La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

15/10/2021 | FRANCE | N°19/959

France | France, Tribunal de grande instance de Paris, Ct0196, 15 octobre 2021, 19/959


TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS

3ème chambre 2ème section

No RG 19/00959
No Portalis 352J-W-B7D-COY54

No MINUTE :

Assignation du :
24 Janvier 2019

JUGEMENT
rendu le 15 Octobre 2021
DEMANDEUR

Monsieur [C] [T]
[Adresse 3]
[Localité 2]

représenté par Maître Philippe SCHMITT, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #A0677

DÉFENDERESSE

S.A. NATUREX
[Adresse 1]
[Adresse 5]
[Localité 4]

représentée par Maître Sonia-maïa GRISLAIN de la SELEURL GRISLAIN AVOCAT, avocat au barreau de PARI

S, avocat postulant, vestiaire #A0035

et par Maître Karine ETIENNE, de la SELAS FIDAL, avocat au barreau de LYON, avocat plaidant,

COMPOSITION DU TRIB...

TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS

3ème chambre 2ème section

No RG 19/00959
No Portalis 352J-W-B7D-COY54

No MINUTE :

Assignation du :
24 Janvier 2019

JUGEMENT
rendu le 15 Octobre 2021
DEMANDEUR

Monsieur [C] [T]
[Adresse 3]
[Localité 2]

représenté par Maître Philippe SCHMITT, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #A0677

DÉFENDERESSE

S.A. NATUREX
[Adresse 1]
[Adresse 5]
[Localité 4]

représentée par Maître Sonia-maïa GRISLAIN de la SELEURL GRISLAIN AVOCAT, avocat au barreau de PARIS, avocat postulant, vestiaire #A0035

et par Maître Karine ETIENNE, de la SELAS FIDAL, avocat au barreau de LYON, avocat plaidant,

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Catherine OSTENGO, Vice-présidente
Elise MELLIER, Juge
Alix FLEURIET, Juge

assisté de Quentin CURABET, Greffier

DEBATS

A l'audience du 03 Septembre 2021 tenue en audience publique devant Catherine OSTENGO et Elise MELLIER, juges rapporteurs, qui sans opposition des avocats ont tenu seules l'audience, et après avoir entendu les conseils des parties, en ont rendu compte au Tribunal, conformément aux dispositions de l'article 805 du code de procédure civile.

Avis a été donné aux parties que le jugement serait rendu par mise à disposition au greffe le 15 Octobre 2021

JUGEMENT

Prononcé publiquement par mise à disposition
Contradictoire
en premier ressort

EXPOSE DU LITIGE

La société NATUREX, immatriculée le 22 juillet 1992, a pour activité la production et la commercialisation d'ingrédients à base de végétaux, à destination des industries agroalimentaire, nutraceutique et cosmétique.

[C] [T] a été salarié de cette entreprise du 1er décembre 2011 au 28 février 2018 en qualité de « Responsable Recherche et Développement Cosmétique ». Son contrat de travail était soumis à la convention collective des industries chimiques.

Il est cité comme co-inventeur des trois inventions suivantes :

- « Solvant eutectique d'extraction, procédé d'extraction par eutectigénèse utilisant ledit solvant et extrait issu dudit procédé d'extraction », objet notamment du brevet français FR1562033 publié le 14 octobre 2016 et délivré le 20 juin 2020 à la société NATUREX sous le no FR 3034626 et du brevet français FR 1 553 092 déposé le 10 avril 2015 publié sous le no 3 034 625 ;

- « Extrait végétal issu d'une plante du genre aera, composition le contenant et utilisation dudit extrait végétal » objet notamment du brevet français FR1653022 déposé par la société NATUREX le 6 avril 2016 publié le 13 octobre 2017 sous le no FR 3049864 ;

- « Extraits de Santolina chamaecyparissus » objet notamment des brevets européens EP14305401 et EP 3 119 206 déposés par la société NATUREX, la Société française d'ingénierie appliquée aux cosmétiques, le CNRS, l'Agence conseil pour la phytothérapie et l'aromathérapie et l'Université de [Localité 7] Sophia Antipolis les 21mars 2014 et 20 mars 2015 et publiés les 23 et 24 septembre 2015.

[C] [T] a saisi la Commission Nationale des Inventions des Salariés (CNIS) qui, le 28 décembre 2018, a adressé une proposition d'accord aux parties préconisant :

- que ces trois inventions visées dans le préambule soient qualifiées d'inventions de mission, propriété de la société NATUREX,

- que cette dernière s'engage à verser à [C] [T], au titre de la rémunération supplémentaire afférente aux inventions visées dans le préambule, la somme de 25 000 euros bruts dans un délai de deux mois, à compter du jour où la proposition sera devenue définitive.

[C] [T], par ailleurs, est cité comme l'un des co-inventeur de l'invention intitulée « Eutectic extract formation and purification » qui a fait l'objet notamment de la demande de brevet britannique GB1807968 déposée par la société NATUREX et la société SCIONIX le 16 mai 2018.

Il revendique enfin cette même qualité pour l'invention intitulée « Rubus idaeus extract for treating inflammation, particularly arthritis » ayant fait l'objet notamment de la demande de brevet britannique GB 1622161 déposée par la société NATUREX et publiée le 23 décembre 2016 sous le no GB 2558275, sur la base duquel a également été déposée une demande de brevet internationale (WO 2018/115381).

Par acte du 24 janvier 2019, [C] [T] a fait assigner la société NATUREX aux fins d'obtenir pour chacun de ces brevets, une rémunération supplémentaire.

Suivant ordonnance du 4 décembre 2020, le juge de la mise en état a rejeté les demandes d'[C] [T] tendant à la production :
- d'informations sur la part contributive de chaque inventeur autre que lui-même,
- de pièces complémentaires au titre de l'exploitation des inventions,
- d'éléments concernant le statut des brevets.

Dans ses dernières conclusions signifiées par voie électronique le 25 mars 2021, [C] [T] formule les demandes suivantes :

Vu l'article 17, 2o) de la Charte des Droits fondamentaux de l'Union européenne,
Vu l'article L. 611-7 du code de la propriété intellectuelle,
Vu l'article L. 611- 9 du code de la propriété intellectuelle,
Vue la proposition de conciliation de la Commission Nationale des Inventions de Salariés du
28 décembre 2018.

