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17/06/2021 | FRANCE | N°21/53849

France | France, Tribunal de grande instance de Paris, Ct0760, 17 juin 2021, 21/53849


TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE [Localité 10]

No RG 21/53849 - No Portalis 352J-W-B7F-CUJG2

No : 1/FF

Assignation du :
28 Avril 2021

ORDONNANCE DE RÉFÉRÉ
rendue le 17 juin 2021

par Nathalie SABOTIER, 1ère vice-présidente adjointe au Tribunal judiciaire de Paris, agissant par délégation du Président du Tribunal,

Assistée de Fabienne FELIX, Faisant fonction de greffier.
DEMANDERESSES

S.A.S SANOFI MATURE IP
[Adresse 3]
[Localité 5]

S.A. SANOFI WINTHROP INDUSTRIE
[Adresse 1]
[Localité 7]

S.A. SANOFI-AV

ENTIS FRANCE
[Adresse 6]
[Localité 8]

représentées par Maître Frédéric CHEVALLIER du PARTNERSHIPS HERBERT SMITH FREEHILLS PARIS LLP, avocat...

TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE [Localité 10]

No RG 21/53849 - No Portalis 352J-W-B7F-CUJG2

No : 1/FF

Assignation du :
28 Avril 2021

ORDONNANCE DE RÉFÉRÉ
rendue le 17 juin 2021

par Nathalie SABOTIER, 1ère vice-présidente adjointe au Tribunal judiciaire de Paris, agissant par délégation du Président du Tribunal,

Assistée de Fabienne FELIX, Faisant fonction de greffier.
DEMANDERESSES

S.A.S SANOFI MATURE IP
[Adresse 3]
[Localité 5]

S.A. SANOFI WINTHROP INDUSTRIE
[Adresse 1]
[Localité 7]

S.A. SANOFI-AVENTIS FRANCE
[Adresse 6]
[Localité 8]

représentées par Maître Frédéric CHEVALLIER du PARTNERSHIPS HERBERT SMITH FREEHILLS PARIS LLP, avocats au barreau de PARIS - J0025,

DEFENDERESSE

S.A.S.U. EVER PHARMA FRANCE
[Adresse 2]
[Localité 4]

représentée par Maître Guillaume HENRY de l'AARPI SZLEPER HENRY Avocats, avocats au barreau de PARIS - #R0017

DÉBATS

A l'audience du 19 Mai 2021, tenue publiquement, présidée par Nathalie SABOTIER, 1ère vice-présidente adjointe, assistée de Arnaud FAURE, Greffier,

EXPOSÉ DU LITIGE :

Présentation des parties et de leurs droits

Les sociétés SANOFI MATURE IP, SANOFI WINTHROP INDUSTRIE et SANOFI-AVENTIS FRANCE appartiennent au groupe français SANOFI, qu'elles présentent comme un leader mondial des produits de santé, employant plus de 100.000 personnes dans le monde, ayant consacré en 2020 plus de 15 % de son chiffre d'affaires annuel, soit environ 5,5 milliards d'euros, à la recherche.

La société SANOFI AVENTIS FRANCE vient aux droits de la société RHONE-POULENC RORER, titulaire du brevet européen EP 0 817 779, issu de la demande internationale no WO 96/30355, déposée le 25 mars 1996, et intitulé "Nouveaux taxoides, leur préparation et les compositions pharmaceutiques qui les contiennent". Ce brevet divulgue un nouveau produit, le Cabazitaxel, ayant "des propriétés anti-tumorales et plus particulièrement une activité sur les tumeurs résistantes au Taxol® ou au Taxotère ®" (Description page 17, lignes 14 et s.).

Ce brevet a expiré le 25 mars 2016.

La société SANOFI MATURE IP gère le portefeuille des droits de propriété industrielle portant sur les produits matures du groupe SANOFI.

Elle est la titulaire inscrite du brevet dit de seconde application thérapeutique EP 2 493 466 (ci-après EP 466), ayant pour titre « Nouvelle utilisation antitumorale du cabazitaxel », issu de la demande internationale no WO 2011/0251894 déposée le 27 octobre 2010, revendiquant la priorité de sept documents dont le plus ancien est daté du 29 octobre 2009, et dont la délivrance est intervenue le 11 février 2021.

Ce brevet a d'ores et déjà fait l'objet de huit oppositions devant l'Office Européen des Brevets.

Le brevet EP 466 concerne l'utilisation du cabazitaxel, en association avec la prednisone ou la prednisolone dans le traitement du cancer de la prostate métastatique résistant à la castration chez des patients précédemment traités avec un régime à base de docétaxel, et dont l'état s'est dégradé pendant ou après le traitement (paragraphe [0001] de la Description).

L'usage du Cabazitaxel en association avec la prednisone ou la prednisolone chez les patients souffrant d'un cancer de la prostate métastatique hormonorésistant, précédemment traités par une chimiothérapie à base de docétaxel, a été autorisé par l'agence européenne du médicament le 17 mars 2011 sous la marque JEVTANA® et plus particulièrement sous la dénomination "JEVTANA 60 mg, solution à diluer et solvant pour solution pour perfusion".

Il s'agit de la seule indication autorisée du Cabazitaxel.

Les sociétés SANOFI WINTHROP INDUSTRIE et SANOFI-AVENTIS FRANCE sont respectivement licenciée et sous-licenciée du brevet EP 466 pour la France suivant contrats inscrits au Registre européen des brevets le 5 février 2021 et portés au Registre national des brevets le 10 mars 1921.

La spécialité JEVTANA est fabriquée au nom de la société SANOFI WINTHROP INDUSTRIE et commercialisée en France par la société SANOFI-AVENTIS FRANCE.

