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07/01/2022 | FRANCE | N°19/6867

France | France, Tribunal de grande instance de Paris, Ct0087, 07 janvier 2022, 19/6867


TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS

3ème chambre 2ème section

No RG 19/06867 - No Portalis 352J-W-B7D-CQBNN

No MINUTE :

Assignation du :
12 Juin 2019

JUGEMENT
rendu le 07 Janvier 2022
DEMANDERESSE

S.A.S. TOLIX STEEL DESIGN
[Adresse 4]
[Adresse 4]
[Adresse 4]

représentée par Maître Emmanuel BOUTTIER de la SELEURL BOUTTIER AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #G544

DÉFENDERESSE

S.A.S. GIFI DIFFUSION
[Adresse 2]
[Adresse 2]

représentée par Maître Rodolphe BOSSELUT de , avocats au

barreau de PARIS, avocats postulant, vestiaire #P567

et par la SCP TRIBILLAC-MAYNARS-BELLOT, avocats au barreau des PYRENEES ORIENTALES, avocat p...

TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS

3ème chambre 2ème section

No RG 19/06867 - No Portalis 352J-W-B7D-CQBNN

No MINUTE :

Assignation du :
12 Juin 2019

JUGEMENT
rendu le 07 Janvier 2022
DEMANDERESSE

S.A.S. TOLIX STEEL DESIGN
[Adresse 4]
[Adresse 4]
[Adresse 4]

représentée par Maître Emmanuel BOUTTIER de la SELEURL BOUTTIER AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #G544

DÉFENDERESSE

S.A.S. GIFI DIFFUSION
[Adresse 2]
[Adresse 2]

représentée par Maître Rodolphe BOSSELUT de , avocats au barreau de PARIS, avocats postulant, vestiaire #P567

et par la SCP TRIBILLAC-MAYNARS-BELLOT, avocats au barreau des PYRENEES ORIENTALES, avocat plaidant,

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Catherine OSTENGO, Vice-présidente
Elise MELLIER, Juge
Alix FLEURIET, Juge

assisté de Quentin CURABET, Greffier

DÉBATS

A l'audience du 21 octobre 2021 tenue en audience publique devant Catherine OSTENGO, juge rapporteur, qui sans opposition des avocats a tenu seule l'audience, et après avoir entendu les conseils des parties, en a rendu compte au tribunal, conformément aux dispositions de l'article 805 du code de procédure civile.

Avis a été donné aux parties que le jugement serait rendu par mise à disposition au greffe le 10 décembre 2021, puis prorogé au 07 janvier 2022.

JUGEMENT

Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe
Contradictoire
en premier ressort

EXPOSE DU LITIGE
(RG 19/6867)

La société TOLIX STEEL DESIGN (ci-après « TOLIX ») se présente comme créateur et fabricant en France de mobilier notamment métallique, commercialisé dans le monde entier par des distributeurs agréés, parmi lesquels les tabourets « H » et « HPD » et la chaise « A » :

Elle est par ailleurs titulaire des marques figuratives françaises suivantes :

- une marque no 4413907, déposée le 18 décembre 2017 et enregistrée le 20 juillet 2018, pour désigner des « chaises métalliques » en classe 20 :

- une marque no 4413078, déposée le 14 décembre 2017 et enregistrée le 28 décembre 2018, pour désigner des « tabourets métalliques » en classe 20 :

Pour sa part, la société GIFI DIFFUSION (ci-après « GIFI ») est la centrale d'achats du groupe GIFI, dont les magasins sous cette enseigne commercialisent des articles à petit prix destinés notamment à l'équipement de la maison.

Ayant découvert que la société GIFI proposait à la vente sur son site Internet etlt;www.gifi.fretgt; et dans ses catalogues des meubles contrefaisant selon elle ses marques, la société TOLIX l'a mise en demeure, par courrier du 4 février 2019, de cesser les actes litigieux, avant de diligenter à son siège social une saisie-contrefaçon le 14 mai 2019.

Faute d'accord amiable, la société TOLIX a fait assigner la société GIFI devant ce tribunal, par acte du 12 juin 2019, initialement en contrefaçon de marques et en concurrence déloyale et parasitaire.

*
Aux termes de ses conclusions récapitulatives no 4 signifiées par voie électronique le 24 février 2021, la SARL TOLIX STEEL DESIGN demande au tribunal de :

Vu les articles L. 713-2 et suivants du code de la propriété intellectuelle,
Vu les articles L. 111-1 et suivants, L. 121-1, L. 335-2, L. 331-1-3 et L. 332-1-1 du code de la propriété intellectuelle,
Vu l'article 1240 du code civil,

- DÉCLARER l'ensemble des demandes de la société TOLIX STEEL DESIGN recevables ;

SUR LA CONTREFAÇON DE MARQUE
- REJETER la demande de nullité des marques française tridimensionnelles no 4413907 et 4413078 ;
- DIRE ET JUGER que la société GIFI DIFFUSION a commis des actes de contrefaçon des marques de la société TOLIX STEEL DESIGN enregistré sous les no 4413907 et 4413078 ;
- FAIRE INJONCTION à la société GIFI DIFFUSION de produire tout document notamment comptable (extraits stocks, bons de commandes, factures et livraisons aux magasins GIFI) permettant de justifier le prix de revente des produits contrefaisants importés et revendus au cours de l'année 2018, et ce sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard à compter de la signification du jugement à intervenir ;
- CONDAMNER la société GIFI DIFFUSION à payer à la société TOLIX STEEL DESIGN la somme de 500 000 euros, et à tout le moins celle de 218 395,60 euros sauf à parfaire à titre de dommages-intérêts en réparation des actes de contrefaçon de marque commis à son encontre ;
- INTERDIRE à la société GIFI DIFFUSION toute offre, mise sur le marché, importation, exportation, utilisation, ou détention de produits portant atteinte aux marques no 4413907 et 4413078 dont la société TOLIX STEEL DESIGN est bénéficiaire, ce sous astreinte de 1 000 euros par infraction constatée, à compter de la signification du jugement à intervenir ;