REJETER toutes les demandes de la société NATUREX.
CONDAMNER la société NATUREX à payer à Monsieur [T] :

- Pour l'exploitation de l'invention « Solvant eutectique d'extraction, procédé d'extraction par eutectigenese utilisant ledit solvant, et extrait issu dudit procédé d'extraction», une rémunération supplémentaire de 3 % sur la marge nette réalisée avec l'un ou l'autre des produits commercialisés par la société NATUREX et égale à 15 % du montant net des licences que pourrait accorder la société NATUREX sur cette invention et ce jusqu'au terme du dernier brevet issu de la demande de brevet français déposée le 10 avril 2015, publiée sous le no 3 034 625 et enregistrée sous le no FR 1 553 092 ou de la demande de brevet français déposée le 8 décembre 2015, publiée sous le no FR 3 034 626 et enregistrée sous le no FR 1 562 033.

- Pour l'exploitation de l'invention « Extrait végétal issu d'une plante du genre aerva, composition le contenant et utilisation dudit extrait végétal », une rémunération supplémentaire de 3 % sur la marge nette réalisée avec l'un ou l'autre des produits commercialisés par la société NATUREX et à 15 % du montant net des licences que pourrait accorder la société NATUREX sur cette invention et ce jusqu'au terme du dernier brevet issu de la demande de brevet français déposée le 6 avril 2016, publiée sous le no FR 3 049 864 et enregistrée sous le no FR 1 653 022.

- Pour l'exploitation de l'invention « Extraits de Santolina chamaecyparissus», une rémunération supplémentaire de 2 % sur la marge nette réalisée avec l'un ou l'autre des produits commercialisés par la société NATUREX et à 10 % du montant net des licences que pourrait accorder la société NATUREX sur cette invention et ce jusqu'au terme du dernier brevet issu de la demande de brevet européen publiée sous le no EP 3 119 206 et sous WO 2015/140290.

ORDONNER à la société NATUREX de désigner Monsieur [T] comme inventeur à la demande PCT WO 2018/115381 déposée le 21 décembre 2017 et sur tous les titres qui en seront issus sous astreinte de 1 000 euros au bénéfice de Monsieur [T] par mois de retard passé un délai de 2 mois après la décision devenue définitive.

CONDAMNER la société NATUREX à payer à Monsieur [T] au titre de la rémunération supplémentaire pour l'exploitation de l'invention « Rubus idaeus extract for treating inflammation, particularly arthritis » 0,62 % sur la marge nette réalisée avec l'un ou l'autre des produits commercialisés par la société NATUREX et à 3,12 % du montant net des licences que pourrait accorder la société NATUREX sur cette invention et ce jusqu'au terme du dernier brevet issu de la demande PCT WO 2018/115381 déposée le 21 décembre 2017.

CONDAMNER la société NATUREX à payer à Monsieur [T] au titre de la rémunération supplémentaire pour l'exploitation de l'invention « Eutectic extract formation and purification » 0,7 % sur la marge nette réalisée avec l'un ou l'autre des produits commercialisés par la société NATUREX et à 3,57 % du montant net des licences que pourrait accorder la société NATUREX sur cette invention et ce jusqu'au terme du dernier brevet issu de la demande déposée le 16 mai 2018 sous le no GB1807968.

ORDONNER à la société NATUREX de communiquer à Monsieur [T] la situation des titres portant sur l'une ou l'autre de ces 5 inventions jusqu'au terme du dernier brevet dans les 3 mois suivants la clôture de chaque exercice et ce, sous astreinte de 5 000 euros par titre manquant au bénéfice de Monsieur [T].

CONDAMNER la société NATUREX à payer à Monsieur [T] au titre de la rémunération supplémentaire pour les évènements relatifs de la vie des brevets de toutes les inventions ci-dessus citées :

- Pour chaque dépôt de la demande de base et pour chaque délivrance par l'OEB, l'USPTO, l'Office chinois ou par l'office japonais : la somme correspondant à 3 000 euros divisée par le nombre d'inventeurs désignés .

- Pour chaque délivrance ou l'extension devant un autre office national : la somme correspondant à 1 000 euros divisée par le nombre d'inventeurs désignés.

En conséquence sous réserve des informations à communiquer par la société NATUREX sur la situation des titres, dès à présent :

CONDAMNER la société NATUREX à payer à Monsieur [T] les primes de dépôt de base 857 euros (invention 1), 750 euros (invention 2), 800 euros (inventions 3), 333 euros (invention 4), et 375 euros (invention 5).

CONDAMNER la société NATUREX à payer à Monsieur [T] la somme de 120 000 euros à titre de provision sur le montant de la rémunération supplémentaire due pour les cinq inventions y compris les primes pour les différents événements de la vie des titres, somme qui lui restera acquise même si la société NATUREX n'établit pas lors des exercices prochains à hauteur de cette somme la part variable de la rémunération supplémentaire et les primes pour les différents événements de la vie des titres.

ORDONNER à la société NATUREX de communiquer pour chacune de ces 5 inventions, et sous astreinte de 10 000 euros par invention où l'exhaustivité des informations ne serait pas réalisée, au bénéfice de Monsieur [T] une attestation au sens des articles 200 à 203 du code de procédure civile et de l'article 441-7 du code pénal, par le Président du Conseil d'administration de la société NATUREX de l'état de son exploitation sous toutes les formes notamment industrielles ou commerciales et indiquant exercice par exercice depuis la date de la 1ère demande dans les 30 jours du jugement attendu puis ensuite, pour chaque exercice dans les trois mois suivant la clôture de l'exercice de la société NATUREX et ce jusqu'au dernier jour du dernier brevet de l'une ou de l'autre des 5 inventions :

1) En effectuant la recherche sur tous les noms latins des plantes et leurs variantes en français et en anglais en rapport avec les revendications des titres, et notamment pour rubus, framboisier raspberry et plus encore pour gardénia, et sur les dénominations commerciales Eliorelys, Hydranellys, Synchronight, NaDES, Eutectys, My Blue Guard, My Blue Guard Hight Performance, Active Beauty, Active Beauty S3D Oceanist, et non seulement sur « Santolina, Aerva et Rubus » et leurs marques commerciales comme aux attestations de la société NATUREX des 31 décembre 2019 et 28 août 2020 et à celles de son commissaire aux comptes du 17 janvier 2020 et du 28 août 2020, pour leur utilisation par :
- i) la société NATUREX,
- et ii) ses alliés à savoir toutes sociétés dans lesquelles la société NATUREX est majoritaire et dans toutes sociétés qui détiendraient au moins 30% du capital de la société NATUREX, et toutes sociétés qui bénéficieraient d'une licence exclusive ou non, inscrite ou non de fabrication ou de commercialisation de l'un ou l'autre des titres de l'une ou l'autre des 5 inventions,
- et iii) toutes entreprises du groupe GIVAUDAN.

