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29/07/2021 | FRANCE | N°19/10739

France | France, Tribunal de grande instance de Paris, Ct0196, 29 juillet 2021, 19/10739


TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS

3ème chambre
1ère section

No RG 19/10739 -
No Portalis 352J-W-B7D-CQVZZ

No MINUTE :

Assignation du :
10 septembre 2019

JUGEMENT
rendu le 29 juillet 2021
DEMANDERESSES

Madame [M] [Z] épouse [Y]
[Adresse 3]
[Localité 5]

Société CAROLLECTION
[Adresse 3]
[Localité 5]

représentées par Me Laurine JANIN -REYNAUD de la SELARL DUCLOS THORNE MOLLET-VIEVILLE, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #P0075

DÉFENDERESSES

S.A.S. [V] BIJOUX
[Adresse 4]
[

Localité 2]

S.A.S. BY [U] BOUTIQUES
[Adresse 1]
[Localité 5]

représentées par Me Laurent LEVY de la SELAS LEXINGTON AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, ...

TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS

3ème chambre
1ère section

No RG 19/10739 -
No Portalis 352J-W-B7D-CQVZZ

No MINUTE :

Assignation du :
10 septembre 2019

JUGEMENT
rendu le 29 juillet 2021
DEMANDERESSES

Madame [M] [Z] épouse [Y]
[Adresse 3]
[Localité 5]

Société CAROLLECTION
[Adresse 3]
[Localité 5]

représentées par Me Laurine JANIN -REYNAUD de la SELARL DUCLOS THORNE MOLLET-VIEVILLE, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #P0075

DÉFENDERESSES

S.A.S. [V] BIJOUX
[Adresse 4]
[Localité 2]

S.A.S. BY [U] BOUTIQUES
[Adresse 1]
[Localité 5]

représentées par Me Laurent LEVY de la SELAS LEXINGTON AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #B0485

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Nathalie SABOTIER, 1ère vice-présidente adjointe
Gilles BUFFET, Vice président
Alix FLEURIET, Juge

assistés de [M] REBOUL, Greffière,

DÉBATS

A l'audience du 25 mai 2021 tenue en audience publique devant Nathalie SABOTIER et Gilles BUFFET, juges rapporteurs, qui, sans opposition des avocats, ont tenu seuls l'audience, et, après avoir entendu les conseils des parties, en ont rendu compte au Tribunal, conformément aux dispositions de l'article 805 du Code de Procédure Civile.

JUGEMENT

Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe
Contradictoire
En premier ressort

EXPOSÉ DU LITIGE :

Mme [M] [Z] épouse [Y] se présente comme une créatrice de bijoux parisienne, dont l'univers s'inspire de ses voyages et rencontres à Bali, et allie le savoir-faire artisanal avec son goût pour les pierres et matériaux précieux.

En octobre 2016, Mme [Z] a fondé la société CAROLLECTION pour les besoins de son activité exercée sous le nom commercial "[M] [Y]".

Mme [Z] exploite également le nom de domaine etlt;www.[07].cometgt; dirigeant vers le site internet sur lequel elle commercialise ses bijoux.

Dans le cadre de son activité, elle expose avoir créé une collection de bijoux dénommée « D-STRUCT », dessinée et conçue en 2017.

La société [V] BIJOUX, fondée par M. [S] [V] en 1969, conçoit et commercialise des bijoux depuis cette date.

La société BY [U] BOUTIQUE, fondée par Mme [U] [V], exploite une boutique multimarque qui propose à sa clientèle une sélection d'articles de prêt-à-porter et d'accessoires, en particulier des bijoux, signés de différents créateurs.

La société [V] BIJOUX commercialise ses bijoux dans les magasins et corners sous enseignes [V] BIJOUX et BY [U], respectivement détenus par les sociétés [V] BIJOUX et BY [U] BOUTIQUE.

Mme [Z] expose avoir découvert le lancement de la collection "SCARABEO" par la société [V] BIJOUX, dont elle estime qu'il s'agit d'une imitation de sa collection "D-STRUCT", la collection SCARABEO étant déclinée sous la forme de colliers, bracelets, bagues et boucles d'oreille, et commercialisée dans les points de vente [V] BIJOUX et BY [U] BOUTIQUE ainsi que sur les sites internet etlt;www.[08].cometgt; , et etlt;www.[06].cometgt;.

