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13/08/2021 | FRANCE | N°20/01357

France | France, Tribunal de grande instance de Paris, Ct0196, 13 août 2021, 20/01357


TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE [Localité 6]

3ème chambre
2ème section

No RG 20/01357
No Portalis 352J-W-B7E-CRT5Q

No MINUTE :

Assignation du :
31 Janvier 2020

JUGEMENT
rendu le 13 Août 2021
DEMANDERESSE

Madame [K] [X]
[Adresse 2]
[Adresse 1] (SUISSE)

représentée par Me Pierre LAUTIER, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #B0925

DÉFENDERESSE

S.A.S.U. MAJE
[Adresse 3]
[Localité 4]

représentée par Maître Julien CANLORBE de la SELARL MOMENTUM AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, vestia

ire #G0343

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Florence BUTIN, Vice-Présidente
Catherine OSTENGO, Vice-présidente
Elise MELLIER, Juge

assistée de Quentin CURABE...

TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE [Localité 6]

3ème chambre
2ème section

No RG 20/01357
No Portalis 352J-W-B7E-CRT5Q

No MINUTE :

Assignation du :
31 Janvier 2020

JUGEMENT
rendu le 13 Août 2021
DEMANDERESSE

Madame [K] [X]
[Adresse 2]
[Adresse 1] (SUISSE)

représentée par Me Pierre LAUTIER, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #B0925

DÉFENDERESSE

S.A.S.U. MAJE
[Adresse 3]
[Localité 4]

représentée par Maître Julien CANLORBE de la SELARL MOMENTUM AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #G0343

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Florence BUTIN, Vice-Présidente
Catherine OSTENGO, Vice-présidente
Elise MELLIER, Juge

assistée de Quentin CURABET, Greffier

DEBATS

A l'audience du 18 Juin 2021 en audience publique devant Florence BUTIN et Catherine OSTENGO, juges rapporteurs, qui, sans opposition des avocats, ont tenu seules l'audience, et, après avoir entendu les conseils des parties, en ont rendu compte au Tribunal, conformément aux dispositions de l'article 805 du Code de Procédure Civile.
Avis a été donné aux parties que le jugement serait rendu par mise à disposition au greffe le 13 Août 2021

JUGEMENT

Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe
Contradictoire
en premier ressort

FAITS, PROCEDURE ET PRETENTIONS DES PARTIES :

[K] [X] se présente comme directrice stratégie au sein d'une agence de communication et influenceuse, activité qu'elle exerce parallèlement dans le cadre d'une entreprise individuelle. Elle édite et exploite un blog à l'adresse htpp://mercredie.com, sur lequel elle diffuse notamment des selfies réalisés dans un ascenseur lui permettant de montrer ses tenues qui sont « taguées » à destination des internautes pour leur permettre d'identifier et d'acquérir les vêtements qu'elle porte.
La société MAJE SAS a pour activité la commercialisation, l'importation et l'exportation d'articles de prêt-à-porter et d'accessoires de mode en France et à l'étranger. Elle exploite des boutiques et corners à l'enseigne éponyme ainsi qu'un site de vente en ligne accessible à l'adresse etlt;www.maje.cometgt;.

Reprochant à la société MAJE d'avoir lancé une campagne publicitaire relative à sa collection automne-hiver 2019 intitulée « MAJE, MY DOG AND I » qu'elle estimait constituée d'une reprise des visuels publiés sur son blog, [K] [X] lui a adressé le 16 septembre 2019 un courrier lui demandant de cesser ces agissements et de lui présenter une offre indemnitaire, lequel a été suivi de plusieurs échanges entre les parties ne permettant pas de mettre un terme amiable au litige les opposant.

C'est dans ce contexte que par acte d'huissier délivré le 31 janvier 2020, [K] [X] a fait assigner la société MAJE devant le tribunal judiciaire de Paris sur le fondement des règles relatives à la contrefaçon de droits d'auteur et à la concurrence déloyale, sollicitant aux termes de son acte introductif d'instance le prononcé de différentes mesures réparatrices et indemnitaires.