SUR LA CONTREFAÇON DE DROIT D'AUTEUR
- PRENDRE ACTE que la société GIFI reconnaît les droits d'auteur de la société TOLIX sur le Tabouret « H », le Tabouret « HPD » et la chaise « A » de la société TOLIX et qu'ils bénéficient ainsi de la protection par le droit d'auteur ;
- CONDAMNER la société GIFI DIFFUSION au titre de la contrefaçon de droit d'auteur à payer à la société TOLIX STEEL DESIGN la somme de 500 000 euros, et à tout le moins celle de 218 395,60 euros sauf à parfaire à titre de dommages-intérêts en réparation des actes de contrefaçon de droit d'auteur commis à son encontre au titre du Tabouret « H », du Tabouret « HPD » et de la Chaise « A » ;
- CONDAMNER la société GIFI DIFFUSION à payer à TOLIX STEEL DESIGN la somme de 50 000 euros en réparation du préjudice subi au titre de la violation des droits moraux ;
- INTERDIRE à la société GIFI DIFFUSION toute offre, mise sur le marché, importation, exportation, utilisation, ou détention de produits litigieux, à compter de la signification du jugement à intervenir, et ce sous astreinte de 5 000 euros par infraction constatée ;

SUR LA CONCURRENCE DÉLOYALE ET LE PARASITISME
- A TITRE SUBSIDIAIRE, DANS L'HYPOTHÈSE OÙ IL NE SERAIT PAS RETENU LA CONTREFAÇON,
- CONDAMNER la société GIFI DIFFUSION à payer à la société TOLIX STEEL DESIGN la somme de 500 000 euros, et à tout le moins celle de 218 395,60 euros sauf à parfaire, en réparation du préjudice causé par ses actes de concurrence déloyale et parasitaire ;
- CONDAMNER la société GIFI DIFFUSION à payer à la société TOLIX STEEL DESIGN la somme de 500 000 euros, sauf à parfaire, et à tout le moins celle de 218 395,60 euros à titre de dommages-intérêts au titre du préjudice résultant des actes distincts de concurrence déloyale et du parasitisme ;

EN TOUT ÉTAT DE CAUSE
- ORDONNER la destruction sous constat d'huissier de l'ensemble des meubles litigieux aux frais de la société GIFI DIFFUSION, dans un délai de huit jours à compter de la signification du jugement à intervenir et sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard ;
- ORDONNER la publication du dispositif et/ou d'un extrait du jugement à intervenir dans trois journaux ou revues au choix de la demanderesse et aux frais de la société GIFI DIFFUSION dans la limite de 5 000 euros HT par publication ;
- ORDONNER à la société GIFI DIFFUSION de publier le dispositif de la décision, dans un délai de huit jours à compter de sa signification, sur son site internet www.gifi.fr, durant un mois, sous astreinte de 500 euros par jour de retard ;
- AUTORISER la société TOLIX STEEL DESIGN à faire publier le jugement à intervenir à compter de sa signification durant un mois sur son site Internet accessible à l'adresse www.tolix.fr
- DÉBOUTER la société GIFI DIFFUSION de toutes ses demandes, fins et prétentions ;
- CONDAMNER la société GIFI DIFFUSION à payer à la société TOLIX STEEL DESIGN la somme de 20 000 euros à titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre le remboursement des frais de saisie-contrefaçon ;
- CONDAMNER la société GIFI DIFFUSION aux dépens, qui serons recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile ;
- ORDONNER l'exécution provisoire du jugement à intervenir.

*

Aux termes de ses conclusions récapitulatives no 5 signifiées par voie électronique le 13 janvier 2021, la société GIFI DIFFUSION demande au tribunal de :

Vu les dispositions des articles L. 111-1, L. 121-1, L. 122-4, L. 123-1, L. 711-2, L. 711-3, L. 713-2 et L. 714-3 du code de la propriété intellectuelle,
Vu les dispositions de l'article 1240 du code civil,
Vu les dispositions des articles 32 et 122 du code de procédure civile,

SUR LA CONTREFAÇON DE MARQUES
- DIRE ET JUGER que les enregistrements des marques no 4413907 et 4413078 sont contraires à l'ordre public,
- DIRE ET JUGER les marques no 4413907 et 4413078 ne sont pas distinctives au sens de l'article L. 711-2 du code de la propriété intellectuelle,

En conséquence,
- PRONONCER la nullité des enregistrements des marques no 4413907 et 4413078 dont se prévaut la société TOLIX,
- DÉBOUTER la société TOLIX de l'intégralité des demandes qu'elle formule sur le fondement de la contrefaçon de marques,

Subsidiairement,
- DIRE ET JUGER que la société TOLIX échoue à démontrer la matérialité des actes de contrefaçon qu'elle allègue,

En conséquence,
- DÉBOUTER la société TOLIX de l'intégralité des demandes qu'elle formule sur le fondement de la contrefaçon de marques,

Très subsidiairement,
- DÉBOUTER la société TOLIX des demandes indemnitaires qu'elle formule au titre du manque à gagner et du préjudice moral, faute de les avoir chiffrées et d'avoir démontré son préjudice,

