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02/11/2021 | FRANCE | N°20/10894

France | France, Tribunal de grande instance de Paris, Ct0196, 02 novembre 2021, 20/10894


TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS

3ème chambre
3ème section

No RG 20/10894 -
No Portalis 352J-W-B7E-CTEIU

No MINUTE :

Assignation du :
03 Novembre 2020

JUGEMENT
rendu le 02 Novembre 2021
DEMANDERESSE

S.A.S. TOLIX STEEL DESIGN
[Adresse 2]
[Adresse 6]
[Localité 5]

représentée par Maître Emmanuel BOUTTIER de la SELEURL BOUTTIER AVOCATS, avocat au barreau de PARIS,vestiaire #G544

DÉFENDEUR

Monsieur [K] [T] [L], exerçant sous l'enseigne "MA NOUVELLE DECO.COM"
[Adresse 1]
[Localité 4]
r>représenté par Maître Jacques BELLICHACH, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #G0334

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Nathalie SABOTIER, 1ère Vice-Présiden...

TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS

3ème chambre
3ème section

No RG 20/10894 -
No Portalis 352J-W-B7E-CTEIU

No MINUTE :

Assignation du :
03 Novembre 2020

JUGEMENT
rendu le 02 Novembre 2021
DEMANDERESSE

S.A.S. TOLIX STEEL DESIGN
[Adresse 2]
[Adresse 6]
[Localité 5]

représentée par Maître Emmanuel BOUTTIER de la SELEURL BOUTTIER AVOCATS, avocat au barreau de PARIS,vestiaire #G544

DÉFENDEUR

Monsieur [K] [T] [L], exerçant sous l'enseigne "MA NOUVELLE DECO.COM"
[Adresse 1]
[Localité 4]

représenté par Maître Jacques BELLICHACH, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #G0334

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Nathalie SABOTIER, 1ère Vice-Présidente adjointe
Laurence BASTERREIX, Vice-Présidente
Arthur COURILLON-HAVY, Juge

assisté de Lorine MILLE, Greffière,

DÉBATS

A l'audience du 09 Septembre 2021 tenue en audience publique devant Nathalie SABOTIER et Arthur COURILLON-HAVY, juges rapporteurs, qui, sans opposition des avocats, ont tenu seuls l'audience, et, après avoir entendu les conseils des parties, en ont rendu compte au Tribunal, conformément aux dispositions de l'article 805 du Code de Procédure Civile.

JUGEMENT

Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe
Contradictoire
En premier ressort

____________________________

EXPOSE DU LITIGE

La société Tolix steel design (ci-après Tolix), qui crée et fabrique des meubles, reproche à M. [K] [L], qui vend des meubles sous l'enseigne « Ma Nouvelle Deco .com », de contrefaire, d'une part les marques figurative et tridimensionnelle représentant 2 de ses meubles, respectivement la « chaise A » et le « tabouret H », d'autre part ses droits d'auteurs sur un 3e meuble, le « tabouret HPD », enfin sa marque verbale « Tolix » ; et elle qualifie également ses actes de concurrence déloyale et de parasitisme.

Elle est en effet titulaire, en France :
- des marques verbales françaises et de l'Union européenne « Tolix » déposées en classe 20 pour les sièges, fauteuils, tabourets et meubles métalliques, respectivement le 1er juin 1987 sous le numéro 1411496 et le 5 juillet 2007 sous le numéro 6097604, régulièrement renouvelées ;

- de la marque française figurative no4413907, déposée le 18 décembre 2017 en classe 20 pour désigner des chaises métalliques, et désignant en pratique la chaise A :

- la marque française tridimensionnelle no4413078, déposée le 14 décembre 2017 en classe 20 pour désigner des tabourets métalliques, et désignant en pratique le tabouret H :

Quant au tabouret HPD, la société Tolix en communique l'image suivante (ses conclusions p. 2) :

Or, les 21 et 29 octobre 2020 l'administration des douanes a avisé la société Tolix et M. [L] d'une retenue douanière sur les marchandises que celui-ci avait importées de Chine, achetées à une société Xinxiang jinhui machinery manufacturing, et consistant en 910 chaises présumées contrefaire la marque no4413907, 112 tabourets présumés contrefaire la marque no4413078 et 102 tabourets présumés contrefaire le tabouret HPD.

Avisée de l'identité du destinataire des marchandises les 27 octobre et 2 novembre 2020, la société Tolix a fait constater sur le site internet https://manouvelledeco.com l'emploi d'une adresse url employant le mot « tolix » :
https://manouvelledeco.com/collections/chaise-Tolix/products/chaise-Tolix-blanche

Et, le 3 novembre 2020, elle a fait assigner M. [K] [L] devant le présent tribunal en contrefaçon et concurrence déloyale.

Dans ses dernières conclusions signifiées par voie électronique le 29 avril 2021, la société Tolix steel design s'oppose aux demandes reconventionnelles, et demande au tribunal :
? invoquant une contrefaçon de la marque verbale « Tolix », des deux marques représentant la chaise A et le tabouret H, et des droits d'auteurs sur le tabouret HPD, de :
?enjoindre à M. [L] de lui communiquer des factures et documents comptables sous astreinte de 1 000 euros par jour,
?réserver son droit à indemnisation, mais
?le condamner à lui payer
?100 000 euros « sauf à parfaire » en réparation des actes de contrefaçon des marques figuratives
?20 000 euros « sauf à parfaire selon le nombre de produits vendus », au titre de la contrefaçon de la marque Tolix
?50 000 euros « sauf à parfaire », en réparation des actes de contrefaçon de droits d'auteur sur le tabouret Hpd,
?10 000 euros au titre de l'atteinte à ses droits moraux,
?lui ordonner de retirer le nom « Tolix » dans l'url de son site internet renvoyant au modèle contrefaisant la chaise A, sous astreinte de 1 000 euros par jour,
? lui interdire d'utiliser la marque Tolix, sous astreinte de 1 000 euros par infraction constatée
?lui interdire « toute offre, mise sur le marché, importation, exportation, utilisation ou détention de produits portant atteinte » aux marques figuratives ainsi qu'à ses droits d'auteur, sous astreinte de 1 000 euros par infraction constatée,
?subsidiairement, invoquant des actes de concurrence déloyale et parasitaire, de le condamner à lui payer 100 000 euros de dommages et intérêts « sauf à parfaire »
?invoquant des actes distincts de concurrence déloyale et parasitaire, de le condamner à lui payer 100 000 euros de dommages et intérêts ;
?par ailleurs, de
?ordonner la destruction de l'ensemble des meubles litigieux dans un délai de 8 jours puis sous astreinte de 1 000 euros par jour ;
?ordonner la publication du jugement et l'autoriser à publier elle-même le jugement sur son site internet pendant un mois ;
?outre 20 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, le remboursement des frais de « saisie-contrefaçon », les dépens avec recouvrement par son avocat, et l'exécution provisoire.