Par un courrier du 9 juillet 2019, Mme [Z] a enjoint aux sociétés [V] BIJOUX et BY [U] BOUTIQUE de cesser la commercialisation des bijoux de la gamme "SCARABEO".

A défaut de résolution amiable du litige, Mme [Z] et la société CAROLLECTION ont, par actes d'huissier du 10 septembre 2019, fait assigner les sociétés [V] BIJOUX et BY [U] devant le tribunal judiciaire de Paris en contrefaçon de droit d'auteur et de dessins et modèles communautaires non enregistrés.

Dans leurs dernières conclusions récapitulatives no2 en date du 09 novembre 2020, Mme [Z] et la société CAROLLECTION demandent au tribunal, au visa des des Livres I, III et V du code de la propriété intellectuelle, le Règlement (CE) nº 6/2002 du conseil du 12 décembre 2001 sur les dessins ou modèles communautaires, des articles 1240 du code civil et de l'article 10bis de la Convention de l'Union de Paris, de :

1/ Sur la contrefaçon de droits d'auteur et de modèle communautaire non enregistré :

- Déclarer recevables et bien fondées Mme [M] [Z] [Y] et la société CAROLLECTION/[M] [Y] en leurs demandes de contrefaçon de droits d'auteur et de modèle communautaire non enregistré ;

- Constater que Mme [M] [Z] [Y] est la créatrice et donc l'auteur des des bijoux D-STRUCT, qu'elle est à ce titre titulaire de droits d'auteur et de droit de modèle communautaire non enregistré sur ses bijoux ;

- Constater qu'elle a cédé ses droits d'exploitation sur ses créations à la société CAROLLECTION/[M] [Y] ;

En tout état de cause,

- Constater que la société CAROLLECTION/[M] [Y] bénéficie de la présomption prétorienne aux termes de laquelle elle est investie des droits d'exploitation des bijoux invoqués, puisqu'elle les exploite et les commercialise en son nom ;

En conséquence,

- Rejeter les demandes d'irrecevabilité formées par les sociétés [V] BIJOUX et BY [U] BOUTIQUES ;

- Constater que les fabrication et/ou importation, exposition, offre en vente, mise sur le marché, détention et commercialisation par les sociétés [V] BIJOUX et BY [U] BOUTIQUES de l'ensemble des bijoux de la collection SCARABEO reproduisant la combinaison nouvelle et originale des caractéristiques du modèle D-STRUCT de Mme [M] [Z] [Y] constituent des actes de contrefaçon de droits d'auteur et de modèle communautaire non enregistré en France et sur le territoire de l'Union Européenne,

2/ Sur la concurrence déloyale et parasitaire

- Déclarer recevables et bien fondées Mme [M] [Z] [Y] et la société CAROLLECTION/[M] [Y] en leurs demandes de concurrence déloyale et parasitaire;

- Constater que Mme [M] [Z] [Y] et la société CAROLLECTION/[M] [Y] ont un intérêt à agir en concurrence déloyale et parasitaire ;

- Constater que les sociétés [V] BIJOUX et BY [U] BOUTIQUES ont commis des actes distincts de concurrence déloyale et parasitaire ;

A titre subsidiaire, si par impossible le tribunal devait considérer que Mme [M] [Z] [Y] et la société CAROLLECTION/[M] [Y] ne peuvent se prévaloir d'une protection par le droit d'auteur ou par le modèle communautaire non enregistré sur les bijoux invoqués :

- Constater que les fabrication et/ou importation, exposition, offre en vente, mise sur le marché, détention et commercialisation par les sociétés [V] BIJOUX et BY [U] BOUTIQUES de l'ensemble des bijoux de la collection SCARABEO constituent des actes de concurrence déloyale et de parasitisme au préjudice de Mme [M] [Z] [Y] et la société CAROLLECTION/[M] [Y] ;

En conséquence :

- Interdire aux sociétés [V] BIJOUX et BY [U] BOUTIQUES la poursuite de tels actes illicites et ce sous une astreinte de 1.000 € par infraction constatée et de 3.000 € par jour de retard, lesdites astreintes devant être liquidées par le Tribunal de Grande Instance de Paris ;

