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01/07/2021 | FRANCE | N°3

France | France, Tribunal de grande instance de Paris, Ct0196, 01 juillet 2021, 3


TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS

3ème chambre 1ère section

No RG 20/03225 -
No Portalis 352J-W-B7E-CR637

No MINUTE :

Assignation du :
14 février 2020

JUGEMENT
rendu le 01 juillet 2021
DEMANDERESSE

S.A.S. KONBINI
[Adresse 1]
[Localité 3]

représentée par Me Céline ASTOLFE de l'ASSOCIATION LOMBARD, BARATELLI et Associés, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #E0183

DÉFENDEUR

Monsieur [J] [I]
[Adresse 2]
[Localité 2]

représenté par Me Alexandre DUVAL- STALLA de la SELARL DUVAL STALLA

et ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #J0128

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Nathalie SABOTIER, 1ère vice-présidente adjointe
Gilles BUFFET, V...

TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS

3ème chambre 1ère section

No RG 20/03225 -
No Portalis 352J-W-B7E-CR637

No MINUTE :

Assignation du :
14 février 2020

JUGEMENT
rendu le 01 juillet 2021
DEMANDERESSE

S.A.S. KONBINI
[Adresse 1]
[Localité 3]

représentée par Me Céline ASTOLFE de l'ASSOCIATION LOMBARD, BARATELLI et Associés, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #E0183

DÉFENDEUR

Monsieur [J] [I]
[Adresse 2]
[Localité 2]

représenté par Me Alexandre DUVAL- STALLA de la SELARL DUVAL STALLA et ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #J0128

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Nathalie SABOTIER, 1ère vice-présidente adjointe
Gilles BUFFET, Vice président
Alix FLEURIET, Juge

assistés de Caroline REBOUL, Greffière

DEBATS

A l'audience du 12 avril 2021
tenue en audience publique

JUGEMENT

Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe
Contradictoire
En premier ressort

EXPOSÉ DU LITIGE :

La société KONBINI, créée en 2008, se présente comme une agence de communication et un média en ligne proposant différents contenus traitant principalement de l'actualité, de pop culture, de sport, de photographie, de séries et de cuisine, qu'elle diffuse sur ses réseaux sociaux.

A ce titre, elle a développé en 2015 le concept d'une émission intitulée "Fast et Curious" qui consiste "en une interview vidéo de 2 minutes 30 secondes maximum, durant laquelle une personnalité répond de manière rapide à une série de questions consistant en un choix entre deux propositions simples, permettant de dessiner en filigrane le parcours de la personne interviewée."

La société KONBINI expose avoir découvert qu'au mois de janvier 2020, M. [J] [I], Maire de la ville de[Localité 1], avait mis en ligne sur la page Facebook officielle de sa campagne électorale un clip intitulé "Fast et Cabourg " reprenant le concept, le format, la présentation visuelle et sonore de son émission "Fast et Curious".

Par une lettre recommandée avec accusé de réception du 16 janvier 2020, la société KONBINI a informé M. [I] que son clip de campagne était susceptible de constituer une contrefaçon de ses droits d'auteur, et lui a enjoint de retirer la vidéo litigieuse et de lui verser 35.000 euros de dommages et intérêts.

En l'absence de proposition d'indemnisation, la société KONBINI a, par acte d'huissier du 14 février 2020, fait assigner M. [I] devant le tribunal judiciaire de Paris en concurrence parasitaire.

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 20 janvier 2021 la société KONBINI demande au tribunal, au visa de l'article 1240 du code civil, de:

A titre liminaire :

- Rejeter l'irrecevabilité soulevée par M. [J] [I] ;

A titre principal :

- Débouter M. [J] [I] de l'intégralité de ses demandes, fins et prétentions ;

- Dire que M.[J] [I] a commis des actes constitutifs de parasitisme engageant sa responsabilité civile délictuelle ;

- Dire que la société KONBINI a subi un préjudice financier, causé par les agissements de M. [J] [I];

- Dire que la société KONBINI a subi un préjudice moral, causé par les agissements de M.[J] [I];

- Dire que la société KONBINI a subi un préjudice d'image, causé par les agissements de M. [J] [I] ;

En conséquence :

- Condamner M. [J] [I] à verser à la société KONBINI la somme de 200.000 euros, à parfaire, au titre de la réparation de son préjudice financier ;