Autorisée pour une utilisation hospitalière uniquement, la spécialité JEVTANA est fournie aux établissements de santé aux termes de contrats et d'appels d'offres mais n'est pas disponible en pharmacie de ville.

Le litige

La société EVER PHARMA FRANCE est la filiale française du groupe pharmaceutique familial autrichien EVER PHARMA (anciennement EBEWE PHARMA).

Elle a obtenu, le 3 août 2020, une autorisation de mise sur le marché pour la spécialité hybride de JEVTANA dénommée "CABAZITAXEL EVER PHARMA 10mg/ml, solution à diluer pour perfusion".

Par une lettre de leur conseil en date du 17 décembre 2020, les sociétés SANOFI ont demandé à la société EVER VALINJECT de leur confirmer qu'elle n'enfreindrait, ni l'exclusivité commerciale attachée à l'autorisation de mise sur le marché courant jusqu'au 22 mars 2021, ni celle conférée par leurs droits de brevet.

Par une lettre du 22 décembre 2020, cette société répondait qu'elle avait pour "politique d'entreprise" de "toujours respecter les droits de propriété intellectuelle valables de ses concurrents".

Ayant toutefois découvert que cette société annonçait sur son site internet la disponibilité du CABAZITAXEL EVER PHARMA, les sociétés SANOFI ont sollicité et obtenu, le 7 mai 2021, l'autorisation de faire assigner en référé à heure indiquée, à l'audience du 19 mai 2021 à 10 heures, la société EVER PHARMA FRANCE, devant le délégataire du président de ce tribunal, aux fins notamment qu'il lui soit fait défense de fabriquer, offrir, mettre dans le commerce, utiliser, importer, exporter, transborder et détenir, la spécialité arguée de contrefaçon.

Saisi de la même manière en référé à heure indiquée de demandes identiques dirigées contre la société TEVA SANTÉ, ce tribunal a, par un jugement du 12 mai 2021, débouté les sociétés SANOFI MATURE IP, SANOFI WINTHROP INDUSTRIE et SANOFI-AVENTIS FRANCE de leurs demandes.

Dans leur assignation délivrée le 28 avril 2021, dont elles ont développé les termes à l'audience, les sociétés SANOFI MATURE IP, SANOFI WINTHROP INDUSTRIE et SANOFI-AVENTIS FRANCE demandent au juge des référés de :

Vu les articles L. 613-3, L. 613-4, L. 615-1, L. 615-3, L. 615-4 et L. 615-5-2 du code de la propriété intellectuelle ;

- Dire que le brevet européen no 2 493 466 est manifestement valable ;

- Dire que la défenderesse a commis des actes de contrefaçon d'à tout le moins les revendications 1, 2, 5, 6, 7, 8 et 9 du brevet européen no 2 493 466 en fabriquant, offrant, mettant dans le commerce, utilisant, important, exportant, transbordant et détenant aux fins précitées la spécialité arguée de contrefaçon ;

- Interdire à la défenderesse jusqu'au 27 octobre 2030 inclus de fabriquer, offrir, mettre dans le commerce, utiliser, importer, exporter, transborder, ou détenir aux fins précitées, des compositions pharmaceutiques reproduisant les caractéristiques des revendications 1, 2, 5, 6, 7, 8 et 9 du brevet européen no 2 493 466, sous astreinte de 10.000 euros (DIX MILLE EUROS) par médicament fabriqué, offert, mis dans le commerce, utilisé, importé, exporté, transbordé, ou détenu, quelle que soit sa forme de conditionnement, à compter de la date de la signification de l'ordonnance à intervenir ;

- Ordonner à la défenderesse de rappeler et/ou de retirer des réseaux de distribution, y compris auprès des pharmacies et des hôpitaux, tout médicament fabriqué, offert, mis dans le commerce, utilisé, importé, exporté, transbordé, ou détenu aux fins précitées, reproduisant les caractéristiques des revendications 1, 2, 5, 6, 7, 8 et 9 du brevet européen no 2 493 466, sous astreinte de 10.000 euros (DIX MILLE EUROS) par médicament non rappelé ou non retiré des réseaux de distribution, à compter d'un délai de 48 heures suivant la date de la signification de l'ordonnance à intervenir ;

- Autoriser les sociétés SANOFI MATURE IP, SANOFI WINTHROP INDUSTRIE et SANOFI-AVENTIS FRANCE à demander que toute composition pharmaceutique reproduisant les caractéristiques des revendications 1, 2, 5, 6, 7, 8 et 9 du brevet européen no 2 493 466 soit remise à tout huissier de leur choix, aux seuls frais de la défenderesse, afin d'empêcher leur introduction dans les circuits commerciaux et la poursuite d'actes de contrefaçon et par conséquent de :

o autoriser les sociétés SANOFI MATURE IP, SANOFI WINTHROP INDUSTRIE et SANOFI-AVENTIS FRANCE à faire procéder par tout huissier instrumentaire de leur choix, à la saisie réelle de toute composition pharmaceutique reproduisant les caractéristiques des revendications 1, 2, 5, 6, 7, 8 et 9 du brevet européen no 2 493 466 dans les locaux de la Défenderesse et en tous endroits dans lesquels les opérations révéleraient la présence de produits contrefaisants, afin que ces produits soient conservés sous le contrôle de l'huissier en tout lieu de stockage approprié ;
o autoriser l'huissier instrumentaire à se faire assister d'un officier de police ou de tout représentant de la force publique qui pourra procéder même en dehors de sa circonscription, et de tout expert du choix des sociétés SANOFI MATURE IP, SANOFI WINTHROP INDUSTRIE et SANOFI-AVENTIS FRANCE, autres que les subordonnés des demanderesses;
o autoriser l'huissier instrumentaire à se faire assister par un serrurier, par un informaticien et par toute personne de son étude ;
o autoriser l'huissier instrumentaire à poursuivre, en cas de besoin, ses opérations au-delà de la fin du premier jour ; dans ce cas, autoriser l'huissier instrumentaire à apposer les scellés sur les produits pertinents et, d'une façon générale, à apposer tous scellés ou autres moyens dans le but de préserver, sauvegarder et conserver toute composition pharmaceutique reproduisant les
caractéristiques des revendications 1, 2, 5, 6, 7, 8 et 9 du brevet européen no 2 493 466 à saisir dans les lieux de la saisie ;
o autoriser l'huissier instrumentaire à se faire assister par un manutentionnaire, emballeur et conducteur pour le transport des produits saisis et autoriser l'huissier instrumentaire à apporter tout moyen de transporter sur les lieux de la saisie ;