Dans ses dernières conclusions signifiées par voie électronique le 8 juin 2021, M. [K] [L] résiste aux demandes de la société Tolix, soulève la nullité des marques figuratives, et réclame lui-même 10 000 euros en réparation de son préjudice moral, la mainlevée des saisies douanières et la restitution sous astreinte des articles aux frais de la société Tolix à qui doit aussi incomber les frais de retenue et d'entreposage, outre 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et les dépens recouvrés par son avocat.

La clôture de l'instruction a été prononcée le 10 juin 2021, l'affaire plaidée le 9 septembre 2021 et le jugement mis à disposition le 2 novembre 2021.

MOTIFS

Sur la validité des marques no4413907 et no4413078

Moyens des parties
M. [L] soulève 4 moyens de nullité des marques no4413907 et no4413078 :
1) elles seraient dépourvues de caractère distinctif en ce que les produits ne comporteraient aucun élément permettant une identification de la société Tolix et de ses produits, que ce type de chaises et tabourets métalliques seraient largement répandus dans le commerce, et qu'aucune distinctivité n'aurait été acquise par l'usage, la société Tolix ne démontrant pas, précise-t-il, les efforts marketing déployés ;
2) elles seraient ensuite composées exclusivement d'éléments servant à désigner les objets, à savoir un tabouret et une chaise métalliques, et
3) constituées exclusivement par la forme qui serait imposée par la nature des produits et leur confèrerait une valeur substantielle ;
4) enfin, elles auraient été déposées de mauvaise foi, s'agissant de formes usuelles dans le commerce.

La société Tolix estime que ses marques sont valides pour avoir acquis un caractère distinctif par l'usage, au regard de leur notoriété, de leur commercialisation historique, de l'existence d'un autre litige dans lequel son adversaire a reconnu ses droits sur les marques, et de l'ampleur des copies et contrefaçons, qui s'expliquerait précisément par la grande distinctivité de ces modèles.

Pour le reste, elle conteste le caractère descriptif de ses marques, en ce que M. [L] n'en apporterait pas la preuve ; conteste également que la forme en cause soit imposée par la nature des produits ou leur donnerait une valeur substantielle, leur valeur étant au contraire constituée selon elle de leur qualité, durée de vie et du savoir-faire déployé lors de leur fabrication en France ; et elle estime qu'au regard de la notoriété des modèles justifiant pour elle d'un intérêt commercial légitime, le dépôt des marques n'est pas frauduleux.

Réponse du tribunal

Aux termes de l'article L. 711-2 du code de la propriété intellectuelle dans sa rédaction applicable depuis le 15 décembre 2019 (applicable à la demande en nullité formée depuis) :

« Ne peuvent être valablement enregistrés et, s'ils sont enregistrés, sont susceptibles d'être déclarés nuls :
(...)
2o Une marque dépourvue de caractère distinctif,

3o Une marque composée exclusivement d'éléments ou d'indications pouvant servir à désigner, dans le commerce, une caractéristique du produit ou du service, et notamment l'espèce, la qualité, la quantité, la destination, la valeur, la provenance géographique, l'époque de la production du bien ou de la prestation du service ;
(...)
5o Un signe constitué exclusivement par la forme ou une autre caractéristique du produit imposée par la nature même de ce produit, nécessaire à l'obtention d'un résultat technique ou qui confère à ce produit une valeur substantielle ;
(...)
11o Une marque dont le dépôt a été effectué de mauvaise foi par le demandeur.

Dans les cas prévus aux 2o, 3o et 4o, le caractère distinctif d'une marque peut être acquis à la suite de l'usage qui en a été fait. »

Ces dispositions assurent l'application en droit interne de l'article 4, paragraphe 1, sous b), c) et e), et paragraphe 4, de la directive no2015/2436 du 16 décembre 2015 rapprochant les législations des États membres sur les marques, qui refond la directive précédente ayant le même objet. L'application de ce texte et de ses prédécesseurs est donc unifiée par l'interprétation qu'a pu en donner la Cour de justice de l'Union européenne.

Chacun de ces motifs de refus d'enregistrement et de nullité d'une marque est indépendant des autres, et exige un examen séparé, à la lumière de l'intérêt général qui sous-tend chacun (CJCE, 8 avril 2003, Linde, C-53/01, points 67 et 71).

Parmi les motifs de nullité invoqués par M. [L], il faut examiner d'abord le 3e (article L. 711-2 5o), qui concerne une restriction spécifique aux marques constituées par la forme du produit, et qui est un obstacle préalale (CJUE 16 septembre 2015, Société des produits nestlé, C-216/14, points 38 à 41), avant d'aborder les caractères distinctif et descriptif de la marque (2o et 3o de l'article L. 711-2), qui ne donnent pas lieu à nullité si la marque a acquis un caractère distinctif par l'usage qui en a été fait (2e alinéa de l'article L. 711-2).

1o) Marques composées exclusivement par la forme du produit, imposée par sa nature ou qui lui confère une valeur substantielle (5o de l'article L. 711-2)

Ce moyen unique repose sur deux critères distincts, certes réunis au 5o de l'article L. 711-2 mais qui sont séparés dans l'article 4 de la directive, paragraphe 1, sous e), tirets i) et iii), et qu'il faut appliquer de façon autonome, chacun d'eux s'appliquant indépendamment des autres et n'interdisant une marque que s'il est lui-même pleinement applicable (CJUE 18 septembre 2014, Hauck, C-205/13, points 37 à 43).

Sont ainsi interdits les signes constitués exclusivement :
« i) par la forme ou une autre caractéristique imposée par la nature même du produit;
(...)
iii) par la forme ou une autre caractéristique qui donne une valeur substantielle au produit »

L'objectif de ces interdits est d'éviter de conférer au titulaire de la marque un monopole sur des solutions techniques ou des caractéristiques utilitaires d'un produit, susceptibles d'être recherchées par l'utilisateur dans les produits des concurrents, et d'éviter que le droit exclusif et permanent conféré par une marque puisse servir à perpétuer, sans limitation dans le temps, d'autres droits que le législateur de l'Union a voulu soumettre à des délais de péremption (CJUE, 16 septembre 2015, Société des produits nestlé, C-215/14, points 44 et 45).

Pour l'analyse de ce motif de nullité, il faut d'abord déterminer les caractéristiques essentielles du signe, puis déterminer si elles sont imposées par la nature du produit, répondent à une fonction technique, ou lui donnent une valeur substantielle (par exemple, s'agissant de la fonction technique, CJUE, 23 avril 2020, Gömböc, C-237/19)

i- forme imposée par la nature du produit

Ce motif de nullité peut s'appliquer lorsque la forme du produit, qui constitue le signe, présente une ou plusieurs caractéristiques d'utilisation essentielles et inhérentes à sa ou ses fonctions génériques, que le consommateur peut éventuellement rechercher dans les produits des concurrents (CJUE, 18 septembre 2014, Hauck, C-205/13, dispositif point 1).