- Ordonner la confiscation de l'ensemble des produits distribués par les sociétés [V] BIJOUX et BY [U] BOUTIQUES sous la collection « SCARABEO », et ce notamment aux fins de leur destruction aux frais solidaires et avancés des sociétés [V] BIJOUX et BY [U] BOUTIQUES ;

- Condamner les sociétés [V] BIJOUX et BY [U] BOUTIQUES à payer conjointement et solidairement à Mme [Z] [M] [Y] la somme de 25.000€ en réparation du fait des atteintes au droit moral de cette dernière ;

- Condamner les sociétés [V] BIJOUX et BY [U] BOUTIQUES à payer conjointement et solidairement à la société CAROLLECTION/[M] [Y] les sommes suivantes :
* une indemnité de 200.000 € au titre au titre des conséquences économiques négatives du fait des atteintes aux droits d'auteur de la société CAROLLECTION/[M] [Y] en raison des fabrication, importation, présentation, offres en vente et des ventes des bijoux de la collection SCARABEO et ce quelles que soient les références et couleurs utilisées ;
* une indemnité de 200.000 € au titre au titre des conséquences économiques négatives du fait des atteintes aux droits de modèles communautaires non enregistrés de la société CAROLLECTION/[M] [Y] en raison des fabrication, importation, présentation, offres en vente et des ventes des bijoux de la collection SCARABEO et ce quelles que soient les références et couleurs utilisées ;

- Condamner les sociétés [V] BIJOUX et BY [U] BOUTIQUES à payer conjointement et solidairement à la société CAROLLECTION/[M] [Y] la somme de 100.000€ en réparation du préjudice résultant des actes distincts de concurrence déloyale et parasitaire ;

- Ordonner à titre de complément de dommages-intérêts, la publication du jugement à intervenir dans trois (3) journaux ou périodiques en France au choix de Mme [M] [Z] [Y], et aux frais avancés et solidaires des sociétés [V] BIJOUX et BY [U] BOUTIQUES dans la limite d'un budget de 10.000 € HT par publication ;

- Ordonner la publication du dispositif de la décision à intervenir sur la page d'accueil des sites marchands [V] BIJOUX et BY [U] BOUTIQUES, https://www.[08].com / https://www.[06].com, en langues française et anglaise, pendant 3 mois et ce dans un délai de 8 jours à compter de la signification de la décision à intervenir, sous astreinte de 2.000€ par jour de retard ;

- Dire que ces publications devront s'afficher de façon visible en lettres de taille suffisante, aux frais des sociétés GASBIJOUX et BY [U] BOUTIQUES, en dehors de tout encart publicitaire et sans mention ajoutée, dans un encadré 468x120 pixels : le texte qui devra s'afficher en partie haute et immédiatement visible de la page d'accueil devant être précédé du titre AVERTISSEMENT JUDICIAIRE en lettres capitales et gros caractères ;

- Dire que les condamnations porteront sur tous les faits illicites commis jusqu'au jour du prononcé du jugement à intervenir ;

- Rejeter la demande de procédure abusive des sociétés [V] BIJOUX et BY [U] BOUTIQUES ;

- Débouter [V] BIJOUX et BY [U] BOUTIQUES de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions y compris leurs demandes reconventionnelles ;

En tout état de cause,

- Condamner les sociétés [V] BIJOUX et BY [U] BOUTIQUES à payer à Mme [M] [Z] [Y] et à la société CAROLLECTION/[M] [Y] la somme de 25.000 € sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Ordonner, en raison de la nature de l'affaire, l'exécution provisoire de la décision à intervenir nonobstant appel et sans caution ;

- Condamner in solidum les sociétés [V] BIJOUX et BY [U] BOUTIQUES, aux entiers dépens de l'instance, dont distraction au profit de la SELARL Duclos Thorne Mollet-Vieville et Associés, Avocat aux offres de droit, conformément à l'article 699 du code de procédure civile.

