS MAPG Avocats, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #B0016

DEFENDERESSE
DEMANDERESSE A L'INCIDENT

S.N.C. RAGEOT EDITEUR
[Adresse 5]
[Localité 6]

représentée par Maître Stéphanie ZAKS de la SELARL Cabinet ZAKS, avocats au barreau de PARIS, vestiaire #L0277MAGISTRAT DE LA MISE EN ETAT

Nathalie SABOTIER, 1ère vice-présidente adjointe
assistée de Lorine MILLE, greffière

DEBATS

A l'audience du 25 Novembre 2021, avis a été donné aux avocats que l'ordonnance serait rendue par mise à disposition au greffe le 11 Janvier 2022.

ORDONNANCE

Prononcée publiquement par mise à disposition au greffe
Contradictoire
En premier ressort

EXPOSÉ DU LITIGE :

L'ECOLE DES LOISIRS est une maison d'édition française de littérature pour la jeunesse fondée en 1965 et exploitée par la société L'ECOLE DES LOISIRS.

En 2013, L'ECOLE DES LOISIRS s'est dotée d'une filiale spécialisée dans l'édition de bandes dessinées, dénommée [Adresse 2] et exploitée par la société du même nom.

Les EDITIONS RAGEOT éditent de la même manière des romans "jeunesse" et ce, depuis 1941. Cette maison d'édition est exploitée par la société RAGEOT EDITEUR.

Au cours de l'année 2003, la société L'ECOLE DES LOISIRS a édité, dans sa collection Medium, un roman en quatre tomes, écrit par Mme [T] [V] sous le titre "Quatre soeurs", chaque tome étant individualisé par le prénom de l'une des cinq soeurs ("Enid", "Hortense", "Bettina", "Geneviève") dont le roman décrit les aventures (seule l'aînée, "Charlie" n'ayant pas de tome à son nom).

Ce roman ayant rencontré un grand succès, il a été réédité en 2004 sous la forme d'un coffret, puis en 2010 et à nouveau en 2013 ainsi qu'en 2020.

En 2011, l'oeuvre "Enid" a été adaptée sous la forme d'une bande dessinée, écrite par Mme [T] [V] et illustrée par Mme [X] [Z], aux éditions DELCOURT cessionnaire des droits de la société "L'ECOLE DES LOISIRS".

A sa création en 2013, la société [Adresse 2] a racheté les droits d'adaptation du roman en bande dessinée, et réédité en 2014, l'oeuvre illustrée "Enid", puis publié les oeuvres "Hortense", "Bettina", "Geneviève", écrites par Mme [T] [V] (à l'exclusion du tome 4 écrit par Mme [X] [Z]) et illustrées par Mme [X] [Z], respectivement en 2015, 2016 et 2018.

En 2012, la société RAGEOT EDITEUR a débuté la publication de romans, intitulés "Quatre soeurs..." et écrits par Mme [P] [R]. Entre 2012 et 2020, sont ainsi parus:
« Quatre s?urs en vacances », « Quatre s?urs à New York », « Quatre s?urs dans la tempête », « Quatre s?urs en scène », « Quatre s?urs en colo », « Quatre s?urs et un Noël inoubliable », « Quatre s?urs en direct du collège », « Quatre s?urs à Londres », « Quatre s?urs à cheval ! », « Quatre s?urs en mer », « Quatre s?urs et un hiver de rêve », « Quatre s?urs dansent », « Quatre s?urs et le manoir hanté », « Quatre s?urs et les secrets de Paris ».

Se plaignant que l'exploitation des oeuvres de Mme [R], en particulier ses exploitations dérivées sous la forme de cahiers de vacances, sous le seul titre "Quatre soeurs" ou "4 soeurs", ainsi que de la reprise des dessins de Mme [Z] pour la couverture d'un de ces cahiers, la société L'ECOLE DES LOISIRS a mis en demeure la société RAGEOT EDITEUR de cesser ces agissements, par une lettre du 23 septembre 2019, réitérée le 16 juin 2020.