M. [L] n'explicite pas en quoi les marques en cause seraient constituées exclusivement par la forme imposée par la nature du produit. Il l'allègue seulement en général (ses conclusions p. 16, 8e §).

Il est constant que ces marques correspondent exactement à la forme des produits pour lesquels elles sont enregistrées : une chaise et un tabouret. La fonction générique, donc la nature, d'un siège est de permettre de s'asseoir, ce qui impose seulement de comporter une assise surélevée par rapport au sol, la nature d'une chaise imposant en outre un dossier. Or les marques en cause ne sont pas exclusivement composées par la forme d'une assise surélevée et d'un dossier ; elles comprennent, en outre, des détails de forme qui ne sont pas imposés par la nature de ces objets, et notamment plusieurs pieds (ce qui n'est pas imposé, car une chaise et un tabouret peuvent être faits d'un seul bloc), d'un rapport particulier entre la taille du dossier et des pieds et celle de l'assise, la présence de trous dans celle-ci, une construction particulière du dossier et des pieds...

La nullité n'est donc pas encourue de ce chef.

ii- forme conférant au produit une valeur substantielle

L'application de ce motif de nullité repose sur une analyse objective, destinée à démontrer que la forme en cause exerce, en raison de ses propres caractéristiques, une influence si importante sur l'attractivité du produit que le fait d'en réserver le bénéfice à une seule entreprise fausserait les conditions de concurrence sur le marché concerné. Il faut ainsi qu'il résulte d'éléments objectifs et fiables que le choix des consommateurs d'acheter le produit en cause est, dans une très large mesure, déterminé par une ou plusieurs caractéristiques de la forme dont le signe est exclusivement constitué (CJUE, 23 avril 2020, Gömböc, C-237/19, points 40 et 41, et dispositif point 2).

Le fait que le produit possède d'autres valeurs substantielles est indifférent, car les produits ayant, en plus d'une valeur esthétique importante, une fonction essentielle, doivent aussi être couverts par l'interdit ; mais pour déterminer l'influence de la forme de l'objet, différents éléments peuvent être pris en compte, dont la perception du public pertinent, l'histoire de sa conception, le mode industriel ou artisanal de sa conception, sa matière, ou encore la différence de prix avec d'autres objets, ou l'importance des caractéristiques esthétiques dans la stratégie promotionnelle (CJUE, 18 septembre 2014, Hauck, C-205/13, points 30 à 32, et 35 ; et Gömböc, précité, point 60).

En l'espèce, le demandeur à la nullité n'explicite pas en quoi l'apparence des produits en cause exercerait une telle influence sur l'attractivité du produit ; il n'allègue aucun élément objectif et fiable permettant de le démontrer. Ce motif de nullité n'est donc pas caractérisé.

2o) Marques « composées exclusivement d'éléments servant à les désigner »

Sous couvert de critiquer le fait que les marques en cause seraient descriptives (3o de l'article L. 711-2), pour n'être que « des signes représentant les produits pour lesquels elles sont enregistrées » (ses conclusions p. 14), l'argumentation de M. [L], qui se limite à cette approche générale (la marque représente la forme du produit donc elle est descriptive) revient à opposer un refus de principe à l'existence d'une marque constituée par la forme du produit.

Or, s'il n'est pas exclu qu'une marque tridimensionnelle puisse désigner en elle-même des caractéristiques du produit (voir CJCE, 12 février 2004, Henkel, C-218/01, point 42, au sujet d'un flacon de lessive), encore faut-il pouvoir identifier lesdites caractéristiques, ce que le demandeur à la nullité, à qui cette charge incombe en vertu de l'article 9 du code de procédure civile, ne fait pas.

Et la directive (article 3) autorise expressément le dépôt d'une marque constituée par la forme d'un produit, de sorte qu'il ne peut être opposé un tel refus de principe (voir aussi CJCE, 8 avril 2003, Linde, C-53/01, point 75).

Ce moyen est donc infondé.

3o) Caractère distinctif en soi des marques

L'interdiction d'une marque dénuée de caractère distinctif résulte directement de la fonction essentielle de toute marque, qui est de distinguer les produits ou services d'une entreprise de ceux d'autres entreprises (article 3 de la directive et article L. 711-1 du code).

Il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice (qui interprète de manière uniforme les dispositions de la directive et celles du règlement relatif à la marque de l'Union européenne) que le caractère distinctif doit être apprécié, d'une part, par rapport aux produits ou aux services pour lesquels la marque est enregistrée et, d'autre part, par rapport à la perception qu'en a le public pertinent (pour un exemple récent, voir CJUE 12 décembre 2019 Wajos c/ EUIPO, C-783/18 P, point 23, et jurisprudence citée, au sujet de la forme d'une bouteille).

La Cour juge à cet égard que les critères d'appréciation du caractère distinctif sont les mêmes quel que soit le type de marque, mais que pour apprécier ces critères, la perception du consommateur moyen n'est pas nécessairement la même dans le cas d'une marque tridimensionnelle, constituée par l'apparence du produit lui-même, que dans le cas d'une marque verbale ou figurative, qui consiste en un signe indépendant de l'aspect des produits qu'elle désigne, car les consommateurs moyens n'ont pas pour habitude de présumer l'origine des produits en se fondant sur leur forme ou sur celle de leur emballage, en l'absence de tout élément graphique ou textuel, et qu'il pourrait donc s'avérer plus difficile d'établir le caractère distinctif s'agissant d'une telle marque tridimensionnelle que s'agissant d'une marque verbale ou figurative (par exemple, CJUE, Wajos, précité, point 24).

Elle en conclut, systématiquement, que plus la forme dont l'enregistrement est demandé en tant que marque se rapproche de la forme la plus probable que prendra le produit en cause ou l'emballage de celui-ci, plus il est vraisemblable que ladite forme est dépourvue de caractère distinctif (Wajos, précité, point 24).

Et elle en déduit un critère impératif, qui est que seule une marque qui, de manière significative, diverge de la norme ou des habitudes du secteur et est, de ce fait, susceptible de remplir sa fonction essentielle d'origine, n'est pas dépourvue de caractère distinctif (depuis CJCE, 12 février 2004, Henkel, C-218/01, point 49 ; voir encore Wajos précité, point 24 ; ou CJUE 20 octobre 2011, Freixenet, C-344/10).

Ainsi, une simple variante de l'une des formes habituelles de ce type de produits ou d'emballages de ce type de produits ne suffit pas à établir que ladite marque n'est pas dépourvue de caractère distinctif ; enfin, il convient toujours de vérifier si une telle marque permet au consommateur moyen de ce produit, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, de distinguer, sans procéder à une analyse et sans faire preuve d'une attention particulière, le produit concerné de ceux d'autres entreprises (Wajos, point 25).