Dans leurs dernières conclusions récapitulatives no3 en date du 08 février 2021, les sociétés [V] BIJOUX et BY [U] sollicitent du tribunal, au visa des Livres I, III et V du code de la propriété intellectuelle et des articles 9, 13, 32-1, 122, 699 et 700 du code de procédure civile, 1240 et suivant du code civil , de:

À titre liminaire,

- Constater le refus persistant de Mme [Y] et CAROLLECTION, en méconnaissance du principe d'égalité des armes et de la loyauté des débats, de fournir toute explication de droits nécessaire à la solution du litige et notamment :

* La justification de leur qualité et intérêt à agir respective;

* L'identification claire de la ou les créations revendiquées au titre du droit d'auteur et du droit des dessins et modèles : les deux bijoux, un des deux bijoux, le motif représenté par un de ces bijoux, le motif représenté par chacun de ces bijoux ;

* La caractérisation de l'originalité, la nouveauté et le caractère propre des bijoux D-STRUCT revendiqués ;

* La caractérisation d'actes de contrefaçon de droits d'auteur et de droits de dessins et modèles communautaires non enregistrés commis par [V] BIJOUX et BY [U] ;

* La caractérisation d'actes de concurrence déloyale ou parasitaire commis par [V] BIJOUX et BY [U] ;

À titre principal,

- Constater que Mme [Y] ne prouve pas sa qualité d'auteur et créateur des deux bijoux et/ou motifs revendiqués;

- Constater que CAROLLECTION ne prouve pas sa qualité d'ayant droit de l'auteur et du créateur des bijoux et/ou motifs revendiqués ;

- Constater que Mme [Y] et CAROLLECTION ne prouvent pas avoir intérêt à agir en concurrence déloyale et parasitaire ;

En conséquence,

- Déclarer Mme [Y] et CAROLLECTION irrecevables à agir en contrefaçon de droit d'auteur ;

- Déclarer Mme [Y] et CAROLLECTION irrecevables à agir en contrefaçon de dessins et modèles communautaires non enregistrés ;

- Déclarer Mme [Y] et CAROLLECTION irrecevables à agir en concurrence déloyale et en parasitisme ;

Subsidiairement,

- Constater que les deux bijoux ou motifs revendiqués ne sont pas originaux et ne présentent pas un caractère nouveau et individuel ;

- Constater l'absence d'actes de contrefaçon de droits d'auteur ;

- Constater l'absence de contrefaçon de dessins et modèles communautaires non enregistrés;

- Constater l'absence d'actes de concurrence déloyale, de parasitisme;

En conséquence,

- Juger Mme [Y] et CAROLLECTION mal fondées en leurs demandes principales et subsidiaires ;

- Débouter Mme [Y] et CAROLLECTION de l'ensemble de leurs demandes ;

En tout état de cause,

- Condamner conjointement et solidairement Mme [Y] et CAROLLECTION au paiement d'une amende civile de 5.000 € et de la somme de 10.000 € à chacune des défenderesses en réparation de leurs préjudices découlant de la procédure abusive initiée à leur encontre ;

- Débouter Mme [Y] et CAROLLECTION de l'ensemble de leurs moyens, fins et conclusions ;

- Condamner conjointement et solidairement Mme [Y] et CAROLLECTION à verser à la société [V] BIJOUX la somme de 15.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Condamner conjointement et solidairement Mme [Y] et CAROLLECTION à verser à la société BY [U] BOUTIQUE la somme de 15.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Condamner conjointement et solidairement Mme [Y] et CAROLLECTION aux entiers dépens de la présente instance, dont distraction au profit de la SELAS LEXINGTON AVOCATS conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile ;

- Ordonner l'exécution provisoire uniquement s'agissant des demandes reconventionnelles de [V] BIJOUX et BY [U] BOUTIQUE.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 23 février 2021.

MOTIFS DE LA DÉCISION

1o) Sur la protection des bijoux D-STRUCT par le droit d'auteur

a - Sur la titularité

Mme [Y] indique qu'elle a divulgué sous son nom le bijou D-STRUCT, au moyen d'une publication sur son compte Instagram personnel, le 21 mars 2017 :

tandis que la société CAROLLECTION s'est vue céder les droits patrimoniaux d'auteur sur ce bijou, ainsi que l'établit l'attestation de cession de droits émanant de la créatrice et associée unique de la société.

