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23/09/2021 | FRANCE | N°17/13837

France | France, Tribunal de grande instance de Paris, Ct0196, 23 septembre 2021, 17/13837


TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS

3ème chambre
1ère section

No RG 17/13837
No Portalis 352J-W-B7B-CLOSW

No MINUTE :

Assignation du :
10 octobre 2017

JUGEMENT
rendu le 23 septembre 2021
DEMANDERESSE

Société INTELLECTUAL VENTURES II LLC
[Adresse 3],
[Adresse 9],
[Adresse 8])

représentée par Me Julien FRENEAUX de la SELAS BARDEHLE PAGENBERG, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #P0390

DÉFENDERESSES

S.A. BOUYGUES TELECOM
[Adresse 4]
[Localité 5]

représentée par Me Denis MONEGIER

DU SORBIER de l'AARPI HOYNG ROKH MONEGIER VERON, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #P0512

Société HUAWEI TECHNOLOGIES FRANCE - Intervenante volontai...

TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS

3ème chambre
1ère section

No RG 17/13837
No Portalis 352J-W-B7B-CLOSW

No MINUTE :

Assignation du :
10 octobre 2017

JUGEMENT
rendu le 23 septembre 2021
DEMANDERESSE

Société INTELLECTUAL VENTURES II LLC
[Adresse 3],
[Adresse 9],
[Adresse 8])

représentée par Me Julien FRENEAUX de la SELAS BARDEHLE PAGENBERG, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #P0390

DÉFENDERESSES

S.A. BOUYGUES TELECOM
[Adresse 4]
[Localité 5]

représentée par Me Denis MONEGIER DU SORBIER de l'AARPI HOYNG ROKH MONEGIER VERON, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #P0512

Société HUAWEI TECHNOLOGIES FRANCE - Intervenante volontaire
[Adresse 1]
[Localité 6]

représentée par Me Grégoire DESROUSSEAUX de la SCP AUGUST et DEBOUZY et associés, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #P0438
Société SAGEMCOM BROADBAND SAS - Intervenante volontaire
[Adresse 2]
[Localité 7]

représentée par Me Caroline CASALONGA et Me Marianne GABRIEL du CABINET CASALONGA SAS, avocats au barreau de PARIS, vestiaire #K0177

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Nathalie SABOTIER, 1ère vice-présidente adjointe
Gilles BUFFET, Vice président
Alix FLEURIET, Juge

assistés de Caroline REBOUL, Greffière

DEBATS

A l'audience des 03 et 04 mai 2021 tenue en audience publique

JUGEMENT

Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe
Contradictoire
En premier ressort

EXPOSÉ DU LITIGE :

Présentation des parties et de leurs droits :

La société de droit américain INTELLECTUAL VENTURES II LLC appartient au groupe INTELLECTUAL VENTURES spécialisé dans la création, le développement, l'acquisition et l'exploitation d'inventions, notamment dans le domaine des réseaux de communication.

Le groupe se présente comme un "Portfolio Patent Assertion Entity" (par opposition au "Litigation Patent Assertion Entity") selon la classification de la Federal Trade Commission (organisme américain en charge de la protection des consommateurs et du contrôle du respect des règles de la concurrence).

Elle expose ainsi être titulaire de brevets relatifs à des technologies mises en oeuvres dans les réseaux de télécommunications permettant l'accès à haut débit à internet sur les lignes téléphoniques, en particulier les technologies dites « xDSL » (ADSL et VDSL).

Elle est en particulier la titulaire inscrite du brevet européen EP 1 694 020, ci-après désigné EP020, ayant pour titre « Système et méthode de modulation multi-porteuse », issu d'une demande européenne divisionnaire déposée le 18 avril 2006 par la société AWARE Inc. sur la base d'une demande de brevet européen EP 1 161 820 elle-même issue d'une demande internationale PCT WO 2000/054473 du 10 mars 2000 revendiquant la priorité de trois demandes américaines : US 124222 P du 12 mars 1999, US 161115 P du 22 octobre 1999 et US 177081 P du 19 janvier 2000.

Ce brevet a expiré le 10 mars 2020.

Il avait fait l'objet d'une déclaration, par la société AWARE Inc., à l'Union Internationale des Télécommunications (UIT), organisme en charge de l'élaboration des normes d'exploitation et d'interfonctionnement des réseaux de télécommunication, sous la forme de recommandations garantissant l'interopérabilité de ces réseaux.

L'invention concerne les systèmes et procédés de communication à porteuses multiples utilisant une modulation à porteuses multiples à adaptation de débit.

La société BOUYGUES TELECOM est, avec les sociétés ORANGE et SFR, l'un des principaux opérateurs français de télécommunications et fournit à ses clients des offres haut débit, mobiles et fixes, au moyen, dans ce dernier cas, de "box" DSL (Digital subscriber Line) permettant le transport numérique de données sur une ligne de raccordement filaire (en cuivre) téléphonique ou par d'autres liaisons spécialisées, reliées, côté opérateur, à des multiplexeurs d'accès à la ligne d'abonné numérique (ou sous leur acronyme anglais DSLAM pour "Digital subscriber line access multiplexer"), tous éléments de réseaux qui lui sont fournis par les sociétés HUAWEI TECHNOLOGIES FRANCE, SAGEMCOM BROADBAND et ALCATEL-LUCENT INTERNATIONAL, très actives dans l'industrie des télécommunications.

La technologie utilisée est celle de l'ADSL (Assymétrical Digital Subscriber Line, ou ligne d'abonné numérique assymétrique, car la transmission de données est plus importante dans le sens DSLAM / DSL que dans le sens DSL / DSLAM), qui met en oeuvre la modulation DMT (Discrete Multi Tone), et a fait l'objet d'une normalisation par l'UIT.

La société INTELLECTUAL VENTURES II expose avoir acquis la conviction que plusieurs des inventions protégées par ses brevets étaient exploitées par les principaux opérateurs de télécommunications européens, en France et en Allemagne, dont la société BOUYGUES TELECOM.

Aussi, a-t'elle pris contact avec la société BOUYGUES TELECOM afin de lui proposer de régulariser sa situation, par le biais d'un contrat de licence d'exploitation non exclusive des inventions protégées par les brevets, aux conditions FRAND (Fair, Reasonnable And Non Discriminatory).

Faute de réponse positive et constatant que la société BOUYGUES TELECOM poursuivait ce qu'elle considère être des actes de contrefaçon de la partie française du brevet EP 020 , la société INTELLECTUAL VENTURES II l'a, par acte d'huissier du 10 octobre 2017, assignée devant le tribunal de grande instance de Paris, devenu le 1er janvier 2020, le tribunal judiciaire de Paris.

Procédure :

La société BOUYGUES TELECOM a assigné la société ALCATEL-LUCENT INTERNATIONAL (fournisseur des DSLAM) en intervention forcée, et les sociétés HUAWEI TECHNOLOGIES FRANCE et SAGEMCOM BROADBAND sont intervenues volontairement à l'instance.

Par une ordonnance du 31 octobre 2019, le juge de la mise en état a constaté le désistement de la société BOUYGUES TELECOM de ses demandes dirigées contre la société ALCATEL-LUCENT INTERNATIONAL, filiale de la société NOKIA, dont il est apparu qu'elle bénéficiait d'une licence portant sur le brevet en litige (RG 19/05722).

Par une ordonnance du 16 janvier 2020, le juge de la mise en état a, dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice, "séquencé" l'examen de l'affaire et invité les parties à conclure dans un premier temps sur la validité du brevet EP 020 et la contrefaçon de ce brevet, le surplus des demandes faisant l'objet d'une instance disjointe (RG no21/05841)

Par une ordonnace du 4 février 2021, le juge de la mise en état a dit le tribunal judiciaire de PARIS incompétent pour connaître des demandes de la société BOUYGUES TELECOM aux fins de "Si les revendications 1, 7, 13 et 19 de la partie française du brevet EP 1 694 020 étaient déclarées valables et contrefaites, (...) Dire et juger que les sociétés HUAWEI TECHNOLOGIES France et SAGEMCOM BROADBAND SAS devront garantir la société BOUYGUES TELECOM de toutes les condamnations éventuelles qui pourraient être prononcées à son encontre," dirigées contre les sociétés HUAWEI TECHNOLOGIES FRANCE et SAGEMCOM BROADBAND.

Par une ordonnance du 23 mars 2021, le juge de la mise en état a disjoint les demandes relatives à l'épuisement des droits (RG no21/04311).