En l'espèce, la société Tolix ne conteste pas l'absence de caractère distinctif en soi de ses 2 marques ; elle allègue seulement l'acquisition de ce caractère par l'usage (examiné au point 4o)).

Et il ressort à l'évidence de la représentation graphique de ces 2 marques qu'elles montrent, respectivement, une chaise et un tabouret qui ne divergent pas, à première vue, des habitudes du secteur : la chaise présente 4 pieds, une assise assez grande, un dossier constitué d'une barre centrale et d'un arc, ce qui correspond à une forme attendue pour ce type d'objet. De la même manière, le tabouret présente 4 pieds reliés entre eux et une assise rectangulaire, ce qui est habituel, rien ne permettant par ailleurs de retenir que la présence d'un trou en forme de poignée au centre de l'assise soit un élément particulièrement inhabituel (en toute hypothèse la société Tolix ne l'allègue pas).

Si chacun de ces éléments présente des détails remarquables (par exemple, les pieds sont incisés et ont une orientation particulière, l'assise de la chaise présente des petits trous, l'arc du dossier n'est pas dans l'alignement de la barre centrale de celui-ci, l'ensemble est en métal brillant), ces détails ne représentent que des variantes des formes habituelles de ces types de produits. Les 2 formes en cause ne divergent donc pas de manière significative de la norme ou des habitudes du secteur.

Pour le public pertinent, qui est constitué des personnes susceptibles d'acheter des chaises et des tabourets, donc du grand public, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, cette divergence est trop faible pour lui permettre, sans procéder à une analyse et sans faire preuve d'une attention particulière, de distinguer l'origine de ces deux produits de ceux d'autres entreprises.

Ces signes ne sont donc pas distinctifs en soi, et il faut alors rechercher si ce caractère a été acquis par l'usage.

4o) Caractère distinctif acquis par l'usage

Un signe devient distinctif par l'usage qui en est fait, au sens du 2e alinéa de l'article L. 711-2, interprété à la lumière de la directive, dans la mesure où, malgré son incapacité à distinguer lui-même l'origine du produit, une partie significative du public pertinent sait que le produit identifié par ce seul signe provient d'une entreprise déterminée (voir CJCE, 4 mai 1999, Windsurfing chiemsee, C-108/97, points 44 à 46 et dispositif point 2).

Cela suppose un usage du signe « en tant que marque », c'est-à-dire un usage aux fins de l'identification par les milieux intéressés du produit ou du service comme provenant d'une entreprise déterminée (CJCE, 7 juillet 2005, Nestlé, C-353/03, points 26 et 29 ; CJUE 19 juin 2014, Oberbank, C-217/13, point 40).

Comme pour la distinctivité intrinsèque, la distinctivité d'une marque acquise par l'usage s'apprécie par rapport, d'une part, aux produits ou aux services visés par cette marque, et d'autre part, par rapport à la perception présumée des milieux intéressés, à savoir les consommateurs moyens de la catégorie de produits ou de services en cause, normalement informés et raisonnablement attentifs et avisés (CJUE, Oberbank, C-217/13, point 39).

En pratique, l'analyse doit consister en un examen concret et global des éléments qui peuvent démontrer que la marque, par un usage en tant que marque, est devenue apte à identifier le produit ou le service concerné comme provenant d'une entreprise déterminée, ce qui est le cas si une partie significative des milieux intéressés identifient, grâce à la marque, le produit comme provenant d'une entreprise déterminée (CJUE, 19 juin 2014, Oberbank, C-217/13, points 40 et 42).

Dans le cadre de cette appréciation, peuvent être prises en considération, notamment, la part de marché détenue par la marque concernée, l'intensité, l'étendue géographique et la durée de l'usage de cette marque, l'importance des investissements faits par l'entreprise pour la promouvoir, la proportion des milieux intéressés qui identifie le produit ou le service comme provenant d'une entreprise déterminée grâce à ladite marque ainsi que les déclarations de chambres de commerce et d'industrie ou d'autres associations professionnelles. À cet égard le droit de l'Union ne s'oppose pas à ce qu'un sondage d'opinion puisse, dans les conditions du droit national, éclairer le tribunal, à charge pour celui-ci de déterminer le pourcentage des consommateurs lui paraissant suffisamment significatif, mais sans s'arrêter à des données générales et abstraites, telles qu'un pourcentage préétabli, et sans se limiter au résultat d'un tel sondage (Oberbank, précité, points 41 et 43 à 48).

Enfin, s'agissant d'une exception à l'interdiction des marques dépourvues de caractère distinctif, la preuve de l'acquisition de ce caractère par l'usage incombe au titulaire de la marque, qui est au demeurant le mieux à même de l'apporter ; cette solution permet également d'éviter qu'une marque ne remplissant pas sa fonction essentielle puisse continuer à bénéficier (indument donc) de la protection du droit des marques (CJUE, 19 juin 2014, Oberbank, C-217/13, points 68 à 72).

En l'espèce, la société Tolix se prévaut de l'usage historique de sa chaise A et de son tabouret H, dont la notoriété ressortirait des nombreux articles dont ils font l'objet dans la presse spécialisée et généraliste.

Toutefois, la commercialisation d'un objet n'implique pas en soi que sa forme est utilisée aux fins de l'identification, par les milieux intéressés, de cet objet comme provenant d'une entreprise déterminée. Or les articles évoqués par la société Tolix, qui louent le design, la fabrication française, ou les exemples historiques d'usage de la chaise A ou du tabouret H (en particulier dans les parties réservées au personnel dans le paquebot Normandie), n'indiquent pas que la forme de ceux-ci est historiquement utilisée dans le but de distinguer l'origine du produit. Si un article, cité par la société Tolix dans ses conclusions (p. 11) affirme que la chaise A a une ligne « ultra-reconnaissable », il faut observer qu'il la présente comme une « ligne esthétique, robuste » et comme un « fleuron du design industriel français », et non comme un symbole de l'entreprise ayant fabriqué le produit. De même, le fait que plusieurs articles évoquent la présence du modèle dans des musées dédiés au design est significatif de la valeur accordée à ce design en tant que tel, mais ne permettent absolument pas de conclure que sa forme a été utilisée par son fabricant dans le but de marquer l'origine déterminée du produit. L'usage des deux signes en cause en tant que marques n'est donc pas démontré.

À supposer que la forme de la chaise A et du tabouret H aient été utilisées en tant que marques, la société Tolix n'apporte pas d'autres éléments, notamment relatifs à leur part de marché, à l'importance de ses investissements pour les promouvoir, ou à la proportion des milieux intéressés qui identifie les produits comme provenant d'une entreprise déterminée grâce auxdites marques.