En tout état de cause,
- RÉDUIRE les demandes indemnitaires formulées par la société TOLIX à de plus justes proportions,
- DÉBOUTER la société TOLIX de sa demande de communication de documents sous astreinte,

SUR LA CONTREFAÇON DE DROITS D'AUTEUR
- DIRE ET JUGER que la société TOLIX ne justifie pas de la titularité des droits d'auteur allégués,

En conséquence,
- PRONONCER l'irrecevabilité de l'intégralité des demandes qu'elle formule sur le fondement du droit d'auteur,

Subsidiairement,
- DIRE ET JUGER que la société TOLIX échoue à démontrer la matérialité des actes de contrefaçon qu'elle allègue,

En conséquence,
- DÉBOUTER la société TOLIX de l'intégralité des demandes qu'elle formule sur le fondement de la contrefaçon de droit d'auteur,

Très subsidiairement,
- DÉBOUTER la société TOLIX des demandes indemnitaires qu'elle formule au titre de la contrefaçon de droit d'auteur,

A titre infiniment subsidiaire,
- RÉDUIRE les demandes indemnitaires formulées par la société TOLIX à de plus justes proportions,

SUR LA CONCURRENCE DÉLOYALE
- DIRE ET JUGER que la société TOLIX ne démontre ni les fautes qu'auraient commises les sociétés GIFI, ni les préjudices qu'elle allègue au titre des faits de concurrence déloyale et parasitaire distincts de la contrefaçon,
- DIRE ET JUGER que la société TOLIX ne démontre ni les fautes qu'auraient commises les sociétés GIFI, ni les préjudices qu'elle allègue au titre des faits de concurrence déloyales non distincts de la contrefaçon,

En conséquence,
- DÉBOUTER la société TOLIX de l'intégralité des demandes qu'elle formule au titre de la concurrence déloyale et parasitaire,

Subsidiairement,
- RÉDUIRE les demandes indemnitaires formulées par la société TOLIX à de plus justes proportions,

EN TOUT ÉTAT DE CAUSE
- DÉBOUTER la société TOLIX de ses plus amples demandes, fins et prétentions,
- DÉBOUTER la société TOLIX de ses demandes de publications,
- CONDAMNER la société TOLIX au paiement de la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

*

La clôture a été prononcée le 17 juin 2021 et l'affaire a été plaidée à l'audience du 21 octobre 2021.

Les parties, dûment autorisées lors de l'audience précitée, ont chacune produit une note en délibéré, respectivement les 26 et 28 octobre 2021, faisant suite au jugement de ce même tribunal en date du 8 juillet 2021.

Pour un exposé complet de l'argumentation des parties, il est, conformément à l'article 455 du code de procédure civile, renvoyé à leurs dernières conclusions ainsi qu'aux notes en délibéré précitées.

MOTIFS DE LA DÉCISION

1- Sur la validité et la contrefaçon des marques

La société TOLIX soutient que les produits litigieux commercialisés par la défenderesse reproduisent servilement, sauf détails insignifiants, ses deux marques tridimensionnelles qu'ils contrefont donc, produisant une même impression d'ensemble qu'elles.
En réponse à la défenderesse, elle soutient que ses marques sont valables en ce qu'elles ne contreviennent pas aux « règles morales de la société ou n'appartiennent pas à une profession réglementée » et dès lors qu'il n'est pas démontré que leur valeur substantielle résulterait de leur forme. Dans sa note en délibéré du 28 octobre 2021, elle précise par ailleurs avoir fait appel du jugement du 8 juillet 2021 et invite le tribunal à statuer de nouveau sur la validité de ses marques, en toute impartialité.

La société GIFI conclut à la nullité des deux marques invoquées au motif d'une part, qu'elles n'ont été déposées que pour contourner l'arrivée du terme de la protection des meubles par le droit d'auteur, l'auteur de la chaise et du tabouret étant décédé le [Date décès 1] 1948, et que la société TOLIX a ainsi cherché à contourner le droit des marques ; d'autre part, pour défaut de caractère distinctif dès lors qu'elles ne sont que la simple représentation des meubles concernés, donc ne reproduisent qu'une forme exclusivement fonctionnelle leur donnant leur valeur substantielle.
Dans sa note en délibéré en date du 26 octobre 2021, elle invoque un jugement du 8 juillet 2021 ayant annulé la marque no 4413907 pour défaut de distinctivité pour conclure au débouté des demandes en contrefaçon de cette marque, et à tout le moins fait sien le raisonnement adopté par le tribunal.
Subsidiairement, elle considère la contrefaçon de marques matériellement non établie, les meubles argués contrefaisants différant des marques en cause et la société TOLIX ne faisant référence, sans la démontrer, qu'à une copie servile de droits d'auteur.
A titre très subsidiaire, elle soutient que le préjudice invoqué est inexistant, que ce soit sur le plan patrimonial ou sur le plan moral, et les calculs avancés par la demanderesse pour en justifier sont erronés.

Sur ce,

Il sera en premier lieu relevé que la société GIFI ne peut se prévaloir de la décision rendue par ce même tribunal le 8 juillet 2021, laquelle n'est pas définitive et n'a pas autorité de la chose jugée entre les parties au présent litige.