Dans ses dernières conclusions no7 signifiées électroniquement le 26 avril 2021, la société INTELLECTUAL VENTURES II demande au tribunal de :

Vu l'article 64 de la Convention de Munich sur le brevet européen,
Vu les articles L.613-3 a) et b), L.613-4, L.614-7 et ss, et L.615-1, L.615-5-2 et L.615-7 du Code de la propriété intellectuelle,

- Déclarer irrecevables, et en tout cas infondées, l'ensemble des demandes des sociétés BOUYGUES TELECOM, HUAWEI TECHNOLOGIES FRANCE, et SAGEMCOM BROADBAND SAS ;

- Les en débouter ;

- Dire qu'en exploitant dans ses réseaux en France, entre le 10 octobre 2012 et le 10 mars 2020, des multiplexeurs d'accès à la ligne d'abonné numérique (DSLAM) fonctionnant conformément à la norme UIT G.992.3 (ADSL2) et/ou à la norme UIT G.992.5 (ADSL2+) et/ou à la norme UIT G.993.2 (VDSL2), la société BOUYGUES TELECOM a commis des actes de contrefaçon par utilisation des procédés objets des revendications 1 et 7 de la partie française du brevet européen EP 1 694 020 appartenant à la société INTELLECTUAL VENTURES II LLC;

- Dire qu'en exploitant dans ses réseaux en France, entre le 10 octobre 2012 et le 10 mars 2020, des boîtiers DSL "Bbox" fonctionnant conformément à la norme UIT G.992.3 (ADSL2) et/ou à la norme UIT G.992.5 (ADSL2+) et/ou à la norme UIT G.993.2 (VDSL2), la société BOUYGUES TELECOM a commis des actes de contrefaçon par utilisation des procédés objets des revendications 1 et 7 de la partie française du brevet européen EP 1 694 020 appartenant à la société INTELLECTUAL VENTURES II LLC ;

- Dire qu'en offrant de livrer et en livrant en France à ses abonnés, entre le 10 octobre 2012 et le 10 mars 2020, des boîtiers DSL "Bbox", fonctionnant conformément à la norme UIT G.992.3 (ADSL2) et/ou à la norme UIT G.992.5 (ADSL2+) et/ou à la norme UIT G.993.2 (VDSL2), la société BOUYGUES TELECOM a commis des actes de contrefaçon par fourniture des moyens aptes et destinés à la mise en oeuvre des procédés objets des revendications 1 et 7 de la partie française du brevet européen EP 1 694 020 appartenant à la société INTELLECTUAL VENTURES II LLC ;

- Dire qu'en important, en utilisant et en détenant à cette fin en France, entre le 10 octobre 2012 et le 10 mars 2020, des multiplexeurs d'accès à la ligne d'abonné numérique (DSLAM) fonctionnant conformément à la norme UIT G.992.3 (ADSL2) et/ou à la norme UIT G.992.5 (ADSL2+) et/ou à la norme UIT G.993.2 (VDSL2), la société BOUYGUES TELECOM a commis des actes de contrefaçon des revendications 13 et 19 de la partie française du brevet européen EP 1 694 020 appartenant à la société INTELLECTUAL VENTURES II LLC ;

- Dire qu'en offrant, en mettant dans le commerce, en utilisant, en important et en détenant à ces fins en France, entre le 10 octobre 2012 et le 10 mars 2020, des boîtiers DSL "Bbox", fonctionnant conformément à la norme UIT G.992.3 (ADSL2) et/ou à la norme UIT G.992.5 (ADSL2+) et/ou à la norme UIT G.993.2 (VDSL2), la société BOUYGUES TELECOM a commis des actes de contrefaçon des revendications 13 et 19 de la partie française du brevet européen EP 1 694 020 appartenant à la société INTELLECTUAL VENTURES II LLC ;

- Donner acte à la société INTELLECTUAL VENTURES II LLC de ce que ses demandes à l'encontre de la société BOUYGUES TELECOM pour contrefaçon de la partie française du brevet EP 1 694 020 ne s'étendent pas à des équipements de communication (à l'exclusion des Terminaux Cellulaires), logiciels ou services de la société NOKIA CORPORATION et de ses filiales, y compris la société ALCATEL-LUCENT INTERNATIONAL, (ci-après collectivement désignées "NOKIA"), considérés seuls ou dans toute éventuelle combinaison arguée de contrefaçon dans laquelle ils reproduisent l'un quelconque des éléments de l'une quelconque des revendications invoquées (y compris dans le cas où ils réalisent une étape d'une revendication de procédé), dans la mesure où lesdits équipements de communication, logiciels ou services ont été fabriqués, utilisés, vendus, offerts à la vente, loués, importés ou distribués par NOKIA, ou dans la mesure où NOKIA les a fait fabriquer ;

- Donner acte à la société INTELLECTUAL VENTURES II LLC de ce que la limitation de l'étendue de ses demandes à l'encontre de la société BOUYGUES TELECOM, telle que formulée ci-dessus, ne bénéficie en aucun cas aux produits d'autres fournisseurs, y compris HUAWEI TECHNOLOGIES FRANCE, et SAGEMCOM BROADBAND SAS, et/ou à l'utilisation de tels produits ;

- Donner acte à la société INTELLECTUAL VENTURES II LLC de ce qu'elle demande, conformément aux dispositions de l'article L. 615-7, alinéa 2, du Code de la propriété intellectuelle, l'allocation à titre de dommages et intérêts d'une somme forfaitaire supérieure au montant des redevances qui lui auraient été dues si la société BOUYGUES TELECOM lui avait demandé l'autorisation d'exploiter le brevet EP 1 694 020 ;

- Dire que le montant des redevances qui auraient été dues par la société BOUYGUES TELECOM doit être défini par rapport aux conditions équitables, raisonnables et non discriminatoires ("FRAND") du contrat de licence proposé par la société INTELLECTUAL VENTURES II LLC pour l'exploitation du portefeuille de brevets dont fait partie le brevet EP 1 694 020, à savoir des redevances trimestrielles égales à 0,1 % du Revenu Total par Abonné, lequel s'entend du chiffre d'affaires net réalisé par la société BOUYGUES TELECOM entre le 10 octobre 2012 et le 10 mars 2020 via la fourniture d'accès à des réseaux fonctionnant conformément à la norme UIT G.992.3 (ADSL2) et/ou conformément à la norme UIT G.992.5 (ADSL2+) et/ou conformément à la norme UIT G.993.2 (VDSL2), hors revenus issus du commerce de gros ;
Avant dire droit sur la fixation des dommages et intérêts,

- Ordonner à la société BOUYGUES TELECOM de communiquer à la société INTELLECTUAL VENTURES II LLC, sous astreinte de 50.000 € (cinquante mille euros) par jour de retard à compter de la signification du jugement à intervenir :
* Le nombre d'abonnés aux services de fourniture d'accès aux réseaux fonctionnant conformément à la norme UIT G.992.3 (ADSL2) et/ou conformément à la norme UIT G.992.5 (ADSL2+) et/ou conformément à la norme UIT G.993.2 (VDSL2) proposés en France par la société BOUYGUES TELECOM ;

* Le chiffre d'affaires net réalisé par la société BOUYGUES TELECOM via la fourniture d'accès à des réseaux fonctionnant conformément à la norme UIT G.992.3 (ADSL2) et/ou conformément à la norme UIT G.992.5 (ADSL2+) et/ou conformément à la norme UIT G.993.2 (VDSL2), hors revenus issus de commerce de gros ;
* Le nombre de multiplexeurs d'accès à la ligne d'abonné numérique (DSLAM) fonctionnant conformément à la norme UIT G.992.3 (ADSL2) et/ou conformément à la norme UIT G.992.5 (ADSL2+) et/ou conformément à la norme UIT G.993.2 (VDSL2) de fournisseurs autres que NOKIA CORPORATION et ses filiales, y compris ALCATEL LUCENT INTERNATIONAL, importés et/ou utilisés et/ou détenus en France par la société BOUYGUES TELECOM ;
* Le nombre de boîtiers DSL fonctionnant conformément à la norme UIT G.992.3 (ADSL2) et/ou conformément à la norme UIT G.992.5 (ADSL2+) et/ou conformément à la norme UIT G.993.2 (VDSL2), importés, offerts, mis dans le commerce, utilisés et/ou détenus en France par la société BOUYGUES TELECOM ; et ce pour la période du 10 octobre 2012 au 10 mars 2020 ;

- Commettre tel expert qu'il plaira au Tribunal de désigner, aux frais avancés de la société BOUYGUES TELECOM, avec pour mission de vérifier l'exactitude et l'exhaustivité des informations communiquées par cette dernière en exécution du jugement à intervenir ;

Dans l'attente de l'issue des mesures de communication d'informations et d'expertise ordonnées par le jugement à intervenir,

- Condamner d'ores et déjà la société Bouygues Telecom à payer à la société Intellectual Ventures II LLC la somme de 14 730 000 € (quatorze millions sept cent trente mille euros) à titre de provision à valoir sur les dommages et intérêts ;

- Ordonner la publication du dispositif du jugement à intervenir dans cinq journaux ou magazines au choix de la société Intellectual Ventures II LLC, et aux frais la société Bouygues Telecom, dans la limite de 15 000,00 € HT (quinze mille Euros hors taxes) par insertion ;

- Ordonner à la société Bouygues Telecom d'afficher en page d'accueil du site internet www.bouyguestelecom.fr un encart occupant au moins 10% de la surface de la page d'accueil au-dessus de la ligne de flottaison et contenant le lien hypertexte suivant : "Publication Judiciaire : condamnation de la société Bouygues Telecom pour contrefaçon du brevet EP 1 694 020 appartenant à la société Intellectual Ventures II LLC", lequel lien devra renvoyer vers une copie
intégrale de la minute du jugement à intervenir, et ce pendant une durée de deux mois sous astreinte de 50 000 € (cinquante mille Euros) par jour de retard à compter de la signification du jugement à intervenir ;
- Condamner la société Bouygues Telecom à payer à la société Intellectual Ventures II LLC la somme de 500 000 € (cinq cent mille Euros), sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Condamner chacune des sociétés Huawei Technologies France, et Sagemcom Broadband SAS à payer à la société Intellectual Ventures II LLC la somme de 100 000 € (cent mille Euros), sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Ordonner l'exécution provisoire du jugement à intervenir ;

- Condamner la société BOUYGUES TELECOM aux entiers dépens, qui pourront être directement recouvrés par la SAS BARDEHLE PAGENBERG, Avocats, conformément à l'article 699 du Code de procédure civile.