- Condamner M. [J] [I] à verser à la société KONBINI la somme de 100.000 euros, au titre de la réparation de son préjudice d'image ;

- Condamner M. [J] [I] à verser à la société KONBINI la somme de 100.000 euros, au titre de la réparation de son préjudice moral ;

- Ordonner la publication du jugement à intervenir sur la page d'accueil de la page Facebook de «Vivre Cabourg Ensemble avec [J] [I]» dont l'URL est https://fr-fr.facebook.com/vivrecabourgensemble, et ce pendant une période continue de 30 jours consécutifs devant débuter dans un délai maximal de 8 jours à compter de la signification du jugement à intervenir, en caractères parfaitement lisibles et en dehors de toute annonce ou mention à caractère promotionnel ou publicitaire, sous astreinte de 1.000 € par jour de retard à compter de 8 jours après la notification de la décision à intervenir ;

- Dire que l'astreinte sera liquidée sur simple demande de la société KONBINI auprès du tribunal de céans;

- Autoriser la société KONBINI à publier le jugement à intervenir dans trois journaux ou revues de son choix et dans la limite d'un coût de 5.000 € HT par insertion, aux frais exclusifs de M. [J] [I], qui sera tenu d'en faire l'avance sur simple présentation d'un devis de publication ;

En tout état de cause :

- Condamner M. [J] [I] à verser à la société KONBINI une somme de 30.000 euros, sauf à parfaire en fonction de l'évolution des frais engendrés par la présente procédure, sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Condamner M. [J] [I] aux entiers dépens ;

- Ordonner l'exécution provisoire de la décision à intervenir, nonobstant toute voie de recours et sans constitution de garantie.

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 19 janvier 2021 M. [J] [I] demande au tribunal, au visa de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, des articles 32, 32-1, 122 et 700 du code de procédure civile, de:

In limine litis,

- Déclarer la société KONBINI irrecevable en sa demande en ce que M. [J] [I] n'a pas de droit d'agir ;

A titre principal,

- Dire qu'aucun fait de parasitisme ne peut être reproché à M. [J] [I] ;

- Dire que la société KONBINI ne justifie pas de l'existence d'un droit de propriété intellectuelle et que son « concept » n'est pas original ;

- Dire que la procédure est abusive ;

En conséquence,

- Condamner la société KONBINI à la somme de 3.000 euros en application de l'article 32-1 du code de procédure civile ;

A titre subsidiaire, si par extraordinaire, le tribunal reconnaissait l'existence de faits de parasitisme,

- Dire qu'une condamnation de M. [J] [I] porterait une atteinte disproportionnée à la liberté d'expression ;

- Dire que la société KONBINI ne justifie pas d'un quelconque préjudice certain ;

- Rejeter les demandes de mesures complémentaires ;

En tout état de cause,

- Débouter la société KONBINI de l'ensemble de ses demandes ;

- Condamner la société KONBINI à payer à M. [J] [I] la somme de 6.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'au règlement des entiers dépens distraction faite au profit du Cabinet DUVAL-STALLA et Associés, conformément à l'article 699 du code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 09 février 2021.

MOTIFS DE LA DÉCISION

1o) Sur la recevabilité de l'action

M. [I] fait valoir que les demandes sont irrecevables, faute pour lui d'avoir qualité à défendre ici, n'ayant la qualité ni d'auteur, ni de producteur de la vidéo en litige. Il ajoute qu'il n'est pas démontré qu'il aurait la qualité d'administrateur de la page Facebook sur laquelle cette vidéo a été mise en ligne.

La société KONBINI conclut quant à elle à la recevabilité de ses demandes en ce qu'elles sont dirigées contre M. [I], la page Facebook sur laquelle la vidéo litigieuse a été mise en ligne étant entièrement dédiée à la campagne électorale de ce dernier, et pour partie alimentée par des publications personnelles de sa part qui doit dès lors être tenu pour responsable des conséquences dommageables de la publication de cette vidéo.

Sur ce,

Aux termes de l'article 32 du code de procédure civile, "Est irrecevable toute prétention émise par ou contre une personne dépourvue du droit d'agir."

Il résulte en l'occurrence des pièces produites aux débats et en particulier du procès-verbal de constat dressé le 16 janvier 2020, que la vidéo en litige a été publiée sur une page Facebook intitulée "Vivre Cabourg ensemble avec [J] [I]", dont il n'est pas contesté qu'elle est dédiée à la promotion de la liste conduite par M. [I] pour les élections municipales de mars 2020.