Ces mises en demeure n'ayant été suivies d'aucun effet, les sociétés L'ECOLE DES LOISIRS et [Adresse 2] ont, par acte d'huissier du 10 septembre 2020, fait assigner la société RAGEOT EDITEUR devant le tribunal judiciaire de Paris en contrefaçon du titre de l'oeuvre "Quatre soeurs" et de la couverture de l'oeuvre sous la forme d'une bande dessinée "Geneviève", ainsi qu'en concurrence déloyale et parasitaire.

Par des conclusions d'incident notifiées électroniquement le 21 décembre 2020, la société RAGEOT EDITEUR a soulevé une exception de procédure tirée de la nullité de l'assignation, ainsi que diverses fins de non-recevoir.

Par des conclusions du 15 avril 2021, Mesdames [T] [V] et [X] [Z] ont déclaré intervenir volontairement à l'instance engagée par les sociétés L'ECOLE DES LOISIRS et [Adresse 2], et se sont associées à leurs demandes.

Dans ses conclusions d'incident no4, notifiées électroniquement le 21 septembre 2021, la société RAGEOT EDITEUR demande au juge de la mise en état, au visa des articles 56, 114 du code de procédure civile, 122 et 789 du code de procédure civile, L. 131-3, L. 112-4, L. 113-2, L. 113-3 du code de la propriété intellectuelle, 2224 du code civil, de :

IN LIMINE LITIS ET AVANT TOUTE DEFENSE AU FOND
- DIRE que l'exposé des faits reprochés et des fondements juridiques dans l'assignation est imprécis ;
- DIRE qu'il en résulte pour la société RAGEOT EDITEUR des incertitudes sur les faits
reprochés, les moyens de droit invoqués et les éléments déterminant les préjudices allégués qui l'empêchent d'organiser utilement sa défense et lui cause ainsi grief ;
En conséquence,
- ANNULER l'assignation ;

Si par extraordinaire le Juge de la mise en état refusait d'annuler l'assignation,
- DONNER ACTE à la société [Adresse 2] qu'elle n'agit pas à l'encontre de RAGEOT, s'agissant de l'utilisation prétendue du titre « Quatre s?urs », sur le fondement de la contrefaçon et qu'elle ne forme dès lors aucune demande à ce titre ;
- DONNER ACTE à la société L'ECOLE DES LOISIRS qu'elle ne reproche pas à RAGEOT la prétendue imitation de la couverture de la bande dessinée « QUATRE S?URS 4. Geneviève » ni sur le fondement de la contrefaçon, ni sur celui de la concurrence déloyale et du parasitisme et qu'elle ne forme dès lors aucune demande à ce titre ;

SUR LES FINS DE NON-RECEVOIR :
SUR LE DEFAUT DE QUALITE A AGIR DE LA SOCIETE L'ECOLE DES LOISIRS :
Sur le défaut de qualité à agir à raison de l'absence de titularité des droits patrimoniaux :
- DIRE que la société L'ECOLE DES LOISIRS n'est pas titulaire des prétendus droits patrimoniaux de [T] [V] sur le titre « Quatre s?urs » ;
A titre principal,
- DIRE que la société L'ECOLE DES LOISIRS n'est pas coauteur du titre « Quatre s?urs » ;
A titre subsidiaire
- DIRE que [T] [V] a été mise en cause tardivement dans le cadre de la présente action ;
En conséquence et en tout état de cause,
- DIRE que la société L'ECOLE DES LOISIRS n'a pas qualité à agir sur le fondement de la contrefaçon à raison de l'utilisation prétendue du titre « Quatre s?urs » du fait de l'absence de titularité des droits patrimoniaux sur ce titre ;
- DIRE irrecevables les demandes formées par la société L'ECOLE DES LOISIRS sur le fondement de la contrefaçon à raison de l'utilisation prétendue du titre « Quatre s?urs » ;