Les sociétés défenderesses font quant à elle valoir que la publication sur le compte Instagram invoquée est équivoque et qu'il n'est pas possible de déterminer si cette divulgation émane de Mme [Y] ou de sa société. Elles ajoutent que la société CAROLLECTION ne justifie pas davantage de sa qualité à agir au moyen de la seule attestation de son associée, tandis que la présomption bénéficiant à la personne morale ne peut selon elles se cumuler avec celle jouant au profit de la personne physique.
Sur ce,

Selon l'article L.113-1 du code de la propriété intellectuelle "La qualité d'auteur appartient, sauf preuve contraire, à celui ou à ceux sous le nom de qui l'oeuvre est divulguée."

La pièce no9 des demanderesses, sur laquelle sont visibles des photographies d'enfants et de personnes en voyage, établit en l'occurrence que le compte Instagram @carolinedebenoist est bien le compte personnel de Mme [Y] et non celui de la société CAROLLECTION. Il en résulte la preuve d'une divulgation de la bague D-STRUCT sous le nom de Mme [Y] le 21 mars 2017.

Il était donc loisible à Mme [Y] de céder les droits patrimoniaux d'auteur sur cette création, cette cession étant corroborée par l'attestation de la créatrice et les factures du mois de mai 2018, produites en pièce no3, qui concernent bien un bijou référencé "D-STRUCT" et alors qu'il n'est pas établi que cette référence pourrait concerner d'autres produits commercialisés par la demanderesse.

Il y a donc lieu d'écarter la fin de non recevoir tirée de l'absence de titularité des demanderesses concernant les droits d'auteur sur le bijou D-STRUCT.

b - Sur l'originalité

Mme [Y] et la société CAROLLECTION décrivent comme suit l'originalité du bijou: "un motif de forme arrondie à l'aspect bombé, découpé en trois parties, l'une en forme de demi-lune, les deux autres parties en forme de quart de cercle, avec un espacement, constitué d'un contraste avec le métal précieux, entre les différentes parties, formant un T".

Elles ajoutent que ce bijou résulte d'une volonté de "déstructurer une pierre fine en trois morceaux pour remonter les morceaux sur un bijou, de manière à donner l'impression d'une pierre reconstituée (tel un puzzle), mettant en évidence la césure obtenue et la séparation des différentes parties formant un T, ce choix d'un découpage en trois parties ayant été effectué pour se rapprocher de la forme des initiales (CDB)" de la créatrice.

Les sociétés défenderesses concluent quant à elles à l'absence d'originalité du bijou D-STRUCT et font valoir que les demanderesses se livrent à une simple description du bijou insusceptible de caractériser une quelconque originalité de ce bijou qui n'est que la division d'une pierre en un demi-cercle et deux quarts de cercle, connue dès l'antiquité (ci-dessous extrait des conclusions et pièces no5 et 18 des défenderesses) :

Sur ce,

Conformément à l'article L.111-1 du code de la propriété intellectuelle, l'auteur d'une oeuvre de l'esprit jouit sur cette oeuvre, du seul fait de sa création, d'un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous comportant des attributs d'ordre intellectuel et moral ainsi que des attributs d'ordre patrimonial.

En application de l'article L.112-1 du même code, ce droit appartient à l'auteur de toute oeuvre de l'esprit, quels qu'en soient le genre, la forme d'expression, le mérite ou la destination.

La protection d'une oeuvre de l'esprit est acquise à son auteur sans formalité et du seul fait de la création d'une forme originale en ce sens qu'elle porte l'empreinte de la personnalité de son auteur et n'est pas la banale reprise d'un fonds commun non appropriable. Dans ce cadre toutefois, il appartient à celui qui se prévaut d'un droit d'auteur dont l'existence est contestée de définir et d'expliciter les contours de l'originalité qu'il allègue. En effet, seul l'auteur, dont le juge ne peut suppléer la carence, est en mesure d'identifier les éléments traduisant sa personnalité et qui justifient son monopole.