2) et en complétant les attestions des 31 décembre 2019, 17 janvier 2020 et 28 août 2020 notamment par :
2-1) le détail de tous les encaissements en rapport avec l'un ou l'autre des titres déposés ou délivrés pour chaque invention reçus notamment à titre de vente de toutes compositions visées par l'une ou l'autre des revendications desdits titres, de licence ou de cession totale ou partielle par la société NATUREX i), par toutes ses alliées ii) et le groupe GIVAUDAN iii) comme il est dit-ci-dessus,
2-2) les revenus nets dégagés par l'exploitation de chacune des 5 inventions par la société NATUREX i), par ses alliées ii) et par le groupe GIVAUDAN iii) comme il est dit-ci-dessus.

CONDAMNER la société NATUREX à payer à Monsieur [T] la somme de 15 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

CONDAMNER la société NATUREX aux entiers frais et dépens de l'instance.

Dans ses dernières conclusions signifiées par voie électronique le 12 mars 2021, la société NATUREX demande au tribunal de :

DÉBOUTER M. [C] [T] de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions,

DIRE ET JUGER que M. [T] ne rapporte pas la preuve de ses prétentions,

CONSTATER que la demande de brevet français de base no 1553092 (famille EUTECTYS) ne répond pas en l'état au caractère de brevetabilité, excluant le versement d'une rémunération complémentaire,

CONSTATER que seul le brevet français no1562033 a été délivré,

CONSTATER que le caractère brevetable des autres inventions NADES, AERA, SANTOLINA n'est pas établi, aucun brevet n'ayant encore été délivré,

CONSTATER que les demandes de brevets déposées au titre des inventions AERVA et SANTOLINA ont été abandonnées,

DIRE ET JUGER qu'aucune rémunération supplémentaire n'est donc due,

Subsidiairement, au regard des critères habituellement pris en compte pour apprécier le montant de la rémunération supplémentaire et de la situation factuelle en cause,

DIRE ET JUGER que la rémunération supplémentaire due à M. [T] ne pourra excéder un montant global de 25.000 euros tel que retenu par la CNIS,

En tout état de cause,

DÉBOUTER M. [T] de sa demande tendant à être cité comme inventeur des demandes de brevets britannique no GB 1622161 et international PCT WO 2018/115381,

DIRE ET JUGER sa demande tendant à l'octroi d'une rémunération supplémentaire au titre de cette invention (Famille RUBUS) mal fondée et le débouter de ce chef,

CONDAMNER M. [C] [T] à verser une somme de 20.000 euros à NATUREX au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

LE CONDAMNER aux entiers dépens, distraits auprès de la Selarl GRISLAIN sur son affirmation de droit.

La procédure a été clôturée par ordonnance du 8 avril 2021 et l'affaire plaidée le 3 septembre 2021.
Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, il est fait référence aux écritures précitées des parties, pour l'exposé de leurs prétentions respectives et les moyens qui y ont été développés.

MOTIFS

1- Sur les inventions pour lesquelles le demandeur est cité en qualité de co-inventeur

[C] [T] fait en premier lieu valoir que la société NATUREX a manqué, dans le cadre de la présente procédure, à son obligation de communication loyale des informations relatives aux demandes de brevet et n'a produit aucun élément permettant d'apprécier leur valeur et il précise qu'à la suite d'une sommation de communiquer, il n'a été destinataire que d'informations parcellaires. Il soutient qu'à défaut pour la défenderesse de produire des éléments relatifs à la part contributive qui a été reconnue aux autres co-inventeurs, le tribunal doit retenir celle que lui-même revendique ce, dans la mesure où le juge de la mise en état a considéré dans son ordonnance que la convention collective ne prévoyait pas une telle communication.

S'agissant de l'invention intitulée « Solvant eutectique d'extraction, procédé d'extraction par eutectigenèse utilisant ledit solvant, et extrait issu dudit procédé d'extraction », [C] [T] soutient être à l'origine des travaux de recherche relatifs aux NADES et que cette invention, à la fois de procédé et de produit, a permis à la société NATUREX de se présenter comme leader de cette technologie, les droits antérieurs prétendument détenus par la société SCIONIX n'étant pas établis. Il ajoute que l'exploitation de cette invention n'est pas limitée aux produits commercialisés sous les termes et/ou marques « Santolina, Aerva et Rubus ».

L'invention intitulée « Extrait végétal issu d'une plante du genre aerva, composition le contenant et utilisation dudit extrait végétal » n'a pas été, selon [C] [T], co-développée par la société AMBIOTIS, simple prestataire de services dont il était l'interlocuteur principal. Il considère dans ces conditions que sa part contributive atteint également 60 %. Quant à l'intérêt commercial de cette invention, dans la mesure où selon lui, la société NATUREX a dissimulé les demandes de brevet nord-américaine, coréenne et japonaise déposées sur la base de la demande française, elle ne peut se contenter d'affirmer qu'elle n'a fait l'objet d'aucune exploitation.

Concernant l'invention intitulée « Extraits de Santolina chamaecyparissus » intervenue au sein du consortium entre NATUREX et des académiques, le demandeur soutient que celle-ci n'a pu faire l'objet d'une demande de brevet pertinente qu'après qu'il a procédé avec l'équipe qu'il dirigeait, à d'importants travaux d'amélioration. Il estime sa part contributive à 40 % et sollicite, comme pour les précédentes inventions, un pourcentage des résultats d'exploitation. Quant à l'invention « Eutectic extract formation and purification », [C] [T] chiffre sa part contributive de manière égalitaire avec les sept autres inventeurs à 14,2 %.