Sur le défaut de qualité à agir à raison de l'absence d'originalité du titre « Quatre s?urs » :
A titre principal,
- DIRE que le défaut de qualité à agir fondé sur l'absence d'originalité du titre revendiqué constitue une fin de non-recevoir nécessitant que soit tranchée au préalable une question de fond au sens de l'article 789 alinéa 6 du code de procédure civile ;
- RENVOYER l'affaire à la formation de jugement collégiale pour trancher la fin de non-recevoir, la société RAGEOT EDITEUR s'opposant à ce que cette fin de non-recevoir et cette question de fond soit tranchées par le Juge de la mise en état ;
A titre subsidiaire, si par extraordinaire le Juge de la mise en état jugeait que la fin de non-recevoir tenant à l'absence d'originalité du titre revendiqué ne suppose pas de trancher au préalable une question de fond,
- DIRE que le titre « quatre s?urs » est dépourvu de tout caractère original ;

En conséquence,
- DIRE que la société L'ECOLE DES LOISIRS n'a pas qualité à agir sur le fondement de la contrefaçon à raison de l'utilisation prétendue du titre « Quatre s?urs » ;
- DIRE irrecevables les demandes formées par la société L'ECOLE DES LOISIRS sur le fondement de la contrefaçon à raison de l'utilisation prétendue du titre « Quatre s?urs » ;

SUR LE DEFAUT DE QUALITE A AGIR DE LA SOCIETE [Adresse 2] :
Sur la prétendue imitation de la couverture de la bande dessinée ayant pour titre « QUATRE S?URS 4. Geneviève » :
Sur les demandes formées au titre de la contrefaçon :
Sur l'absence de titularité des droits d'adaptation en bande dessinée des romans de [T] [V] :
- DIRE que [T] [V] n'a cédé ses droits d'adaptation en bande dessinée de ses romans dont le titre commence par « Quatre s?urs » édités par L'ECOLE DES LOISIRS, et notamment du roman ayant pour titre « Quatre s?urs 4. Geneviève », ni à L'ECOLE DES LOISIRS, ni à [Adresse 2] ;
- DIRE que la société [Adresse 2] n'est pas titulaire des droits d'adaptation en bande dessinée des romans de [T] [V] dont le titre commence par « Quatre s?urs » et notamment du roman ayant pour titre « Quatre s?urs 4. Geneviève » ;
En conséquence,
- DIRE que la société [Adresse 2] n'a pas qualité à agir sur le fondement de la contrefaçon à raison de la prétendue imitation de la couverture de la bande dessinée « Quatre s?urs 4. Geneviève » ;
- DIRE irrecevables les demandes formées par la société [Adresse 2] au titre de la contrefaçon à raison de la prétendue imitation de la couverture de la bande dessinée « Quatre s?urs 4. Geneviève » ;

Sur l'absence de titularité des droits patrimoniaux sur la bande dessinée dont le titre est « QUATRE S?URS 4. GENEVIEVE » :
- DIRE que la bande dessinée dont le titre est « QUATRE S?URS 4. GENEVIEVE » éditée par [Adresse 2] est une oeuvre de collaboration entre [T] [V] et [X] [Z];
- DIRE que [Adresse 2] n'est pas titulaire des droits patrimoniaux de [T] [V] sur cette bande dessinée ;
En conséquence,
- DIRE que la société [Adresse 2] n'a pas qualité à agir au titre de la contrefaçon à raison de la prétendue imitation de la couverture de la bande dessinée « Quatre s?urs 4. Geneviève » du fait de l'absence de titularité des droits patrimoniaux ;
- DIRE irrecevables les demandes formées par la société [Adresse 2] au titre de la contrefaçon à raison de la prétendue imitation de la couverture de la bande dessinée « Quatre s?urs 4. Geneviève » ;