Le tribunal observe qu'il n'est pas possible de connaître l'identité de l'administrateur de la page facebook, cette donnée n'y étant pas précisée, tandis que la liste de candidats dont elle vise à faire la promotion n'a pas la personnalité morale, n'étant par ailleurs adossée à aucun parti politique.

Il est encore observé que la vidéo consiste en une interview promotionnelle de M. [I] seul, qui se garde de désigner ici l'administrateur de la page Facebook, de même que l'auteur de la vidéo, alors qu'il apparaît raisonnable de penser qu'il connaît leur identité.

Il en résulte que M. [I], qui n'offre pas de démontrer que cette vidéo aurait été produite par un tiers telle une agence de communication, doit être regardé comme son producteur, de sorte que les demandes de la société KONBINI sont valablement dirigées contre lui.

2o) Sur le parasitisme

La société KONBINI revendique la propriété et l'originalité de son "format" (questions sous forme de choix binaires, sur un rythme très rapide, donné à la fois par l'identité visuelle de l'interview, mais aussi le choix de la musique), lequel a été repris à l'identique et en tous points par M. [I]. Cette société indique que, ce faisant, M. [I] a engagé sa responsabilité civile sur le fondement de l'article 1240 du code civil, peu important que les parties ne soient pas en situation de concurrence et que M. [I] n'ait pas agi dans un but lucratif, celui-ci s'étant néanmoins indûment approprié les investissement de la demanderesse et économisé tout effort créatif.

Sur les exceptions soulevées par M. [I], la société KONBINI fait valoir que la vidéo litigieuse ne contient aucune différence perceptible avec ses propres créations, tandis que M. [I] ne peut selon elle sérieusement soutenir poursuivre un but d'intérêt général.

M. [I] conclut quant à lui au rejet des demandes de la société KONBINI. Il soutient en premier lieu qu'il ne peut être considéré comme étant un opérateur économique faute d'avoir poursuivi un quelconque but lucratif en participant à la vidéo litigieuse. Il ajoute que la société KONBINI ne peut revendiquer aucun droit de propriété sur un concept d'interview, qui n'est pas un "format" au sens où l'entend la jurisprudence, lequel ne serait en tout état de cause pas original dès lors qu'il est lui-même inspiré d'autres concepts d'interviews prééxistants, en particulier celui de la "Boîte à questions" de la société Canal+.

Subsidiairement, M. [I] invoque l'exception de parodie, la vidéo litigieuse étant un évident "clin d'oeil" aux interviews de la société KONBINI à des fins humoristiques.

Encore plus subsidiairement, M. [I] soutient qu'une condamnation porterait une atteinte disproportionnée à sa liberté d'expression, rappelant à cet égard que la vidéo litigieuse s'inscrit dans le cadre de sa campagne électorale en vue des élections municipales. Il ajoute que les interviews "Fast and Curious" de la société KONBINI sont beaucoup copiées.

Enfin, M. [I] soutient que la société KONBINI n'a subi aucun préjudice ni financier, ni d'image, la vidéo ayant été retirée de la page Facebook immédiatement après la demande de cette société, le constat de l'huisier révélant qu'elle n'a été vue que 3296 fois.

Sur ce,

Aux termes des articles 1240 et 1241 du code civil, "Tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer." et "Chacun est responsable du dommage qu'il a causé non seulement par son fait, mais encore par sa négligence ou par son imprudence."

Au visa de ces deux textes, il est constamment jugé que la liberté du commerce autorise tout acteur économique à attirer vers lui la clientèle de son concurrent. Aussi, l'imitation d'un concurrent n'est, en tant que telle, pas fautive, à moins que ne soient utilisés des procédés illicites ou contraires aux usages loyaux du commerce.

A cet égard, les procédés consistant, par imitation des signes d'un concurrent, à créer dans l'esprit du public une confusion de nature à tromper la clientèle et la détourner, caractérisent des actes de concurrence déloyale.

Est de la même manière fautif le fait, pour un agent économique, de s'immiscer dans le sillage d'un autre afin de tirer profit, sans rien dépenser, de ses efforts et de son savoir-faire particulier (Cass. Com., 26 janvier 1999, pourvoi no 96-22.457 ; Cass. Com., 10 septembre 2013, pourvoi no 12-20.933), ce qui constitue un acte de parasitisme.