Dans ses dernières conclusions no5, signifiées par la voie électronique le 12 avril 2021, la société BOUYGUES TELECOM demande au tribunal de :

Par application des articles L. 614-12 et suivants du code de la propriété intellectuelle et 52 à 57, 69, 76(1) et 138(1) et suivants de la convention sur le brevet européen,

- Entendre les parties sur la demande en nullité des revendications 1, 7, 13 et 19 de la partie française du brevet EP-B-1 694 020 et l'absence de contrefaçon dudit brevet avant de statuer sur les autres demandes,

- Dire que la société BOUYGUES TELECOM est recevable et bien fondée en ses demandes, et y faisant droit :

- Débouter la société INTELLECTUAL VENTURES II LLC de l'ensemble de ses demandes, comme étant irrecevables ou, à tout le moins, mal fondées ;

- Dire que les revendications 1, 7, 13 et 19 de la partie française du brevet EP 1 694 020 sont nulles pour extension du brevet au-delà de la demande antérieure telle que déposée, défaut de nouveauté et d'activité inventive ;

- Ordonner la transmission du jugement à intervenir annulant les revendications 1, 7, 13 et 19 de la partie française du brevet EP 1 694 020 à l'INPI aux fins d'inscription auprès du Registre National des Brevets ;

A titre subsidiaire,

- Dire que les rapports de M. [P] [K] (pièces 18 et 19) doivent être rejetés des débats dès lors qu'ils ont été versés en violation des principes applicables en matière d'administration de la preuve ;

- Dire que la société INTELLECTUAL VENTURES II LLC ne démontre pas la contrefaçon des revendications 1, 7, 13 et 19 de la partie française du brevet EP 1 694 020 ;

- Dire que la société BOUYGUES TELECOM est fondée à revendiquer le bénéfice de l'épuisement des droits de la société INTELLECTUAL VENTURES II LLC sur le brevet EP 1 694 020 ;

A titre très subsidiaire, si les revendications 1, 7, 13 et 19 de la partie française du brevet EP 1 694 020 étaient déclarées valables et contrefaites,

- Renvoyer l'affaire à telle audience qu'il plaira au Tribunal de fixer, pour les conclusions des parties sur les questions autres que la nullité de ces revendications et leur contrefaçon,

En tout état de cause,

- Ordonner la publication du jugement à intervenir faisant droit aux demandes de la société BOUYGUES TELECOM, par extraits au choix de la société BOUYGUES TELECOM, dans cinq journaux et/ou revues au choix de la société BOUYGUES TELECOM, et ce, aux frais avancés par la société INTELLECTUAL VENTURES II LLC à concurrence de 5.000 euros HT par insertion et ce, au besoin, à titre de dommages et intérêts complémentaires ;

- Ordonner la publication du jugement à intervenir faisant droit aux demandes de la société BOUYGUES TELECOM, par extraits au choix de la société BOUYGUES TELECOM sur la page d'accueil du site internet accessible à l'adresse http://www.intellectualventures.com/, en partie supérieure de la page d'accueil du site, en caractères « times new roman », de taille 12, de couleur noire et sur fond blanc, sans mention ajoutée, et ce pendant une durée de six mois à compter de sa première mise en ligne et dans les 48 heures de la signification du jugement à intervenir, sous astreinte de 150 euros par jour de retard à compter de l'expiration de ce délai ;

- Dire que le tribunal se réserve de liquider les astreintes ordonnées, en application des dispositions de l'article L.131-3 du Code des procédures civiles d'exécution ;

- Condamner la société INTELLECTUAL VENTURES II LLC à payer à la société BOUYGUES TELECOM la somme de 350 000 euros (trois cent cinquante mille euros) au titre de l'article 700 du code de procédure civile en assortissant cette condamnation de l'exécution provisoire;

- Condamner la société INTELLECTUAL VENTURES II LLC aux entiers dépens dont distraction au profit de Maître Denis Monégier du Sorbier, en application de l'article 699 du code de procédure civile.

Dans ses dernières conclusions no5, signifiées électroniquement le 12 avril 2021, la société HUAWEI TECHNOLOGIES FRANCE demande au tribunal de :

Vu l'article L. 614-12 et suivants du code de la propriété intellectuelle
Vu les articles 52 à 57, 69, 76(1) et 138(1) et suivants de la Convention sur le Brevet Européen,

- Dire que la société HUAWEI TECHNOLOGIES FRANCE est recevable et bien fondée en ses demandes, et y faisant droit :

- Débouter la société Intellectual Ventures II LLC de l'ensemble de ses demandes, comme étant irrecevables et à tout le moins mal fondées ;

- Dire que les revendications 1, 7, 13 et 19 de la partie française du brevet EP 1 694 020 sont nulles pour extension du brevet au-delà de la demande antérieure telle que déposée, défaut de nouveauté et d'activité inventive ;

- Ordonner la transmission du jugement à intervenir annulant les revendications 1, 7, 13 et 19 de la partie française du brevet EP 1 694 020 à l'INPI aux fins d'inscription auprès du Registre National des Brevets ;

Subsidiairement,

- Dire que les rapports de M. [P] [K] (pièces 17 et 18) doivent être rejetées des débats dès lors qu'ils ont été établis en violation des principes applicables en matière d'administration de la preuve ;

- Dire que la société Intellectual Ventures II LLC ne démontre pas la contrefaçon des revendications 1, 7, 13 et 19 de la partie française du brevet EP 1 694 020 ;

A titre encore plus subsidiaire,

- Renvoyer l'affaire à telle audience qu'il plaira au tribunal de fixer, pour les conclusions en défense de la société HUAWEI TECHNOLOGIES FRANCE sur les questions autres que la nullité et la contrefaçon des revendications 1, 7, 13 et 19 de la partie française du brevet EP 1 694 020 ;

En tout état de cause,

- Ordonner la publication du jugement à intervenir faisant droit aux demandes de la société HUAWEI TECHNOLOGIES FRANCE, par extraits au choix de la société HUAWEI TECHNOLOGIES FRANCE, dans cinq journaux et/ou revues au choix de la société HUAWEI TECHNOLOGIES FRANCE, et ce, aux frais avancés par la société Intellectual Ventures II LLC à concurrence de 5.000 euros HT par insertion et ce, au besoin, à titre de dommages et intérêts complémentaires ;

- Ordonner la publication du jugement à intervenir faisant droit aux demandes de la société HUAWEI TECHNOLOGIES FRANCE, par extraits au choix de la société HUAWEI TECHNOLOGIES FRANCE, sur la page d'accueil du site internet accessible à l'adresse http://www.intellectualventures.com/, en partie supérieure de la page d'accueil du site, en caractères « times new roman », de taille 12, de couleur noire et sur fond blanc, sans mention ajoutée, et ce pendant une durée de six mois à compter de sa première mise en ligne et dans les 48 heures de la signification du jugement à intervenir, sous astreinte de 150 euros par jour de retard à compter de l'expiration de ce délai ;

- Dire que le tribunal se réserve de liquider les astreintes ordonnées, en application des dispositions de l'article L.131-3 du code des procédures civiles d'exécution ;

- Condamner la société Intellectual Ventures II LLC à payer à la société HUAWEI TECHNOLOGIES FRANCE la somme de 388 996 (trois cent quatre-vingt-huit mille neuf cent quatre-vingt-seize) euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Condamner la société Intellectual Ventures II LLC aux entiers dépens dont distraction au profit de Maître Desrousseaux en application de l'article 699 du Code de procédure civile.

- Ordonner l'exécution provisoire de la décision à intervenir, en ce qui concerne la condamnation de la société INTELLECTUAL VENTURES II LLC à payer à la société HUAWEI TECHNOLOGIES FRANCE les frais et les dépens, nonobstant appel et sans constitution de garantie.

