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08/07/2021 | FRANCE | N°7

France | France, Tribunal de grande instance de Paris, Ct0196, 08 juillet 2021, 7


TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS

3ème chambre 1ère section

No RG 20/03951 -
No Portalis 352J-W-B7E-CSA3D

No MINUTE :

Assignation du :
22 mai 2020

Incident

ORDONNANCE DU JUGE DE LA MISE EN ETAT
rendue le 08 juillet 2021

DEMANDEUR (Défendeur à l'incident)

Monsieur [E] [P]
[Adresse 1]
[Localité 1]

représenté par Me Nadia TIGZIM, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #D1340

DEFENDERESSES (Demanderesses à l'incident)

S.A.S.U. CIMENTS FRANCAIS
[Adresse 2]
[Adresse 4]
[Localité 3]
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[Adresse 3]
[Localité 2]

représentées par Me Joël GRANGÉ et Me Florence TERROUX-SFARde la SCP FLICHY GRANGÉ AVOCATS, avocats au barreau d...

TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS

3ème chambre 1ère section

No RG 20/03951 -
No Portalis 352J-W-B7E-CSA3D

No MINUTE :

Assignation du :
22 mai 2020

Incident

ORDONNANCE DU JUGE DE LA MISE EN ETAT
rendue le 08 juillet 2021

DEMANDEUR (Défendeur à l'incident)

Monsieur [E] [P]
[Adresse 1]
[Localité 1]

représenté par Me Nadia TIGZIM, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #D1340

DEFENDERESSES (Demanderesses à l'incident)

S.A.S.U. CIMENTS FRANCAIS
[Adresse 2]
[Adresse 4]
[Localité 3]

S.A.S. TECHNODES
[Adresse 3]
[Localité 2]

représentées par Me Joël GRANGÉ et Me Florence TERROUX-SFARde la SCP FLICHY GRANGÉ AVOCATS, avocats au barreau de PARIS, vestiaire #P0461

MAGISTRAT DE LA MISE EN ETAT

Nathalie SABOTIER, 1ère vice-présidente adjointe

assistée de Caroline REBOUL, Greffière

DEBATS

A l'audience du 25 mai 2021, avis a été donné aux avocats que l'ordonnance serait rendue le 1er juillet 2021. Le délibéré a été prorogé au 08 juillet 2021.

ORDONNANCE

Prononcée publiquement par mise à disposition au greffe
Contradictoire
En premier ressort

EXPOSÉ DU LITIGE :

Suivant un contrat de travail du 27 juillet 2000, M. [E] [P] a été engagé par la société Centre Technique Group (CTG) en qualité d'ingénieur, statut cadre, à effet du 1er juillet 1999, le contrat de travail étant soumis à la Convention collective SYNTEC.

Le 15 avril 2005, M. [P] a été promu "responsable du laboratoire analyses et contrôles chimiques et physico-chimiques".

En 2015, le contrat de travail de M. [P] a été transféré de plein droit, en application de l'article L.1224-1 du code du travail, à la société TECHNODES.

Par une lettre du 18 décembre 2017, la société TECHNODES a notifié à M. [P] son licenciement pour motif économique et impossibilité de reclassement.

Par une lettre du 29 avril 2019, M. [P] a saisi la Commission Nationale des Inventions de Salariés afin d'obtenir le paiement de la rémunération qu'il estime lui être due en qualité de co-inventeur des brevets suivants appartenant à la société CIMENT S FRANÇAIS :
- FR2937266, dont la demande a été déposée le 17 octobre 2008,
- FR1254393, dont la demande a été déposée le 14 mai 2012,
- et FR1254395, dont la demande a été déposée le 14 mai 2012.

Par une lettre du 28 avril 2020, la Commission a proposé que les inventions soient regardées comme des inventions de mission entrées dans le patrimoine de la société TECHNODES, ainsi qu'un accord sur le versement d'une somme de 15.000 euros à titre de rémunération supplémentaire pour les trois inventions.

Estimant cette proposition non satisfactoire, M. [E] [P] a, par actes d'huissier du 22 mai 2020, fait assigner les sociétés TECHNODES et CIMENTS FRANÇAIS devant le tribunal judiciaire de Paris auquel il demande, notamment, de condamner solidairement ces sociétés à lui payer les sommes suivantes dues pour les trois familles de brevets déposés :
- 150.000 euros pour l'ensemble des brevets et extensions déposés, délivrés, étendus et actuellement en vigueur dans différentes zones géographiques ( 10 dépôts x 15.000 euros par brevet et extension en vigueur),
- 105.000 euros pour les autres brevets et extensions déposés ( soit 14 dépôts x 7.500 euros).