Par ordonnance rendue le 23 octobre 2020, le juge de la mise en état, saisi à l'initiative de la société MAJE, a notamment écarté les fins de non-recevoir tirées de l'absence d'identification de l'oeuvre et des caractéristiques revendiquées, dit que l'absence de démonstration de l'originalité alléguée constituait un moyen de fond échappant à la compétence du juge de la mise en état et enfin, dit que le moyen opposé aux prétentions fondées sur la concurrence déloyale ne s'analysait pas plus en une fin de non-recevoir, ce aux motifs que les demandes avaient été circonscrites à une seule photographie dont l'ensemble des caractéristiques constitutives selon la demanderesse d'une combinaison originale étaient énumérées, et que l'existence ou non d'un avantage concurrentiel retiré des agissements dénoncés ne mettait pas en cause les qualité et intérêt à agir de [K] [X] mais le bien-fondé des prétentions qu'elle formulait au titre de la concurrence déloyale.

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 1er février 2021, [K] [X] demande au tribunal de :

Vu les pièces,
Vu l'article L. 222-4 du code de la propriété intellectuelle
Vu l'article L. 131-3 du code de la propriété intellectuelle
Vu les articles L. 121-1 et L. 121-2 du code de la propriété intellectuelle

Principalement,

CONSTATER que la société MAJE s'est rendue coupable d'actes de contrefaçon en reproduisant illicitement la photographie de [K] [X] à des fins publicitaires ;

En conséquence,

CONDAMNER la société MAJE à payer à [K] [X] la somme de 70 000 euros (soixante-dix mille euros) à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice matériel que cette dernière a subi en raison des actes de contrefaçon commis ;

CONDAMNER la société MAJE à payer à [K] [X] la somme de 100 000 euros (cent mille euros) à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral que cette dernière a subi en raison des actes de contrefaçon commis ;

Subsidiairement, dans l'hypothèse où le tribunal devait ne pas retenir les actes de contrefaçon visés ci-dessus, sur les actes de concurrence déloyale et parasitaire :

CONSTATER que la société MAJE s'est rendue coupable d'actes de concurrence déloyale en créant un risque manifeste de confusion créé pour le public ainsi que le discrédit qui en résulte pour [K] [X] (sic) ;

En conséquence,

CONDAMNER la société MAJE à payer à [K] [X] la somme de 70 000 euros (soixante-dix mille euros) à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice matériel que cette dernière a subi en raison des actes de concurrence déloyale commis ;

CONDAMNER la société MAJE à payer à [K] [X] la somme de 100 000 euros (cent mille euros) à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral que cette dernière a subi en raison des actes de concurrence déloyale commis ;

En tout état de cause,

ORDONNER à la société MAJE de cesser toute exploitation publicitaire des reproductions de la photographie de [K] [X] ;

Et,

CONDAMNER la société MAJE à payer à [K] [X] la somme de 10 000 euros (dix mille euros) au titre des frais irrépétibles engendrés par la présente instance en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNER la société MAJE à payer à [K] [X] la somme 62,43 euros, 313,08 euros, 422,56 euros et 307,67 euros pour un montant total de 1105,74 euros (mille cent cinq euros et soixante-quatorze centimes) au titre des frais d'huissier pour la signification de l'assignation et les différents constats (Pièce no40) ;

LA CONDAMNER aux entiers dépens de la présente instance ;

ASSORTIR la présente décision de l'exécution provisoire.

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 11 mars 2021, la société MAJE demande au tribunal de :

Vu l'article L. 332-1 du code la propriété intellectuelle,
Vu le Livre I du code de la propriété intellectuelle,
Vu le principe de la liberté du commerce et de l'industrie,
Vu l'article 10 bis de la Convention d'Union de [Localité 5] du 20 mars 1883,
Vu l'article 1240 du code civil,

DEBOUTER [K] [X] de l'intégralité de ses demandes,

CONDAMNER [K] [X] à payer à la société MAJE la somme de quinze mille euros (15.000 euros) au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

CONDAMNER [K] [X] aux entiers dépens.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 18 mars 2021 et l'affaire plaidée le 18 juin 2021.