Les milieux intéressés, en l'espèce, ne se limitent pas aux seuls amateurs de design, mais représentent le grand public, dès lors d'une part que les chaises et les tabourets sont des objets de consommation courante, et d'autre part que leur prix de vente (entre 200 et 270 euros, pièce Tolix no28), bien que relativement élevé, ne les assimile pas pour autant à des produits de luxe radicalement inaccessibles au grand public et relevant de ce fait d'une autre catégorie de consommateurs.

Afin de déterminer la perception des marques en cause par le grand public, il peut être relevé que M. [L] produit 31 exemples de ventes de chaises identiques ou ressemblant à la chaise A (ses pièces 5, 6, 8 à 34, 58 et 60), parmi lesquels 8 (pièces 8, 13, 19, 23, 24, 28, 29, 33), soit un quart, font référence à Tolix (« style Tolix », « façon Tolix », ou « chaise Lix »). Ces exemples, contrairement à ce qu'en déduit M. [L], indiquent qu'une partie des milieux intéressés identifie la chaise A comme provenant de l'entreprise Tolix, puisque certains vendeurs de produits y ressemblant se revendiquent de cette origine. M. [L] lui-même, au demeurant, a jugé utile d'employer le terme « tolix » dans l'adresse URL d'une page de son site proposant à la vente une chaise ressemblant à la chaise A (ce qui est aussi invoqué en tant que contrefaçon de la marque verbale, partie suivante).

Néanmoins, il s'agit des seuls éléments portés à la connaissance du tribunal tendant à indiquer une perception, par le grand public, de l'origine déterminée de la chaise A. Ils ne sont qu'un indice de l'existence de cette perception, que rien ne vient corroborer et sans que l'on puisse en déduire son ampleur.

La société Tolix se fonde certes sur un très grand nombre d'articles laudatifs (qu'au demeurant elle ne cite pas ni n'analyse dans ses conclusions) qui montrent, dans l'ensemble, la renommée du produit parmi les amateurs de design, mais beaucoup moins parmi le grand public, et sans démontrer que ce produit est largement connu par les consommateurs comme émanant de la société Tolix. Les articles qui font expressément référence à la société Tolix portent, par exemple, sur une visite présidentielle dans la ville de frabrication, ou sur l'histoire de la société et de sa reprise récente par des salariés, ce qui indique certes que les habitants d'[Localité 5] connaissent cette entreprise locale et sa production, et que cette société incarne des valeurs spécifiques, mais n'est pas de nature à prouver qu'une portion significative du grand public sait, rien qu'en voyant la forme de la chaise A, que celle-ci vient de cette entreprise. Au contraire, l'un des articles, de presse générale, affirmant que la chaise A est bien connue du grand public, précise que « chacun la reconnait dans l'Hexagone, mais, étrangement, on connait rarement son nom, et encore moins, comme pour un verre Duralex, celui de son créateur. » (article du Point, 5 aout 2011, pièce Tolix no32-1 pp. 6-8).

Il en est de même pour le tabouret H, auquel, parmi l'ensemble considérable d'articles rassemblés par la société Tolix, un nombre nettement plus faible est consacré, dont le contenu indique plus faiblement encore que pour la chaise A une connaissance par le grand public, la société Tolix ayant même choisi, comme unique article cité dans ses conclusions, un texte à l'origine et à l'auteur inconnus (pièce Tolix no25, extrait d'un site « archi-truc-beziers.com » sans auteur identifié) qui en fait certes une « icone de l'esthétique industrielle » mais sans donner aucun élément permettant de connaitre la perception du grand public quant à la capacité de la forme à renvoyer à une origine déterminée, étant rappelé que la valeur esthétique ou artistique de l'objet lui-même n'est pas un élément pertinent pour savoir si sa forme exerce la fonction d'une marque.

Enfin la société Tolix n'indique pas dans ses conclusions l'effort marketing qu'elle aurait réalisé pour associer grâce aux marques le produit et son origine, ni sa part de marché, ni la proportion du grand public qui réalise cette association.

Ainsi, il n'est pas démontré que les signes en cause sont utilisés en tant que marque, ni que, à supposer que ce fût le cas, le consommateur moyen, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, perçoive la chaise A et le tabouret H, grâce à ces seuls signes qui consistent en la forme de ces produits, comme provenant d'une entreprise déterminée.

Par conséquent, les deux marques litigieuses, n'étant pas distinctives, sont nulles.

Sur les actes de contrefaçon de la marque verbale française Tolix

Moyens des parties
La demanderesse argüe de l'usage de la marque « Tolix » dans l'url https://manouvelledeco.com/collections/chaise-Tolix/products/chaise-Tolix-blanche, renvoyant aux produits importés et commercialisés par M. [L], constitue une contrefaçon de la marque verbale « Tolix ».

Le défendeur réfute tout acte de contrefaçon estimant que le délit n'est constitué que si l'usage du signe est effectué en tant que marque dans la vie des affaires, alors que l'utilisation du signe comme mot-clé pour le référencement ne constitue pas un acte de contrefaçon, le signe protégé n'était pas repris aux yeux du public. Ainsi il n'y aurait pas d'atteinte à la fonction d'origine de la marque, et la contrefaçon ne serait pas caractérisée.

Réponse du tribunal

L'article L. 713-2, 1o, du code de la propriété intellectuelle, prohibe, sauf autorisation du titulaire de la marque, l'usage dans la vie des affaires pour des produits ou des services d'un signe identique à la marque et utilisé pour des produits ou des services identiques à ceux pour lesquels la marque est enregistrée. Une telle atteinte au droit conféré par la marque constitue une contrefaçon (article L. 716-4).

Il ressort du constat d'huissier du 2 novembre 2020 (pièce Tolix no22 p. 15) que le site internet de M. [L] proposait une chaise à la vente sur une page dont l'adresse contient les mots « chaise-tolix » et « chaise-tolix-blanche », sans l'accord de la société Tolix. Le fait que le vocable « tolix » soit utilisé à des fins de référencement a précisément pour but de permettre aux consommateurs qui effectue une recherche contenant les termes « chaise tolix » de trouver le site de M. [L] afin de pouvoir y acheter une telle chaise. Il s'agit donc d'un usage du terme tolix visant à augmenter les chances de vendre un objet, ce qui est, manifestement, un usage dans la vie des affaires. En outre le terme est visible pour le consommateur dans l'adresse URL qui s'affiche en haut de la fenêtre de son navigateur.

Cet usage a été fait afin de vendre des chaises, produit pour lequel a été enregistrée la marque « tolix » dont la société Tolix steel design est titulaire. La contrefaçon est donc caractérisée.

