La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

15/10/2021 | FRANCE | N°19/14011

France | France, Tribunal de grande instance de Paris, Ct0196, 15 octobre 2021, 19/14011


TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS

3ème chambre 2ème section

No RG 19/14011
No Portalis 352J-W-B7D-CRHKD

No MINUTE :

Assignation du :
26 Novembre 2019

JUGEMENT
rendu le 15 Octobre 2021
DEMANDERESSE

Madame [U] [I]
[Adresse 1]
[Localité 3]

représentée par Me Véronique PIGUET de l'AARPI CARAVELLE, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #D1411

DÉFENDERESSE

Madame [G] [W]
[Adresse 4]
[Localité 2]

représentée par Me Sébastien HAAS, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #C2251

COMPOSI

TION DU TRIBUNAL

Catherine OSTENGO, Vice-présidente
Elise MELLIER, Juge
Alix FLEURIET, Juge

assisté de Quentin CURABET, Greffier

DEBATS

A l'audience d...

TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS

3ème chambre 2ème section

No RG 19/14011
No Portalis 352J-W-B7D-CRHKD

No MINUTE :

Assignation du :
26 Novembre 2019

JUGEMENT
rendu le 15 Octobre 2021
DEMANDERESSE

Madame [U] [I]
[Adresse 1]
[Localité 3]

représentée par Me Véronique PIGUET de l'AARPI CARAVELLE, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #D1411

DÉFENDERESSE

Madame [G] [W]
[Adresse 4]
[Localité 2]

représentée par Me Sébastien HAAS, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #C2251

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Catherine OSTENGO, Vice-présidente
Elise MELLIER, Juge
Alix FLEURIET, Juge

assisté de Quentin CURABET, Greffier

DEBATS

A l'audience du 02 septembre 2021 tenue en audience publique devant Catherine OSTENGO et Elise MELLIER, juges rapporteurs, qui sans opposition des avocats ont tenu seules l'audience, et après avoir entendu les conseils des parties, en ont rendu compte autTribunal, conformément aux dispositions de l'article 805 du code de procédure civile.

Avis a été donné aux parties que le jugement serait rendu par mise à disposition au greffe le 15 octobre 2021.

JUGEMENT

Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe
Contradictoire
en premier ressort

EXPOSE DU LITIGE

Mme [U] [I] est comédienne, et organise occasionnellement des prestations de comédienne-animatrice lors de goûters d'enfants. Elle est l'auteure de Ma Bombe, écrit en 2015, dont le manuscrit a été déposé à la SACD le 8 novembre 2016.

Mme [G] [W] se présente comme journaliste et auteure de nombreux livres. Elle est aujourd'hui journaliste freelance et publie des articles dans différents magazines et sites internets.

Mme [G] [W] a fait appel à Mme [U] [I], au cours de l'année 2015, pour animer le goûter d'anniversaire de ses enfants, puis pour garder ses enfants lors de baby-sittings.

Ayant découvert que Mme [G] [W] était écrivaine, Mme [U] [I] a sollicité son avis sur son manuscrit Ma Bombe, qu'elle lui a envoyé le 30 novembre 2016.

Le 24 avril 2019, Mme [G] [W] a publié, aux éditions JC LATTES, son roman L'Odeur de la colle en pot.

Estimant que ce livre reprenait de nombreux éléments de son manuscrit Ma Bombe, Mme [U] [I] a, par courriers du 11 juillet 2019, mis Mme [G] [W] et les éditions JC LATTES en demeure, leur faisant part de ses griefs, lesquels ont été contestés par courriers du 26 juillet 2019.

Mme [U] [I] a alors, par acte du 26 novembre 2019, fait assigner Mme [G] [W] devant le tribunal de grande instance, devenu tribunal judiciaire, de Paris, en contrefaçon de droit d'auteur et subsidiairement parasitisme.