Par des conclusions d'incident notifiées électroniquement le 4 décembre 2012, les sociétés TECHNODES et CIMENTS FRANÇAIS demandent au juge de la mise en état de :

- Constater que la demande de M. [P] est prescrite ;

En conséquence,

- Déclarer la demande de M. [P] irrecevable ;

- Débouter M. [P] de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile et condamner M. [P] à 3.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

Par des conclusions notifiées par la voie électronique le 22 mars 2021, M. [P] demande quant à lui au juge de la mise en état de :

Vu les articles L 611-7 et suivants du code de propriété intellectuelle,
Vu l'article 75 de la Convention Collective SYNTEC,
Vu les articles L. 3245-1 du Code du Travail et 2224 du code civil,

- ECARTER toute prescription des demandes de M. [E] [P] ;

EN CONSEQUENCE,

- DECLARER la demande de Monsieur [P] parfaitement recevable ;

- RENVOYER la demande principale devant le Juge de la mise en Etat afin qu'il soit conclu et statué sur le fond ;

- CONDAMNER solidairement les sociétés TECHNODES SA et CIMENTS FRANÇAIS au paiement de la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile outre les entiers dépens de l'instance.

L'incident a été plaidé à l'audience du 25 mai 2021.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Les sociétés défenderesses font valoir que les demandes sont prescrites, M. [P] ayant eu une parfaite connaissance du dépôt de chacun des trois brevets en litige. Elles en déduisent que ses réclamations, intervenues plus de cinq ans après le dépôt de chaque brevet, sont prescrites et dès lors irrecevables.

M. [P] soutient quant à lui que ses demandes ne sont en aucun cas prescrites, contestant le point de départ de la prescription retenu par les sociétés TECHNODES et CIMENTS FRANÇAIS.

Il soutient à cet égard que le point de départ ne peut être le dépôt des brevets mais le jour où son ancien employeur lui a fourni les éléments lui permettant d'exercer son action et que, faute par ce dernier de lui avoir founri de tels éléments, son action ne saurait être considérée comme prescrite.

Sur ce,

Aux termes de l'article 789 du code de procédure civile, dans sa version issue du Décret no2019-1333 du 11 décembre 2019, "Lorsque la demande est présentée postérieurement à sa désignation, le juge de la mise en état est, jusqu'à son dessaisissement, seul compétent, à l'exclusion de toute autre formation du tribunal, pour : (...)
6o Statuer sur les fins de non-recevoir. (...)"

Selon l'article L.3245-1 du code du travail, dans sa version applicable au litige (issue de la LOI no2008-561 du 17 juin 2008), "L'action en paiement ou en répétition du salaire se prescrit par cinq ans conformément à l'article 2224 du code civil."

L'article L.611-7 du code de la propriété intellectuelle prévoit à cet égard que "Si l'inventeur est un salarié, le droit au titre de propriété industrielle, à défaut de stipulation contractuelle plus favorable au salarié, est défini selon les dispositions ci-après :
1. Les inventions faites par le salarié dans l'exécution soit d'un contrat de travail comportant une mission inventive qui correspond à ses fonctions effectives, soit d'études et de recherches qui lui sont explicitement confiées, appartiennent à l'employeur. L'employeur informe le salarié auteur d'une telle invention lorsque cette dernière fait l'objet du dépôt d'une demande de titre de propriété industrielle et lors de la délivrance, le cas échéant, de ce titre. Les conditions dans lesquelles le salarié, auteur d'une invention appartenant à l'employeur, bénéficie d'une rémunération supplémentaire sont déterminées par les conventions collectives, les accords d'entreprise et les contrats individuels de travail."

En l'occurrence, selon l'article 75 § 8, "Invention brevetable appartenant à l'employeur", de la Convention collective nationale des bureaux d'études techniques, des cabinets d'ingénieurs-conseils et des sociétés de conseils du 15 décembre 1987 (dite Syntec) à laquelle était soumise le contrat de travail de M. [P] :

"Si cette invention donne lieu à une prise de brevet par l'entreprise, une prime forfaitaire de dépôt sera accordée au salarié auteur de l'invention, qu'il ait accepté ou non d'être nommé dans la demande de brevet.
Si, dans un délai de 5 ans, consécutif à la prise du brevet ou du certificat d'utilité, le titre de propriété industrielle a donné lieu à une exploitation commerciale, le salarié auteur de l'invention a droit à une rémunération supplémentaire pouvant être versée sous des formes diverses telles que :
- versement forfaitaire effectué en une ou plusieurs fois ;
- pourcentage du salaire ;
- participation aux produits de cession de brevet ou aux produits de licence d'exploitation,
et ceci même dans le cas où le salarié serait en retraite ou aurait quitté la société.