Sur les actes de contrefaçon des droits d'auteur sur le tabouret « HPD »

Moyens des parties
La demanderesse expose que son tabouret « HPD » constitue une oeuvre de l'esprit protégée par le droit d'auteur et que le tabouret consiste en une combinaison d'éléments composant l'apparence générale du tabouret mais également l'assise, les pieds et le dossier, relevant d'un choix guidé par un parti pris esthétique. Elle fait valoir que le Tribunal de grande instance de Strasbourg s'est déjà prononcé en faveur d'une protection des tabourets « H » et « HPD » par le droit d'auteur par jugement définitif du 12 avril 2018.

Elle se prévaut ensuite de la présomption de titularité des droits attachée à l'exploitation des meubles. Elle indique que le tabouret « HPD » n'a été créé qu'en 2006 et donc bénéficie toujours de la protection au titre des droits d'auteur contrairement au tabouret « H » qui, lui, serait effectivement tombé dans le domaine public.

Enfin, elle indique que les meubles de M. [L] sont des copies serviles reprenant les éléments caractéristiques et de l'impression d'ensemble des tabourets « HPD » Tolix, à savoir :
- la formation du tabouret par trois blocs constituant l'assise, les pieds et le dossier ;
- l'assise étant de forme carrée avec des angles arrondis ; les pieds fuyant vers l'extérieur en forme de trapèze, arrondis en façade avec un angle supérieur à 90o, creux au dos, avec des extrémités inférieures tubulaires, les pieds étant emboutis sur la moitié de la longueur, reliés par une barre tubulaire le commencement de la façade arrondie de chaque pied ;
- le dossier composé d'une structure tubulaire délimitant le contour du dossier et d'une traverse verticale lisse et légèrement incurvée, la traverse verticale égale, le dossier arrondi dans les angles et en bas et fixé à la chaise en son centre et sur les côtés.

Le défendeur soutient que le tabouret « HPD » n'est qu'une copie du tabouret « H » avec pour seule différence l'existence d'un dossier. Or, le tabouret « H » est une oeuvre créée par M. [O] [M], décédé le [Date décès 3] 1948, et ainsi que le délai de 70 ans suivant sa mort est expiré, ses oeuvres sont tombées dans le domaine public. Elle réfute également toute originalité au tabouret « HPD » au motif qu'en 2006 le modèle avec dossier était déjà largement répandu dans le commerce.

Réponse du tribunal

Conformément à l'article L.111-1 du code de la propriété intellectuelle, l'auteur d'une oeuvre de l'esprit jouit sur cette oeuvre, du seul fait de sa création, d'un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous comportant des attributs d'ordre intellectuel et moral ainsi que des attributs d'ordre patrimonial. En application de l'article L.112-1 du même code, ce droit appartient à l'auteur de toute oeuvre de l'esprit, quels qu'en soient le genre, la forme d'expression, le mérite ou la destination.

La protection d'une oeuvre de l'esprit est acquise à son auteur sans formalité et du seul fait de la création d'une forme originale en ce sens qu'elle porte l'empreinte de la personnalité de son auteur et n'est pas la banale reprise d'un fonds commun non appropriable. Dans ce cadre toutefois, il appartient à celui qui se prévaut d'un droit d'auteur dont l'existence est contestée de définir et d'expliciter les contours de l'originalité qu'il allègue. En effet, seul l'auteur, dont le juge ne peut suppléer la carence, est en mesure d'identifier les éléments traduisant sa personnalité et qui justifient son monopole.

L'originalité de l'oeuvre peut résulter du choix des couleurs, des dessins, des formes, des matières ou des ornements mais également de la combinaison originale d'éléments connus.

En l'espèce, le tabouret HPD, visuellement, consiste en l'ajout, sur un tabouret H, d'un dossier constitué d'une barre verticale et d'un arc tubulaire, comme sur la chaise A. Ce dossier est bien plus petit que celui de la chaise et a une forme plus carrée, mais articule pour le reste les mêmes éléments visuels. C'est au demeurant ce qu'admet la société Tolix elle-même, qui décrit le dossier du tabouret H dans des termes qui s'appliquent tous au dossier de la chaise A à l'exception de l'absence du motif en U inversé dans le dossier du tabouret.

L'ajout d'un dossier à une assise n'étant pas en soi original, la combinaison de ces éléments déjà connus n'est pas originale.

Reprenant ainsi les mêmes éléments originaux que le dossier de la chaise A, qui fait aujourd'hui partie du domaine public, l'ajout d'un dossier au tabouret H, lui-aussi dans le domaine public, ne traduit pas une création originale portant l'empreinte de la personnalité de son auteur.

Par conséquent, ce modèle n'est pas protégé par des droits d'auteur, et aucune contrefaçon à ce titre ne peut être invoquée.

Sur les actes de concurrence déloyale et parasitaire

Moyens des parties
La société Tolix soutient que les modèles de la chaise A, du tabouret H et du tabouret HPD sont parfaitement reconnaissables sur le marché du mobilier « outdoor », et que l'imitation des meubles de la société Tolix induit une confusion dans l'esprit du client sur l'origine du produit avec une volonté de détourner la clientèle et un risque d'association des produits de Tolix et de M. [L]. Elle estime que des actes de concurrence ont bien lieu en France en raison de l'indication d'une livraison en France sur le site internet et du fait d'une rupture de stock d'un certain nombre de produits ; que la concurrence déloyale est aggravée par la pratique de prix à la baisse (45 euros contre 261 euros), et l'absence de boutique physique excluant tout frais de structure, de salariat, et charge afférente à l'exploitation d'une structure.

Au titre du parasitisme la société Tolix fait valoir que M. [L] reprend à son propre compte ses efforts et investissements, réalise une économie substantielle d'investissement en important des produits chinois, et que ses agissements participent à une logique de dévalorisation et de banalisation des produits de la société Tolix, portant atteinte à son image.

M. [L] réfute tout acte de concurrence déloyale et estime que les chaises et tabourets métalliques sont des produits banals largement répandus, existant depuis les années 30 et ayant été commercialisés par d'autres entreprises ; que les produits ne peuvent être confondus, les produits Tolix comprenant la marque Tolix sur la chaise, et les chaises et tabourets qu'il commercialise ayant une assise en bois démontable alors que les produits Tolix sont monobloc et en métal uniquement.

Sur le parasitisme, il soutient que la société Tolix ne prouve pas les investissements réalisés, et qu'aucun risque de confusion n'est créé ; par ailleurs, qu'aucun acte sur le sol français n'a été commis en raison de la retenue douanière.

Réponse du tribunal

1o) Concurrence déloyale

Aux termes des articles 1240 et 1241 du code civil, tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer, et chacun est responsable du dommage qu'il a causé non seulement par son fait, mais encore par sa négligence ou par son imprudence.

Au visa de ces deux textes, il est constamment jugé que la liberté du commerce autorise tout acteur économique à attirer vers lui la clientèle de son concurrent. Aussi, l'imitation d'un concurrent n'est, en tant que telle, pas fautive, à moins que ne soient utilisés des procédés illicites ou contraires aux usages loyaux du commerce.