Force est en l'occurrence de constater qu'aucun des bijoux dont les reproductions sont versées aux débats ne reprend les caractéristiques du bijou D-STRUCT, lequel se distingue du fonds commun de la bijouterie par une forme plus ronde, épurée, et réalisant une reconstitution presque géométrique, divisée en trois morceaux autour d'un T renversé l'ensemble évoquant les lettres C et B, conférant au bijou l'empreinte de la personnalité de sa créatrice, qui a souhaité donner à voir une pierre déstructurée/reconstituée, de sorte que ce bijou sera déclaré original.

c - Sur la contrefaçon

Aux termes de l'article L.123-4 du code de la propriété intellectuelle, "Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite. Il en est de même pour la traduction, l'adaptation ou la transformation, l'arrangement ou la reproduction par un art ou un procédé quelconque."

Le juge statue en fonction des ressemblances (Cass. Civ. 1ère, 9 avril 2015, pourvoi no23-28.768).

Il convient donc de comparer le bijou D-STRUCT avec le bijou SCARABEO.

Il s'agit dans les deux cas de bijoux de forme arrondie comportant une division en forme de T.

Force est toutefois de constater que le bijou SCARABEO ne reproduit pas les caractéristiques originales du bijou D-STRUCT.

Les bijoux se distinguent en effet par leurs formes (ronde et bombée en ce qui concerne le bijou D-STRUCT, ovale et fine s'agissant du bijou SCARABEO), et surtout, par leur mode de réalisation (une pierre d'apparence découpée dans le premier cas, et de la pâte de verre coulée dans un sertissage très travaillé dans l'autre).

Ces différences, qui ne peuvent être regardées comme de simples variantes d'exécution, conférent en définitive une apparence et un style très différents aux deux bijoux, le second évoquant clairement un scarabée inspiré des talismans antiques, ainsi au demeurant que son nom l'indique, tandis que le premier, plus épuré, évoque un C et un B.

Il en résulte que la contrefaçon de droits d'auteur n'est pas établie.

2o) Sur la protection des bijoux D-STRUCT par le droit des dessins et modèles communautaires non enregistrés

Mme [Y] invoque la divulgation du 21 mars 2017 et soutient avoir cédé à la société CAROLLECTION les droits d'exploitation de ce modèle non enregistré. Les demanderesses ajoutent que le modèle D-STRUCT est nouveau, aucune antériorité ne comportant à l'identique l'ensemble de ses caractèristiques, et individuel, aucune des antériorités produites ne produisant la même impression visuelle d'ensemble. Mme [Y] et la société CAROLLECTION soutiennent ensuite que le bijou SCARABEO est une copie du modèle D-STRUCT.

Les sociétés [V] BIJOUX et BY [U] BOUTIQUE concluent à l'irrecevabilité des demandes formées de ce chef par la société CAROLLECTION à laquelle Mme [Y] n'a pu céder aucun droit en raiosn du caractère équivoque de la publication sur le compte Instagram @carolinedebenoist du 27 mars 2017. Subsidiairement, ces sociétés soutiennent que le modèle est dépourvu de nouveauté et de caractère propre. Encore plus subsidiairement, les sociétés [V] BIJOUX et BY [U] BOUTIQUE concluent à l'absence de contrafaçon, le modèle SCARABEO n'étant pas la copie du modèle D-STRUCT.

Sur ce,

Selon l'article 5 "Nouveauté" du Règlement (CE) nº 6/2002 du Conseil du 12 décembre 2001 sur les dessins ou modèles communautaires,

"1. Un dessin ou modèle est considéré comme nouveau si aucun dessin ou modèle identique n'a été divulgué au public:
a) dans le cas d'un dessin ou modèle communautaire non enregistré, avant la date à laquelle le dessin ou modèle pour lequel la protection est revendiquée a été divulgué au public pour la première fois ; (...)
2. Des dessins ou modèles sont considérés comme identiques lorsque leurs caractéristiques ne diffèrent que par des détails insignifiants."

Selon l'article 6 "Caractère individuel", "1. Un dessin ou modèle est considéré comme présentant un caractère individuel si l'impression globale qu'il produit sur l'utilisateur averti diffère de celle que produit sur un tel utilisateur tout dessin ou modèle qui a été divulgué au public: (...)"

L'article 7 "Divulgation" prévoit quant à lui qu' "1. Aux fins de l'application des articles 5 et 6, un dessin ou modèle est réputé avoir été divulgué au public s'il a été publié à la suite de l'enregistrement ou autrement, ou exposé, utilisé dans le commerce ou rendu public de toute autre manière, (...)"