Dans ses dernières conclusions no5, signifiées par la voie électronique le 12 avril 2021, la société SAGEMCOM BROADBAND demande au tribunal de :

Vu l'article L. 614-12 et suivants du code de la propriété intellectuelle, Vu les articles 52 à 57, 69, 76(1) et 138(1) et suivants de la Convention sur le Brevet Européen,

- Dire que la société SAGEMCOM BROADBAND SAS est recevable et bien fondée en ses demandes, et y faisant droit :

- Débouter la société INTELLECTUAL VENTURES II LLC de l'ensemble de ses demandes, comme étant irrecevables et à tout le moins mal fondées ;

- Dire que les revendications 1, 7, 13 et 19 de la partie française du brevet EP 1 694 020 sont nulles pour extension du brevet au-delà de la demande antérieure telle que déposée, défaut de nouveauté et d'activité inventive ;

- Ordonner la transmission du jugement à intervenir annulant les revendications 1, 7, 13 et 19 de la partie française du brevet EP 1 694 020 à l'INPI aux fins d'inscription auprès du Registre National des Brevets ;

Subsidiairement,

- Dire que les rapports de M. [P] [K] (pièces 17 et 18) doivent être rejetées des débats dès lors qu'ils ont été établis en violation des principes applicables en matière d'administration de la preuve ;

- Dire que la société INTELLECTUAL VENTURES II LLC ne démontre pas la contrefaçon des revendications 1, 7, 13 et 19 de la partie française du brevet EP 1 694 020 ;

A titre très subsidiaire, si par extraordinaire le Tribunal ne prononçait pas la nullité de la partie française du brevet EP020, pour quelque motif que ce soit, et retenait les actes de contrefaçon reprochés à l'encontre de la société Bouygues Telecom,

- Renvoyer l'affaire à telle audience qu'il plaira au Tribunal de fixer, pour les conclusions en défense de de la société SAGEMCOM BROADBAND SAS et des autres défendeurs et intervenants sur les questions autres que la nullité et la contrefaçon des revendications 1, 7, 13 et 19 de la partie française du brevet EP 1 694 020;

- Donner acte à la société SAGEMCOM BROADBAND SAS de ce qu'elle répondra aux arguments de la société INTELLECTUAL VENTURES II LLC sur la question de l'épuisement des droits dans le cadre de la procédure disjointe enrôlée sous le numéro de RG 21/04311.

En tout état de cause,

- Débouter la société INTELLECTUAL VENTURES II LLC de l'ensemble de ses demandes, comme étant irrecevables et à tout le moins mal fondées ;

- Ordonner la publication du jugement à intervenir faisant droit aux demandes de la société SAGEMCOM BROADBAND SAS, par extraits au choix de la société SAGEMCOM BROADBAND SAS, dans cinq journaux et/ou revues au choix de la société SAGEMCOM BROADBAND SAS, et ce, aux frais avancés par la société INTELLECTUAL VENTURES II LLC à concurrence de 5.000 euros HT par insertion et ce, au besoin, à titre de dommages et intérêts complémentaires ;

- Ordonner la publication du jugement à intervenir faisant droit aux demandes de la société SAGEMCOM BROADBAND SAS, par extraits au choix de la société SAGEMCOM BROADBAND SAS sur la page d'accueil du site internet accessible à l'adresse http://www.intellectualventures.com/, en partie supérieure de la page d'accueil du site, en caractères « times new roman », de taille 12, de couleur noire et sur fond blanc, sans mention ajoutée, et ce pendant une durée de six mois à compter de sa première mise en ligne et dans les 48 heures de la signification du jugement à intervenir, sous astreinte de 150 euros par jour de retard à compter de l'expiration de ce délai ;

- Dire que le tribunal se réserve de liquider les astreintes ordonnées, en application des dispositions de l'article L.131-3 du Code des procédures civiles d'exécution ;

- Condamner la société INTELLECTUAL VENTURES II LLC à payer à la société SAGEMCOM BROADBAND SAS la somme de 380.000 euros (trois cent quatre vingt mille euros) au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Condamner la société INTELLECTUAL VENTURES II LLC aux entiers dépens dont distraction au profit de Maître Caroline Casalonga en application de l'article 699 du code de procédure civile.

- Ordonner l'exécution provisoire de la décision à intervenir, nonobstant appel et sans constitution de garantie.

L'instruction de l'affaire a été clôturée par une ordonnance du 29 avril 2021.

MOTIFS DE LA DÉCISION

I / Présentation et portée du brevet EP'020

Le brevet européen no1 694 020 a pour titre « Système et méthode de modulation multi-porteuse ».

Il est issu d'une demande européenne divisionnaire déposée le 18 avril 2006 par la société AWARE Inc. sur la base d'une demande de brevet européen EP 1 161 820 elle-même issue d'une demande internationale PCT WO 2000/054473 du 10 mars 2000 ayant pour titre "Seamless rate adaptative multicarrier modulation system and protocols" (Système et protocoles de modulation multiporteuse à débit adaptatif sans coupure).

La paragraphe [0001] de la traduction en langue française du brevet EP'020 rappelle que l'invention concerne de façon générale des systèmes et des procédés de communication utilisant une modulation à ondes porteuses multiples, dont l'objet est de diviser la bande de fréquence d'émission en plusieurs sous-canaux (porteuses), chaque sous-canal transportant les données à transmettre après leur transformation en signal analogique de forme sinusoïdale. (Paragraphe [0002] de la description "Arrière-plan de l'invention")

Ainsi, un émetteur module un flux de données d'entrée contenant des bits d'information à travers plusieurs porteuses et émet l'information modulée (sous forme sinusoïdale), tandis qu'à l'extrémité de la bande, un récepteur démodule toutes les porteuses afin de récupérer les bits d'information ensuite émis sous la forme de flux de données de sortie.

Le paragraphe [0003] précise que la modulation à ondes porteuses multiples présente de nombreux avantages et en particulier une immunité supérieure au bruit et une plus grande flexibilité sur le débit de données et la largeur de bande, de sorte qu'elle est utilisée dans de nombreuses applications, qui incluent les systèmes de ligne d'abonné numérique asymétrique (ADSL), lesquelles font l'objet des normes UIT G.992.1 et G.992.2.

Selon les dessins et les paragraphes [0004], [0005], [0008] et [0009] de la traduction française du fascicule du brevet EP'020, le schéma fonctionnel d'un émetteur ADSL à modulation DMT conforme à la norme et connu de l'art antérieur est représenté sur la figure 1 (ci-dessous), laquelle montre trois couches: la couche ATM TC (142), qui transforme les bits en trames, la couche Trameur/FEC (120), qui, notamment, segmente les trames en mots de code en vue de leur insertion dans un repère orthonormé, en phase et en quadrature (diagramme de constellation), et la couche Modulation (110), mise en oeuvre à l'aide d'une transformation de Fourier discrète inverse (IDFT) (112), qui module les bits provenant de l'encodeur à modulation d'amplitude en quadrature (QAM) (114):

ou, pour une autre représentation, voir ci-dessous l'extrait suivant des conclusions de la société INTELLECTUAL VENTURES II (page 18) :

Le paragraphe [0006] du brevet précise ainsi que le symbole DMT se définit comme un ensemble d'échantillons analogiques générés à la sortie de la phase de transformation de Fourier discrète inverse et modulés sur les différentes porteuses en fonction de la table d'attribution des bits (BAT pour Bits Allocation Table), laquelle spécifie le nombre de bits attribué à chaque sous-canal.

Selon le paragraphe [0007], la BAT dépend du rapport signal / bruit (SNR) de chaque sous-canal. Ainsi, un canal présentant un faible bruit (SNR élevé) aura beaucoup de bits modulés sur chaque porteuse et aura donc un débit binaire élevé. Si les conditions du canal sont médiocres, le rapport signal / bruit sera faible et les bits modulés sur chaque porteuse seront peu nombreux, ce qui se traduira par un faible débit binaire du système.

Le paragraphe [0010] enseigne que, dans les normes ADSL DMT actuelles, il existe une relation spécifique entre tous ces paramètres et, en particulier, il existe une relation entre le nombre d'octets dans une trame et la taille des mots de code FEC (Forward Error Coding), lesquels sont des codes d'erreur contenant des données redondantes et donc non utiles pour l'utilisateur, dans le but de permettre au récepteur de détecter et corriger les erreurs (paragraphe [0012]).

Il en résulte (paragraphe [0013]) qu'un modem ADSL ne peut pas modifier le nombre de bits d'un symbole DMT sans apporter les modifications appropriées au nombre d'octets dans un mot de code FEC et dans une trame, ce qui entraîne des limitations de performance.

En outre (paragraphe [0019]), la norme UIT G.992.1 spécifie un mécanisme pour produire une adaptation de débit en ligne (Dynamic Rate Adaptation ou DRA), mais il est clairement stipulé dans ces normes que la modification du débit de données ne sera pas transparente. Le transfert de bits ("Bit Swapping") est une méthode également spécifiée dans les normes UIT pour modifier le nombre de bits attribué à un canal particulier. Le Bit Swapping est transparent, c'est-à-dire qu'il n'entraîne pas d'interruption de l'émission et de la réception de données, mais il ne permet pas de modifier le débit de données.

Aussi, il existe un besoin d'un système de transmission DMT amélioré "qui s'affranchit des problèmes posés ci-avant" (paragraphe [0023]) ou selon la version anglaise "It is therefore a principle object of the invention to provide an improved DMT transmission system that overcomes the problems discussed above".

Les développements qui précèdent et suivent ce paragraphe démontrent que, l'objet de l'invention consiste à proposer une adaptation transparente (ou sans coupure) du débit, ainsi au demeurant que l'indique le titre même de la demande PCT antérieure, et ce, dans un système mettant en oeuvre les normes ADSL.

Le paragraphe [0056] du brevet EP'020 précise ainsi que "Pour permettre à un système de transmission ADSL DMT de modifier le débit de données de façon transparente, l'invention propose ce qui suit :
1. un procédé plus efficace de tramage et d'encodage des données, qui se traduit par une réduction du nombre de bits de données de surdébit par symbole DMT, et donc par une augmentation du débit binaire utilisateur ;
2. un nouveau système ADSL ayant la capacité d'adapter de façon dynamique le débit de données en ligne (par exemple en cours de fonctionnement) d'une manière transparente, et
3. un nouveau protocole robuste et rapide pour réaliser une telle adaptation de débit transparente, de façon qu'une modification de débit de données puisse se produire correctement même en présence de niveaux de bruit élevés."