Les agissements parasitaires peuvent en outre être constitutifs d'une faute même en l'absence de toute situation de concurrence (Cass. Com., 30 janvier 1996, pourvoi no 94-15.725, Bull. 1996, IV, no 32 ; Cass. Com., 7 avril 2009, pourvoi no 07-17.529). En outre, le fait que M. [I] n'exerce pas d'activité commerciale ne lui retire nullement la qualité d'opérateur économique dont la responsabilité est susceptible d'être recherchée pour parasitisme dès lors que les conditions en sont remplies.

Il doit encore être rappelé que le "format" désigne le document qui définit précisément et de façon complète, en principe sous une forme écrite, le contenu d'un programme audiovisuel. Il a vocation à être décliné pour la réalisation des émissions.

En ce qu'il confère une forme aux idées, le format est susceptible d'appropriation et de protection par le droit d'auteur, au même titre que les émissions réalisées, dès lors qu'il est original, c'est à dire qu'il porte l'empreinte de la personnalité de son auteur et ne constitue pas la banale reprise du fonds commun des programmes audiovisuels.

En l'occurrence, la société demanderesse décrit précisément le format de ses émissions : un clap annonce le début de l'interview, sous la forme de propositions à la personne interviewée de choix de réponses binaires, s'enchaînant de manière très rythmée ; les questions sont toujours en rapport avec le parcours de l'interviewé et ont un ton humoristique, l'intervieweur n'étant pas visible, seule l'étant la personne interviewée face caméra sur un fond uni ; les propositions de réponses binaires sont présentées ensembles, horizontalement, sur plein écran, en blanc sur fond noir et en noir sur fond blanc ; le nom de la personne interviewée est mentionné en noir dans un encadré jaune, et l'alternance des couleurs bleu, rouge et jaune est présente sur un logo en forme de K ainsi qu'en bas de l'écran ; un fond sonore est présent sous la forme d'une musique rythmée identique sur chaque vidéo.

Au-delà de cette description, la société KONBINI n'offre pas en revanche de caractériser l'empreinte de la personnalité de l'auteur des formats en litige, de sorte que ces derniers ne peuvent ici recevoir aucune protection par le droit d'auteur, la société KONBINI ne formulant en tout état de cause aucun grief de contrefaçon.

Force est quoi qu'il en soit de constater que la vidéo en litige reproduit à l'identique l'ensemble des caractéristiques du format à savoir un enchaînement rapide et rythmé de questions sous la forme de propositions de réponses binaires, présentées ensembles, horizontalement, sur plein écran, en blanc sur fond noir et en noir sur fond blanc, et posées à un invité, seul visible, face caméra (cf ci-dessous):

la reprise du format portant y compris sur ses aspects sonores (musique) et ses détails visuels, ainsi qu'en attestent les extraits suivants des conclusions de la demanderesse :

Ce faisant, M. [I] s'est approprié le travail créatif et promotionnel de la société KONBINI, tout en s'épargnant le coût et les efforts d'une création personnelle, aux fins de promotion de sa candidature aux élections municipales, ce qui caractérise le parasitisme.

Force est en outre de constater que la reprise du format de la société KONBINI jusque dans ses détails doit conduire le tribunal à considérer qu'il n'y a pas de "différence perceptible" entre les émissions produites par la société KONBINI et l'interview en litige (cf. CJUE, 3 septembre 2014, aff. C-201/13, Deckmyn C. Vandersteen : "2) L'article 5, paragraphe 3, sous k), de la directive 2001/29 doit être interprété en ce sens que la parodie a pour caractéristiques essentielles, d'une part, d'évoquer une oeuvre existante, tout en présentant des différences perceptibles par rapport à celle-ci, et, d'autre part, de constituer une manifestation d'humour ou une raillerie."), de sorte, qu'à supposer l'exception de parodie applicable, elle ne pourrait en l'occurrence bénéficier à M. [I].

L'article 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales énonce en outre que "Toute personne a droit à la liberté d'expression. Ce droit comprend la liberté d'opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu'il puisse y avoir ingérence d'autorités publiques et sans considération de frontière.( ?)
2. L'exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions, prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l'intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l'ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d'autrui, pour empêcher la divulgation d'informations confidentielles ou pour garantir l'autorité et l'impartialité du pouvoir judiciaire. »

Ces dispositions consacrent le droit à l'information du public et la liberté d'expression, tout en rappelant que ce droit doit s'exercer dans le respect des droits d'autrui.