Pour un exposé complet de l'argumentation des parties il est, conformément à l'article 455 du code de procédure civile, renvoyé à leurs dernières conclusions précitées.

MOTIFS DE LA DECISION

1- Demandes fondées sur le droit d'auteur

1-1- Titularité des droits invoqués

La société MAJE expose que [K] [X] communique plusieurs versions de la photographie en cause présentant des différences de luminosité et de contraste, de sorte que l'oeuvre revendiquée est insuffisamment déterminée.

Elle soutient ensuite que la date de divulgation de ce cliché est incertaine en ce qu'il fait partie d'une « story » publiée sur le compte Instagram de la demanderesse, ce qui implique une durée de diffusion limitée à 24 heures et une accessibilité réduite à un groupe restreint d'utilisateurs - de la part desquels une action positive est requise - et que si le visuel litigieux a été rendu public le 28 juillet 2018 comme affirmé, de nombreux exemples d'influenceuses se mettant en scène dans des ascenseurs en compagnie d'un chien privent la photographie en cause de toute originalité.

[K] [X] répond que l'oeuvre qu'elle revendique est précisément identifiée - d'autres clichés ayant seulement vocation à illustrer sa démarche artistique - et qu'elle énumère les caractéristiques qu'elle estime originales, ajoutant que la date de la première publication fait l'objet d'un constat d'huissier de sorte qu'elle n'est pas utilement contestée.

Sur ce,

En application de l'article L. 113-1 du code de la propriété intellectuelle, la qualité d'auteur appartient sauf preuve contraire à celui ou à ceux sous le nom de qui l'oeuvre est divulguée.

Le procès-verbal d'huissier du 12 janvier 2021 (pièce DMD 30) montrant que la consultation des archives du compte Instagram de [K] [X] permet d'accéder à la « story » litigieuse et à la photographie concernée postée le 27 juillet 2018, la société MAJE - qui se limite à souligner le caractère éphémère et restreint de telles publications - ne peut contester cette date de divulgation alors qu'elle-même ne produit aucun élément objectif remettant en cause la force probante des constatations opérées. Elle ne peut pas non plus soutenir que le visuel serait insuffisamment identifié, dans la mesure où les supports utilisés contiennent à l'évidence le même cliché représenté avec des différences de contraste et de lumière qui ne sont pas revendiquées comme participant à l'originalité alléguée.
Les moyens visant à combattre la titularité des droits invoqués doivent en conséquence être écartés.

1-2- Originalité de la photographie en cause

[K] [X] expose qu'elle ne revendique pas la protection d'un style photographique mais bien celle d'une oeuvre portant l'empreinte de sa personnalité, laquelle ressort de choix artistiques faisant appel à son univers créatif et consistant dans le choix du décor - une cage d'ascenseur au revêtement argenté éclairée par une lumière artificielle - l'utilisation de la technique du selfie, l'adoption d'une posture particulière - la laisse de son chien dans une main, son téléphone dans l'autre et le regard orienté vers le bas - et le choix d'un cadrage permettant un format vertical pour mettre en valeur sa tenue. Elle ajoute que le cliché en cause s'inscrit dans un rituel connu de ses abonnés et vécu par ceux-ci comme un rendez-vous quotidien proposé par une femme active et dynamique à laquelle ils peuvent s'identifier, ce qui est une démarche singulière ne ressortant pas des antériorités opposées même si elles montrent d'autres influenceuses se photographiant dans des cages d'ascenseurs avec un chien.

Elle soutient enfin que l'originalité de sa démarche est démontrée par les réactions de ses abonnés qui la reconnaissent et l'ont pour cette raison interpellée sur la ressemblance entre celle-ci et le mannequin de la campagne publicitaire de la société MAJE.