L'importance de cette rémunération sera établie en tenant compte des missions, études et recherches confiées au salarié, de ses fonctions effectives, de son salaire, des circonstances de l'invention, des difficultés de la mise au point pratique, de sa contribution personnelle à l'invention, de la cession éventuelle de licence accordée à des tiers et de l'avantage que l'entreprise pourra retirer de l'invention sur le plan commercial.
Le salarié sera tenu informé par écrit des divers éléments pris en compte pour la détermination de la rémunération supplémentaire. Le mode de calcul et de verserment de la rémunération ainsi que le début et la fin de la période de versement feront l'objet d'un accord écrit, sauf dans le cas d'un versement forfaitaire effectué en une seule fois.
Si l'une des parties le demande, toute contestation portant sur l'article 1er ter de la loi du 13 juillet 1978 sera soumise à une commission paritaire de conciliation dans les conditions prévues à l'article 68 bis de la même loi."

Il résulte de ces dispositions que la Convention collective applicable distingue les inventions brevetées ayant donné lieu à exploitation commerciale de celles n'ayant pas donné lieu à exploitation commerciale. Les premières donnent lieu au versement d'une rémunération supplémentaire soumise à un accord écrit du salarié qui doit être informé des modalités de calcul de cette rémunération supplémentaire sauf le cas où elle serait forfaitaire et versée en une seule fois.

En l'occurrence, la société TECHNODES n'a versé aucune rémunération forfaitaire pour le dépôt des brevets, ni informé le salarié d'une exploitation et encore moins des éléments de calcul d'une rémunération supplémentaire due à ce titre.

La société TECHNODES affirme que ces brevets ne seraient pas exploités, mais, ainsi que le relève à juste titre M. [P], elle continue en 2017 à étendre la protection conférée par ces brevets dans différents pays du monde (ce qu'elle ne peut faire qu'avec l'accord du salarié co-inventeur - pièces no10 et 11 visées dans le bordereau annexé aux conclusions d'incident), ce qui atteste a minima d'un intérêt économique des inventions en litige.

Or, il est constamment jugé en pareil cas que "La prescription prévue par l'article 2277 du code civil, dans sa rédaction antérieure à la loi du 17 juin 2008, s'applique aux actions en paiement de créances déterminées ou déterminables.
Prive sa décision de base légale, la cour d'appel qui déclare prescrite une action en paiement de créances relevant de ce texte, en retenant que le créancier avait connaissance, depuis plus de cinq années, de l'exploitation industrielle existante et prévisible des inventions fondant sa créance, sans constater que le créancier disposait des éléments nécessaires au calcul du montant de sa créance." ( Com., 12 juin 2012, pourvoi no 11-21.990, Bull. 2012, IV, no 120)

Il s'en déduit que l'action de M. [P], qui n'a pas été informé des modalités de calcul de la rémunération supplémentaire due en violation des dispositions de l'article 75 de la Convention collective Syntec, n'est pas prescrite.

L'affaire sera renvoyée à l'audience de mise en état du 07 septembre 2021 à 10 heures et les parties sont invitées pour cette date à faire part au juge de la mise en état de leur avis sur le proposition qui leur est faite de procéder entre elles par voie de médiation judiciaire aux fins de trouver une issue rapide, librement négociée et confidentielle au présent litige.

Les dépens et les demandes au titre de l'article 700 seront réservés en l'état.

PAR CES MOTIFS,

Statuant publiquement par mise à disposition au greffe, contradictoirement et en premier ressort,

Le juge de la mise en état,

Rejette la fin de non recevoir tirée de la prescription de l'action de M. [P] ;

Renvoie l'affaire à l'audience de mise en état (dématérialisée) du 07 septembre 2021 à 10 heures et les parties sont invitées pour cette date à faire part au juge de la mise en état de leur avis sur la proposition qui leur est faite de procéder entre elles par voie de médiation judiciaire aux fins de trouver une issue rapide, librement négociée et confidentielle au présent litige ;

Réserve les dépens et les demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Faite et rendue à Paris le 08 juillet 2021.

La GreffièreLa Juge de la mise en état


Synthèse
Tribunal : Tribunal de grande instance de Paris
Formation : Ct0196
Numéro d'arrêt : 7
Date de la décision : 08/07/2021

Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.grande.instance.paris;arret;2021-07-08;7 ?
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