*

Dans le dernier état de ses prétentions, suivant conclusions signifiées par voie électronique le 16 novembre 2020, Mme [U] [I] demande au tribunal de :

Vu les articles L. 111-1, L. 111-2 et L. 112-1, L. 122-4, L. 331-1-1-3, L. 331-1-4, L. 335-2, L. 335-3, et suivants du code de la propriété intellectuelle,
Vu les articles 1240 et 1241 du code civil,
Vu les pièces versées aux débats,

DIRE ET JUGER recevable et bien fondée Madame [U] [I] en son action,

Y faisant droit,

A TITRE PRINCIPAL

DIRE ET JUGER que le roman de Mme [U] [I] est original et protégeable par le droit d'auteur,

DIRE ET JUGER que Mme [G] [W] en reprenant la composition du roman de Mme [U] [I], l'enchaînement de ses séquences et péripéties de l'histoire, les caractères des personnages et certains détails narratifs précis, a commis des actes de contrefaçon,

ORDONNER à Mme [G] [W] la production de ses relevés de droits d'auteur relatif à l'ouvrage « L'odeur de la colle en pot » et la communication des chiffres de vente de son ouvrage,

CONDAMNER Mme [G] [W] à payer à Mme [U] [I] la somme provisionnelle de 20 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice matériel du fait des actes de contrefaçon,

CONDAMNER Mme [G] [W] à payer à Mme [U] [I] la somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral du fait des actes de contrefaçon,

A TITRE SUBSIDIAIRE

DIRE ET JUGER que Mme [G] [W] a commis des actes de parasitisme en utilisant indûment le travail de Mme [U] [I],

CONDAMNER Mme [G] [W] à payer à Mme [U] [I] la somme de 15 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice causé par le parasitisme commis à son encontre,

ORDONNER, à titre de complément de réparation, la publication de la décision à intervenir dans deux supports, journaux ou revues, papier ou en ligne, aux frais avancés de la défenderesse, au choix du demanderesse, le coût total des publications ne pouvant excéder 12 000 euros HT,

DÉBOUTER Mme [G] [W] de ses demandes reconventionnelles,

ORDONNER l'exécution provisoire de la décision à intervenir,

CONDAMNER Mme [G] [W] à payer à Mme [U] [I] la somme de 7 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

LA CONDAMNER aux entiers dépens de la présente instance, qui seront recouvrés par Me Véronique PIGUET, Avocat aux offres de droit, en application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

*
Aux termes de ses dernières conclusions signifiées par voie électronique le 13 janvier 2021, Mme [G] [W] sollicite du tribunal de :

Vu les articles L. 111-1 et L. 331-1-3 du code de la propriété intellectuelle,
Vu les articles 699 et 700 du code de procédure civile,
Vu les articles 1240 et 1241 du code civil,
Vu les pièces versées au débat,

DÉCLARER irrecevables les demandes de Mme [U] [I] à défaut de justifier de l'originalité du manuscrit « Ma Bombe »,

A TITRE SUBSIDIAIRE

DIRE ET JUGER que le roman « L'odeur de la colle en pot » ne reprend aucun des éléments originaux du manuscrit « Ma bombe »,

En conséquence,

DÉBOUTER Mme [U] [I] de l'intégralité de ses demandes au titre de la contrefaçon,

A TITRE INFINIMENT SUBSIDIAIRE

DIRE ET JUGER que Mme [G] [W] n'a commis aucun acte de parasitisme au détriment de Mme [U] [I],

En conséquence

DEBOUTER Mme [U] [I] de l'intégralité de ses demandes au titre du parasitisme,

CONDAMNER Mme [U] [I] à verser à Mme [W] la somme de 10 000 euros au titre du préjudice subi du fait du dénigrement,

EN TOUTES HYPOTHÈSES

CONDAMNER Mme [U] [I] à verser à Mme [G] [W] une somme de 7 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.

*
La procédure a été clôturée par ordonnance du 8 avril 2021 et l'affaire plaidée le 2 septembre 2021.

Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, il est fait référence aux écritures précitées des parties, pour l'exposé de leurs prétentions respectives et les moyens qui y ont été développés.

MOTIFS DE LA DÉCISION

1- Sur l'originalité du manuscrit Ma Bombe

[U] [I] expose que son manuscrit, qui est une oeuvre littéraire, induit par essence l'expression de sa personnalité et que, malgré son caractère autobiographique, elle a fait des choix dans la façon de présenter les personnages et de les décrire pour faire comprendre leur psychologie, ainsi que dans la progression de l'histoire. Elle fait valoir que l'originalité réside dans l'élaboration des personnages, la description de leurs interactions, l'agencement des scènes, la construction narrative et l'élaboration de l'intrigue, même si le roman relate des événements de la vie quotidienne.