Sur l'absence de caractère original de la couverture de la bande dessinée ayant pour titre « QUATRE S?URS 4. Geneviève » :
A titre principal,
- DIRE que le défaut de qualité à agir fondé sur l'absence d'originalité du titre revendiqué constitue une fin de non-recevoir nécessitant que soit tranchée au préalable une question de fond au sens de l'article 789 alinéa 6 du code de procédure civile ;
- RENVOYER l'affaire à la formation de jugement collégiale pour trancher la fin de non-recevoir, la société RAGEOT EDITEUR s'opposant à ce que cette fin de non-recevoir et cette question de fond soit tranchées par le Juge de la mise en état ;

A titre subsidiaire, si par extraordinaire le Juge de la mise en état jugeait que la fin de non-recevoir tenant à l'absence d'originalité du titre revendiqué ne suppose pas de trancher au préalable une question de fond,
- DIRE que [Adresse 2] ne caractérise pas le caractère original de la couverture de la bande dessinée ayant pour titre « QUATRE S?URS 4. Geneviève » ;
En conséquence,
- DIRE que cette couverture est dépourvue de caractère original ;
- DIRE que la société [Adresse 2] n'a pas qualité à agir au titre de la contrefaçon à raison de la prétendue imitation de la couverture de la bande dessinée « Quatre s?urs 4. Geneviève » du fait de son défaut d'originalité ;
- DIRE irrecevables les demandes formées par la société [Adresse 2] au titre de la contrefaçon à raison de la prétendue imitation de la couverture de la bande dessinée « Quatre s?urs 4. Geneviève » ;

Sur les demandes au titre de la concurrence déloyale et du parasitisme:
- DIRE que la société [Adresse 2] n'a été autorisée ni à adapter en bande dessinée le roman de [T] [V] ayant pour titre « Quatre s?urs 4. Geneviève », ni à utiliser le titre « Quatre s?urs»;
En conséquence,
- DIRE que la société [Adresse 2] n'a pas qualité à agir au titre de la concurrence déloyale et du parasitisme à raison de la prétendue imitation de la couverture de la bande dessinée « Quatre s?urs 4. Geneviève » ;
- DIRE irrecevables les demandes formées par la société [Adresse 2] au titre de la concurrence déloyale et du parasitisme à raison de la prétendue imitation de la couverture de la bande dessinée « Quatre s?urs 4. Geneviève » ;

Sur l'utilisation prétendue du titre « Quatre s?urs » :
- DIRE que la société [Adresse 2] n'a été autorisée ni à adapter en bande dessinée les romans de [T] [V] dont le titre commence par « Quatre s?urs », ni à utiliser le titre « Quatre s?urs » ;
En conséquence,
- DIRE que la société [Adresse 2] n'a pas qualité à agir au titre de la concurrence déloyale et du parasitisme à raison de la prétendue utilisation du titre « Quatre s?urs » ;
- DIRE irrecevables les demandes formées par la société [Adresse 2] au titre de la concurrence déloyale et du parasitisme à raison de la prétendue utilisation du titre « Quatre s?urs» ;

SUR LA PRESCRIPTION :
A titre principal,
- DIRE que les sociétés L'ECOLE DES LOISIRS et [Adresse 2] ont eu connaissance, avant septembre 2015, de la publication plus de cinq années avant la signification de l'assignation, des 4 romans édités par RAGEOT dont les titres sont « Quatre s?urs en vacances », « Quatre s?urs à New York », « Quatre s?urs dans la tempête », « Quatre s?urs en scène »;
A titre subsidiaire, si par extraordinaire le Juge de la mise en état considérait que la prescription de l'action en contrefaçon commence à courir au dernier jour de la commercialisation des oeuvres,
- DIRE que la commercialisation des romans sous les titres « Quatre s?urs en vacances », « Quatre s?urs à New York », « Quatre s?urs dans la tempête », « Quatre s?urs en scène » a cessé ;