- Ordonner à la défenderesse, sous astreinte de 10.000 euros (DIX MILLE EUROS) par jour de retard passé un délai de huit jours à compter de la date de la signification de l'ordonnance à intervenir, à communiquer tous documents ou informations détenus par la société défenderesse afin de déterminer l'origine et les réseaux de distribution des compositions pharmaceutiques reproduisant les caractéristiques des revendications 1, 2, 5, 6, 7, 8 et 9 du brevet européen no 2 493 466, et notamment (i) les noms et adresses des fabricants, grossistes, importateurs et autres détenteurs antérieurs de ces produits, (ii) les quantités produites, importées, commercialisées, livrées, reçues ou commandées et (iii) le prix et autres avantages obtenus pour ces produits contrefaisants ;

- Ordonner à la défenderesse de communiquer aux sociétés SANOFI MATURE IP, SANOFI WINTHROP INDUSTRIE et SANOFI-AVENTIS FRANCE, par écrit et sous une forme appropriée (divisés en trimestres de l'année calendaire), les documents comptables, certifiés par un commissaire aux comptes, indiquant l'étendue des actes de contrefaçon précités commis depuis mars 2016 par la défenderesse sous astreinte de 10.000 euros (DIX MILLE EUROS) par jour de retard passé un délai de huit jours à compter de la date de la signification de l'ordonnance à intervenir ;

- Dire que Madame le président sera compétente pour statuer, s'il y a lieu, sur la liquidation des astreintes qu'elle a fixées ;

- Débouter la défenderesse de toutes ses demandes, fins et conclusions ;

- Condamner la défenderesse à payer aux sociétés SANOFI MATURE IP, SANOFI WINTHROP INDUSTRIE et SANOFI-AVENTIS FRANCE la somme de 100.000 euros (CENT MILLE EUROS) en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Condamner la défenderesse aux entiers dépens qui seront recouvrés par Maître Frédéric CHEVALLIER au titre de l'article 699 du code de procédure civile ;

- Rappeler que les décisions de première instance sont de droit exécutoires à titre provisoire en application de l'article 514 du code de procédure civile et que l'exécution de l'ordonnance de référé aura lieu au seul vu de la minute en application de l'article 489 du code de procédure civile.

Aux termes de ses conclusions notifiées le 18 mai 2021, oralement soutenues à l'audience du 19 mai 2021, la société EVER PHARMA demande quant à elle au juge des référés de:

1. IN LIMINE LITIS

- Déclarer irrecevables en leur action en interdiction provisoire fondée sur l'article L. 615-3 du CPI les sociétés SANOFI WINTHROP INDUSTRIE et SANOFI-AVENTIS FRANCE ;

2. À TITRE PRINCIPAL

- Constater l'existence de moyens sérieux de contestation de la validité du brevet européen EP 2 493 466 devant la division d'opposition de l'OEB et de la partie française du brevet européen EP 2 493 466 devant les juridictions françaises et de l'absence de preuve de la contrefaçon ;

En conséquence,

- Débouter la société SANOFI MATURE IP (ainsi que les sociétés SANOFI WINTHROP INDUSTRIE et SANOFI-AVENTIS FRANCE si elles devaient être déclarées recevables en leur action) de toutes leurs demandes,

3. À TITRE SUBSIDIAIRE

Si par extraordinaire, Madame la présidente du tribunal judiciaire de Paris considère que les contestations relatives à la validité du brevet européen EP 2 493 466 et à la prétendue contrefaçon ne sont pas suffisamment sérieuses,

- Dire que les sociétés SANOFI MATURE IP, SANOFI WINTHROP INDUSTRIE et SANOFI-AVENTIS FRANCE ne rapportent pas la preuve d'un préjudice irréparable, et que la mesure d'interdiction provisoire sollicitée est en l'espèce disproportionnée ;

En conséquence,

- Débouter la société SANOFI MATURE IP (ainsi que les sociétés SANOFI WINTHROP INDUSTRIE et SANOFI-AVENTIS FRANCE si elles devaient être déclarées recevable en leur action) de toutes leurs demandes,

4. EN TOUTE HYPOTHÈSE

Si Madame la présidente du tribunal judiciaire de Paris devait faire droit à l'une quelconque des demandes des sociétés SANOFI MATURE IP, SANOFI WINTHROP INDUSTRIE et SANOFI-AVENTIS FRANCE,

- Dire que les mesures prononcées prendront fin si le brevet EP 2 493 466 est révoqué par la division d'opposition de l'OEB ou bien si la partie française du brevet EP 2 493 466 est annulée par une juridiction française ;

- Donner acte à la société EVER PHARMA FRANCE qu'elle se réserve le droit de demander la nullité de la partie française du brevet EP 2 493 466 devant les juridictions françaises ;

- Condamner solidairement les sociétés SANOFI MATURE IP, SANOFI WINTHROP INDUSTRIE et SANOFI-AVENTIS FRANCE, à 100.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Condamner les sociétés SANOFI MATURE IP, SANOFI WINTHROP INDUSTRIE et SANOFI-AVENTIS FRANCE aux entiers dépens qui pourront être recouvrés directement par Me Guillaume HENRY, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Les demanderesses rappellent que le cancer de la prostate représente 26% des cancers chez l'homme en France et la troisième cause de décès chez l'homme dus à un cancer en France.