[G] [W] conteste pour sa part l'originalité du manuscrit Ma Bombe en ce que les éléments, présentés par Mme [I] à ce titre, sont d'une grande banalité et se retrouvent dans le fonds commun des oeuvres littéraires et audiovisuelles, à savoir des scènes de la vie quotidienne. Elle ajoute que le manuscrit est écrit à la façon d'un journal intime, ce qui ne permet pas de le distinguer de n'importe quelle autre production de ce type.

Sur ce,

En application de l'article L. 111-1 du code de la propriété intellectuelle, « L'auteur d'une oeuvre de l'esprit jouit sur cette oeuvre, du seul fait de sa création, d'un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous », comportant des attributs d'ordre intellectuel et moral ainsi que des attributs d'ordre patrimonial, sous réserve que l'oeuvre soit originale, c'est-à-dire porte l'empreinte de la personnalité de son auteur. Lorsque cette protection est contestée en défense, comme au cas présent, l'originalité de l'oeuvre doit être explicitée par celui qui s'en prétend auteur, seul ce dernier étant à même d'identifier les éléments traduisant l'empreinte de sa personnalité.

En l'espèce, la demanderesse établit parfaitement la multitude de choix arbitraires auxquels elle a, par la force des choses, dû procéder afin de mettre en forme au sein de son manuscrit l'histoire qu'elle souhaitait raconter : quelle que soit par ailleurs la banalité éventuelle des idées ou anecdotes ainsi relatées, ce qui compte est leur traitement et leur expression par l'auteure, or il ne peut qu'être relevé qu'elle les a sélectionnées et agencées selon une trame narrative qui lui est propre, et a opéré des choix relatifs tant à l'intrigue, qu'à la description physique et psychologique de ses personnages, au vocabulaire utilisé et au style employé, cette combinaison traduisant l'expression d'une personnalité et, partant, constituant une oeuvre au sens du Livre I du code de la propriété intellectuelle.

Et le recours au genre du journal intime, s'il implique évidemment une présentation commune à tous les écrits se revendiquant de cette catégorie (notamment une division par dates, ou comme en l'espèce par année, et une succession linéaire et chronologique), est en soi inopérant à ôter au manuscrit toute originalité constituée par ailleurs par les choix précités opérés par l'auteur.

Le manuscrit Ma bombe, dont il n'est pas contesté que Mme [I] est l'auteur, lui ouvre donc droit à la protection par le droit d'auteur en tant qu'oeuvre originale.

2- Sur la contrefaçon de droit d'auteur

[U] [I] soutient que le roman L'Odeur de la colle en pot reprend les éléments substantiels de son roman Ma Bombe, à savoir les caractéristiques de ses personnages, l'intrigue générale et la progression dramatique, ainsi que certains détails spécifiques. Elle expose que la composition du roman est identique et que de nombreuses scènes comportent des développements semblables. Elle conteste par ailleurs les différences invoquées par Mme [W] entre les deux romans, de même que les antériorités opposées qui, selon la défenderesse, ont pour seul point commun de traiter de l'adolescence, voire du divorce, sans reprendre la trame du roman Ma Bombe.
La demanderesse sollicite, en conséquence, la somme de 20 000 euros, à parfaire, en réparation de son préjudice patrimonial, et la somme de 10 000 euros en réparation de son préjudice moral. Elle sollicite, pour évaluer plus précisément son préjudice, la production des relevés de droit d'auteur et la communication des chiffres de vente de l'ouvrage L'Odeur de la colle en pot par la défenderesse.