Aux termes de l'article L. 711-2 du code de la propriété intellectuelle dans sa version applicable à compter du 15 décembre 2019, « Ne peuvent être valablement enregistrés et, s'ils sont enregistrés, sont susceptibles d'être déclaré nuls :
(...)
2o Une marque dépourvue de caractère distinctif ;
(?)
5o Un signe constitué exclusivement par la forme ou une autre caractéristique du produit imposée par la nature même de ce produit, nécessaire à l'obtention d'un résultat technique ou qui confère à ce produit une valeur substantielle ;
(?)
7o Une marque contraire à l'ordre public ou dont l'usage est légalement interdit ;
(...)
11o Une marque dont le dépôt a été effectué de mauvaise foi par le demandeur.
Dans les cas prévus aux 2o, 3o et 4o, le caractère distinctif d'une marque peut être acquis à la suite de l'usage qui en a été fait ».

Ces dispositions sont la transposition en droit interne de l'article 4 (« Motifs absolus de refus et de nullité ») de la directive (UE) no 2015/2436 du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2015 rapprochant les législations des États membres sur les marques, selon lesquelles :
1. Sont refusés à l'enregistrement ou sont susceptibles d'être déclarés nuls s'ils sont enregistrés : (...)
(f) les marques qui sont contraires à l'ordre public ou aux bonnes m?urs (...)
2. Une marque est susceptible d'être déclarée nulle si sa demande d'enregistrement a été faite de mauvaise foi par le demandeur (...).

Elles font en conséquence l'objet d'une unification au sein de l'Union par l'interprétation que peut en donner la Cour de justice de l'Union européenne.

1.1- Contrariété à l'ordre public et aux bonnes m?urs

La société GIFI soutient qu'admettre la validité des enregistrements des deux marques litigieuses reviendrait à rallonger artificiellement la durée de la protection des droits patrimoniaux de l'auteur des meubles constituant lesdites marques figuratives, empêchant ces oeuvres de tomber dans le domaine public, et portant ainsi une atteinte injustifiée au principe de liberté du commerce et de l'industrie affectant, in fine, les consommateurs. Elle considère en conséquence que le dépôt de ces marques, opéré à l'expiration du monopole de droit d'auteur, contrevient aux règles de la morale, rendant la marque nulle au sens de l'article L. 711-2 7o (L. 711-3 b) ancien) du code de la propriété intellectuelle.

Il sera en premier lieu relevé que la défenderesse en appelle seulement à une contrariété à l'ordre public et aux bonnes m?urs, et non à l'éventuelle mauvaise foi avec laquelle le dépôt aurait été opéré, de sorte que le possible caractère frauduleux des marques, n'étant pas allégué, ne sera pas examiné.

La Cour de justice de l'Association européenne de libre-échange, dont l'interprétation du droit de l'Union peut être assimilée à celle qu'en fait la Cour de justice de l'Union européenne, dans une décision dite « Vigeland » du 6 avril 2017 (aff. E-5/16, Municipalité d'Oslo c/ Patentstyret) a eu à statuer sur la question préjudicielle suivante : « Dans quelles circonstances peut-il être contraire à l'ordre public ou aux bonnes m?urs de déposer comme marque une oeuvre dont la protection par le droit d'auteur a expiré ? La perpétuation de la protection est-elle en soi une offense à l'ordre de la société ? ».

Après avoir rappelé que la protection par le droit des marques et celle par le droit d'auteur sont autonomes l'une de l'autre et poursuivent des objectifs distincts, de sorte qu'un cumul de protection est possible (pt 62), elle a tempéré ce principe dès lors qu'il doit se concilier avec l'idée qu'une oeuvre tombée dans le domaine public est destinée à rester libre de droits pour qu'elle puisse être utilisée par l'ensemble de la collectivité (pts 66 et 70).

La Cour AELE a ainsi jugé que l'enregistrement à titre de marque d'une oeuvre tombée dans le domaine public n'est pas en soit contraire à l'ordre public ou aux bonnes m?urs ; il peut toutefois le devenir (i) s'il est perçu comme un détournement ou une désacralisation de l'oeuvre, en particulier si cet enregistrement concerne des produits ou services en contradiction avec les valeurs de l'artiste ou du message porté par l'oeuvre d'art en question, ou (ii) s'il est susceptible de constituer un risque d'atteinte suffisamment sérieux à un intérêt fondamental de la société. La protection du domaine public contre la réappropriation par le droit des marques ne s'applique cependant pas aux oeuvres destinées par leur auteur à être exploitées de manière commerciale dans la vie des affaires (pt 97), ni lorsque le signe déposé comme marque se distingue de l'oeuvre originale par des éléments additionnels de nature à transformer cette dernière et à créer une distance suffisante avec elle (pt 98).

En l'espèce, il n'est pas démontré, ni même seulement allégué par la société GIFI, qui n'évoque que « l'intérêt général », que la chaise A et le tabouret H seraient des oeuvres considérées par le public français comme appartenant au patrimoine national fondamental de la société, ni comme un détournement ou une désacralisation des valeurs prônées par leur auteur, les marques ayant été déposées à l'identique des oeuvres justement pour les seuls produits qu'elles représentent (i.e. « chaises » pour la marque figurant la chaise A et « tabourets » pour la marque figurant le tabouret H).

En outre, lors de leur création respective, en 1927 pour la chaise et dans les années 30 pour le tabouret, [O] [J] les a dès le départ (pièce 30 TOLIX) destinés à une exploitation commerciale et à grande échelle, vocation naturelle s'agissant d'oeuvres des arts appliqués destinés par nature à être dupliquées en nombre, ce qui a du reste été le cas depuis.

Les marques no 4413907 et 4413078 ne sont par conséquent pas en elles-mêmes contraires à l'ordre public ou aux bonnes m?urs.