Soit en langue anglaise :
"In order to allow a DMT ADSL transmission system to change data rate seamlessly, the invention relates to the following :
1. A more efficient method for framing and encoding the data, that results in less overhead data bits per DMT symbol, thereby increasing the user bit rate ;
2. A new ADSL system with the ability to dynamically adapt the data rate on-line (e.g., during operation) in a seamless maner ; and
3. A new robust and fast protocol for completing such a seamless rate adaptation, so a data rate change can occur successfully even in the presence of high level of noise."

La paragraphe [0057] enseigne ainsi un mode de réalisation décrivant un procédé de tramage qui réduit la quantité de données de surdébit (données autres que celles utiles pour l'utilisateur). En particulier, ce procédé de tramage attribue un pourcentage fixe de données de surdébit au flux de données, plutôt qu'un nombre fixe d'octets de surdébit. Ce pourcentage n'évolue pas quand le débit de données du modem varie.

Un autre avantage du procédé de tramage décrit dans l'invention (paragraphe [0065]) est qu'il permet une adaptation de débit transparente en ligne. L'adaptation de débit transparente (SRA) est réalisée en modifiant la BAT des symboles DMT, c'est-à-dire le nombre de bits attribués à chaque sous-canal du système à ondes porteuses multiples. Comme illustré plus haut, une modification de la BAT modifie le nombre de bits par symbole DMT et entraîne une modification du débit de données du système. Dans un mode de réalisation, la taille des symboles DMT est modifiée sans modifier aucun des paramètres d'encodage R-S (FEC), d'entrelacement et de tramage. Ceci est possible parce que le procédé de tramage avec surdébit à pourcentage constant décrit supprime les restrictions imposées par l'art antérieur sur la relation entre les symboles DMT et les mots de code R-S (FEC) ou les trames ADSL. Puisque les paramètres d'encodage R-S et d'entrelacement ne varient pas, les problèmes de vidage de l'entrelaceur et d'autres problèmes liés à la modification des paramètres associés à ces fonctions ne se présentent pas. L'émetteur-récepteur peut adapter le débit de données sans produire des erreurs ou une interruption de service. Le seul paramètre qui doit être adapté, c'est la BAT (soit dernière phrase de ce paragraphe en langue anglaise : "The only parameter that needs to be adapted is the BAT").

Le paragraphe [0066] précise que la BAT doit être modifiée au niveau de l'émetteur et du récepteur exactement au même moment, c'est-à-dire exactement sur le même symbole DMT, de sorte que, dans un mode de réalisation, les principes de l'invention proposent un protocole qui permet la transition synchronisée vers l'utilisation de la nouvelle BAT.

Il est également très important que ce protocole soit très robuste en présence de bruit sur le canal [0067] et que la transition entre les tables BAT se déroule très rapidement [0068].

Aussi, l'invention propose deux protocoles qui satisfont aux exigences de l'adaptation de débit transparente, appelés protocole de SRA (pour "seamless rate adaptation") normale et protocole de SRA rapide [0070]. ("The principles of the invention provide two protocols that satisfy these requirements for seamless rate adaptation. The protocols are called the Normal SRA protocol and the Fast SRA protocol.")

Le protocole de SRA normale (Normal SRA ou NSRA) peut être initié par l'émetteur ou par le récepteur [0071] et le protocole de NSRA initié par l'émetteur comprend les 9 étapes suivantes [0074] :
1. Pendant l'initialisation, l'émetteur et le récepteur échangent des informations décrivant leurs capacités maximum et minimum en matière de débit de données. Ceci correspond au nombre maximum et au nombre minimum de bits par symbole DMT.
2. L'émetteur détermine que le débit de données doit être augmenté ou diminué.
3. Si le nouveau débit de données souhaité est dans les limites des capacités de débit du récepteur, l'émetteur passe à l'étape 4.
4. L'émetteur envoie au récepteur le nouveau débit de données souhaité en utilisant le canal AOC ou EOC. Ceci correspond à un message de « Demande de NSRA ».
5. Le récepteur reçoit le message de « Demande de NSRA ». Si le canal peut supporter le nouveau débit de données, le récepteur passe à l'étape 6. Si le canal ne peut pas supporter le nouveau débit de données, le récepteur renvoie à l'émetteur un message « Refus de SRA » en utilisant le canal EOC ou AOC.
6. Le récepteur envoie la nouvelle BAT à l'émetteur en utilisant le canal AOC ou EOC sur la base du nouveau débit de données. Ceci correspond à un message « Admission de NSRA» par le récepteur.
7. L'émetteur reçoit le message « Admission de NSRA ».
8. L'émetteur utilise un symbole sync inverse comme fanion pour signaler au récepteur que la nouvelle BAT va être utilisée. La nouvelle table BAT est utilisée en émission sur la première trame, ou un nombre fini de trames, suivant le symbole sync inverse. Le symbole sync inverse sert de message « Passage au SRA » pour adaptation de débit envoyé par l'émetteur.
9. Le récepteur détecte le symbole sync inverse (« Passage au SRA ») et la nouvelle table BAT est utilisée en réception sur la première trame, ou un nombre fini de trames, suivant le symbole sync inverse.

Enfin, selon le paragraphe [0079] du brevet EP'020, le protocole de l'invention est robuste car contrairement aux techniques conventionnelles d'adaptation de débit, le message « Passage au SRA » n'est pas envoyé via un message EOC ou AOC qui peut facilement être corrompu. Au lieu de cela, l'admission de la demande d'adaptation de débit est communiquée via un symbole sync inverse. Le symbole sync est défini dans les normes UIT comme un symbole DMT fixe non porteur de données qui est transmis tous les 69 symboles. Le symbole sync est construit en modulant toutes les porteuses DMT avec une séquence PN prédéfinie au moyen d'une modulation QPSK de base (QAM à 2 bits). Ce signal, qui est utilisé pendant tout le processus d'initialisation du modem, a des propriétés d'autocorrélation particulières qui permettent la détection du symbole sync et du symbole sync inverse même dans des environnements présentant un bruit élevé. Un symbole sync inverse est un symbole sync dans lequel l'information de phase dans le signal QAM est décalée de 180 degrés. D'autres décalages de phase (différents de 180 degrés) du symbole sync peuvent également être utilisés pour le message «Passage au SRA». Exploitant le symbole sync pour le message « Passage au SRA», le protocole d'adaptation de débit s'avère très robuste, même dans les environnements les plus bruyants.

Le brevet se compose de 24 revendications dont seules sont opposées les revendications 1, 7, 13 et 19, suivantes :

1 Procédé de modification de paramètres de transmission dans un émetteur à ondes porteuses multiples, qui est configuré pour transmettre des symboles DMT du type à transmission de données et des symboles DMT non du type à transmission de données, un symbole DMT non du type à transmission de données étant transmis après respectivement N symboles DMT du type à transmission de données? caractérisé par le fait de signaler un changement de paramètres de transmission lors d'un décalage de phase des symboles DMT non du type à transmission de données.

7. Procédé de modification de paramètres de réception dans un émetteur à ondes porteuses multiples, qui est configuré pour recevoir des symboles DMT du type à transmission de données et des symboles DMT non du type à transmission de données, un symbole DMT non du type à transmission de données étant reçu après respectivement N symboles DMT du type à transmission de données, caractérisé par le fait de détecter un décalage de phase que manifestent les symboles DMT non du type à transmission de données.

13. Emetteur à ondes porteuses multiples configuré pour transmettre des symboles DMT du type à transmission de données et des symboles DMT non du type à transmission de données, un symbole DMT non du type à transmission de données étant transmis après respectivement N symboles DMT du type à transmission de données, comprenant un moyen pour modifier les paramètres de transmission, caractérisé par la signalisation de changement de paramètres de transmission lors d'un décalage de phase que manifestent les symboles DMT non du type à transmission de données.

19. Récepteur à ondes porteuses multiples configuré pour recevoir des symboles DMT de réception de données et des symboles DMT non de réception de données, un symbole DMT non de réception de données étant reçu après respectivement N symboles DMT de réception de données, comprenant un moyen pour modifier les paramètres de réception, caractérisé par la détection d'un décalage de phase que manifestent les symboles DMT non de réception de données.

II / Sur la validité du brevet EP'020

A / Sur le grief d'extension du brevet au-delà du contenu de la demande antérieure telle que déposée

Les sociétés, HUAWEI TECHNOLOGIES FRANCE et SAGEMCOM BROADBAND, invoquent différents moyens de nullité du brevet EP'020 et font en particulier valoir que l'objet des revendications 1, 7, 13 et 19 de ce brevet n'était pas divulgué dans la demande antérieure telle que déposée, à savoir la demande PCT WO 2000/054473 du 10 mars 2000.

Ces sociétés définissent en premier lieu l'homme du métier comme un ingénieur spécialiste des communications numériques et en particulier de l'ADSL, qui connaît la norme ADSL et ses développements.

Elles soutiennent que cet homme du métier ne pouvait, de façon claire et sans ambiguité, déduire de la demande antérieure, les éléments divulgués dans les revendications opposées du brevet EP'020.