La défenderesse répond que [K] [X] se borne à décrire un genre photographique sans expliciter les raisons ayant motivé ses choix ni le caractère particulièrement original de la mise en forme et du traitement de ce style, et que la pratique du selfie réalisé avec un téléphone mobile est très largement répandue comme le montre une consultation des réseaux sociaux offrant de multiples exemples de "selfie elevators" dans des environnements très similaires communs aux ascenseurs, qui constituent par excellence un cadre de vie quotidienne permettant de se regarder et de s'apprêter. Elle ajoute que la posture adoptée est également dictée par les circonstances de prise du cliché que l'inclinaison du visage vers le bas permet de mieux réussir, et que le fait de se mettre en scène avec un chien dans le même contexte a précédemment été mis en vogue par plusieurs influenceuses. Elle soutient encore que la posture adoptée par la demanderesse correspond à des astuces connues et relayées par la presse comme permettant d'obtenir un "selfie réussi" et que de même, la tenue de [K] [X] correspond en tous points à la mise en oeuvre de conseils prodigués par la presse féminine.

Sur ce,

L'article L. 111-1 du code de la propriété intellectuelle dispose que l'auteur d'une oeuvre de l'esprit jouit sur cette oeuvre, du seul fait de sa création et dès lors qu'elle est originale, d'un droit de propriété incorporelle exclusif comportant des attributs d'ordre intellectuel et moral ainsi que des attributs d'ordre patrimonial. L'originalité de l'oeuvre, qu'il appartient à celui invoquant la protection de caractériser, suppose qu'elle soit issue d'un travail libre et créatif et résulte de choix arbitraires révélant la personnalité de son auteur.

La reconnaissance de la protection par le droit d'auteur ne repose donc pas sur un examen de l'oeuvre invoquée par référence aux antériorités produites, même si celles-ci peuvent contribuer à l'appréciation de la recherche créative. L'originalité de l'oeuvre peut résulter du choix des couleurs, des dessins, des formes, des matières ou des ornements mais également, de la combinaison originale d'éléments connus.

Lorsque la protection est contestée en défense, l'originalité doit être explicitée et démontrée par celui s'en prétendant auteur qui doit permettre l'identification des éléments au moyen desquels cette preuve est rapportée.

Dans le cas d'espèce, le fait que la démarche de [K] [X] s'inscrive dans un rituel quotidien peut être considéré pour autant qu'il se traduise visuellement dans la photographie revendiquée, le droit d'auteur ne pouvant en effet s'appliquer à une idée ou à un concept indépendamment de sa réalisation matérielle. Or s'il est exact que plusieurs des exemples opposés concernent des influenceuses arborant des postures ou des tenues s'écartant de ce registre de la vie quotidienne - telles que [Z] [N] ou [V] [Y] - il n'en va pas de même pour toutes les photographies issues du constat d'huissier du 17 septembre 2019 sur Instagram (pièce DFD 4.4, annexes 7 à 22) montrant ainsi que la bloggeuse MAJAWYH s'est à plusieurs reprises également photographiée dans un ascenseur avec son chien et des accessoires évocateurs d'une activité ordinaire tels que des paquets ou un panier. Dans ces conditions, les caractéristiques invoquées tenant à l'apparence physique, à l'attitude et aux choix vestimentaires de la demanderesse ne peuvent, même en combinaison, être considérées comme procédant d'une empreinte personnelle reconnaissable permettant de les dire originales.

Les demandes fondées sur le droit d'auteur ne peuvent en conséquence être accueillies.

2- Demandes fondées sur la concurrence déloyale et le parasitisme

[K] [X] expose qu'elle anime un blog au moyen duquel elle présente des vêtements dans le cadre de partenariats ou de campagnes promotionnelles en collaboration avec des marques et a créé une entreprise individuelle à son nom afin d'exercer son activité d'influenceuse, de sorte qu'elle a bien la qualité d'acteur de la vie des affaires. Elle soutient qu'elle-même et la société MAJE entretiennent un rapport de concurrence en ce qu'elles relèvent toutes deux du secteur de la mode et réalisent des opérations de communication pour promouvoir certains articles d'habillement féminin, et que la confusion entretenue par les agissements dénoncés ressort de messages d'abonnés soulignant les similitudes entre les deux visuels. Elle ajoute que la défenderesse a exploité de façon massive une photographie ne lui appartenant pas en lui causant ainsi un préjudice certain.