1.2- Caractère distinctif

La société GIFI reproche encore aux marques litigieuses de n'être que de simples représentations des produits que la société TOLIX commercialise, ce qui exclut selon elle toute distinctivité de ces signes dès lors que les formes représentées leur donnent leur valeur substantielle, mais encore, aux termes de sa note en délibéré du 26 octobre 2021, dans la mesure où pour le public pertinent, les formes revendiquées ne diffèrent pas de manière significative de la norme et des habitudes du secteur. Elle ajoute qu'en l'occurrence, c'est la marque verbale « TOLIX », apposée sur les étiquettes des chaises et tabourets en cause, qui remplit seule la fonction essentielle d'identification de l'origine des produits.

L'objectif de l'interdit posé au 5o de l'article L. 711-2 précité du code de la propriété intellectuelle est d'éviter de conférer au titulaire de la marque un monopole sur des solutions techniques ou des caractéristiques utilitaires d'un produit, susceptibles d'être recherchées par l'utilisateur dans les produits des concurrents, et d'éviter que le droit exclusif et permanent conféré par une marque puisse servir à perpétuer, sans limitation dans le temps, d'autres droits que le législateur de l'Union a voulu soumettre à des délais de péremption (CJUE, 16 septembre 2015, Société des produits Nestlé, C-215/14, points 44 et 45).

Il convient dès lors d'analyser de manière objective si la forme en cause exerce, en raison de ses propres caractéristiques, une influence si importante sur l'attractivité du produit que le fait d'en réserver le bénéfice à une seule entreprise fausserait les conditions de concurrence sur le marché concerné, et notamment de vérifier s'il résulte d'éléments objectifs et fiables que le choix des consommateurs d'acheter le produit en cause est, dans une très large mesure, déterminé par une ou plusieurs caractéristiques de la forme dont le signe est exclusivement constitué (CJUE, 23 avril 2020, Gömböc, C-237/19, pts 40 et 41, et pt 2 du dispositif).

Le fait que le produit possède d'autres valeurs substantielles est indifférent, car les produits ayant, en plus d'une valeur esthétique importante, une fonction essentielle, doivent aussi être couverts par l'interdit ; mais pour déterminer l'influence de la forme de l'objet, différents éléments peuvent être pris en compte, dont la perception du public pertinent, l'histoire de sa conception, le mode industriel ou artisanal de sa conception, sa matière, ou encore la différence de prix avec d'autres objets, ou l'importance des caractéristiques esthétiques dans la stratégie promotionnelle (CJUE, 18 septembre 2014, Hauck, C-205/13, pts 30 à 32 et 35 ; et Gömböc, précité, pt 60).

En l'espèce, la société GIFI n'explicite pas en quoi l'apparence des produits en cause exercerait une telle influence sur l'attractivité du produit, ni n'allègue aucun élément objectif et fiable permettant de le démontrer. Ce motif de nullité n'est donc pas caractérisé.

Toutefois, à travers l'interdiction de principe d'enregistrement d'une marque constituée exclusivement par la forme ou une autre caractéristique du produit imposée par la nature même de ce produit, nécessaire à l'obtention d'un résultat technique ou qui confère à ce produit une valeur substantielle, s'impose l'interdiction, non de toute marque figurative ou tridimensionnelle constituée par la forme d'un produit, qui est au contraire expressément permise, mais d'une marque n'en remplissant pas la fonction essentielle, qui est de distinguer les produits ou services d'une entreprise de ceux d'autres entreprises.

Or, il résulte d'une jurisprudence constante que le caractère distinctif d'une marque doit être apprécié d'une part, par rapport aux produits et services pour lesquels l'enregistrement est demandé, d'autre part, par rapport à la perception qu'en a le public pertinent, étant relevé que s'agissant d'une marque tridimensionnelle constituée par l'apparence du produit lui-même, seule une marque qui, de manière significative, diverge de la norme ou des habitudes du secteur et, de ce fait, est susceptible de remplir sa fonction essentielle d'origine, n'est pas dépourvue de caractère distinctif (cf. par exemple CJUE 12 décembre 2019 Wajos c/ EUIPO, C-783/18 P, pt 23, et jurisprudence antérieure citée dans cet arrêt, notamment CJCE, 12 février 2004, Henkel, C-218/01, pt 49).

Au cas présent, il n'est pas établi que les deux marques litigieuses, couvrant chacune précisément les produits qu'elles représentent, à savoir respectivement une chaise et un tabouret, divergeraient significativement ou de manière surprenante (TUE 14 juillet 2021, aff. T-488/20, Guerlain c/EUIPO) de la norme ou des habitudes du secteur, les éléments listés par la société TOLIX pour les décrire ne constituant que des variantes des formes habituelles de ces types de produits.

Et il n'est pas plus démontré que le public pertinent, qui peut être défini comme tout consommateur souhaitant acquérir une ou plusieurs chaises, donc le grand public, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, rattacherait systématiquement la forme de la chaise A et du tabouret H à la seule société TOLIX. A cet égard, le fait que « la durée de vie et leur fabrication en France, avec l'intervention d'ouvriers légataires d'un savoir-faire industriel » expliquent, selon la société TOLIX, « la qualité exceptionnelle et la durée de ces produits Made in France, justifiant ainsi leur réputation et leur notoriété » n'est pas de nature à établir que la simple vue des formes en question conduirait immédiatement le grand public à les identifier comme provenant de cette entreprise, les qualités ci-dessus recherchées pouvant être attribuées à la marque verbale « TOLIX » apposée sur les produits de la demanderesse. Ce que du reste ne conteste pas cette dernière lorsqu'elle affirme (page 8 de ses écritures) que la « reconnaissance [de ces qualités intrinsèques] auprès du public résulte non de la forme, mais des formidables efforts de marketing déployés par la société TOLIX, afin de les faire connaître comme un élément iconique ».