Aux termes de l'article 14 "Droit au dessin ou modèle communautaire", "1. Le droit au dessin ou modèle communautaire appartient au créateur ou à son ayant droit."

Il résulte enfin de l'article 19 "Droits conférés par le dessin ou modèle communautaire" en son paragraphe 2 que "2. Le dessin ou modèle communautaire non enregistré ne confère cependant à son titulaire le droit d'interdire les actes visés au paragraphe 1 que si l'utilisation contestée résulte d'une copie du dessin ou modèle protégé.
L'utilisation contestée n'est pas considérée comme résultant d'une copie du dessin ou modèle protégé si elle résulte d'un travail de création indépendant réalisé par un créateur dont on peut raisonnablement penser qu'il ne connaissait pas le dessin ou modèle divulgué par le titulaire."

Selon le "considérant no21" du Règlement, "La nature exclusive du droit conféré par le dessin ou modèle communautaire enregistré correspond à la volonté de lui donner une sécurité juridique plus grande. En revanche, le dessin ou modèle communautaire non enregistré ne devrait conférer que le droit d'empêcher la copie."

Aussi, la protection offerte au titre du dessin ou modèle communautaire non enregistré étant moindre que pour le dessin ou modèle communautaire enregistré compte tenu de l'absence de formalisme préalable, il en résulte qu'il incombe au titulaire du dessin ou modèle non enregistré d'établir que l'utilisation contestée résulte d'une copie, servile ou quasi-servile, de ce dessin ou modèle.

Le bijou D-STRUCT apparaît bien comme ayant été créé par Mme [Y] qui en a cédé l'exploitation à la société CAROLLECTION. Ce modèle est nouveau et présente un caractère propre, aucune des antériorités produites par les défenderesses ne produisant la même impression globale visuelle d'ensemble.

Toutefois, le bijou "SCARABEO" n'en constitue pas la copie au sens de l'article 19§2 du Règlement, dès lors qu'il se distingue du modèle non enregistré D-STRUCT, ainsi qu'il a été vu précédemment, par une forme plus allongée évoquant, non une pierre ronde divisée en 3, mais un scarabée, là où le bijou D-STRUCT, de forme plus ronde, avec des pierres d'aspect plus bombé, évoque les initiales de la créatrice.

Il en résulte que la contrefaçon de modèle n'est pas établie et que la demande au titre des faits distincts de la contrefaçon, fondée en particulier sur l'effet de gamme résultant de la création d'une multitude de bijoux différents dans la gamme SCARABEO, doit de la même manière être rejetée.

3o) Sur les demandes (subsidiaires) au titre de la concurrence déloyale et parasitaire

Les demanderesses font sur ce point valoir que le bijou D-STRUCT occupe une place à part au sein des bijoux qu'elles crééent et commercialisent, en raison tout à la fois de l'aspect inédit de ce bijou, fruit d'importantes recherches, et du fait qu'il appartient à la première collection créée par Mme [Y]. Elles ajoutent que le bijou SCARABEO reprend les caractéristiques essentielles de ce modèle, tout en étant réalisé à partir de matières premières beaucoup moins couteuses (pâte de verre et métal doré) et que le risque de confusion entre les bijoux est en l'occurrence avéré.

Les sociétés défenderesses concluent à l'irrecevabilité des demandes de ce chef, la société CAROLLECTION ne démontrant pas commercialiser le bijou D-STRUCT. Subsidiairement, elles soutiennent en effet que la demanderesse ne démontre la réalité d'aucun investissement concernant ce bijou pour fonder sa demande au titre du parasistisme, se bornant à procéder par voie d'affirmations non étayées, tandis qu'aucune confusion n'est possible entre [V] BIJOUX et BY [U] BOUTIQUE d'une part et CAROLLECTION d'autre part.

Sur ce,

Aux termes des articles 1240 et 1241 du code civil, "Tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer." et "Chacun est responsable du dommage qu'il a causé non seulement par son fait, mais encore par sa négligence ou par son imprudence."

Au visa de ces deux textes, il est constamment jugé que la liberté du commerce autorise tout acteur économique à attirer vers lui la clientèle de son concurrent. Aussi, l'imitation d'un concurrent n'est, en tant que telle, pas fautive, à moins que ne soient utilisés des procédés illicites ou contraires aux usages loyaux du commerce.