Elles ajoutent qu'en octobre 2009, il existait un besoin urgent d'un nouveau traitement de deuxième ligne pouvant prolonger la vie des patients atteints d'un cancer de la prostate métastatique résistant à la castration et qui avait progressé pendant ou après un traitement à base de docétaxel.

Les sociétés demanderesses font à cet égard valoir que les résultats de l'essai Tropic ont montré que les patients inclus dans le bras comprenant le cabazitaxel en association avec la prednisone présentaient, de façon tout à fait surprenante, une survie globale allongée de manière statistiquement significative, par comparaison aux patients du bras comprenant le mitoxantrone en association avec la prednisone.

Elles soulignent qu'en octobre 2009, l'homme du métier ne pouvait pas savoir si le Cabazitaxel pourrait allonger la durée de vie des patients et permettrait de passer outre la résistance aux taxanes. D'ailleurs, précisent-t'elles, le docteur [T] a décrit la difficulté qu'il a rencontrée à lancer l'essai Tropic et le scepticisme de ses collègues de la faculté d'[9] en 2007, "parce que les preuves étaient jugées trop préliminaires par certaines personnes de l'institution" et que l'homme du métier ne pouvait savoir qu'un essai de phase III, dont le seul critère valable est la survie globale, serait un succès.

Les sociétés SANOFI MATURE IP, SANOFI WINTHROP INDUSTRIE et SANOFI-AVENTIS FRANCE soutiennent, s'agissant des priorités revendiquées que l'objet du brevet EP 466 se déduit directement et sans ambiguïté du document de priorité US 160, de sorte que selon elles la priorité la plus ancienne est valablement revendiquée.

Elles ajoutent que le brevet EP 466 est manifestement nouveau.

S'agissant de l'activité inventive, les demanderesses considèrent que le descriptif Tropic constitue le document de l'art antérieur le plus proche, ainsi d'ailleurs que l'a retenu l'examinateur de l'OEB. Elles ajoutent que le problème technique objectif que l'invention propose de résoudre est celui de l'augmentation de la survie globale des patients et que cet objectif est atteint par l'association de cabazitaxel et de prednisone, ce qui a été décrit par les résultats inattendus et surprenants de l'essai Tropic. Elles précisent que la division d'examen de l'OEB a également accepté que la description de l'essai Tropic ne créait pas cet espoir raisonnable de succès.

Les demanderesses rappellent que, dans les années 2000, les laboratoires génériques ont, avec succès, reproché aux laboratoires innovants de déposer leurs brevets à un stade trop précoce, où ils ne pouvaient pas encore inclure dans les demandes de brevets les résultats de leurs essais en cours, ce dont il a été déduit que les inventions étaient insuffisamment décrites. Les sociétés SANOFI MATURE IP, SANOFI WINTHROP INDUSTRIE et SANOFI-AVENTIS FRANCE en déduisent qu'il est particulièrement mal venu de la part de la société EVER PHARMA FRANCE de leur reprocher d'avoir attendu ici les résultats des essais avant de déposer les brevets y afférents et à un stade où elles n'avaient aucun espoir de succès d'obtenir un allongement de la survie des patients.

Elles ajoutent qu'il ne peut être accepté que le simple fait qu'un essai clinique soit en cours donne toujours un espoir raisonnable de succès et en particulier que le médicament testé dans l'essai clinique traitera efficacement l'indication souhaitée, ce d'autant plus si l'on considère le taux d'échec des essais cliniques dans le domaine de l'oncologie.

Au cas particulier, les demanderesses insistent sur l'aspect exceptionnel du lancement de la phase III des essais cliniques et font valoir que l'initiation de l'essai Tropic ne peut en aucun cas être considérée comme signifiant que le groupe SANOFI avait un espoir raisonnable que cet essai serait un succès. En effet, les essais de Phase III ont ici été entrepris en raison du grand besoin de nouveaux traitements pour traiter des patients mourants dans un contexte où, en octobre 2009, aucun traitement de deuxième ligne n'était disponible pour prolonger la vie de ces patients, la seule option à cette époque consistant en des soins palliatifs.

Les sociétés demanderesses précisent en premier lieu que les critères rapportés pour le patient de l'essai MITA ( diminution du taux de PSA et réduction de la tumeur) ne sont en aucun cas des substituts au critère de la survie globale, une amélioration de ces deux critères ne se traduisant pas nécessairement par une amélioration de la survie globale. En deuxième lieu, le cancer de la prostate métastatique résistant à la castration est une maladie particulièrement hétérogène qui rend difficile toute généralisation ce dont elles déduisent que pour l'homme du métier, le document MITA était purement anecdotique.

Quant au document [E] de 2008, qui rapporte l'issue d'un essai clinique de Phase II chez les patientes atteintes d'un cancer du sein métastatique auxquelles du cabazitaxel a été administré, il est sans pertinence et n'aurait pas été pris en compte par l'homme du métier cherchant à résoudre le problème de l'amélioration de la survie des patients atteints d'un cancer métastatique de la prostate résistant à la castration.