La société NATUREX réplique que la rémunération supplémentaire dont bénéficie le salarié inventeur ne saurait être constituée systématiquement d'une redevance assise sur le chiffre d'affaires issu de l'exploitation de l'invention et qu'elle doit prendre en compte de façon globale des critères tels que les difficultés de mise au point de l'invention, la contribution personnelle et originale de l'intéressé, le caractère innovant de l'invention et l'intérêt commercial de l'invention pour l'employeur, outre le salaire de l'inventeur ou les résultats de l'exploitation commerciale de l'invention.

Elle soutient que le « Solvant eutectique d'extraction, procédé d'extraction par eutectigenese utilisant ledit solvant, et extrait issu dudit procédé d'extraction (EUTECTYS) » est une invention de perfectionnement qui n'a pu être déposée qu'après accord de licences d'exploitation portant sur des brevets antérieurs détenus par la société SCIONIX. Elle ajoute que par ailleurs, les revendications du brevet FR 1553092 étant dépourvues de nouveauté et d'activité inventive, elles ne peuvent donner lieu à rémunération supplémentaire et termine en relevant qu'[C] [T] ne justifie ni du rôle prépondérant qu'il allègue ni de l'exploitation de cette invention qui se révèle en réalité peu importante.

S'agissant de l'invention intitulée « Méthodes de formation et de purification d'extraits eutectiques (NADES) » la société NATUREX qui rappelle que la société SCIONIX a co-déposé la demande de brevet britannique, la qualifie pareillement d'invention de perfectionnement à laquelle [C] [T] n'aurait que faiblement contribué et qui ne fait l'objet d'aucune exploitation.

Concernant l'« Extrait végétal issu d'une plante du genre aerva, composition le contenant et utilisation dudit extrait végétal (AERVA) », elle indique ne pas l'exploiter et avoir abandonné sa demande de brevet français au regard du nombre d'antériorités citées dans le rapport de recherche préliminaire partiel. Elle ajoute qu'en tout état de cause, cette invention a fait l'objet d'un co-développement avec son partenaire, la société AMBIOTIS, ce qui réduit d'autant l'implication alléguée d'[C] [T].

La société NATUREX expose enfin que les demandes de brevets portant sur l'invention « Extraits de Santolina chamaecyparissus (SANTOLINA) », fruit d'un travail collaboratif dans le cadre du consortium « NATUBAVAL » dont NATUREX est membre, ont pareillement été abandonnées et que l'invention n'est pas exploitée. Elle précise que dans la demande EP2921053, le demandeur n'est pas cité comme co-inventeur et que la contribution de ce dernier à l'invention était réduite.

Sur ce,

L'article L. 611-7 du code de la propriété intellectuelle dispose que « Si l'inventeur est un salarié, le droit au titre de propriété industrielle, à défaut de stipulation contractuelle plus favorable au salarié, est défini selon les dispositions ci-après :
1. Les inventions faites par le salarié dans l'exécution soit d'un contrat de travail comportant une mission inventive qui correspond à ses fonctions effectives, soit d'études et de recherches qui lui sont explicitement confiées, appartiennent à l'employeur. L'employeur informe le salarié auteur d'une telle invention lorsque cette dernière fait l'objet du dépôt d'une demande de titre de propriété industrielle et lors de la délivrance, le cas échéant, de ce titre. Les conditions dans lesquelles le salarié, auteur d'une invention appartenant à l'employeur, bénéficie d'une rémunération supplémentaire sont déterminées par les conventions collectives, les accords d'entreprise et les contrats individuels de travail.
Si l'employeur n'est pas soumis à une convention collective de branche, tout litige relatif à la rémunération supplémentaire est soumis à la commission de conciliation instituée par l'article L. 615-21 ou au tribunal judiciaire(...).

L'article 17 de la convention collective des industries de la chimie dispose que :
« I. Les inventions des ingénieurs et cadres sont régies par la loi no 68 1 du 2 janvier 1968 sur les brevets d'invention, modifiée par la loi no 78 742 du 13juillet 1978, et notamment de l'article 1 ter, paragraphes 1, 2, 3, dont le texte est rappelé ci-après :
"Art. 1 ter. Si l'inventeur est un salarié, le droit au titre de propriété industrielle, à défaut de stipulation contractuelle plus favorable au salarié, est dé ni selon les dispositions ci-après :
1. Les inventions faites par le salarié dans l'exécution, soit d'un contrat de travail comportant une mission inventive qui correspond à ses fonctions effectives, soit d'études et de recherches qui lui sont explicitement confiées, appartiennent à l'employeur. Les conditions dans lesquelles le salarié, auteur d'une telle invention, peut bénéficier d'une rémunération supplémentaire sont déterminées par les conventions collectives, les accords d'entreprise et les contrats individuels de travail.
2.(?)
3.(?) Le salarié et l'employeur doivent se communiquer tous renseignements utiles sur l'invention en cause. (...)
II. Les dispositions suivantes s'appliquent aux inventions relevant du paragraphe 1 de l'article 1 ter de ladite loi.
1 o Le nom de l'inventeur doit être mentionné dans la demande de brevet, en France et dans tous les pays ou la réglementation le permet, sauf s'il s'y oppose ;
2o Si, dans un délai de 10 ans consécutif au dépôt d'un brevet pour une invention visée au présent paragraphe II, ce brevet a donné lieu à une exploitation commerciale ou industrielle, directe ou indirecte, l'ingénieur ou le cadre dont le nom est mentionné dans le brevet a droit à une rémunération supplémentaire en rapport avec la valeur de l'invention, et ceci même dans le cas où l'ingénieur ou le cadre ne serait plus en activité dans l'entreprise Le montant de cette rémunération supplémentaire qui pourra faire l'objet d'un versement unique sera établi forfaitairement en tenant compte du cadre général de recherche dans lequel s'est placée l'invention, des difficultés de la mise au point pratique, de la contribution personnelle originale de l'inventeur et de l'intérêt économique de l'invention. L'intéressé sera tenu informé de ces différents éléments.''