A cet égard, les procédés consistant, par imitation des signes d'un concurrent, à créer dans l'esprit du public une confusion de nature à tromper la clientèle et la détourner, caractérisent des actes de concurrence déloyale.

L'appréciation de la faute doit résulter d'une approche concrète et circonstanciée des faits en prenant en compte le caractère plus ou moins servile, systématique ou répétitif de l'imitation, l'ancienneté du signe imité, l'originalité ou la notoriété du signe copié.

Est de la même manière fautif le fait, pour un agent économique, de s'immiscer dans le sillage d'un autre afin de tirer profit, sans rien dépenser, de ses efforts et de son savoir-faire particulier (Cass. Com., 26 janvier 1999, pourvoi no 96-22.457 ; Cass. Com., 10 septembre 2013, pourvoi no 12-20.933), ce qui constitue un acte de parasitisme.

Ainsi qu'il a été vu, il est suffisamment justifié de la commercialisation du bijou D-STRUCT par la société CAROLLECTION, de sorte que les demandes sont recevables.

En revanche, le bijou SCARABEO ne peut être considéré comme la copie servile du bijou D-STRUCT et le risque de confusion n'est pas démontré par les témoignages imprécis et stéréotypés versés aux débats. D'ailleurs, l'internaute ayant fait, apparemment, spontanément un lien entre les deux bijoux, n'effectue aucune confusion entre [V] BIJOUX et [M] [Y] puisqu'il s'exprime ainsi sur le compte Instagram de la demanderesse : "Vous avez vu la collection Scarabeo de [O] ? Il y a un lien ?".

Il n'est enfin justifié d'aucun investissement spécifique consacré au développement ou la promotion du bijou D-STRUCT et pas davantage allégué qu'il s'agirait d'un produit rencontrant un certain succès.

Les demandes fondées sur la concurrence déloyale et parasitaire seront donc également rejetées.

4o) Sur les autres demandes

Les sociétés [V] BIJOUX et BY [U] BOUTIQUE, qui ne caractérisent pas autre chose qu'une mauvaise appréciation de leurs droits par Mme [Y] et la société CAROLLECTION, seront déboutées de leur demande de dommages-intérêts pour procédure abusive.

Parties perdantes au sens de l'article 696 du code de procédure civile, Mme [Y] et la société CAROLLECTION seront condamnées in solidum aux dépens, ainsi qu'à payer aux sociétés [V] BIJOUX et BY [U] BOUTIQUE la somme de 12.000 euros (6.000 € à chacune) par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Nécessaire et compatible avec la nature de l'affaire, l'exécution provisoire sera ordonnée.

PAR CES MOTIFS,

Statuant publiquement par mise à disposition au greffe, contradictoirement et en premier ressort,

Le tribunal,

Déclare recevables Mme [M] [Z] épouse [Y] et la société CAROLLECTION en leurs demandes ;

Dit le bijou D-STRUCT divulgué le 21 mars 2017 éligible à la protection par le droit d'auteur et des modèles communautaires non enregistrés ;

Dit cependant que le bijou SCARABEO ne constitue pas la contrefaçon du bijou D-STRUCT;

Rejette les demandes au titre de la contrefaçon, ainsi que les demandes subsidiaires fondées sur la concurrence déloyale et parasitaire ;

Rejette la demande de dommages-intérêts pour procédure abusive des sociétés [V] BIJOUX et BY [U] BOUTIQUE ;

Condamne in solidum Mme [M] [Z] épouse [Y] et la société CAROLLECTION aux dépens;

Condamne in solidum Mme [M] [Z] épouse [Y] et la société CAROLLECTION à payer aux sociétés [V] BIJOUX et BY [U] BOUTIQUE la somme de 12.000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

Ordonne l'exécution provisoire de la présente décision.

Fait et jugé à Paris le 29 juillet 2021.

La GreffièreLa Présidente


Synthèse
Tribunal : Tribunal de grande instance de Paris
Formation : Ct0196
Numéro d'arrêt : 19/10739
Date de la décision : 29/07/2021

Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.grande.instance.paris;arret;2021-07-29;19.10739 ?
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