- DIRE que ces romans sont désormais commercialisés sous les titres « 4 s?urs en vacances », « 4 s?urs à New York », « 4 s?urs dans la tempête », « 4 s?urs en scène » ;
En conséquence et en tout état de cause,
- DIRE que sont prescrites les demandes des sociétés L'ECOLE DES LOISIRS et [Adresse 2] fondées sur la publication des romans sous les titres « Quatre s?urs en vacances », « Quatre s?urs à New York », « Quatre s?urs dans la tempête », « Quatre s?urs en scène », formées au titre tant de la contrefaçon que de la concurrence déloyale et du parasitisme ;
- DIRE que ces demandes sont irrecevables ;

EN TOUT ETAT DE CAUSE,

- CONDAMNER la société L'ECOLE DES LOISIRS et la société [Adresse 2] à verser chacune à la société RAGEOT EDITEUR la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- CONDAMNER les sociétés L'ECOLE DES LOISIRS et [Adresse 2] aux entiers dépens
qui pourront être recouvrés par Maître Stéphanie ZAKS, avocat à la Cour, dans les conditions
de l'article 699 du code de procédure civile ;

- DEBOUTER les sociétés L'ECOLE DES LOISIRS et [Adresse 2] de leurs demandes formées sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Dans leurs conclusions d'incident no3 du 12 août 2021, les sociétés L'ECOLE DES LOISIRS et [Adresse 2], ainsi que Medames [T] [V] et [X] [Z], demandent quant à elles au juge de la mise en état de :

- DEBOUTER la société RAGEOT EDITEUR de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions;

- CONDAMNER la société RAGEOT EDITEUR à verser à Madame [T] [V], à Madame [X] [Z], à la société L'ECOLE / L'ECOLE DES LOISIRS et à la société [Adresse 2] la somme de 5.000 euros chacune en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

- CONDAMNER la société RAGEOT EDITEUR aux entiers dépens.

L'incident a été plaidé à l'audience du 25 novembre 2021.

MOTIFS DE LA DÉCISION

1o) Sur la nullité de l'assignation

Moyens des parties

La société RAGEOT EDITEUR soutient que l'assignation ne lui permet pas de déterminer laquelle des deux sociétés, L'ECOLE DES LOISIRS ou [Adresse 2], lui reproche l'usage du titre "Quatre soeurs" et sur quel fondement (contrefaçon ou concurrence déloyale et parasitaire).

La société RAGEOT EDITEUR fait encore grief à l'assignation de ne pas préciser laquelle des deux sociétés lui reproche d'avoir imité la couverture de la bande dessinée "Quatre soeurs, Geneviève" et sur quel fondement.

Les défenderesses concluent au rejet de l'exception de procédure faisant valoir que la société RAGEOT EDITEUR feint de ne pas comprendre que :
- la société L'ECOLE DES LOISIRS lui reproche la contrefaçon du titre "Quatre soeurs",
- la société [Adresse 2] lui reproche l'imitation du titre "Quatre Soeurs" sur le fondement de la concurrence déloyale et parasitaire,
- la société [Adresse 2] lui reproche la contrefaçon et l'imitation sur le fondement de la concurrence déloyale et parasitaire, de la couverture de la bande dessinée "Quatre soeur, tome 4, Geneviève",
tandis qu'elles ont fait le choix d'un chiffrage global de leur préjudice.

Réponse du juge de la mise en état

Selon l'article 789 du code de procédure civile, dans sa rédaction issue du décret no2019-1333 du 11 décembre 2019, "Lorsque la demande est présentée postérieurement à sa désignation, le juge de la mise en état est, jusqu'à son dessaisissement, seul compétent, à l'exclusion de toute autre formation du tribunal, pour :
1o Statuer sur les exceptions de procédure, les demandes formées en application de l'article 47 et les incidents mettant fin à l'instance ;
Les parties ne sont plus recevables à soulever ces exceptions et incidents ultérieurement à moins qu'ils ne surviennent ou soient révélés postérieurement au dessaisissement du juge ;"

Il résulte en outre de l'article 73 du même code que "Constitue une exception de procédure tout moyen qui tend soit à faire déclarer la procédure irrégulière ou éteinte, soit à en suspendre le cours."