En particulier, elles exposent que le breveté a généralisé le problème technique à résoudre, lequel était à l'origine la modification transparente du débit de données, et est devenu, aux termes d'un nouveau paragraphe [0026] ajouté selon elles dans la description à seule fin de soutenir les nouvelles revendications, la modification simple et fiable des paramètres de transmission. Elles ajoutent que ce problème technique (modification simple et fiable des paramètres de transmission) est bien plus large que la modification transparente du débit de données, seule revendiquée à l'origine.

Les sociétés défenderesses soutiennent ensuite que, pour signaler l'adaptation de débit, la demande antérieure divulgue l'utilisation d'un symbole de synchronisation inversé fixe, tandis que les revendications opposées du brevet EP'020 visent un symbole DMT ne transportant pas de données, dont l'homme du métier ne pouvait en aucun cas déduire des seuls enseignements de la demande initiale que l'utilisation de ce seul symbole DMT pouvait produire une adaptation transparente du débit.

Les défenderesses concluent également à une extension non admissible de la demande divisionnaire EP'020, par rapport au contenu de la demande initiale, résultant de la suppression des caractéristiques tenant à l'utilisation de mots de codes d'une taille spécifique, d'un certain nombres de bits de parité pour le codage FEC, ainsi que d'un paramètre spécifique pour l'entrelaceur (revendications 23, 29, 30 et 31 de la demande initiale).

Elles précisent que l'homme du métier ne pouvait nullement déduire de la demande telle que déposée que l'adaptation de débit pouvait être réalisée de manière transparente indépendamment de ces caractéristiques.

Les sociétés défenderesses font encore valoir que la demande initiale décrit un protocole de signalisation comportant plusieurs étapes, dont l'homme du métier ne pouvait que déduire qu'elles étaient inextricablement liées pour parvenir à l'adaptation transparente de débit, et non que cet effet serait obtenu au moyen du seul changement de phase d'un symbole DMT non porteur de données.

Les sociétés HUAWEI TECHNOLOGIES FRANCE et SAGEMCOM BROADBAND, font de la même manière valoir qu'en abandonnant la caractéristique essentielle tirée du caractère transparent du changement de débit, le breveté a étendu de manière inadmissible le contenu de la demande telle que déposée.

Les sociétés HUAWEI TECHNOLOGIES FRANCE et SAGEMCOM BROADBAND, soutiennent enfin que, pour le cas où le tribunal retiendrait que les paramètres envisagés dans les revendications 1, 7, 13 et 19 du brevet, désignaient tous types de paramètres, y compris autres que le débit de données, il en résulterait encore une extension qui n'était pas enseignée à l'homme du métier par la demande antérieure.

La société BOUYGUES TELECOM fait sienne l'argumentation développée par les sociétés HUAWEI TECHNOLOGIES FRANCE et SAGEMCOM BROADBAND.

La société INTELLECTUAL VENTURES II conclut pour sa part à la validité du brevet EP'020.

Selon elle, l'homme du métier est un ingénieur spécialiste des technologies de communication mises en oeuvre dans les réseaux de communication haut débit, doté de compétences et connaissances moyennes ou ordinaires, et en aucun cas un expert, et moins encore un inventeur tel que [V] [B].

La société INTELLECTUAL VENTURES II soutient à cet égard que cet homme du métier pouvait parfaitement déduire l'invention divulguée par le brevet EP'020 du contenu de la demande telle que déposée, la conclusion inverse à laquelle parviennent les sociétés défenderesses étant selon elle fondée sur plusieurs inexactitudes.

Elle réfute par conséquent toute extension indue et fait d'abord valoir que le problème exposé, que la demande antérieure propose de surmonter, est celui de la fiabilité de la modification des paramètres de trasmission. L'homme du métier comprend donc selon elle du contenu global de la demande antérieure, que l'invention n'est pas limitée au cas d'un système ADSL, où le symbole DMT non du type à transmission de données est transmis après chaque transmission de 68 symboles DMT du type à transmission de données, et que, ce qui importe, est que ce symbole DMT non du type à transmission de données soit transmis avec une périodicité N qui dépend du type de système DMT mis en oeuvre (ADSL ou autre).

Elle rappelle que la demande antérieure indique d'ailleurs expressément à l'homme du métier qu'au-delà des systèmes ADSL, l'invention peut également être appliquée à "tout système qui utilise la modulation à porteuses multiples".

La société INTELLECTUAL VENTURES II ajoute que l'homme du métier comprend également à la lecture de la demande antérieure que ce n'est pas la valeur du décalage de phase du symbole DMT non du type à transmission de données qui importe, mais le décalage de phase, ce qui résulte au demeurant de la précision selon laquelle le décalage de phase peut prendre une valeur autre que 180o.

En droit, la société INTELLECTUAL VENTURES II soutient que rien n'impose que le problème technique formulé dans le brevet issu d'une demande divisionnaire soit identique à celui qui est formulé dans la demande antérieure et qu'au contraire, la jurisprudence des chambres de recours de l'OEB admet parfaitement la modification de la description d'une demande divisionnaire, notamment aux fins de reformuler le problème technique, à condition qu'il soit possible de déduire le problème précisé et sa solution du contenu global de la demande antérieure telle qu'elle avait été déposée.

Ici, il résulte selon elle de la demande antérieure qu'il existe "un besoin d'un système de transmission DMT amélioré qui surmonte les problèmes exposés précédemment" (l'utilisation par l'émetteur et le récepteur de paramètres de transmission différents). A cette fin, le brevet EP'020 propose de fournir une transmission DMT améliorée dans laquelle les paramètres de transmission peuvent être modifiés de manière simple et/ou fiable (cf. paragraphe [0026]).

Il en résulte que le problème technique qui se déduit de la demande antérieure n'est pas limité à la modification du débit de données mais vise expressément plusieurs paramètres de transmission qui, dans l'art antérieur, peuvent être discordants à l'issue de leur modification, et de ce fait entraîner des erreurs de transmission. Le débit de données n'est d'après la demanderesse cité dans la demande antérieure que comme l'un de ces paramètres de transmission parmi d'autres.

En outre, la société INTELLECTUAL VENTURES II soutient que la question du caractère "transparent" de la modification de paramètres de transmission, c'est-à-dire sa capacité à être réalisée sans interruption de l'émission et de la réception des données, ne fait pas partie du problème technique que l'homme du métier déduit de la demande antérieure. Elle expose en effet que la demande antérieure fait expressément référence à deux méthodes de modification des paramètres de transmission de l'art antérieur, l'une (la méthode dite de l'adaptation de débit dynamique ou DRA) n'est pas transparente, tandis que l'autre (la méthode dite du "transfert de bits" ou Bit Swapping) est transparente. Il en résulte selon elle que le problème technique à résoudre se pose y compris dans une méthode de l'art antérieur qui est transparente. La demanderesse précise qu'il s'agit de proposer une modification simple et fiable des paramètres de transmission , même lorsque la méthode utilisée est déjà transparente.

La société INTELLECTUAL VENTURES II fait encore valoir que, contrairement aux affirmations des sociétés défenderesses, la demande antérieure n'utilise à aucun moment l'expression "symbole de synchronisation fixe". Elle évoque un symbole de synchronisation tel que défini dans les normes ANSI et UIT, lesquelles ne concernent que l'ADSL. Or, la demande antérieure indique expressément à l'homme du métier, qu'au-delà des systèmes ADSL, l'invention peut également être appliquée à tout type de système DMT dont elle fournit plusieurs exemples. L'homme du métier comprend donc que l'invention n'est pas limitée aux systèmes ADSL, dans lesquels le symbole DMT non du type à transmission de données utilisé pour la signalisation est transmis après chaque transmission de 68 symboles DMT du type à transmission de données, et que, ce qui importe, est que ce symbole DMT non du type à transmission de données soit transmis avec une périodicité N qui dépend du type de système DMT mis en oeuvre (ADSL ou autre).

La solution au problème technique, à savoir un procédé caractérisé par la signalisation simple et robuste du changement de paramètres de transmission au moyen d'un décalage de phase d'un symbole DMT non du type à transmission de données transmis périodiquement, n'est donc en aucun cas étroitement liée à une étape "d'échange" de table BAT.

La demanderesse soutient enfin que la demande antérieure indique expressément qu'un décalage de phase autre que 180o peut être utilisé, de sorte qu'il n'est pas exact selon elle de soutenir que la demande antérieure ne décrirait qu'une inversion du symbole de synchronisation, de même que la demande antérieure enseigne à l'homme du métier, de façon directe et non ambigue, un décalage de phase du symbole de façon indépendante des caractéristiques relatives aux mots de code et à l'entrelaceur.

Sur ce,

1o) Les normes applicables

Selon l'article L.614-12 du code de la propriété intellectuelle, "La nullité du brevet européen est prononcée en ce qui concerne la France par décision de justice pour l'un quelconque des motifs visés à l'article 138, paragraphe 1, de la Convention de Munich.
Si les motifs de nullité n'affectent le brevet qu'en partie, la nullité est prononcée sous la forme d'une limitation correspondante des revendications.
Dans le cadre d'une action en nullité du brevet européen, son titulaire est habilité à limiter le brevet en modifiant les revendications conformément à l'article 105 bis de la convention de Munich ; le brevet ainsi limité constitue l'objet de l'action en nullité engagée."