A cet égard, les procédés consistant, par imitation des signes d'un concurrent, à créer dans l'esprit du public une confusion de nature à tromper la clientèle et la détourner, caractérisent des actes de concurrence déloyale.

L'appréciation de la faute doit résulter d'une approche concrète et circonstanciée des faits en prenant en compte le caractère plus ou moins servile, systématique ou répétitif de l'imitation, l'ancienneté du signe imité, l'originalité ou la notoriété du signe copié.

L'action en concurrence déloyale peut être intentée par celui qui ne peut se prévaloir d'un droit privatif (voir par exemple Cass. Com., 12 juin 2007, no05-17.349).

En l'espèce, il résulte de ce qui précède que le public susceptible d'acheter une chaise et un tabouret (étant précisé que les modèles en cause ne sont pas seulement « outdoor », le catalogue Tolix distinguant les modèles d'intérieur et d'extérieur, sa pièce no28) n'attache pas particulièrement à la forme de la chaise A et du tabouret H une origine déterminée. La demanderesse n'apporte pas d'élément de nature à prouver qu'il en va autrement pour le tabouret HPD, dont en outre la création est nettement plus récente que celle des deux autres modèles. La reproduction, même à l'identique, de ces formes ne saurait dès lors causer un risque de confusion.

Et il n'est pas allégué contre M. [L] d'autres actes visant à susciter la confusion avec la société Tolix : en particulier, M. [L] pratique des prix plus bas que ceux de Tolix, sans faire croire que la valeur réelle des produits qu'il vend est la même que celle des produits Tolix (pas de fausse promotion, de prix barré...), l'existence de ruptures de stocks comme l'absence de boutiques physiques ne contribuent pas à entretenir une confusion ; et l'emploi du terme tolix dans l'adrese URL caractérise déjà en lui-même une contrefaçon.

La concurrence déloyale invoquée n'est donc pas caractérisée.

2o) Parasitisme

Est encore fautif, au sens de l'article 1240 du code civil, le fait, pour un agent économique, de se placer dans le sillage d'une entreprise en profitant indûment des investissements consentis ou de sa notoriété, ou encore de ses efforts et de son savoir-faire ; qualifié de parasitisme, il résulte d'un ensemble d'éléments appréhendés dans leur globalité (Cass. Com., 4 février 2014, no13-11.044 ; Cass. Com., 26 janvier 1999, no 96-22.457), et qu'il faut interpréter au regard du principe de liberté du commerce et de l'industrie.

Il incombe donc à celui qui impute à un tiers des actes parasitaires de rapporter ce qui est le fruit d'investissements et efforts humains et financiers de sa part, lesquels ne se déduisent pas de la seule longévité et du succès de la commercialisation de l'objet copié ou imité (Cass. Com. 5 juillet 2016, no14-10.108).

En l'espèce, la société Tolix allègue la longévité de la commercialisation de la chaise A et du tabouret H (le tabouret HPD, quant à lui, n'a été commercialisé qu'en 2006), et leur réputation.

Cependant, elle n'indique pas en quoi cette situation est le fruit d'investissements particuliers, le seul fait de persister à proposer à la vente pendant plusieurs décennies un même objet ne représentant pas un investissement ou un effort tel que l'imitation de l'objet en deviendrait fautive.

En profitant de la notoriété de ces objets, M. [L] profite donc seulement de leur qualité esthétique intrinsèque (qui n'est plus protégée en tant que telle, les droits de propriété intellectuelle ayant expiré) et de la tendance du marché qui reconnait cette valeur, tendance dont la société Tolix ne prouve pas qu'elle l'a provoquée par ses propres efforts ou investissements. Cela ne saurait donc être jugé indu sans recréer indirectement des droits de propriété intellectuelle sur les objets.

Il en résulte que ce n'est pas de manière indue, au regard du principe de la liberté du commerce, que M. [L] imite l'apparence des objets commercialisés par la société Tolix steel design (au demeurant en y apportant de légères modifications, comme l'ajout d'une assise en bois, dans tous les modèles vendus sauf un).

Par conséquent, les actes reprochés à M. [L] ne peuvent être qualifiés de parasitisme, et la demande à ce titre est rejetée.

Sur les mesures réparatrices

En vertu de l'article L. 716-4 du code de la propriété intellectuelle, la contrefaçon d'une marque engage la responsabilité civile de son auteur, et l'article L. 716-4-10 dispose que pour fixer les dommages et intérêts, la juridiction prend en considération distinctement :

1o Les conséquences économiques négatives de la contrefaçon, dont le manque à gagner et la perte subis par la partie lésée ;

2o Le préjudice moral causé à cette dernière ;

3o Et les bénéfices réalisés par le contrefacteur, y compris les économies d'investissements intellectuels, matériels et promotionnels que celui-ci a retirées de la contrefaçon ;

Et que la juridiction peut, à titre d'alternative et sur demande de la partie lésée, allouer à titre de dommages et intérêts une somme forfaitaire. Cette somme est supérieure au montant des redevances ou droits qui auraient été dus si le contrefacteur avait demandé l'autorisation d'utiliser le droit auquel il a porté atteinte. Cette somme n'est pas exclusive de l'indemnisation du préjudice moral causé à la partie lésée.

Par ailleurs l'article L. 716-4-9, appliquant en droit national l'article 8 de la directive 2004/48 relative au respect des droits de propriété intellectuelle, prévoit au bénéfice du demandeur à l'action en contrefaçon un droit d'information en vertu duquel, s'il n'existe pas d'empêchement légitime, la juridiction peut ordonner, au besoin sous astreinte, afin de déterminer l'origine et les réseaux de distribution des produits argüés de contrefaçon qui portent atteinte aux droits du demandeur, la production de tous documents ou informations détenus par le défendeur ou par toute personne qui a été trouvée en possession de produits argués de contrefaçon ou qui fournit des services utilisés dans de prétendues activités de contrefaçon ou encore qui a été signalée comme intervenant dans la production, la fabrication ou la distribution de ces produits ou la fourniture de ces services.

En l'espèce, il résulte des parties précédentes que les demandes de communication, interdiction, publication et réparation formulées par la société Tolix sont infondées en ce qu'elles se rapportent à la contrefaçon des marques figuratives, des droits d'auteur et la concurrence déloyale et parasitaire.

En revanche, la contrefaçon de la marque verbale « tolix » est caractérisée. Or il ressort des propres pièces de M. [L] qu'un très grand nombre d'acteurs vend des modèles identiques, ou à tout le moins fortement inspirés, des modèles créés par la société Tolix, ce qui caractérise une situation de concurrence intense. Dans un tel contexte, l'usage illicite de la marque de cette société, à des fins de référencement sur l'internet, est d'autant plus susceptible de faire perdre du chiffre d'affaires au détendeur de la marque et donc de lui causer un préjudice élevé.