L'article 56 prévoit quant à lui que "L'assignation contient à peine de nullité, outre les mentions prescrites pour les actes d'huissier de justice et celles énoncées à l'article 54 : (...)
2o Un exposé des moyens en fait et en droit ; (...)"

Selon les articles 114 et 115 du code de procédure civile, "Aucun acte de procédure ne peut être déclaré nul pour vice de forme si la nullité n'en est pas expressément prévue par la loi, sauf en cas d'inobservation d'une formalité substantielle ou d'ordre public.
La nullité ne peut être prononcée qu'à charge pour l'adversaire qui l'invoque de prouver le grief que lui cause l'irrégularité, même lorsqu'il s'agit d'une formalité substantielle ou d'ordre public.
La nullité est couverte par la régularisation ultérieure de l'acte si aucune forclusion n'est intervenue et si la régularisation ne laisse subsister aucun grief."

Il a notamment été jugé qu'"Ayant relevé que l'assignation en contrefaçon de modèles de bijoux et en concurrence déloyale du chef de la vente des produits contrefaisants, renvoyait simplement aux photographies annexées des modèles opposés et souverainement estimé que la seule lecture de la liste des pièces jointes ne permettait pas de déterminer la nature et le nombre des articles incriminés, une cour d'appel a pu retenir, d'une part, que les caractéristiques de chacun des modèles revendiqués au titre du droit d'auteur n'étaient pas définies et, d'autre part, que les modèles argués de contrefaçon n'étaient ni décrits ni même identifiés.
Elle en a exactement déduit que le demandeur avait failli dans l'exposé des moyens relatifs à la protection dont il sollicitait le bénéfice et aux agissements qu'il incriminait pour rechercher la responsabilité du défendeur au titre d'actes de contrefaçon et de concurrence déloyale." (Cass. Civ.1ère, 5 avril 2012, pourvoi no 11-10.463, Bull. 2012, I, no 83)

En l'occurrence, même en supposant un défaut de clarté de l'assignation, l'irrégularité a été depuis couverte par les précisions apportées qui permettent à la société RAGEOT EDITEUR de se défendre utilement.

Il en résulte qu'il est satisfait aux exigences de l'article 56 du code de procédure civile, et le moyen tiré de la nullité de l'assignation sera donc écarté, sans qu'il soit besoin de "donner acte" aux demanderesses de leurs demandes.

2o) Sur les fins de non-recevoir tirées du défaut de qualité à agir

a - Titularité des droits sur le titre "Quatre soeurs"

Moyens des parties

La société RAGEOT EDITEUR soutient que la société L'ECOLE DES LOISIRS est irrecevable à agir en contrefaçon n'étant pas le coauteur du titre sur lequel elle revendique des droits d'auteur et ayant mis en cause tardivement l'auteur du titre.

La société L'ECOLE DES LOISIRS fait valoir que le titre sur lequel elle revendique des droits est une oeuvre de collaboration entre elle-même et Mme [T] [V], laquelle est intervenue volontairement à l'instance.

Réponse du juge de la mise en état

Selon l'article L.113-2 alinéas 1 et 3 du code de la propriété intellectuelle, "Est dite de collaboration l'oeuvre à la création de laquelle ont concouru plusieurs personnes physiques.
Est dite collective l'oeuvre créée sur l'initiative d'une personne physique ou morale qui l'édite, la publie et la divulgue sous sa direction et son nom et dans laquelle la contribution personnelle des divers auteurs participant à son élaboration se fond dans l'ensemble en vue duquel elle est conçue, sans qu'il soit possible d'attribuer à chacun d'eux un droit distinct sur l'ensemble réalisé."