Il résulte de l'analyse des marques en cause et au regard des éléments portés à la connaissance du tribunal que la distinctivité des marques tridimensionnelles no 4413907 et 4413078 n'est pas établie. Leur nullité sera en conséquence prononcée.

2- Subsidiairement, sur la contrefaçon de droits d'auteur

La société TOLIX soutient à titre subsidiaire que les produits litigieux commercialisés par la défenderesse constituent la contrefaçon des droits patrimoniaux d'auteur qu'elle expose détenir sur les tabourets « H » et « HPD » et la chaise « A », dont ils reproduisent toutes les caractéristiques essentielles originales car résultant de choix esthétiques arbitraires.
Elle entend également dénoncer l'atteinte au droit moral de M. [O] [J] (droit à la paternité et à l'intégrité de ses oeuvres).
En réponse aux critiques de son adversaire, elle invoque la présomption de titularité, laquelle lui a déjà été reconnue par décisions de justice antérieures.

Outre qu'elle s'étonne de l'invocation tardive de droits d'auteur dans la présente procédure, en particulier pour le tabouret « HPD », la société GIFI soulève l'irrecevabilité des demandes de la société TOLIX pour défaut de qualité à agir, la titularité des droits n'étant selon elle pas démontrée.
Elle soutient par ailleurs que la société TOLIX ne rapporte pas la preuve d'agissements fautifs qui lui seraient imputables pendant la période de protection par le droit d'auteur, laquelle a expiré le 31 décembre 2018.
En tout état de cause, le préjudice allégué n'est là encore pas étayé.

Sur ce,

Aux termes de l'article 32 du code de procédure civile, « Est irrecevable toute prétention émise par ou contre une personne dépourvue du droit d'agir ».

Tandis que l'article 122 du même code dispose que « Constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d'agir, tel le défaut de qualité, le défaut d'intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée ».

Aux termes des articles L. 111-1, L. 121-1, L. 122-1 et L. 122-7 combinés du code de la propriété intellectuelle, l'auteur d'une oeuvre de l'esprit jouit sur cette oeuvre, du seul fait de sa création et dès lors qu'elle est originale, d'un droit de propriété incorporelle exclusif comportant (i) des attributs d'ordre intellectuel et moral, lesquels sont par principe perpétuels, inaliénables, imprescriptibles et seulement transmissibles à cause de mort aux héritiers de l'auteur, même si leur exercice peut être conféré à un tiers en vertu de dispositions testamentaires ; ainsi que (ii) des attributs d'ordre patrimonial comprenant le droit de représentation et le droit de reproduction, lesquels sont cessibles à titre gratuit ou à titre onéreux.

Par ailleurs, si une personne morale ne bénéficie pas de la présomption légale organisée au profit d'un auteur personne physique par l'article L. 113-1 du code de la propriété intellectuelle selon lequel « La qualité d'auteur appartient sauf preuve contraire à celui ou à ceux sous le nom de qui l'oeuvre est divulguée », elle est néanmoins susceptible de bénéficier de la présomption prétorienne de titularité des droits instituée à son profit sur le fondement des dispositions de l'article L. 113-2, aux termes de laquelle, en l'absence de revendication du ou des auteurs, l'exploitation non équivoque d'une oeuvre par une personne morale sous son nom, fait présumer, à l'égard du tiers recherché pour contrefaçon, que cette personne est titulaire sur l'oeuvre, qu'elle soit ou non collective, du droit de propriété incorporelle d'auteur, sans qu'il soit nécessaire d'exiger de celle-ci de rapporter la preuve d'un processus créatif ou d'une cession de droits à son profit.

Après avoir en premier lieu relevé que la société TOLIX ne peut se prévaloir de précédentes décisions de justice qui lui auraient reconnu la qualité de titulaire des droits portant sur les meubles en cause, l'autorité de la chose jugée n'ayant lieu, selon l'article 1351 du code civil, qu'à l'égard de ce qui a fait l'objet du jugement et ne pouvant donc être utilement invoquée dans le cadre d'un litige ne concernant pas les mêmes parties, il sera néanmoins observé qu'en l'espèce, la demanderesse établit suffisamment commercialiser, à tout le moins en 2017 (pièces 5 et 15 TOLIX), la chaise A et les tabourets H et HPD (désignés comme « tabouret H avec dossier ») sous son nom et revêtus de la marque verbale « TOLIX » dont elle est titulaire, et sans que ne soient revendiqués par les ayants droit de l'auteur originel des meubles en cause, [O] [J], la qualité de titulaires des droits d'exploitation ; de sorte qu'en l'absence de toute équivoque, la société TOLIX doit bénéficier de la présomption de titularité pour ces éléments de mobilier.

La fin de non-recevoir soulevée par la société GIFI sera en conséquence rejetée, étant toutefois relevé que la société TOLIX, qui ne développe au demeurant pas ce point, ne peut en aucun cas se prévaloir du droit moral de feu M. [J], faute de démontrer avoir été investie de la défense de ce droit par dispositions testamentaires.

*

L'originalité de la chaise A et des tabourets H et HPD, et partant, leur accession à la protection du droit d'auteur, ne sont pas contestées par la société GIFI, qui oppose seulement à son adversaire l'expiration de la période de protection.