La société MAJE répond que le rejet de demandes au titre de la contrefaçon n'implique pas automatiquement que les ressemblances alléguées puissent fonder une action en concurrence déloyale ou parasitaire qui suppose la caractérisation d'une faute, et qu'aucune valeur économique individualisée appropriable n'est ici démontrée. Elle rappelle que la société constituée par [K] [X] n'est pas partie à l'instance et que si les deux parties s'adressent à une même audience, elles ne visent pas une clientèle identique constituée dans un cas d'entreprises du secteur de la mode et dans l'autre de consommatrices qui ne sont pas à l'origine des revenus perçus par les influenceurs. Elle souligne encore que la demanderesse n'établit pas retirer de ressources substantielles de son activité.
Enfin elle fait valoir qu'il n'existe aucune confusion créée sur l'origine des produits, que la société MAJE n'avait du reste aucun intérêt à susciter au regard de l'audience très relative de [K] [X], et que sa campagne n'était absolument pas centrée sur le cliché en cause mais comportait au contraire une diversité de modèles d'apparence physique variée.

Sur les agissements parasitaires reprochés, la société MAJE soutient que ni la qualité d'opérateur économique de la défenderesse ni ses investissements matériels et financiers ne sont démontrés et qu'en tout état de cause, la preuve qu'elle aurait intentionnellement cherché à profiter de façon injustifiée de cette valeur acquise n'est pas rapportée.

Sur ce,

La concurrence déloyale, fondée sur le principe général de responsabilité édicté par l'article 1240 du code civil, consiste dans des agissements s'écartant des règles générales de probité applicables dans la vie des affaires tels que ceux créant un risque de confusion avec les produits ou services offerts par un autre opérateur, ceux parasitaires visant à s'approprier de façon injustifiée et sans contrepartie une valeur économique résultant d'un savoir-faire, de travaux ou d'investissements ou encore, ceux constitutifs d'actes de dénigrement ou de désorganisation d'une entreprise. Ils supposent la caractérisation d'une faute génératrice d'un préjudice, dont l'appréciation doit résulter d'une approche concrète et circonstanciée des faits de la cause prenant en compte notamment le caractère plus ou moins servile, systématique ou répétitif de la reproduction ou de l'imitation, l'ancienneté d'usage, l'originalité ou encore la notoriété de la prestation copiée.

Compte-tenu de l'activité d'influenceuse développée par [K] [X] sur les réseaux sociaux, qui est largement établie par les nombreux articles de presse versés aux débats ainsi que par des accords de partenariat rémunérés conclus avec différentes marques (pièces DMD 25 à 29), la demanderesse ne peut se voir opposer le fait qu'elle n'interviendrait pas dans la vie des affaires.

Cependant comme le relève à juste titre la société MAJE, la confusion dénoncée ne peut s'analyser en un acte de concurrence déloyale en ce qu'elle ne porte pas sur l'origine des produits et services respectivement proposés, mais sur l'identité du modèle mis en scène au moyen de la campagne publicitaire litigieuse que de nombreux internautes ont spontanément associé à la demanderesse jusqu'à imaginer qu'elle y avait participé, ce qui ressort notamment de posts dont le nombre et la diversité de contenu ne permet pas de soupçonner que ces réactions auraient été artificiellement suscitées (pièces 11 à 15).

En revanche, les nombreuses similitudes que présentent les deux visuels en conflit - à savoir, l'apparence physique très semblable des deux femmes et en particulier leur coiffure, le fait qu'elles soient dans une cage d'ascenseur moderne accompagnées d'un chien, qu'elles adoptent une posture similaire et soient vêtues toutes deux d'une robe fluide de type cache-c?ur en partie haute, serrée à la taille et évasée en bas, tiennent leur téléphone mobile de la même façon alors même que pour le cliché de MAJE, ce geste n'est pas dicté par l'impératif du selfie - ne permettent pas d'envisager que ces ressemblances pourraient être dues au hasard mais au contraire, établissent que la société MAJE s'est directement inspirée du visuel publié par [K] [X] dont la visibilité à la supposer « relative » au regard du nombre d'abonnés qu'elle revendique, reste suffisante pour être connue d'une enseigne recourant elle-même à des influenceurs.