[G] [W] réplique que son roman L'Odeur de la colle en pot ne reprend aucun des éléments caractéristiques du manuscrit Ma Bombe. Elle expose que la demanderesse fait une présentation mensongère du sujet des romans, Ma Bombe traitant de la vie de la narratrice de ses 5 à 22 ans, tandis que L'Odeur de la colle en pot relate la seule année des 13 ans d'une adolescente dans les années 1990 qui voit sa famille se déliter. Ainsi, le sujet principal de Ma Bombe n'est pas l'adolescence mais les rapports familiaux de sorte que le fil narratif est radicalement différent. Mme [W] conteste par ailleurs les ressemblances invoquées par la demanderesse, cette dernière tentant artificiellement, selon la défenderesse, de faire entrer les deux romans dans la même structure. Enfin, elle fait valoir que les seules ressemblances entre les deux romans portent sur des éléments banals qui font partie du fonds commun des oeuvres littéraires, à savoir par exemple la présence de deux s?urs, un père infidèle ou encore la séparation des parents, comme l'illustrent d'autres oeuvres préalables.
Elle conteste en outre les demandes formulées au titre de la réparation de son préjudice, [U] [I] ne justifiant pas avoir finalisé son manuscrit ni avoir tenté de contacter un éditeur qui aurait refusé de publier son ouvrage en raison de la sortie du roman litigieux. Elle considère également que Mme [I] fait preuve de mauvaise foi dans la justification de son préjudice moral.

Sur ce,

En application des dispositions des articles L. 122-1 et L. 122-4 du code de la propriété intellectuelle, le droit d'exploitation appartenant à l'auteur comprend le droit de représentation et le droit de reproduction, et toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite.

Il en est de même pour la traduction, l'adaptation ou la transformation, l'arrangement ou la reproduction par un art ou un procédé quelconque.

La contrefaçon d'une oeuvre protégée par le droit d'auteur, qui n'implique pas l'existence d'un risque de confusion, consiste dans la reprise de ses caractéristiques identifiées comme constitutives de son originalité. Elle s'apprécie selon les ressemblances et non d'après les différences. Elle ne peut toutefois être retenue lorsque les ressemblances relèvent de la reprise d'un genre et non de la reproduction de caractéristiques spécifiques de l'oeuvre première.

S'agissant comme ici de deux romans, il convient de rechercher si, par leur composition ou leur expression, les personnages, les rapports entre ceux-ci, les scènes et les dialogues des oeuvres opposées ne comportent pas des ressemblances telles que, dans le roman de Mme [W], ces épisodes constituent des reproductions ou des adaptations de ceux du manuscrit de Mme [I] dont elles seraient la reprise.

En l'espèce, la demanderesse soutient en premier lieu que le mode narratif est le même, à savoir le récit à la première personne d'une adolescente, qui assiste, impuissante, au divorce de ses parents et livre toutes ses analyses et sensations. Toutefois, cette trame narrative, qui relève d'une idée générale et largement exploitée dans la littérature comme au cinéma, et le recours au genre du journal intime, non appropriable en soi – et alors au demeurant que s'il est rédigé à la première personne, le roman L'odeur de la colle en pot ne relève pour autant pas de ce genre – ne peuvent être constitutifs de contrefaçon.

Mme [I] considère cependant également identiques l'intrigue générale et la progression dramatique. Elle produit en outre un tableau fourni détaillant les éléments selon elle communs aux deux oeuvres, relatifs aux caractéristiques des personnages, à leurs rapports et à des anecdotes ou scènes précises qu'elle estime reprises (pages 10 à 24 de ses conclusions).

La comparaison globale du manuscrit de la demanderesse et de l'ouvrage de Mme [W] établit certes une composition familiale identique (deux s?urs et leurs parents), des évènements similaires rythmant la narration (découverte par l'aînée de l'infidélité de son père, départ de celui-ci qui quitte le foyer, révélation de l'existence d'un demi-frère et enterrement d'un proche en fin d'ouvrage). Toutefois, outre que la narratrice est l'aînée des deux s?urs dans un cas, la cadette dans l'autre, ce qui offre un point de vue différent au regard de leurs caractères opposés, L'odeur de la colle en pot resserre l'intrigue autour de la seule année des 13 ans de l'héroïne, quand Ma bombe relate la vie et les sentiments d'une jeune fille de son enfance à la fin de son adolescence, les souvenirs marquants de son enfance y occupant autant de place que l'épisode douloureux de la séparation de ses parents.