Aux termes de l'article L.113-1 du code de la propriété intellectuelle, "La qualité d'auteur appartient, sauf preuve contraire, à celui ou à ceux sous le nom de qui l'oeuvre est divulguée."

Il est cependant constant que cette présomption ne peut jouer qu'au bénéfice des personnes physiques (Cass. Civ. 1ère, 19 février 1991, pourvoi no89-14.402, Bull. 1991, I, no69), une personne morale ne pouvant être titulaire ab initio des droits d'auteur (Cass. Civ. 1ère, 15 janvier 2015, pourvoi no13-23.566, Bull 2015, I, no11), à moins que l'oeuvre soit qualifiée d'oeuvre collective (Cass. Civ. 1ère, 22 mars 2012, pourvoi no11-10.132, Bull. 2012, I, no70) ou que la personne morale justifie d'une exploitation paisible et non équivoque de l'oeuvre sous son nom encore qu'elle ne pourrait bénéficier que d'une présomption de titularité des droits patrimoniaux à l'égard des tiers (Civ. 1ère, 10 décembre 2014, pourvoi no13-23.076).

Il y a lieu de considérer ici que le titre est une oeuvre collective (et non de collaboration) appartenant à l'éditeur et à Mme [V] comme le permet l'article L. 113-5 du code de la propriété intellectuelle.

b - Titularité des droits sur la couverture de la bande dessinées "Quatre soeurs, Tome 4, Geneviève"

Moyens des parties

La société RAGEOT EDITEUR soutient que la société [Adresse 2] n'est ni cessionnaire des droits d'adaptation des romans, ni des droits des auteurs de la bande dessinée.

La société [Adresse 2] indique qu'elle est bien cessionnaire des drotis patrimoniaux sur la couverture, Madame [V] lui ayant directement cédé les droits d'adaptation de son roman "Quatre soeurs, Tome 4, Geneviève" et Madame [Z] les droits sur le texte et les illustrations de la bande dessinée.

Réponse du juge de la mise en état

La société [Adresse 2] verse aux débats en pièces no61 et 65 les cessions de droits patrimoniaux d'auteur sur l'oeuvre "Quatre soeurs, Tome 4, Geneviève". Le premier contrat emporte bien cession par Mme [V] au profit de la société [Adresse 2] des droits d'adaptation de l'oeuvre sous une forme graphique (article 4).

Il en résulte que la société [Adresse 2] est recevable à agir en contrefaçon de ses droits patrimoniaux d'auteur de la couverture de l'oeuvre "Quatre soeurs, Tome 4, Geneviève".

3o) Sur les fins de non-recevoir tirées du défaut d'originalité des oeuvres

Moyens des parties

La société RAGEOT EDITEUR fait valoir qu'il existerait une incertitude sur la nature du moyen tiré du défaut d'originalité d'une oeuvre, et qu'en dépit d'une décision rendue par la Cour de cassation, la cour d'appel de Versailles a jugé que l'originalité conditionne la recevabilité d'une demande en contrefaçon de droit d'auteur.

La société L'ECOLE DES LOISIRS soutient qu'à supposer qu'il s'agisse d'une condition de recevabilité de sa demande, le titre choisi est bien original, les parties ayant constamment défendu ce choix, sous la forme d'une "pirouette", par le rappel que chacune des cinq soeurs n'en a que quatre. La société [Adresse 2] décrit en outre les caractéristiques selon elle originales de la couverture de l'oeuvre "Quatre soeurs, Tome 4, Geneviève".

Réponse du juge de la mise en état

Il est constamment jugé que la recevabilité d'une action n'est pas subordonnée à la preuve de son bien fondé. En particulier, "l'originalité des oeuvres éligibles à la protection au titre du droit d'auteur n'est pas une condition de recevabilité de l'action en contrefaçon" (Cass. Com., 29 janvier 2013, pourvoi no 11-27.351).