En l'espèce, il sera à titre liminaire relevé que les parties s'accordent sur le classement de ces inventions dans la catégorie des inventions de mission.

1.1- Sur le principe d'une rémunération supplémentaire

Il ressort de la convention collective précitée que le salarié dont le nom est mentionné dans un brevet et lorsque l'invention fait l'objet d'une exploitation commerciale et industrielle a droit à une rémunération supplémentaire qui doit notamment prendre en compte sa contribution et l'intérêt économique de l'invention.

Il convient au regard de ces éléments, d'examiner chacune des quatre inventions ayant fait l'objet d'un dépôt de brevet sur lequel [C] [T] est cité en qualité de co-inventeur.

1.1.1- L'invention « Solvant eutectique d'extraction, procédé d'extraction par eutectigenèse utilisant ledit solvant, et extrait issu dudit procédé d'extraction » (NADES)

Selon son descriptif dans la demande de brevet français déposée le 10 avril 2015, cette invention « consiste en un solvant eutectique d'extraction de matériel biologique végétal et/ou animal et/ou procaryote constitué d'un mélange limpide, stable et fluide comprenant : de la bétaïne ou une forme hydratée de la bétaïne, et au moins un composé donneur de liaisons hydrogène choisi parmi le groupe des polyols ou des acides organiques, et de l'eau mais excluant tout sucre et/ou sel d'amine et/ou anion exogènes. L'invention a également trait à l'utilisation du solvant eutectique d'extraction pour la mise en oeuvre d'un procédé d'extraction de composés biologiques naturels à partir de matériel biologique végétal et/ou animal et/ou procaryote, et de préférence à partir de matériel biologique végétal ».

Cette invention a fait l'objet d'une seconde demande de brevet français, le 8 décembre 2015. Le brevet a été délivré le 26 juin 2020 et l'invention est décrite comme portant sur un « Solvant eutectique d'extraction de matériel biologique végétal et/ou animal et/ou procaryote caractérisé en ce qu'il est constitué d'un mélange limpide, stable et fluide comprenant: de la bétaïne ou une forme hydratée de la bétaïne, et au moins un composé donneur de liaisons hydrogène choisis parmi le groupe des polyols ou des acides organiques, et de l'eau mais excluant tout sucre et/ou sel d'amine et/ou anion exogènes ».

Elle a par ailleurs fait l'objet d'une demande de brevet européen le 13 octobre 2016 et international, le 11 avril 2016. Un brevet a ensuite été délivré en chine le 26 janvier 2021 et aux Etats-Unis le 10 mars 2021 (pièce DEM no62).

[C] [T] est cité dans ces documents comme un des huit co-inventeurs.

S'agissant en premier lieu de la part contributive de ce dernier, la société NATUREX devant la CNIS, l'a évaluée à 40 % tout en lui reconnaissant un rôle d'initiateur.

Dans ses écritures, elle se contente de rappeler que l'invention a fait l'objet d'un co-développement entre sa propre équipe scientifique et son partenaire universitaire, le laboratoire ORTESA auquel appartient CHEMAT Farid qui apparaît en qualité de co-inventeur, et pour minimiser l'apport d'[C] [T], elle expose que l'invention doit être qualifiée de perfectionnement dans la mesure où son développement a dû s'accompagner de la signature d'un accord de collaboration avec la société SCIONIX (pièces no7 et 7-1 DEF) qui cependant n'est intervenue qu'en octobre 2015 alors qu'il n'est pas contesté que les travaux de recherche ont débuté dès 2013.

Dans ces conditions et la société NATUREX n'ayant communiqué aucun élément permettant de remettre en cause la contribution à hauteur de 60 % revendiquée par [C] [T], il convient de retenir cette dernière pour la fixation de sa rémunération supplémentaire.

Quant à son intérêt économique, la société défenderesse, qui soutient qu'il s'agit d'une invention de perfectionnement, fait valoir qu'à sa seconde demande de brevet français, l'INPI a opposé quatre antériorités dont deux brevets internationaux (pièce DEF no6). Toutefois, si elle ajoute que dans le rapport de recherche, l'examinateur a indiqué qu'il s'agissait d'une simple invention de perfectionnement, force est de constater qu'elle ne verse à ce titre que la seule liste des antériorités opposées sans aucune autre observation.

Par ailleurs, manifestement consciente de l'intérêt de son invention, la défenderesse a publié le 14 avril 2015 un communiqué de presse la qualifiant de « méthode révolutionnaire » reproduisant l'environnement intracellulaire de la plante et surtout, il est établi que ce procédé lui a permis d'obtenir le trophée « Or Green ingredient d'In-cosmetics 2017 » (pièce DEM no32 et 33).

En tout état de cause, force est de constater que la demande initialement déposée le 10 avril 2015 a donné lieu à la délivrance du brevet no FR 3034626 et il n'est pas contesté que deux nouveaux titres ont été délivrés courant 2021 par la Chine et les Etats-Unis, de sorte que les explications de la société NATUREX sur le faible intérêt économique de cette invention apparaissent peu convaincantes.

La défenderesse enfin, soutient que le procédé en cause a été très faiblement commercialisé notamment car seulement deux des cinq plantes composant l'invention auraient pu être objectivées (« fleur de cerisier » et « selaginelle ») et que l'invention n'a généré qu'un chiffre d'affaires de l'ordre de 216 471 euros HT entre 2015 et 2019. Elle joint pour en justifier, une attestation de son commissaire aux comptes, le cabinet [K], portant sur dix produits issus de l'invention. La société NATUREX précise que les références litigieuses ont été récupérées auprès des chefs de marchés en charge des gammes de références internes des produits concernés et ont donné lieu à une recherche par mots clés (Santolina, Aerva et Rubus).

[C] [T] conteste ces données en soutenant que les produits commercialisés sous les intitulés suivants : Eliorelys, Hydranellys, Synchronight, My Blue Guard High Defence, My Blue Guard High Performance, Active Beauty et Active Beauty S3D Oceanist sont issus du procédé décrit par l'invention et auraient donc dû être intégrés à l'attestation du commissaire aux comptes.