Certes, la transposition sur une époque ou une période de temps différente n'est pas exclusive de toute contrefaçon et il en est de même du fait que l'ouvrage postérieur témoigne lui aussi de l'expression personnelle de son auteur, en faisant une oeuvre à part entière ; mais encore faut-il, pour que la contrefaçon soit caractérisée, que se retrouvent dans l'oeuvre seconde les caractéristiques principales et essentielles de l'oeuvre première. Or, outre qu'il ne peut être reproché à Mme [W] de s'être inspirée de sa propre histoire pour la retranscrire dans son roman, les passages listés dans son tableau comparatif par la demanderesse n'ont en commun que des idées, en elles-mêmes relativement banales et dont la mise en forme, loin d'être servilement reproduite, témoigne d'une expression personnelle à la défenderesse, les anecdotes relatées sous forme de saynètes n'étant de surcroît pas susceptibles d'être retenues au titre de caractéristiques principales de l'oeuvre Ma bombe.

Au final, il ne ressort des deux ouvrages en cause aucune analogie significative établissant une contrefaçon de droit d'auteur et Mme [I] sera en conséquence déboutée de ses demandes à ce titre.

3- A titre subsidiaire, sur le parasitisme

[U] [I] soutient subsidiairement que [G] [W] s'est rendue coupable de parasitisme. Elle expose avoir fourni un travail conséquent de rédaction de son roman, de composition de la structure narrative de celui-ci, ainsi que d'élaboration de l'intrigue ou encore de composition des personnages. Or, elle a transmis ce manuscrit à Mme [W] en novembre 2016, ce qui n'est pas contesté, de sorte que les ressemblances entre les deux romans ne peuvent relever du hasard. [U] [I] fait valoir que la défenderesse, en reprenant les éléments caractéristiques du roman Ma Bombe, a profité de ses efforts intellectuels et de ses investissements, et s'est épargnée le travail nécessaire à l'élaboration d'un roman, ce qui constitue un comportement fautif lui causant préjudice.
En réparation de son dommage résultant notamment de la perte de chance de voir son manuscrit publié par un éditeur, la demanderesse sollicite la somme forfaitaire de 15 000 euros.

[G] [W] soutient, en réplique, que la demanderesse ne démontre pas de valeur économique, d'investissements réalisés, de savoir-faire ou encore de travail intellectuel dont elle aurait tiré avantage. Elle expose qu'[U] [I] ne peut justifier d'aucune notoriété, qu'elle ne démontre pas avoir effectué de travail de correction de son manuscrit ni avoir contacté un éditeur. En effet, le manuscrit Ma Bombe n'a jamais été publié, de sorte que le roman L'Odeur de la colle en pot ne peut avoir d'influence sur une quelconque publication de Ma Bombe. Elle conteste en conséquence l'argument tiré de la perte de chance de publier le manuscrit Ma Bombe.

Sur ce,

Aux termes de l'article 1240 du code civil, tout fait quelconque de l'homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.

La mise en oeuvre de la responsabilité civile délictuelle de droit commun suppose la démonstration d'une faute, d'un préjudice et d'un lien de causalité.

S'inscrivant dans ce cadre, le parasitisme est caractérisé dès lors qu'une personne physique ou morale, à titre lucratif et de façon injustifiée, s'inspire ou copie sensiblement une valeur économique d'autrui, individualisée et procurant une valeur ajoutée et un avantage concurrentiel, fruit d'un savoir-faire, d'un effort intellectuel et d'investissements. Il peut consister à se placer dans le sillage d'un autre, en profitant indûment de la notoriété acquise ou des investissements consentis, y compris en s'épargnant des recherches ou un effort intellectuel.

A cet égard, le fait que Mme [I] ne dispose d'aucune notoriété et qu'elle ne soit pas parvenue à faire publier son manuscrit n'ôte pas aux investissements, intellectuel et en temps personnel, qu'elle a consacrés à sa composition et sa rédaction, toute valeur individualisée.

Dès lors, si les ressemblances relevées par elle entre son manuscrit et l'ouvrage de Mme [W] ne sont pas susceptibles de constituer une contrefaçon de droit d'auteur, il n'est pour autant pas exclu par principe qu'elles puissent traduire de la part de la défenderesse, qui a eu le manuscrit entre les mains, une attitude parasitaire consistant, en empruntant certaines séquences à la trame narrative adverse et quand bien même elle a procédé ensuite à un véritable travail de ré-écriture, à s'épargner une partie du nécessaire travail de recherche et composition de certaines scènes et anecdotes venant étoffer et nourrir son roman.