Elles concluent en indiquant que l'homme du métier ne pouvait savoir, avant la révélation des résultats de l'essai Tropic, que le Cabazitaxel permettrait d'améliorer la survie globale des patients et en déduisent, ainsi que l'a retenu l'examinateur de l'OEB, que le brevet EP 466 est valable et ce, jusqu'en 2030, tandis que la contrefaçon n'est pas ici contestable par les défenderesses qui offrent à la vente leur produit, dont le "résumé des caractéristiques du produit" est calqué sur celui de la spécialité JEVTANA.

*

La société EVER PHARMA FRANCE conclut quant à elle au rejet des demandes en raison principalement du risque élevé de révocation, ou le cas échéant, d'annulation, du brevet EP 466. Elle fait à cet égard valoir que le dépôt du brevet EP 466 et sa délivrance, intervenue au bout de dix années de procédure d'examen de manière tout à fait surprenante, repose sur une confusion entre le critère d'activité inventive d'un brevet et celui de succès d'un essai clinique de phase III permettant l'obtention d'une autorisation de mise sur la marché.

Elle conteste d'abord la recevabilité des demandes, les dispositions de l'article L.615-2 du code de la propriété intellectuelle n'étant pas visées dans l'assignation, ce dont il résulte selon elle que les demandes des licenciées sont irrecevables, tandis que la société propriétaire du brevet ne peut invoquer aucun préjudice.

Au titre de l'absence de contrefaçon vraisemblable ensuite, la société EVER PHARMA FRANCE fait en premier lieu valoir que le brevet EP 466 comporte des caractéristiques qui ne figuraient pas dans le document de priorité US 160, de sorte que la date de priorité la plus ancienne est selon elle celle du 11 janvier 2010.

Elle estime en second lieu que le brevet est dépourvu de nouveauté et, en tout état de cause, dépourvu d'activité inventive, ainsi que l'a à juste titre selon elle retenu le tribunal dans son jugement du 12 mai 2021.

Elle précise d'ailleurs que le Professeur [R] auquel elle a fait appel pour cette affaire parvient à la même conclusion que le tribunal, à savoir que l'homme du métier, ayant connaissance des résultats de l'essai clinique de phase I pour le Cabazitaxel, des résultats de l'étude [E], qui concernait certes des patientes atteintes d'un cancer du sein mais ce cancer présentant néanmoins des similitudes avec un cancer de la prostate, et plus encore du lancement d'un essai de phase III, ne pouvait qu'en déduire qu'il existait une attente raisonnable de succès du traitement de seconde intention du cancer de la prostate. Elle indique qu'il s'agit au demeurant de l'information que le groupe Sanofi lui-même communiquait au marché avant la date de priorité revendiquée.

En droit, la société EVER PHARMA FRANCE rappelle que, pour les brevets de seconde application thérapeutique, l'effet thérapeutique est une caractéristique technique fonctionnelle.

Elle ajoute qu'en l'espèce, l'effet thérapeutique recherché par l'invention n'est indiqué que dans la description, notamment au paragraphe [0017], qui indique que « la quantité efficace de cabazitaxel produit au moins un effet thérapeutique choisi dans le groupe constitué par :
- une augmentation de la survie globale,
- une réponse partielle,
- une réduction de la taille de la tumeur,
- une réduction des métastases,
- une rémission complète, une rémission partielle,
- une maladie stable ou une réponse complète ».

Le tableau 1 reproduit dans la description et intitulé « analyse d'efficacité (intention de traiter) » montre également que les critères d'évaluation ne se limitent nullement à la survie globale puisqu'il vise : durée de survie, taux de réponse tumorale, taux de réponse PSA et taux de réponse à la douleur, sans qu'aucune ligne du brevet ne fasse état du caractère surprenant aujourd'hui invoqué.

La défenderesse en déduit que c'est avec une particulière mauvaise foi que les sociétés Sanofi affirment tout au long de leur assignation que l'effet thérapeutique recherché par l'invention, et donc le problème technique objectif à résoudre, est uniquement une amélioration de la survie globale.

Sur ce point, la déclaration [T] et les articles RAMIAH et ARMSTRONG sont selon elle dépourvus de toute pertinence, étant en complète contradiction avec le fascicule de brevet et se rapportant exclusivement au critère d'évaluation d'essais cliniques de phase III, et non au critère de l'effet thérapeutique au sens du droit des brevets.

La société EVER PHARMA FRANCE soutient ainsi que quatre effets thérapeutiques différents étaient recherchés, tandis que l'existence de comorbidités chez les patients souffrant d'un cancer de la prostate ne permet pas d'affirmer qu'il n'y a aucun lien entre la réduction de la taille de la tumeur et l'amélioration de la survie.

Et en l'occurrence, ajoute-t'elle, l'homme du métier savait, à la lecture des différents documents relatant les essais cliniques (MITA, [E] et descriptif TROPIC) et au moyen de ses connaissances générales en matière d'essais cliniques, qu'il existait, avant la date de priorité revendiquée, un espoir raisonnable de succès, autrement dit qu'il était "plausible", qu'à la date de publication du protocole de l'essai clinique de phase III Tropic, que le Cabazitaxel avait un effet thérapeutique sur le traitement du cancer métastatique de la prostate résistant à la castration.

La société EVER PHARMA FRANCE rappelle qu'en droit des brevets la certitude de l'effet thérapeutique n'est pas nécessaire et que les tâches impliquant une activité inventive sont antérieures à la mise en oeuvre des essais cliniques dont l'objet est de vérifier la tolérance, la dose, la fréquence d'administration (phase I), de confirmer l'activité clinique (phase II) et de comparer le produit avec un traitement standard (phase III). Il s'agit d'essais de routine pour l'homme du métier, ainsi que le juge au demeurant constamment l'OEB.