Comme le réplique à juste titre la société NATUREX, les deux premiers apparaissent effectivement dans la liste des produits concernés. S'agissant des références My Blue Guard High Defence Active Beauty et Active Beauty S3D Oceanist, la défenderesse ne conteste pas qu'elles relèvent de l'invention, mais indique qu'elles correspondent au nom commercial du produit contenant les composés Eliorelys et Hydranellys ou encore Sea Fennel Eutectics listés par le commissaire aux comptes, ce qu'[C] [T] ne contredit pas.

Les produits Synchronight et My Blue Gard High Performance seraient, selon la société NATUREX, issus d'inventions étrangères à ce dernier. Il ressort cependant d'une communication du groupe GIVAUDAN qui les commercialise (et auquel appartient la société NATUREX) que les deux, issus d'un extrait de fruit de gardénia séché, sont obtenus par la technologie NADES (pièces DEM no49 et 54) et il n'est produit aucun document permettant d'établir qu'ils seraient issus d'un autre procédé que l'invention litigieuse.

Dans ces conditions, il convient de considérer qu'outre les produits listés par l'attestation du commissaire aux comptes, l'exploitation de cette invention inclut les références « Synchronight et My Blue Gard High Performance ».

1.1.2- L'invention « Extrait végétal issu d'une plante du genre aerva, composition le contenant et utilisation dudit extrait végétal » (AERVA)

Cette invention est décrite comme suit dans la demande de brevet français publiée le 13 octobre 2017 : « un extrait végétal issu de la partie aérienne d'une plante du genre Aerva. Cet extrait végétal est avantageusement issu de la variété Aerva javanica (Burm.f.) Juss. ex Schult, au moyen d'un procédé d'extraction comprenant une étape de mise en contact de ladite partie aérienne avec au moins un solvant d'extraction physiologiquement acceptable. Un tel extrait végétal est intéressant notamment comme composant d'une composition du genre cosmétique, nutra ceutique, pharmaceutique ou alimentaire ».

Outre une demande de brevet européen déposée le 6 avril 2017, cette invention a ensuite fait l'objet de demandes de titres au Canada, Etats-Unis, Japon, Corée du Sud et à HONG KONG sous priorité du brevet français. La société NATUREX justifie toutefois avoir donné des directives à ses conseillers en propriété industrielle courant 2020 pour que la totalité d'entre elles soit abandonnée. (Pièce DEF 10.1- 22.1)

[C] [T] est cité dans la demande de brevet français comme l'un des quatre co-inventeurs (pièces DEM no6).

Devant la CNIS, la société NATUREX n'a pas chiffré la part contributive du défendeur, mais a indiqué « qu'elle (était) normale sans être exceptionnelle » et s'est concentrée sur la partie « sélection de plantes » et suivi du projet. Pour relativiser la participation d'[C] [T], elle soutient que cette invention est en réalité issue d'une collaboration avec la société AMBIOTIS.

[C] [T] ne conteste pas l'intervention de la société AMBIOTIS mais attribue à celle-ci un rôle de simple prestataire de services et communique pour en justifier quatre bons de commande qu'il a personnellement signés entre les mois de février et octobre 2014 (pièces DEM no 21 à 24) portant sur :
- Une confirmation in vitro d'un extrait
- Une étude de molécules de la résolution 1 extrait
- Une étude génomique ex vivo
- Le développement de sets de primers pour inclusion dans le design de la puce prévue à l'étude qui permettent de considérer que cette société suivait les directives de la société NATUREX.

Parallèlement, cette dernière, qui soutient qu'une autre salariée - [J] [B] - coordinatrice scientifique a, dès 2012, mis en place un partenariat avec la société AMBIOTIS spécialisée dans les tests précliniques et produit à ce titre une facture portant la mention « dossier suivi par [J] [B] », n'explique pas la raison pour laquelle [C] [T] dont le rôle aurait été moindre est cité en qualité de co-inventeur, contrairement à l'intéressée ou à la société AMBIOTIS pourtant présentée comme co-développeur.

Dans ces conditions, et la société NATUREX n'ayant communiqué aucun élément permettant de remettre en cause la contribution à hauteur de 60 % revendiquée par [C] [T], il convient de retenir cette dernière pour la fixation de sa rémunération supplémentaire.

Concernant l'intérêt économique et l'exploitation de cette invention, [C] [T] considère que la société NATUREX ayant dissimulé les demandes nord-américaine, coréenne et japonaise déposées sur la base de la demande française, elle ne saurait se contenter de simples allégations qui ne sont assorties d'aucune pièce justificative.

Certes, la société NATUREX ne démontre ni n'explique la raison pour laquelle les produits conçus dans le cadre de l'invention AERVA ne peuvent être commercialisés en Chine, mais il n'en demeure pas moins que l'attestation établie par le commissaire aux comptes précitée permet d'établir qu'entre 2017 - date du début de l'exploitation de l'invention AERVA- et 2019, le chiffre d'affaires que celle-ci a généré atteint seulement 1614 euros HT et qu'il est nul pour l'année 2020. Ensuite, il ressort de l'attestation du conseil en propriété industrielle de la défenderesse que sur les huit demandes de brevets déposées entre 2017 et 2020, sept ont été abandonnées, la demande PCT GB2017/050958 étant quant à elle mentionnée comme « inactive ».

Dans ces conditions, il convient de juger que cette invention ne présente qu'un intérêt économique très faible.

1.1.3- L'invention « Extraits de Santolina chamaecyparissus »

Celle-ci a fait l'objet d'une demande de brevet européen déposée le 21 mars 2014 par la société NATUREX, la Société française d'ingénierie appliquée aux cosmétiques, le CNRS, l'Agence conseil pour la phytothérapie et l'aromathérapie et l'Université de [Localité 7] Sophia Antipolis. Elle est présentée comme concernant un extrait de Santolina chamaecyparissus, un procédé de préparation dudit extrait, une composition le comprenant, et son utilisation comme conservateur, en particulier comme antioxydant, bactéricide et/ou fongicide.

[C] [T] n'est pas cité dans ce document, comme un des six co-inventeurs. (Pièce DEM no1) mais sous priorité de ce premier brevet, l'invention a ensuite fait l'objet d'une demande de brevet international le 20 mars 2015 sur lequel son nom est expressément mentionné aux côtés de neuf autres co-inventeurs.