La comparaison des deux ouvrages en cause ne témoigne toutefois pas, contrairement à ce qu'avance Mme [I], de la reprise évidente d'une partie de son travail, les « ressemblances ne pouvant être fortuites » qu'elle relève ne portant en réalité que sur un faible nombre d'éléments au regard du volume global du roman L'odeur de la colle en pot, et surtout ressortissant, non de scènes individualisées et servilement empruntées, mais d'une ambiance générale imprimée au thème de l'ouvrage.

Aucune faute n'étant établie à l'encontre de Mme [W], la demande subsidiaire en parasitisme sera rejetée.

4- Sur la demande reconventionnelle en dénigrement

[G] [W] fait valoir qu'en adressant une lettre de mise en demeure à son éditeur, les éditions JC LATTES, l'accusant de contrefaçon, [U] [I] s'est rendue coupable de dénigrement. Elle considère en effet qu'une telle accusation a jeté le discrédit sur son image auprès de son éditeur. Elle sollicite en conséquence que la demanderesse soit condamnée à lui verser la somme de 10 000 euros en réparation de son préjudice.

En réponse, Mme [I] soutient avoir respecté les précautions d'usage dans l'envoi de sa lettre de mise en demeure aux éditions JC LATTES. Elle ajoute n'avoir pas attrait l'éditeur dans la cause et que Mme [W] n'a subi aucun préjudice, les éditions JC LATTES ayant publié la suite du roman litigieux, Les Frangines, le 10 juin 2020.

Sur ce,

La divulgation, par une partie, d'une information de nature à jeter le discrédit sur l'autre constitue un acte de dénigrement, à moins que l'information en cause ne se rapporte à un sujet d'intérêt général et repose sur une base factuelle suffisante, et sous réserve qu'elle soit exprimée avec une certaine mesure.

En l'espèce, il apparaît que l'unique courrier adressé par Mme [I] à l'éditeur de Mme [W], destinataire tout désigné au regard des griefs allégués, n'outrepasse pas la mesure requise en pareil cas dès lors que son conseil se contente d'évoquer son appréciation des faits et qu'aucune communication à ce sujet n'a été faite auprès de tiers (pièce 9 en demande).

Au demeurant, la demanderesse relève à juste titre l'absence de préjudice, alors que l'éditeur de Mme [W], loin de retenir la contrefaçon invoquée, a manifestement continué de la publier par la suite.

La défenderesse sera donc déboutée de sa demande reconventionnelle.

*

La demanderesse, qui succombe, supportera la charge des dépens et ses propres frais.

Elle sera en outre condamnée à verser à Mme [W], qui a dû exposer des frais irrépétibles pour faire valoir ses droits, une indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile, qu'il est équitable de fixer à la somme de 1 500 (mille cinq cents) euros.

Les circonstances de la cause ne justifient pas que soit ordonnée l'exécution provisoire.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal, statuant publiquement par jugement mis à disposition au greffe, contradictoire et en premier ressort,

DIT que le manuscrit "Ma bombe" dont [U] [I] est l'auteur est protégeable par le droit d'auteur ;

DEBOUTE [U] [I] de ses demandes fondées sur la contrefaçon de droit d'auteur ;

DÉBOUTE [U] [I] de sa demande subsidiaire en parasitisme ;

DÉBOUTE [G] [W] de sa demande reconventionnelle en dénigrement ;

CONDAMNE [U] [I] à verser à [G] [W] la somme de 1 500 (mille cinq cents) euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE [U] [I] aux dépens ;

DIT n'y avoir lieu à exécution provisoire.

Fait et jugé à [Localité 5], le 15 octobre 2021.

Le GreffierLe Président


Synthèse
Tribunal : Tribunal de grande instance de Paris
Formation : Ct0196
Numéro d'arrêt : 19/14011
Date de la décision : 15/10/2021

Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.grande.instance.paris;arret;2021-10-15;19.14011 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award