Aux termes de l'article L. 123-1 du code de la propriété intellectuelle, « L'auteur jouit, sa vie durant, du droit exclusif d'exploiter son oeuvre sous quelque forme que ce soit et d'en tirer un profit pécuniaire.
Au décès de l'auteur, ce droit persiste au bénéfice de ses ayants droit pendant l'année civile en cours et les soixante-dix années qui suivent ».

Et l'article L. 122-4 du même code dispose que « toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite (...) ».

En l'espèce, la société TOLIX bénéficiant de la présomption de titularité, elle a été investie des droits patrimoniaux de l'auteur de la chaise A et du tabouret H, dont nul ne conteste qu'il s'agit de [O] [J], décédé le [Date décès 1] 1948, de sorte que leur protection par le droit d'auteur a expiré le 31 décembre 2018.

En ce qui concerne le tabouret HPD, pourtant commercialisé plus récemment, la société TOLIX ne développe pas d'argumentation spécifique tendant à démontrer qu'il serait encore sous protection ou à tout le moins que les droits d'auteur revendiqués à son égard auraient perduré au-delà du 31 décembre 2018.

Or, contrairement à ce que soutient la demanderesse (encore dans sa note en délibéré du 28 octobre 2021 où elle affirme que la société GIFI a commencé à commercialiser les produits litigieux « à la fin de l'année 2018 »), il n'est pas établi que des actes contrefaisants ont été commis par la défenderesse postérieurement à la date à laquelle les meubles litigieux sont tombés dans le domaine public dès lors que ne sont produits à l'appui de ses assertions que les documents suivants, saisis lors des opérations de saisie-contrefaçon du 19 mai 2019 (pièce 16 TOLIX) :
- un « Catalogue SOLDES » pour la période du 9 janvier au 5 février 2019 qui certes reproduit les photographies des articles litigieux et est intitulé « soldes », mais qui est insuffisant à démontrer une commercialisation par la défenderesse antérieure au 1er janvier 2019, le respect de la réglementation applicable à l'emploi du terme « soldes » n'étant ni démontré, ni apte à lui seul à établir une commercialisation plus ancienne ;
- une commande, en date du 28 août 2018 et les factures correspondantes en date respectivement des 15 octobre et 5 novembre 2018, de 7 200 chaises référencées 508000 et tabourets référencés 508001 argués contrefaisants importés d'Asie, mais dont la présence en France sous la forme d'un stock résiduel dans les magasins sous enseigne n'a été constatée qu'à la date du 19 mai 2019, sans que ne soit établie la date d'arrivée sur le territoire français et encore moins leur commercialisation sur ce même territoire antérieurement au 1er janvier 2019 ; or une simple commande ne suffit pas en soi à caractériser un acte contrefaisant, cette commande pouvant être passée en vue d'une mise en vente ultérieure après expiration de la protection par le droit d'auteur, et le bon de commande saisi mentionnant au demeurant une date d'expédition des produits au 14 octobre 2018 et une mise en vente au 4 janvier 2019.

La société TOLIX sera en conséquence déboutée de ses demandes subsidiaires au titre de la contrefaçon de droits d'auteur.

3- Sur la concurrence déloyale et parasitaire

La société TOLIX soutient à titre principal, concomitamment à la contrefaçon pour le fait distinct qu'est selon elle la création d'un effet de gamme par déclinaison des mêmes coloris, mais également à titre subsidiaire, dans l'hypothèse où ne serait pas retenue la contrefaçon, que la commercialisation par la société GIFI des meubles litigieux, imitation servile des siens créant un indéniable risque de confusion, est constitutive de concurrence déloyale et de parasitisme, participant à une dévalorisation et banalisation de ses produits originaux et portant atteinte à son image.

La société GIFI répond en premier lieu que les faits invoqués à l'appui de la concurrence déloyale ne sont pas distincts de ceux invoqués au titre de la contrefaçon ; l'effet de gamme est insuffisant à caractériser une faute, d'autant qu'un tel effet n'est pas établi en l'espèce, ni le moindre risque de confusion ; l'attitude parasitaire qui lui est imputée n'est pas plus démontrée, s'agissant de surcroît de meubles de style industriel courant, et ni les investissements qui auraient été détournés, ni le préjudice qui en résulterait ne sont établis.

Sur ce,

La concurrence déloyale, sanctionnée en application de l'article 1240 du code civil, doit être appréciée au regard du principe de la liberté du commerce qui implique qu'un produit qui ne fait pas l'objet de droits de propriété intellectuelle puisse être librement commercialisé sous certaines conditions tenant à l'absence de faute par la création d'un risque de confusion dans l'esprit de la clientèle sur son origine, circonstance attentatoire à l'exercice loyal des affaires. L'appréciation de la faute au regard du risque de confusion doit résulter d'une approche concrète et circonstanciée des faits de l'espèce prenant en compte notamment le caractère plus ou moins servile, systématique ou répétitif de la reproduction ou de l'imitation, l'ancienneté d'usage, l'originalité et la notoriété de la prestation copiée.

Le parasitisme, qui s'apprécie dans le même cadre que la concurrence déloyale dont il constitue une déclinaison mais dont la caractérisation est toutefois indépendante du risque de confusion, consiste dans le fait pour une personne physique ou morale de profiter volontairement et de façon injustifiée des investissements, d'un savoir-faire ou d'un travail intellectuel d'autrui produisant une valeur économique individualisée, et générant un avantage concurrentiel.

3.1- Sur la concurrence déloyale

La société TOLIX soutient, subsidiairement à son action en contrefaçon, que l'imitation servile par les produits commercialisés par la société GIFI de ses marques figuratives, laquelle constitue également la reprise en tous points identiques des caractéristiques essentielles revendiquées au titre du droit d'auteur sur la chaise et les tabourets litigieux, créent inévitablement un risque de confusion dans l'esprit de la clientèle, susceptible de se méprendre sur l'origine des meubles en cause.