Selon l'article 138 "Nullité des brevets européens" de la Convention sur la délivrance de brevets européens signée à Munich le 5 octobre 1973, "(1) Sous réserve de l'article 139, le brevet européen ne peut être déclaré nul, avec effet pour un État contractant, que si : (...)
c) l'objet du brevet européen s'étend au-delà du contenu de la demande telle qu'elle a été déposée ou, lorsque le brevet a été délivré sur la base d'une demande divisionnaire ou d'une nouvelle demande déposée en vertu de l'article 61, si l'objet du brevet s'étend au-delà du contenu de la demande antérieure telle qu'elle a été déposée ;"

S'agissant des "Demandes divisionnaires européennes", il résulte de l'article 76 de cette même Convention que "(1) Toute demande divisionnaire de brevet européen doit être déposée directement auprès de l'Office européen des brevets conformément au règlement d'exécution. Elle ne peut être déposée que pour des éléments qui ne s'étendent pas au-delà du contenu de la demande antérieure telle qu'elle a été déposée ; dans la mesure où il est satisfait à cette exigence, la demande divisionnaire est réputée déposée à la date de dépôt de la demande antérieure et bénéficie du droit de priorité."

Enfin, aux termes de l'article 123 "Modifications" de la Convention, "(1) Les conditions dans lesquelles une demande de brevet européen ou un brevet européen, au cours de la procédure devant l'Office européen des brevets, peut être modifié sont prévues par le règlement d'exécution. En tout état de cause, le demandeur peut, de sa propre initiative, modifier au moins une fois la description, les revendications et les dessins.
(2) Une demande de brevet européen ou un brevet européen ne peut être modifié de manière que son objet s'étende au-delà du contenu de la demande telle qu'elle a été déposée."

En application de l'article 76 de la Convention de Munich, une demande divisionnaire de brevet ne permet pas de protéger des caractéristiques autres que celles contenues dans la demande initiale. (Cass. Com., 18 octobre 1994, pourvoi no 92-16.299, Bull. 1994, IV, no 289)

Il est également jugé que, dans le cas des demandes divisionnaires, il convient d'appliquer les mêmes principes, pour déterminer si l'objet s'étend au-delà du contenu de la demande antérieure telle qu'elle a été déposée, que ceux qui découlent de l'article 123 (2) de la Convention (voir G 1/05, JO 2008, 271, point 5.1 des motifs).

Interprétant la notion d'extension non admissible au sens de l'article 123 (2) précité de la Convention de Munich, la Grande Chambre des recours de l'OEB a énoncé, aux points 9 et s. des motifs de sa décision G 1/93 du 2 février 1993 (JO OEB 1994, 541), que :

"9. En ce qui concerne l'article 123(2) CBE, il est clair que l'idée sous-jacente de cette disposition est d'interdire à un demandeur de conforter sa position par l'ajout d'un élément non divulgué dans la demande telle qu'elle a été déposée, ce qui lui procurerait un avantage injustifié et pourrait porter préjudice à la sécurité juridique des tiers se fondant sur le contenu de la demande initiale. (...)"

La jurisprudence des chambres de recours techniques soumet en outre la pratique de la "généralisation intermédiaire", qui consiste à puiser des caractéristiques isolées dans un ensemble de caractéristiques divulguées à l'origine uniquement de façon combinée, à des conditions strictes :

"Comme indiqué au point 2.3 des motifs de la décision T 17/86 (JO OEB 1989, 297), une caractéristique technique revendiquée séparément de la combinaison avec d'autres caractéristiques qui a été divulguée peut être introduite dans une revendication sans contrevenir aux dispositions de l'article 123(2) CBE, à condition qu'il "apparaisse sans ambiguïté à l'homme du métier, à la lecture de la description d'origine, que cette caractéristique isolée permet, à elle seule, d'obtenir le résultat recherché".

Pour une revendication portant sur un dispositif, il "appartient donc d'examiner si les pièces du dépôt révélaient de manière intangible toutes les caractéristiques techniques du dispositif couvert par la revendication modifiée et s'il apparaît sans ambiguïté à l'homme du métier que le dispositif peut fonctionner indépendamment de l'adjonction d'un quelconque autre élément pour obtenir le résultat visé par l'invention telle que maintenant revendiquée". (Décision du 25 novembre 1998, no T 0284/94, JO 1999, 464)

La jurisprudence constante des chambres de recours techniques prohibe de la même manière la pratique de généralisation intermédiaire consistant à supprimer la caractéristique tenant au but recherché.

Il a ainsi été jugé, à propos de la suppression de l'expression "utilisable dans un procédé d'extrusion-couchage pour application sur un support ou dans un procédé d'extrusion- lamination pour coller entre eux plusieurs supports de nature différente ou non, dans une large gamme de température", que :

"2.3.2 La requérante a fait valoir que la suppression des indications initialement prévues par la revendication 1 telle que déposée ne changerait en rien l'enseignement technique de la demande originale. Selon elle, cette définition indiquerait tout simplement des usages possibles de la composition, mais ne limiterait pas la nature de la composition en tant que telle. En outre, il n'y aurait aucune preuve que certaines compositions "adhésives" telles que revendiquées ne peuvent pas être employées dans les procédés mentionnés ci-dessus.

2.3.3 La Chambre relève que toutes les parties de la demande telle que déposée qui divulguent une composition adhésive comprenant des copolymères éthyléniques selon l'invention (revendication 1, page 1, premier paragraphe; page 2, dernier paragraphe; page 3, troisième paragraphe), exigent que ladite composition soit susceptible d'être utilisée dans des procédés d'extrusion-couchage et d'extrusion-lamination. Par conséquent, c'est seulement si toutes les compositions définies par la revendication 1 modifiée étaient utilisables dans les procédés mentionnés ci-dessus que la suppression de la référence à cette exigence n'étendrait pas l'objet du brevet au-delà du contenu de la demande telle que déposée." (Décision du 29 novembre 2018, no T 1143/17)

Il convient de rappeler en outre que l'homme du métier est celui du domaine technique où se pose le problème que l'invention, objet du brevet, se propose de résoudre (Cass. Com., 20 novembre 2012, pourvoi no11-18.440).

2o) Application dans cette affaire

En l'occurrence, l'invention concerne les systèmes et procédés de communication utilisant une modulation à ondes porteuses multiples à adaptation de débit. Il en résulte que l'homme du métier est un ingénieur spécialiste des technologies de communication mises en oeuvre dans les réseaux de communication haut débit, et qui, à ce titre, a connaissance des normes en vigueur.

Il résulte en outre de la comparaison de la demande divisionnaire avec la demande antérieure telle que déposée, qu'hormis l'ajout de deux paragraphes ([0026] et [0027]), les descriptions contenues dans les deux fascicules sont identiques, de même que les dessins.

Les revendications sont en revanche sensiblement différentes. Le tableau ci-dessous permet d'effectuer cette comparaison :

Demande PCTWO2000/054473EP 1 694 020
1. A method for seamlessly changing a transmission bit rate in a multicarrier transmission system, the method comprising:
providing a plurality of codewords (i) having a specified codeword size, and (ii) including a specified number of parity bits for forward error correction ;
providing a specified interleaving parameter for interleaving the plurality of codewords;
transmitting a first plurality of codewords at a first transmission bit rate;
changing the first transmission bit rate to a second transmission bit rate; and
transmitting a second plurality of codewords at the second transmission bit rate, wherein
the specified interleaving parameter, the specified codeword size, and the specified number of parity bits for forward error correction used for the first plurality of codewords are used for the second plurality of codewords to achieve a seamless change in transmission bit rate.

1. Procédé pour changer sans coupure un débit binaire d'émission dans un système d'émission multiporteuse, le procédé comprenant les opérations consistant à :
disposer d'une pluralité de mots-codes (i) ayant une taille de mot-code spécifiée, et (ii)
comprenant un nombre spécifié de bits de parité pour la correction d'erreur directe ;
disposer d'un paramètre d'entrelacement spécifié pour entrelacer la pluralité de mots-codes ; 
émettre une première pluralité de mots-codes à un premier débit binaire d'émission ;
changer le premier débit binaire d'émission en un deuxième binaire d'émission ; et
émettre une deuxième pluralité de mots-codes au deuxième débit binaire d'émission, dans lequel le paramètre d'entrelacement spécifié, la taille de mot-code spécifiée, et le nombre spécifié de bits de parité pour la correction d'erreur directe utilisés pour la première pluralité de mots-codes sont utilisés pour la deuxième pluralité de mots-codes afin que soit réalisé sans coupure un changement du débit binaire d'émission. 1. Method of changing transmission parameters in a multicarrier transmitter configured to transmit data-carrying DMT symbols and non-data carrying DMT symbols, with a non-data carrying DMT symbol being transmitted after every N data-carrying DMT symbols, characterized by signaling a change in transmission parameters with a change in phase of the non-data carrying DMT symbol.

1. Procédé de modification de paramètres de transmission dans un émetteur à ondes porteuses multiples, qui est configuré pour transmettre des symboles DMT du type à transmission de données et des symboles DMT non du type à transmission de données, un symbole DMT non du type à transmission de données étant transmis après respectivement N symboles DMT du type à transmission de données, caractérisé par le fait de signaler un changement de paramètres de transmission lors d'un décalage de phase des symboles DMT non du type à transmission de données.
29. The method of claim 23 wherein the synchronizing includes sending a flag signal.