Il peut donc être ordonné au défendeur de communiquer à la titulaire de la marque contrefaite les documents qu'elle réclame et qui se rapportent au modèle dont la commercialisation se fait par une page internet qui contrefait la marque, c'est-à-dire la « chaise industrielle blanche et bois », sous une astreinte d'un montant tenant compte de ce qu'il s'agit d'un seul modèle parmi d'autres, soit 100 euros par jour.

Et il peut être fixé en l'état une provision de 5 000 euros.

La cessation de la contrefaçon, qui passe par le retrait de la marque dans l'adresse URL concernée, doit être ordonnée en tant que de besoin, sous astreinte de 500 euros par infraction constatée.

En revanche, la publication n'est pas justifiée, et il n'y a pas lieu à règlementer ce que la société Tolix souhaite publier sur son propre site internet, bien qu'elle en formule la demande.

Sur la mainlevée des saisies douanières, la charge de leurs frais, et la restitution des objets saisis

La contrefaçon en vertu de laquelle la saisie a été pratiquée et maintenue n'étant pas caractérisée, la saisie doit (en tant que de besoin) être levée, c'est-à-dire, en ce qui concerne les seules parties à la présente instance, que la société Tolix doit y consentir dans la mesure où cela est nécessaire (et la nécessité d'une astreinte à cet égard n'est pas démontrée).

Les frais de la saisie incombent intégralement au titulaire de droit qui a confirmé par erreur le caractère contrefaisant des marchandises saisies.

En revanche, les articles étant saisis par l'administration des douanes, la société Tolix n'est pas en mesure de procéder elle-même à leur restitution, et la demande en ce sens doit par conséquent être rejetée.

Sur la demande reconventionnelle en procédure abusive

Moyens des parties
M. [L] invoque le caractère abusif de la procédure au motif que les chaises et tabourets sont des oeuvres tombées dans le domaine public, que les marques sont manifestement nulles et que les produits sont banals et largement répandus dans le commerce. Il demande à ce titre 10 000 euros pour préjudice moral.

La demanderesse conclut au rejet de cette prétention, argüant de la validité des marques et du droit d'auteur invoqués, et de l'absence de preuve de l'état de stress intense invoqué par M. [L].

Réponse du tribunal

L'accès au juge est un droit fondamental, qui ne dégénère en abus que par une intention de nuire ou une légèreté blâmable, lesquels peuvent se prouver au regard du caractère si évident du manque de sérieux de l'action ou de la résistance, qu'aucun plaideur de bonne foi, après un examen rudimentaire, au besoin avec l'aide d'un professionnel du droit, ne pouvait l'ignorer.

En l'espèce, bien que la société Tolix steel design voie une grande partie de ses demandes rejetées, il a fallu un examen détaillé du droit applicable et des faits allégués par les parties pour parvenir à cette conclusion. La demande n'était donc, à l'évidence, pas abusive.

Sur les dépens et autres frais, et l'exécution provisoire

Aux termes de l'article 696 du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n'en mette la totalité ou une fraction à la charge d'une autre partie. L'article 700 du même code permet au juge de condamner en outre la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l'autre, pour les frais exposés mais non compris dans les dépens, une somme qu'il détermine, en tenant compte de l'équité et de la situation économique de cette partie.

En l'espèce, l'issue contrastée du litige, le défendeur voyant notamment un grand nombre de ses moyens écartés, permet de laisser à chaque partie la charge de ses dépens et de rejeter leur demande respective formée au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Enfin, vu les articles 514 et 515 du code de procédure civile, il n'y a pas lieu à écarter l'exécution provisoire, les parties ne l'ayant pas demandé et la nature de l'affaire ne lui étant pas incompatible, sauf s'agissant de la transcription de la nullité au registre des marques, mesure définitive.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal, statuant en premier ressort, publiquement, par jugement contradictoire mis à disposition au greffe,

Sur les marques figuratives et les droits d'auteur :

Annule
- la marque française figurative no4413907 déposée le 18 décembre 2017 pour désigner des chaises métalliques
- la marque française tridimensionnelle no4413078 déposée le 14 décembre 2017 pour désigner des tabourets métalliques

Ordonne la transmission à l'Inpi de la présente décision, une fois passée en force de chose jugée, à l'initiative de la partie la plus diligente aux fins de transcription au registre des marques ;

Rejette les demandes de la société Tolix steel design fondées sur la contrefaçon des marques annulées, et de la contrefaçon de droits d'auteur au titre du tabouret HPD ;

Mais, sur la contrefaçon de la marque verbale « tolix » :

Ordonne à M. [L] de communiquer à la société Tolix steel design les documents comptables (comptes et documents justificatifs tels que factures), certifiés exacts par un expert comptable, relatifs à l'acquisition et à la vente (depuis la création du site internet et jusqu'à la date du présent jugement) du produit intitulé, sur le site manouvelledeco.com « chaise industrielle blanche et bois », apparaissant en page 15 du constat d'huissier du 2 novembre 2020, et ce dans un délai de 60 jours passés la signification de la décision, puis sous astreinte de 100 euros par jour de retard, qui courra au maximum pendant 180 jours ;

Condamne M. [L] à payer à la société Tolix steel design la somme provisionnelle de 5 000 euros en réparation du préjudice causé par la contrefaçon des marques verbales « tolix » ;

Ordonne à M. [L] de cesser l'emploi de la marque verbale « tolix » dans l'URL de son site internet et lui interdit de faire usage de cette marque dans la vie des affaires, le tout dans un délai de 10 jours suivant la signification du jugement, puis sous astreinte de 500 euros par jour qui courra pendant 180 jours maximum ;

Rejette la demande de la société Tolix steel design en publication du jugement ;

Sur les autres demandes

Rejette les demandes de la société Tolix steel design fondées sur la concurrence déloyale et parasitaire ;

Ordonne à la société Tolix steel design de permettre, en tant que de besoin, et dans les formes utiles, la mainlevée des saisies douanières pratiquées contre M. [L], référencées sous les numéros 20083D00942, 20083D00943 et 20083D00973, et dit que les frais afférents à ces saisies incombent à la société Tolix steel design ;

Rejette la demande de M. [L] en dommages et intérêts au titre « de la procédure » ;

Laisse à chaque partie la charges des dépens qu'elle aura exposés et rejette leur demande respective formée au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Écarte l'exécution provisoire de la présente décision, mais uniquement en ce qui concerne sa transcription au registre des marques, et la maintient pour tout le reste ;

Fait et jugé à Paris le 02 Novembre 2021
La GreffièreLa Présidente


Synthèse
Tribunal : Tribunal de grande instance de Paris
Formation : Ct0196
Numéro d'arrêt : 20/10894
Date de la décision : 02/11/2021

Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.grande.instance.paris;arret;2021-11-02;20.10894 ?
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