Il chiffre sa part contributive à 40 %. Il expose qu'après la publication du premier brevet, d'importants travaux supplémentaires ont été menés par son équipe, sous sa direction, afin d'améliorer le process existant pour le rendre utilisable par l'industrie cosmétique et démontrer une nouvelle propriété de cet actif, encore non décrit dans la littérature à savoir, l'efficacité de la Santolina en tant qu'agent anti-acné.

Selon la société NATUREX, [C] [T] n'a été impliqué dans cette invention que dans le cadre de « l'exécution normale du travail de laboratoire » tandis que [L] [Z], en sa qualité de coordinateur de la mission, a eu un rôle prépondérant. Son statut ressort effectivement des pièces versées aux débats (no14 à 17 DEF) puisqu'il est manifestement le représentant de ces travaux auprès des autres organismes impliqués et de l'extérieur et contrairement à ce que semble soutenir [C] [T], une contribution dans le développement de l'invention qui serait partagée de façon égalitaire avec les neuf autres co-inventeurs n'apparaît pas incompatible avec le rôle d'initiateur qu'il a pu jouer au départ.

Il s'en déduit que sa part contributive ne sera retenue qu'à hauteur de 10%.

En tout état de cause, il ressort de l'attestation du commissaire aux comptes que cette invention est restée inexploitée et n'a donc généré aucun chiffre d'affaires. Ce constat bien que contesté par [C] [T] est corroboré par les termes des courriels que [L] [Z] a adressés aux membres du consortium NATUBAVAL et à la SATT Sud-Est (groupement d'établissements de recherche) courant 2016 et 2017. La société NATUREX justifie par ailleurs avoir donné des directives à ses conseillers en propriété industrielle courant 2020 pour que les demandes de brevet correspondantes soient abandonnées (pièce DEF 22.1).

Dès lors que la convention collective conditionne le versement d'une rémunération supplémentaire à une exploitation commerciale ou industrielle, la société NATUREX n'est redevable d'aucune somme au titre de cette invention inexploitée.

1.1.4- L'invention "Eutectic extract formation and purification"

Cette invention, qui concerne des procédés et des utilisations pour préparer des extraits biologiques à l'aide de Solvants eutectiques profonds (DES) en tant qu'agents hydrotropes, et des méthodes de purification d'extraits formés en utilisant des solvants profonds eutectiques (DES) comme agents hydrotropes, a fait l'objet d'une demande de brevet britannique le 16 mai 2018 par la société NATUREX et la société SCIONIX. Une demande PCT a par ailleurs été déposée un an plus tard, le 16 mai 2019.

Sept inventeurs dont [C] [T] y sont cités.

Le demandeur fixe sa part inventive de manière égalitaire avec les six autres inventeurs, à hauteur de 14,2 %, ce que lui conteste la société NATUREX qui soutient que cette invention est le fruit du travail de l'équipe scientifique de NATUREX sous la direction de [D] [S] et de celle du professeur ABOTT de l'Université de [6]. Elle ne produit cependant aucune pièce de nature à remettre en cause la contribution revendiquée par [C] [T] de sorte que cette dernière sera retenue.

S'agissant de l'intérêt économique de l'invention, si la société NATUREX la relativise en rappelant que son commissaire aux comptes atteste qu'elle ne fait l'objet d'aucune exploitation, il sera relevé que contrairement aux deux précédentes, les demandes de brevets n'ont pourtant pas été abandonnées et la demande initiale a été suivie d'une demande PCT, ce qui atteste de l'intérêt économique que lui portent les déposants.

En revanche, il ressort de l'attestation du commissaire aux comptes que cette invention n'avait fait l'objet, au 30 juin 2020, d'aucune exploitation et dans la mesure où il est indiqué qu'aucun produit n'était à cette date développé, il est peu probable que cette invention ait généré, depuis, un chiffre d'affaires conséquent.

Aucune rémunération n'est donc due pour cette invention.

1.2- Sur la fixation de la rémunération supplémentaire

[C] [T] sollicite pour chacune de ces quatre inventions, la fixation de sa rémunération supplémentaire à un pourcentage appliqué d'une part sur la marge nette réalisée sur la vente des produits issus des inventions litigieuses et d'autre part, sur le montant net des licences que la société NATUREX pourrait accorder jusqu'au terme de chacun des brevets en litige.

Cependant, aux termes de la convention collective précitée, le montant de la rémunération supplémentaire, qui peut faire l'objet d'un versement unique, doit être établi forfaitairement, ce qui exclut une rémunération proportionnelle assise sur la marge brute dégagée ou le montant des licences concédées. Il n'y a par ailleurs pas davantage lieu de lui accorder une somme relative aux primes de dépôt des brevets litigieux.

Compte tenu de ce qui précède, le tribunal ne dispose pas d'éléments suffisants pour fixer la totalité du montant de la rémunération supplémentaire due à [C] [T] pour l'invention « Solvant eutectique d'extraction, procédé d'extraction par eutectigenèse utilisant ledit solvant, et extrait issu dudit procédé d'extraction » (NADES). Il sera en conséquence enjoint à la société NATUREX de communiquer le chiffre d'affaires réalisé depuis à l'occasion de la commercialisation de ses produits Synchronight et My Blue Gard High Performance. Une somme sera par ailleurs allouée qui correspond à l'exploitation des autres produits mettant en oeuvre cette invention, sur la base du chiffre d'affaires de 216 471 euros HT réalisé entre 2015 et 2019, ce à hauteur de 17 000 euros.

Dans la mesure où cette dernière somme n'est pas allouée à titre provisionnel, la demande d'[C] [T] visant à voir juger qu'elle lui restera acquise même si la société NATUREX n'établit pas que la rémunération supplémentaire établie au vu des chiffres d'exploitation des produits Synchronight et My Blue Gard High Performance apparaît sans objet.

S'agissant de l'invention « Extrait végétal issu d'une plante du genre aerva, composition le contenant et utilisation dudit extrait végétal » (AERVA) qui n'a généré entre 2016 et 2020 qu'un chiffre d'affaires de 1614 euros mais pour laquelle la contribution du demandeur atteint 60%, sa rémunération supplémentaire sera fixée à 3000 euros.