Il est constant qu'en l'absence de droits privatifs, une action en concurrence déloyale peut s'appuyer sur des faits matériellement identiques à ceux allégués au soutien d'une action en contrefaçon qui n'est pas susceptible de prospérer.

Toutefois, une reproduction, même servile, de meubles dont la protection au titre du droit d'auteur a expiré et dont l'appropriation par une marque figurative ou tridimensionnelle a été invalidée, n'est pas en elle-même fautive, sauf à recréer ou prolonger de facto un monopole sans fin au bénéfice du titulaire des droits arrivés à échéance. De sorte que les demandes en concurrence déloyale fondées à titre subsidiaire sur ce seul grief ne peuvent aboutir.

La société TOLIX sollicite cependant la condamnation de la société GIFI à titre complémentaire pour des faits qu'elle considère comme distincts de ceux allégués au titre de la contrefaçon et en eux-mêmes constitutifs d'une faute, par la création d'un effet de gamme.

En l'espèce, il est exact que la défenderesse a commercialisé ses tabourets métalliques litigieux en deux couleurs, noire et bleue ; néanmoins, cette circonstance, alors même que la société TOLIX les décline, pour sa part, en une trentaine de coloris différents (pièce 1 GIFI) ne saurait caractériser un effet de gamme ; pas plus que le fait de proposer au sein d'un même catalogue, sur son site internet ou dans les magasins sous enseigne, à la fois la chaise et les tabourets litigieux, en même temps qu'une multitude d'objets hétéroclites, dont nombre de type dit « industriel ».

Ce, d'autant que la demanderesse n'établit pas que le public susceptible d'acheter une chaise ou un tabouret attacherait particulièrement à la forme de la chaise A et des tabourets H et HPD, donc indépendamment de la marque dont les seuls produits TOLIX sont revêtus via un bosselage, une origine déterminée, et que, alors que les circuits de distribution des deux enseignes sont distincts et les prix pratiqués nettement différenciants, aucune captation de clientèle n'est justifiée, l'attestation de l'expert-comptable (pièce 23 TOLIX) ne faisant sur ce point qu'estimer un hypothétique manque à gagner calculé au vu du nombre de produits litigieux importés par la société GIFI.

Les demandes présentées par la société TOLIX au titre de la concurrence déloyale seront en conséquence rejetées.

3.2- Sur le parasitisme

La société TOLIX soutient qu'en copiant servilement ses marques/produits, la société GIFI s'est délibérément inscrite dans le sillage de sa notoriété commerciale, tirant ainsi, sans bourse délier, un avantage économique de ses efforts et investissements, d'autant plus qu'elle se fournit à moindre coût en Chine, quand l'usine de la société TOLIX est basée à [Localité 3], en France.

Toutefois, il incombe à celui qui impute à un tiers des actes parasitaires de rapporter ce qui est le fruit d'investissements et efforts humains et financiers de sa part, lesquels ne se déduisent pas de la seule longévité et du succès de la commercialisation de l'objet copié ou imité (Cass. Com. 5 juillet 2016, no 14-10.108).

Or en l'espèce, la demanderesse ne verse au débat aucun élément de nature à quantifier et justifier les investissements qu'elle soutient avoir assumés pour asseoir la valeur économique individuelle revendiquée pour ses produits selon elle emblématiques, et ne peut dès lors prétendre subir un détournement de ses investissements.

La société TOLIX sera en conséquence déboutée de ses demandes au titre du parasitisme.

*

La société TOLIX, qui succombe en toutes ses demandes, supportera la charge des dépens et ses propres frais.

Elle sera en outre condamnée à verser à la société GIFI, qui a dû exposer des frais irrépétibles pour faire valoir ses droits, une indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile, qu'il est équitable de fixer à la somme de 8 000 (huit mille) euros.

L'exécution provisoire étant justifiée au cas d'espèce et compatible avec la nature du litige, elle sera ordonnée.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal, statuant publiquement par jugement mis à disposition au greffe, contradictoire et en premier ressort,

PRONONCE l'annulation des marques no 4413907 et 4413078 dont la société TOLIX STEEL DESIGN est titulaire ;

En conséquence,

DÉBOUTE la société TOLIX STEEL DESIGN de ses demandes au titre de la contrefaçon de marques ;

DIT que la présente décision sera transmise, à l'initiative de la partie la plus diligente, à l'INPI pour rectification du registre national des marques ;

DIT que la société TOLIX STEEL DESIGN est présumée titulaire des droits patrimoniaux d'auteur portant sur la chaise A et les tabourets H et HPD ;

DÉBOUTE la société TOLIX STEEL DESIGN de sa demande subsidiaire en contrefaçon de droits d'auteur ;

DÉBOUTE la société TOLIX STEEL DESIGN de ses demandes en concurrence déloyale et en parasitisme ;

CONDAMNE la société TOLIX STEEL DESIGN à verser à la société GIFI DIFFUSION la somme de 8 000 (huit mille) euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE la société TOLIX STEEL DESIGN aux entiers dépens ;

ORDONNE l'exécution provisoire.

Fait et jugé à Paris, le 7 janvier 2022.

Le GreffierLe Président


Synthèse
Tribunal : Tribunal de grande instance de Paris
Formation : Ct0087
Numéro d'arrêt : 19/6867
Date de la décision : 07/01/2022

Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.grande.instance.paris;arret;2022-01-07;19.6867 ?
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