Selon la société EVER PHARMA FRANCE, il n'est pas contestable que l'antériorité MITA enseignait à l'homme du métier que les essais cliniques de phase I du Cabazitaxel avaient montré un effet thérapeutique encourageant, même si évidemment, ce document ne permettait pas de conclure que le produit serait un jour commercialisé.

Le document [E] le confortait dans sa conviction de l'effet thérapeutique plausible du Cabazitaxel, tandis que le document BEARDSLEY confirmait que les résultats de l'essai [E] étaient à ce point prometteurs que les autorités de santé avaient autorisé le lancement d'essais de phase III. Aussi, à la date de priorité, l'effet thérapeutique du Cabazitaxel dans le traitement du cancer métastasé de la prostate résistant au Docétaxel, n'était-il pas selon elle une surprise, mais bien un résultat attendu.

Le brevet EP 466 étant selon elle manifestement dépourvu de toute activité inventive, la société EVER PHARMA FRANCE conclut au rejet des demandes des sociétés SANOFI.

1o) Sur l'office du juge des référés

L'article L.615-3 du code de la propriété intellectuelle prévoit que " Toute personne ayant qualité pour agir en contrefaçon peut saisir en référé la juridiction civile compétente afin de voir ordonner, au besoin sous astreinte, à l'encontre du prétendu contrefacteur ou des intermédiaires dont il utilise les services, toute mesure destinée à prévenir une atteinte imminente aux droits conférés par le titre ou à empêcher la poursuite d'actes argués de contrefaçon. (...) Saisie en référé ou sur requête, la juridiction ne peut ordonner les mesures demandées que si les éléments de preuve, raisonnablement accessibles au demandeur, rendent vraisemblable qu'il est porté atteinte à ses droits ou qu'une telle atteinte est imminente.
La juridiction peut interdire la poursuite des actes argués de contrefaçon, la subordonner à la constitution de garanties destinées à assurer l'indemnisation éventuelle du demandeur ou ordonner la saisie ou la remise entre les mains d'un tiers des produits soupçonnés de porter atteinte aux droits conférés par le titre, pour empêcher leur introduction ou leur circulation dans les circuits commerciaux. (...)
Pour déterminer les biens susceptibles de faire l'objet de la saisie, elle peut ordonner la communication des documents bancaires, financiers, comptables ou commerciaux ou l'accès aux informations pertinentes. Elle peut également accorder au demandeur une provision lorsque l'existence de son préjudice n'est pas sérieusement contestable. (...)"

Selon le 22ème considérant de la directive no2004/48/CE du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 relative au respect des droits de propriété intellectuelle, dont les dispositions précitées constituent la transposition, "Il est également indispensable de prévoir des mesures provisoires permettant de faire cesser immédiatement l'atteinte sans attendre une décision au fond, dans le respect des droits de la défense, en veillant à la proportionnalité des mesures provisoires en fonction des spécificités de chaque cas d'espèce, et en prévoyant les garanties nécessaires pour couvrir les frais et dommages occasionnés à la partie défenderesse par une demande injustifiée. Ces mesures sont notamment justifiées lorsque tout retard serait de nature à causer un préjudice irréparable au titulaire d'un droit de propriété intellectuelle."

En outre, selon l'Article 4 "Personnes ayant qualité pour demander l'application des mesures, procédures et réparations" de la directive précitée, "Les États membres reconnaissent qu'ont qualité pour demander l'application des mesures, procédures et réparations visées au présent chapitre:
a) les titulaires de droits de propriété intellectuelle, conformément aux dispositions de la législation applicable;
b) toutes les autres personnes autorisées à utiliser ces droits, en particulier les licenciés, dans la mesure où la législation applicable le permet et conformément à celle-ci ;"

L'article L.615-2 du code de la propriété intellectuelle prévoit ainsi que "L'action en contrefaçon est exercée par le propriétaire du brevet. (...)
Tout licencié est recevable à intervenir dans l'instance en contrefaçon engagée par le breveté, afin d'obtenir la réparation du préjudice qui lui est propre."

Il résulte de l'ensemble de ces dispositions que :

a - Les sociétés SANOFI WINTHROP INDUSTRIE et SANOFI-AVENTIS FRANCE, qui bénéficient d'une licence, sont recevables à agir aux fins d'obtenir la mise en oeuvre des mesures propres à faire cesser le trouble qu'elles subissent sur le fondement du droit commun (articles 31, 122, 835 du code de procédure civile et 1240 du code civil), dont l'existence sera examinée si les contestations portant sur la validité du brevet n'apparaissent pas sérieuses et ce, peu important que l'article L.615-2 du code de la propriété intellectuelle ne soit pas visé dans l'assignation, la société EVER PHARMA FRANCE n'offrant pas de caractériser le grief que lui cause cette omission, ayant au contraire parfaitement démontré sa connaissance des moyens de droit qu'entendaient invoquer ces deux sociétés.

Les demandes apparaissent donc recevables.

b - Saisi de demandes présentées au visa de l'article L.615-3, le juge des référés doit statuer sur les contestations élevées en défense, y compris lorsque celles-ci portent sur la validité du titre lui-même. Il lui appartient alors d'apprécier le caractère sérieux ou non de la contestation et, en tout état de cause, d'évaluer la proportion entre les mesures sollicitées et l'atteinte alléguée par le demandeur et de prendre, au vu des risques encourus de part et d'autre, la décision ou non d'interdire la commercialisation du produit prétendument contrefaisant.

Il convient donc d'examiner les moyens soulevés aux fins de contester la validité du titre.

2o) Sur la présentation du brevet

L'invention décrit une nouvelle utilisation antitumorale du cabazitaxel dans le traitement du cancer de la prostate. Elle porte en particulier sur l'utilisation du cabazitaxel pour traiter le cancer métastatique résistant à la castration (ou metastatic Castration Resistant Prostate Cancer "mCRPC"), ainsi qu'à un traitement préalable par un régime à base de docétaxel (paragraphe [0001] de la description en langue anglaise).