2- Sur les demandes relatives à l'invention intitulée « Rubus idaeus extract for trating inflammation, particularily arthritis »

[C] [T] expose que, le 23 décembre 2016, la société NATUREX a déposé sous cet intitulé une demande de brevet à l'office britannique des brevets publiée sous le no GB 2558275 et que sur cette base, elle a ensuite déposé une demande PCT WO 2018/115381, le 21 décembre 2017. Bien que non cité en qualité d'inventeur, il soutient que cette dernière se distingue de la demande de priorité par différents ajouts en lien avec ses travaux sur la Granzyme B et que si, le 10 novembre 2016, la défenderesse a décidé de ne pas inclure ses résultats dans la demande de brevet britannique, ceux-ci l'ont finalement été dans la demande PCT. Il estime sa part égale à celle des huit autres inventeurs, soit 12,5 %, et outre son inscription en qualité de co-inventeur, il sollicite une rémunération supplémentaire de 0,62 % de la marge nette réalisée et égale à 3,12 % du montant net des licences accordées jusqu'au terme du dernier brevet.

La société NATUREX réplique qu'[C] [T] n'a pas contribué à cette invention qui n'est de toute façon, pas exploitée.

Sur ce,

L'invention litigieuse porte sur la composition d'un extrait de feuille de framboisier qui présente des propriétés de réduction de l'inflammation et qui peut réduire la dégénération et l'inflammation liées à l'arthrite.

Elle a fait l'objet d'une demande de brevet britannique déposée par la société NATUREX le 23 décembre 2016 et outre des demandes chinoise, européenne, japonaise et coréenne KR20190100262, celle-ci a déposé une demande PCT le 21 décembre 2017, qui sont toutes encore à ce jour, en cours d'examen.

Aucun de ces documents ne mentionne [C] [T] en qualité d'inventeur. La société défenderesse expose que si celui-ci travaillait sur un projet SunAging qui utilisait le framboisier, ses travaux étaient restreints au domaine de la cosmétique.

Le demandeur réplique que la demande PCT inclut des exemples qui n'étaient pas visés à la demande initiale et qui sont liés à ses précédents travaux sur la Granzyme B. Il ne produit cependant à l'appui de ses allégations qu'un bon de commande établi à l'entête de la société NATUREX et qu'il a signé, portant notamment sur une Granzyme B Buffer (pièce DEM no25) ainsi qu'un SMS rédigé en avril 2015 par une de ses stagiaires qui lui indique « confirmation de l'activité anti-granzyme B de la galle de chêne et des feuilles de rubus idaeus » (pièce DEM no26). Il verse par ailleurs des échanges internes de SMS datant de 2016 qui, s'ils permettent d'établir qu'il avait travaillé sur les effets de la granzyme B, ne permettent pas en revanche de démontrer que ces travaux ont ensuite été intégrés à son insu dans la demande PCT.

Il n'y a pas lieu en conséquence de faire droit à sa demande visant à le voir déclarer co-inventeur de cette invention. La demande financière présentée à ce titre ne peut donc qu'être rejetée étant relevé qu'en tout état de cause, les brevets concernés n'ont fait l'objet d'aucune exploitation.

3- Sur les demandes relatives aux frais du litige et à l'exécution de la décision

La société NATUREX, qui succombe partiellement, supportera la charge des dépens.

Elle doit en outre être condamnée à verser à [C] [T], qui a dû exposer des frais irrépétibles pour faire valoir ses droits, une indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile qu'il est équitable de fixer à la somme de 8000 euros.

L'exécution provisoire étant justifiée au cas d'espèce et compatible avec la nature du litige, elle sera ordonnée.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal, statuant publiquement par jugement mis à disposition au greffe, contradictoire et en premier ressort,

CONDAMNE la société NATUREX à payer à [C] [T] la somme de 3000 euros à titre de rémunération supplémentaire pour l'invention « Extrait végétal issu d'une plante du genre aerva, composition le contenant et utilisation dudit extrait végétal » ;

DIT que les produits Synchronight et My Blue Gard High Performance mettent en oeuvre l'invention « Solvant eutectique d'extraction, procédé d'extraction par eutectigenèse utilisant ledit solvant, et extrait issu dudit procédé d'extraction » ;

En conséquence,

CONDAMNE la société NATUREX à payer à [C] [T] la somme de 17 000 euros au titre de la rémunération supplémentaire relative à l'invention « Solvant eutectique d'extraction, procédé d'extraction par eutectigenèse utilisant ledit solvant, et extrait issu dudit procédé d'extraction » au titre du chiffre d'affaire de 216 471 euros HT réalisé entre 2015 et 2019 ;

ORDONNE à la société NATUREX de communiquer à [C] [T] le chiffre d'affaires généré depuis 2015 par l'exploitation des produits Synchronight et My Blue Gard High Performance ce, à l'issue du délai d'un mois suivant la signification de la présente décision, et sous astreinte de 200 euros par jour de retard passé ce délai, l'astreinte courant pendant trois mois ;

SE RESERVE la liquidation de l'astreinte ;

RENVOIE les parties à la détermination amiable de la rémunération supplémentaire additive due pour cette invention compte tenue du chiffre d'affaires généré par l'exploitation des produits Synchronight et My Blue Gard High Performance et à défaut, par voie judiciaire après assignation ;

DEBOUTE [C] [T] de ses demandes de rémunération supplémentaire fondées sur les inventions "Eutectic extract formation and purification", « Extraits de Santolina chamaecyparissus » et « Rubus idaeus extract for trating inflammation, particularily arthritis » ;

DEBOUTE [C] [T] de sa demande en paiement de primes de dépôt des brevets litigieux ;

CONDAMNE la société NATUREX à payer à [C] [T] la somme de 8000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

ORDONNE l'exécution provisoire ;

CONDAMNE la société NATUREX aux dépens.

Fait et jugé à [Localité 8] le 15 Octobre 2021

Le GreffierLe Président


Synthèse
Tribunal : Tribunal de grande instance de Paris
Formation : Ct0196
Numéro d'arrêt : 19/959
Date de la décision : 15/10/2021

Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.grande.instance.paris;arret;2021-10-15;19.959 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award