La Cour de Strasbourg retient que la liberté d'expression est dotée d'une force plus ou moins grande selon le type de discours en distinguant la situation où est en jeu l'expression strictement commerciale de l'individu, de celle où est en cause sa participation à un débat touchant l'intérêt général : " L'étendue de la marge d'appréciation dont disposent les Etats contractants en la matière varie en fonction de plusieurs éléments, parmi lesquels le type de « discours » ou d'information en cause revêt une importance particulière. Ainsi, si l'article 10 § 2 de la Convention ne laisse guère de place pour des restrictions à la liberté d'expression en matière politique par exemple, les Etats contractants disposent d'une large marge d'appréciation lorsqu'ils réglementent la liberté d'expression dans le domaine commercial (Mouvement raëlien c. Suisse [GC], no 16354/06, § 61), étant entendu que l'ampleur de celle-ci doit être relativisée lorsqu'est en jeu non l'expression strictement « commerciale » de tel individu mais sa participation à un débat touchant à l'intérêt général (Hertel c. Suisse, 25 août 1998, § 47, Recueil des arrêts et décisions 1998-VI)." (affaire Ashby Donald et autres c/ France du 10 janvier 2013, requête no36769/08).

Selon l'article 10 précité, les limitations à la liberté d'expression ne sont admises qu'à la condition qu'elles soient prévues par la loi, justifiées par la poursuite d'un intérêt légitime et proportionnées au but poursuivi, c'est à dire rendues nécessaires dans une société démocratique.

La Cour européenne des droits de l'homme a également précisé dans la décision précitée que l'adjectif "nécessaire" au sens de l'article10 § 2 "implique un besoin social impérieux" (point 38, § ii de l'arrêt).

Or, il ne peut en l'occurrence être considéré que la vidéo mettant en scène une interview de M. [I] participe à un débat touchant à l'intérêt général, ni même qu'elle véhicule un message politique. A titre d'exemple, la première question de l'interview litigieuse est la suivante : "Petit train / Grand hôtel" et la réponse "Grand hôtel si c'est vue sur la mer".

Il en résulte que l'atteinte portée par cette interview au travail de la société KONBINI n'apparaît pas nécessaire au sens de l'article 10§ 2 de la Convention. L'exception tirée d'une atteinte à la liberté d'expression de M. [I] sera donc elle aussi écartée.

Aussi, le préjudice subi par la société KONBINI sera réparé en tenant compte du nombre relativement faible de vues de l'interview en litige (3.296 vues), par le versement de la somme de 15.000 euros à titre de dommages-intérêts réparant le préjudice moral de la demanderesse, aucun élément n'attestant d'un préjudice financier, non plus que d'un préjudice d'image.

Cette somme réparant suffisamment le préjudice subi, il n'y aura pas lieu à publication de la présente décision à titre complémentaire.

3o) Sur les autres demandes

Le parasitisme étant retenu M. [I] ne peut qu'être débouté de sa demande de dommages-intérêts pour procédure abusive.

Partie perdante au sens de l'article 700 du code de procédure civile, M. [I] sera condamné aux dépens, ainsi qu'à payer à la société KONBINI la somme de 10.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Nécessaire et compatible avec la nature de l'affaire, l'exécution provisoire sera ordonnée.

PAR CES MOTIFS,

Statuant publiquement par mise à disposition au greffe, contradictoirement et en premier ressort,

Le tribunal,

Dit recevables les demandes de la société KONBINI dirigées contre M. [J] [I] ;

Condamne M. [J] [I] à payer à la société KONBINI la somme de 15.000 euros en réparation du préjudice moral résultant des faits de parasitisme commis ;

Rejette les autres demandes de la société KONBINI (réparation d'un préjudice financier et d'un préjudice d'image et publication de la présente décision), ainsi que la demande de dommages-intérêts pour procédure abusive présentée par M. [J] DUVAL ;

Condamne M. [J] [I] aux dépens ;

Condamne M. [J] [I] à payer à la société KONBINI la somme de 10.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

Ordonne l'exécution provisoire de la présente décision.

Fait et jugé à Paris le 01 juillet 2021

La GreffièreLa Présidente


Synthèse
Tribunal : Tribunal de grande instance de Paris
Formation : Ct0196
Numéro d'arrêt : 3
Date de la décision : 01/07/2021

Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.grande.instance.paris;arret;2021-07-01;3 ?
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