La description ([0003]) enseigne que le cancer de la prostate est généralement traité au départ en privant les hormones androgènes, par excision chirurgicale des testicules ou radiothérapie, tandis que les traitements par antiandrogènes ou manipulations hormonales sont associées à des réponses de courte durée et sans amélioration du temps de survie.

Le rôle de la chimiothérapie cytotoxique dans le soulagement des symptômes et la réduction des taux d'antigène prostatique spécifique ("PSA") est établi, mais une telle chimiothérapie n'est pas un traitement de routine en raison de la toxicité des traitements, en particulier chez les patients âgés ([0004]).

A la date de priorité, les chimiothérapies utilisées étaient limitées au cyclophosphamide, aux anthracyclines (doxorubinine ou mitoxantrone) et à l'extramustine, et les effets de ces traitements restaient relativement médiocres. Des effets palliatifs ont été observés chez des patients après l'administration de corticoïdes seuls ou de mitoxantrone avec de la presdnisone ou de l'hydrocortisone. A la suite des essais de phase II, l'association de la mitoxantrone avec des corticoïdes a été reconnue comme le traitement de référence du cancer de la prostate hormono-résistant. Plus récemment, des traitements au Docetaxel en association avec l'estramustine ou la prednisone ont permis de traiter des cancers résistants à la privation hormonale et la survie a été améliorée de 2,4 mois ([0005]).

La description souligne ([0006]) que les réponses dans les cancers avancés de la prostate sont difficiles a évaluer en raison de l'hétérogénéité de la maladie et du manque de consensus sur les critères de réponse au traitement, de nombreux patients atteints d'un cancer métastatique de la prostate n'ayant pas de maladie mesurable, mais des symptômes dominés par des métastases osseuses. La mesure du taux de PSA, de la tumeur lorsque cela est possible, des tumeurs osseuses, de la douleur et enfin la qualité de vie se sont avérés être des moyens pour évaluer de nouveaux candidats.

Il est ajouté ([0007]) que le cancer peut devenir résistant aux agents utilisés et en particulier aux taxanes.

Aussi, le problème technique que l'invention propose de résoudre est celui de fournir une nouvelle option thérapeutique pour traiter le cancer de la prostate, en particulier pour les patients atteints d'un cancer métastatique résistant à la castration et précédemment traités par régime à base de docétaxel ([0008]).

La description précise ensuite ([0009]) que quatre essais cliniques sur le cabazitaxel sont connus depuis avril 2006. Trois tests de monothérapie ont permis de déterminer la dose maximale tolérée et les toxicités aux doses limites. Ces tests ont été réalisés sur des tumeurs du sein, de sarcome et de la prostate. Des doses de 10 à 30 mg/ m² toutes les trois heures ont été utilisées. La description précise encore qu'un essai de phase II a été réalisé sur des patientes atteintes d'un cancer du sein, qui avaient précédemment reçu des taxanes et des anthracyclines comme adjuvant c'est-a-dire après une chirurgie, ou comme traitement de première intention. Les taux de réponse étaient de 14,6% comme adjuvant et 9,5% comme traitement de deuxième intention.

Sont plus particulièrement cités les documents MITA ET AL (« Étude de phase I et pharmacocinétique de XRP6258 (RPR 116258A), un nouveau taxane, administré en perfusion d'une heure toutes les 3 semaines chez des patients atteints de tumeurs solides avancées ») et T ANNOCK ET AL (« Docétaxel plus prednisone ou mitoxantrone plus prednisone pour le cancer avance de la prostate »).

Aux fins précitées, l'invention concerne ainsi une nouvelle utilisation thérapeutique pharmaceutique antitumorale comprenant du cabazitaxel de formule

Elle propose un composé ayant la formule représentée ci-dessus pouvant être sous forme de base ou sous forme d'un hydrate ou d'un solvate, en association avec la prednisone ou la prednisolone, pour une utilisation dans le traitement du cancer de la prostate chez les patients présentant les caractéristiques précédemment définies.

Cet agent antitumoral peut se présenter sous forme de base anhydre, d'hydrate ou de solvate. Le cabazitaxel est administré en association avec un corticoïde choisi parmi la prednisone et la prednisolone, de préférence à une dose quotidienne de 10 mg par voie orale.

Dans certains aspects de l'invention, le cabazitaxel est administré à une dose (définie pour chaque administration) comprise entre 20 et 25 mg/m², et peut se présenter sous la forme d'un solvat acétonique qui contient plus particulièrement entre 5% et 8% et de préférence entre 5% et 7% en poids d'acétone.

Il peut être administré par perfusion intraveineuse à une dose comprise entre 15 et 25 mg/m², ce cycle d'administration étant répété à un intervalle de 3 semaines susceptible d'être prolongé selon la tolérance à la dose précédente. Le cabazitaxel peut être administré en association avec le corticoïde qui est la prednisone ou la prednisolone, sous forme de deux préparations pharmaceutiques distinctes.

La dose recommandée est de 25 mg/m² de cabazitaxel administré en perfusion d'une heure et de 10 mg par jour de prednisone ou de prednisolone par voie orale.

Il est précisé que dans certains aspects, le patient a été préalablement traité avec une dose cumulée d'au moins 225 mg/ m² de docétaxel.