29. Procédé selon la revendication 23, dans lequel la synchronisation comprend l'envoi d'un signal de drapeau. 7. Method of changing reception parameters in a multicarrier receiver configured to receive data-carrying DMT symbols and non-data carrying DMT symbols, with a non-data carrying DMT symbol being received after every N data-carrying DMT symbols, characterized by detecting a change in phase of the non-data carrying DMT symbol.

7. Procédé de modification de paramètres de réception dans un émetteur à ondes porteuses multiples, qui est configuré pour recevoir des symboles DMT du type à transmission de données et des symboles DMT non du type à transmission de données, un symbole DMT non du type à transmission de données étant reçu après respectivement N symboles DMT du type à transmission de données, caractérisé par le fait de détecter un décalage de phase que manifestent les symboles DMT non du type à transmission de données.
32. The method of claim 30 wherein the predefined signal is an inverted sync symbol.

32. Procédé selon la revendication 30, dans lequel le signal prédéfini est un symbole de synchronisation inversée. 13. A multicarrier transmitter configured to transmit data-carrying DMT symbols and non-data carrying DMT symbols, with a non-data carrying DMTsymbol being transmitted after every N data-carrying DMT symbols, comprising means for changing transmission parameters characterized by signaling a change in transmission parameters with a change in phase of the non-data carrying DMTsymbol.

13. Émetteur à ondes porteuses multiples configuré pour transmettre des symboles DMT du type à transmission de données et des symboles DMT non du type à transmission de données, un symbole DMT non du type à transmission de données étant transmis après respectivement N symboles DMT du type à transmission de données, comprenant un moyen pour modifier les paramètres de transmission, caractérisé par la signalisation de changement de paramètres de transmission lors d'un décalage de phase que manifestent les symboles DMT non du type à transmission de données.
33. The method of claim 29, further comprising using the first bit allocation table for transmitting a plurality of DMT symbols at the first transmission bit rate and switching to the second bit allocation table for transmitting the plurality of the DMT symbols at the second transmission bit rate, wherein the second bit allocation table is used for transmission starting with a predetermined one of the DMTsymbols that follows the transmission ofthe flag signal.

33. Procédé selon la revendication 29, comprenant en outre l'utilisation de la première table d'allocation de bits pour émettre une pluralité de symboles DMT au premier débit binaire d'émission et passer à la deuxième table d'allocation de bits pour émettre la pluralité des symboles DMT au deuxième débit binaire d'émission, dans lequel la deuxième table d'allocation de bits est utilisée pour une émission commençant par l'un prédéterminé parmi les symboles DMT qui suit l'émission du signal de drapeau19. A multicarrier receiver configured to receive data-carrying DMT symbols and non-data carrying DMT symbols, with a non-data carrying DMT symbol being received after every N data-carrying DMT symbols, comprising means for changing reception parameters characterized by detecting a change in phase of the non-data carrying DMTsymbol.

19. Récepteur à ondes porteuses multiples configuré pour recevoir des symboles DMT de réception de données et des symboles DMT non de réception de données, un symbole DMT non de réception de données étant reçu après respectivement N symboles DMTde réception de données, comprenant un moyen pour modifier les paramètres de réception, caractérisé par la détection d'un décalage de phase que manifestent les symboles DMT non de réception de données.

La comparaison met en évidence l'abandon dans le brevet EP'020 de nombreuses caractéristiques techniques contenues dans la demande antérieure, ce qui, ainsi que le relève à juste titre la société INTELLECTUAL VENTURES II, n'est pas en soi interdit.

L'objet du brevet EP'020 consiste ainsi dans l'envoi, en décalage de phase, d'un symbole DMT non du type à transmission de données aux fins de prévenir d'un changement "des paramètres de transmission".

La demande antérieure enseignait quand à elle un dispositif complet, comprenant un procédé de tramage et d'encodage réduisant le nombre de bits de données de surdébit par symbole DMT, ainsi qu'un protocole "robuste et rapide", pour prévenir de l'adaptation de débit par l'envoi d'une nouvelle table d'allocation des Bits, consistant dans l'envoi d'un "fanion" sous la forme d'un "symbole sync inverse", l'ensemble permettant d'aboutir à un nouveau système ADSL ayant la capacité d'adapter le débit de données de manière transparente.

Certes, une phrase du paragraphe [0079] mentionne que d'autres décalages de phase que le décalage de 180o (symbole sync inverse) sont possibles, mais l'homme du métier ne pouvait en aucun cas déduire, directement et sans ambiguité, de la demande initiale telle que déposée, que cette modalité, présentée comme une simple possibilité, permettrait de parvenir au résultat d'une adaptation transparente du débit.

Il n'est au demeurant pas crédible et n'est d'ailleurs pas allégué que l'envoi d'un symbole DMT non du type à transmission de données en décalage de phase permet de réaliser une adaptation de débit sans interruption du système.

La société INTELLECTUAL VENTURES II soutient en effet que l'adaptation transparente de débit n'était pas le résultat recherché par la demande antérieure.

Or, ainsi qu'il a été vu précédemment, il n'est pas douteux que l'objet de la demande antérieure, tel que cela résultait des revendications, de la description et des dessins, et même de son titre, était de proposer un procédé transparent ou sans coupure ("seamless") d'adaptation du débit dans un système ADSL.

Il en résulte non seulement une généralisation intermédiaire interdite par suppression de la caractéristique tenant au but recherché, mais encore, l'ajout d'une caractéristique technique non divulguée en tant que telle dans la demande antérieure : l'envoi d'un symbole DMT non du type à tarnsmission de données en décalage de phase pour prévenir d'un changement de l'un quelconque des paramètres de transmission, là où la demande antérieure enseignait un protocole complet comprenant notamment l'envoi d'un symbole sync inverse pour prévenir de la modification du seul paramètre devant être adapté à savoir la BAT.

Cette double généralisation intermédiaire aboutit incontestablement à augmenter l'étendue de la protection conférée par le brevet par rapport à la demande antérieure.

Il s'en déduit que les revendications 1, 7, 13 et 19 du brevet EP'020 réalisent une extension de ce brevet au-delà de la demande telle que déposée contraire aux articles 76 et 138 de la Convention de Munich.

Les revendications opposées no1, 7, 13 et 19 du brevet EP'020 ne peuvent donc qu'être annulées.

B/ Sur les conséquences

L'annulation des revendications opposées 1, 7, 13 et 19 du brevet EP'020 prive de fondement les demandes au titre de la contrefaçon, qui ne peuvent dès lors qu'être rejetées sans qu'il y ait lieu d'examiner les autres moyens de nullité du brevet.

Il n'est fait état d'aucun préjudice justifiant de faire droit à la demande de publication du présent jugement. Cette demande reconventionnelle présentée par les sociétés BOUYGUES, HUAWEI TECHNOLOGIES FRANCE et SAGEMCOM BROADBAND, sera donc rejetée.

Partie perdante au sens de l'article 696 du code de procédure civile, la société INTELLECTUAL VENTURES II sera condamnée aux dépens, ainsi qu'à payer aux sociétés BOUYGUES TELECOM et SAGEMCOM BROADBAND la somme de 100.000 euros chacune sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi que la somme de 200.000 euros sur le même fondement à la société HUAWEI TECHNOLOGIES FRANCE.

Nécessaire et compatible avec la nature de l'affaire, l'exécution provisoire sera ordonnée, sauf en ce qui concerne la transcription au Registre National des Brevets.

PAR CES MOTIFS,

Statuant publiquement par mise à disposition au greffe, contradictoirement et en premier ressort,

LE TRIBUNAL

Dit que les revendications 1, 7, 13 et 19 de la partie française du brevet EP 1 694 020 sont nulles pour extension du brevet au-delà de la demande antérieure telle que déposée ;

Ordonne, à l'initiative de la partie la plus diligente, la transmission de la présente décision, une fois passée en force jugée, à l'INPI aux fins d'inscription au Registre National des Brevets ;

Rejette par conséquent toutes les demandes fondées sur la contrefaçon de ce brevet ;

Rejette les demandes de publication de la présente décision ;

Condamne la société INTELLECTUAL VENTURES II aux dépens et autorise Maîtres [G], [X] et [R], à recouvrer directement ceux dont ils auraient fait l'avance sans avoir reçu provision, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile ;

Condamne la société INTELLECTUAL VENTURES II à payer aux sociétés BOUYGUES TELECOM et SAGEMCOM BROADBAND, chacune, la somme de 100.000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi que la somme de 200.000 euros à la société HUAWEI TECHNOLOGIES FRANCE sur le même fondement ;

Ordonne l'exécution provisoire de la présente décision, sauf en ce qui concerne sa transcription au Registre National des Brevets.

Fait et jugé à Paris le 23 septembre 2021.

LA GREFFIERELA PRESIDENTE


Synthèse
Tribunal : Tribunal de grande instance de Paris
Formation : Ct0196
Numéro d'arrêt : 17/13837
Date de la décision : 23/09/2021

Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.grande.instance.paris;arret;2021-09-23;17.13837 ?
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