La reprise de cette association - qui sans avoir impliqué des investissements n'en est pas moins constitutive d'une valeur économique, en ce qu'elle est reconnue comme un visuel exploitable de façon efficace à des fins publicitaires, permettant la présentation de vêtements tout en véhiculant l'idée que ceux-ci sont adaptés à la vie quotidienne - a procuré à la société MAJE, qui s'est épargnée ainsi des efforts de conception, un profit indûment réalisé au détriment de la demanderesse qui utilise elle-même régulièrement son image associée à sa personnalité pour susciter des actes d'achat moyennant une rémunération.

Les actes parasitaires reprochés apparaissent donc constitués.

3- Mesures de réparation sollicitées

[K] [X] sollicite une somme de 70 000 euros en réparation de son préjudice matériel et 100 000 euros au titre du préjudice moral en exposant que le comportement de la société MAJE lui a causé un tort certain, que la campagne litigieuse a été massive et qu'elle a en conséquence été privée d'un manque à gagner significatif, ajoutant qu'il a été porté atteinte à son image et à sa notoriété.

La société MAJE répond que la consistance du préjudice matériel arbitrairement estimé à 70.000 euros ne repose sur aucun élément objectif et que le préjudice moral n'est pas davantage démontré, la seule pièce utile versée aux débats sur ce point par la demanderesse faisant apparaître une rémunération en échange de ses prestations d'influenceuse d'un montant de 500 francs suisses sans proportion avec le quantum réclamé.

Sur ce,

Le préjudice résultant des actes de parasitisme doit être apprécié par références aux principes applicables en matière de responsabilité civile.

L'exemple de rémunération communiqué reste indicatif en ce qu'il ne s'agit pas de la seule contrepartie offerte aux influenceurs - qui reçoivent généralement les produits dont ils assurent la promotion - et que ce n'est pas l'image litigieuse elle-même qui a été reprise mais l'essentiel de ses éléments constitutifs.

Il est justifié d'allouer à [K] [X] une somme de 1 000 euros à ce titre.

La demanderesse est également fondée à invoquer un préjudice moral en ce qu'elle est à l'origine de la conception d'un ensemble visuel réunissant des caractéristiques liées à son apparence physique, associées à une mise en scène repérée par ses abonnés du fait de sa répétition, qu'il y a lieu de réparer à hauteur de 4 000 euros.

3- Frais du litige et conditions d'exécution de la décision

La société MAJE, partie perdante, supportera la charge des dépens.

Elle doit en outre être condamnée à verser à [K] [X], qui a dû exposer des frais irrépétibles pour faire valoir ses droits, une indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile - ayant vocation à prendre en compte les frais d'huissier liés à des mesures qui n'ont pas été autorisées judiciairement - qu'il est équitable de fixer à la somme de 5 000 euros.

L'exécution provisoire étant justifiée au cas d'espèce et compatible avec la solution du litige, elle doit être prononcée.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal, statuant publiquement par jugement mis à disposition au greffe, contradictoire et en premier ressort,

DEBOUTE [K] [X] de ses demandes fondées sur le droit d'auteur ;

CONDAMNE la société MAJE à payer à [K] [X], à titre de dommages et intérêts, la somme de 1 000 euros en réparation du préjudice matériel et la somme de 4 000 euros en réparation du préjudice moral subis en raison des actes de parasitisme relevés ;

FAIT INTERDICTION à la société MAJE de poursuivre ou reprendre l'exploitation du visuel objet du litige ;

CONDAMNE la société MAJE à payer à [K] [X] la somme de 5 000 euros au titre des frais irrépétibles en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

REJETTE la demande visant au remboursement des frais d'huissier liés aux différents procès-verbaux de constat ;

CONDAMNE la société MAJE aux dépens de la présente instance ;

ORDONNE l'exécution provisoire.

Fait et jugé à Paris le 13 Août 2021

Le GreffierLe Président


Synthèse
Tribunal : Tribunal de grande instance de Paris
Formation : Ct0196
Numéro d'arrêt : 20/01357
Date de la décision : 13/08/2021

Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.grande.instance.paris;arret;2021-08-13;20.01357 ?
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