La fin de non-recevoir tirée du défaut d'originalité du titre, comme d'ailleurs de la couverture de la bande dessinée "Quatre soeurs, Tome 4, Geneviève", ne peut donc qu'être rejetée.

4o) Sur les fins de non-recevoir tirées de la prescription

Moyens des parties

La société RAGEOT EDITEUR soutient que les demandes concernant les oeuvres « Quatre s?urs en vacances » (paru en mai 2012), « Quatre s?urs à New York » (paru en mai 2013), « Quatre s?urs dans la tempête » (paru en janvier 2015), « Quatre s?urs en scène » (paru en mai 2015), sont prescrites celles-ci ayant été publiées plus de cinq ans avant l'engagement de la présente action par acte d'huissier du 10 septembre 2020.

La société L'ECOLE DES LOISIRS fait quant à elle valoir que ses demandes ne sont en aucun cas prescrites, la contrefaçon de droit d'auteur étant un délit continu dont la prescription ne court qu'à compter de la cessation des agissements contrefaisants.

Réponse du juge de la mise en état

Les actions en paiement des créances nées des atteintes qui sont portées au droit moral ou patrimonial d'auteur sont en principe soumises à la prescription du droit commun (Cass. Civ. 1ère, 3 juillet 2013, pourvoi no10-27.043, Bull. 2013, I, no 147). Il en résulte que l'auteur qui invoque une violation de ses droits doit, conformément à l'article 2224 du code civil, agir dans le délai de cinq ans à compter du jour où il a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'exercer l'action (Cass. Civ. 1ère, 31 janvier 2018, pourvoi no16-23.591).

C'est à la société L'ECOLE DES LOISIRS qu'il appartient de démontrer qu'elle n'a eu connaissance des agissements contrefaisants que postérieurement au 10 septembre 2015, ce qu'elle n'offre pas de faire ici, soutenant que la contrefaçon serait un "délit continu", alors même que les oeuvres litigieuses sont parues entre mai 2012 et mai 2015 et qu'elles ont connu un certain succès, ainsi qu'en atteste la revue de presse établie par la société RAGEOT EDITEUR.

Il y a donc lieu de déclarer prescrites les demandes concernant les oeuvres « Quatre s?urs en vacances », « Quatre s?urs à New York », « Quatre s?urs dans la tempête », « Quatre s?urs en scène ».

Il y a lieu de réserver les dépens et les demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS,

Statuant publiquement par mise à disposition au greffe, par ordonnance rendue contradictoirement et en premier ressort,

Le juge de la mise en état,

ECARTE l'exception de procédure tirée de la nullité de l'assignation du 10 septembre 2020 ;

ECARTE les fins de non-recevoir tirée du défaut de titularité des droits et d'originalité des oeuvres dont la protection est revendiquée ;

DÉCLARE irrecevables comme étant prescrites les demandes portant sur les oeuvres « Quatre s?urs en vacances », « Quatre s?urs à New York », « Quatre s?urs dans la tempête », « Quatre s?urs en scène » ;

RÉSERVE les dépens et les demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

RENVOIE l'affaire à l'audience (dématérialisée) de mise en état du :
10 février 2022 à 14 heures
et invite pour cette date les parties à faire connaître leur avis sur la proprosition qui leur est faite par le juge de la mise en état de procéder entre elles par voie de médiation judiciaire afin de leur permettre de trouver une issue rapide, confidentielle et librement négociée au présent litige.

Faite et rendue à Paris le 11 Janvier 2022.

La GreffièreLe Juge de la mise en état


Synthèse
Tribunal : Tribunal de grande instance de Paris
Formation : Ct0196
Numéro d'arrêt : 20/9742
Date de la décision : 11/01/2022

Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.grande.instance.paris;arret;2022-01-11;20.9742 ?
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