Le brevet EP 466 décrit (paragraphes [0067] et suivants) les résultats d'un essai clinique de phase III utilisant le cabazitaxel, ayant porté sur 755 patients atteints d'un cancer de la prostate métastatique résistant à la castration ayant progressé pendant ou après un régime à base de docétaxel. Il s'agissait de comparer les résultats sur un groupe de patients traités avec le cabazitaxel en association avec de la prednisone à ceux recevant le traitement de référence à base de mitoxantrone + prednisone. La dose médiane antérieure de traitement par docétaxel était de 576 mg/ m² pour le groupe cabazitaxel et de 529 mg/ m² pour le groupe mitoxantrone.

Les résultats de l'essai clinique sont rapportés à partir du paragraphe [0075] qui mentionne que « La survie médiane des patients du groupe cabazitaxel était de 15,1 mois contre 12,7 mois dans le groupe mitoxantrone. Notamment, l'extension de la survie a été observée indépendamment du statut de performance ECOG [EasternCooperativeOncology Group], du nombre de régimes de chimiothérapie antérieurs et à l'âge. Un bénéfice a également été observé chez le tiers des patients réfractaires au docétaxel et ayant progressé au cours du traitement par docétaxel » et que « la survie sans progression (PFS) définie comme la progression la plus précoce de la tumeur, du PSA ou de la douleur était également statistiquement significativement plus longue dans le groupe cabazitaxel par rapport au groupe mitoxantrone (p etlt; 0,0001, rapport de risque = 0, 74 (95% Cl, 0,64, 0,86), et la survie médiane sans progression était de 2,8 mois contre 1,4 mois. Les taux de réponse et le PFS pour le PSA et les évaluations tumorales étaient statistiquement significatifs en faveur du cabazitaxel, tandis que le taux de réponse et le PFS pour la douleur ne présentaient pas de différence statistiquement significative ».

Le brevet comporte 9 revendications, toutes étant opposées à l'exclusion des 3ème et 4ème, libellées comme suit :

1. Composé de formule

qui peut être sous forme de base ou sous forme d'un hydrate ou d'un solvate, en association avec de la prednisone ou de la prednisolone, pour une utilisation dans le traitement du cancer de la prostate, chez les patients atteints d'un cancer métastatique de la prostate résistant à la castration qui ont été précédemment traités avec un régime à base de docétaxel et ayant un cancer de la prostate qui a progressé pendant ou après ledit traitement.

2. Composé pour une utilisation selon la revendication 1, où le cancer de la prostate est une maladie métastatique avancée.

3. Composé pour une utilisation selon l'une quelconque des revendications 1 à 2, sous la forme d'un solvat acétonique.

4. Composé pour une utilisation selon la revendication 3, dans lequel le solvat acétonique contient entre 5% et 8% et de préférence entre 5% et 7% en poids d'acétone.

5. Composé pour une utilisation selon l'une quelconque des revendications 1 à 4, administré à une dose comprise entre 15 et 25 mg/m², la prednisone ou prednisolone étant administrée à une dose de 10 mg/jour.

6. Composé pour une utilisation selon la revendication 5, administré à une dose de 25 mg/m² .

7. Composé pour une utilisation selon l'une quelconque des revendications 1 à 6, comprenant la répétition de l'administration de ce composé en un nouveau cycle toutes les 3 semaines.

8. Composé pour une utilisation selon l'une quelconque des revendications 1 à 7, en association avec de la prednisone.

9. Composé pour une utilisation selon l'une quelconque des revendications 1 à 8, dans lequel lesdits patients ont été précédemment traités avec au moins 225 mg/ m² de dose cumulée de docétaxel.

3o) Sur le caractère sérieux des contestations élevées en défense

Toutes les caractéristiques de la revendication 1 se déduisent explicitement et sans ambiguïté du document de priorité US 160, de sorte que cette priorité la plus ancienne apparaît valablement invoquée.

Aucun document de l'art antérieur ne comprend, à la date de priorité, tous les éléments qui constituent l'invention selon le même fonctionnement, en vue du même résultat technique. Le brevet apparaît donc comme étant nouveau.

Sur l'absence d'activité inventive

Aux termes de l'article L.614-12 du code de la propriété intellectuelle, "la nullité du brevet européen est prononcée en ce qui concerne la France par décision de justice pour l'un quelconque des motifs visés à l'article 138, paragraphe 1, de la Convention de Munich. Si les motifs de nullité n'affectent le brevet qu'en partie, la nullité est prononcée sous la forme d'une limitation correspondante des revendications."

Selon l'article 138 § 1 de la Convention sur le brevet européen, "Sous réserve de l'article 139, le brevet européen ne peut être déclaré nul, avec effet pour un Etat contractant, que si :
a) l'objet du brevet européen n'est pas brevetable en vertu des articles 52 à 57 ;"

Il résulte en outre de l'article 56 de la même Convention qu' "une invention est considérée comme impliquant une activité inventive si, pour un homme du métier, elle ne découle pas d'une manière évidente de l'état de la technique."

En application de ces dispositions, pour apprécier l'activité inventive d'un brevet, il convient de déterminer d'une part, l'état de la technique le plus proche, d'autre part le problème technique objectif à résoudre et enfin d'examiner si l'invention revendiquée aurait été évidente pour l'homme du métier.

S'agissant plus particulièrement des brevets de seconde application thérapeutique, il est jugé que "Lorsqu'une revendication porte sur une application thérapeutique ultérieure d'une substance ou d'une composition, l'obtention de cet effet thérapeutique est une caractéristique technique fonctionnelle de la revendication, de sorte que si, pour satisfaire à l'exigence de suffisance de description, il n'est pas nécessaire de démontrer cliniquement cet effet thérapeutique, la demande de brevet doit toutefois refléter directement et sans ambiguïté l'application thérapeutique revendiquée, de manière que l'homme du métier comprenne, sur la base de modèles communément acceptés, que les résultats reflètent cette application thérapeutique." ( Com., 6 décembre 2017, pourvoi no 15-19.726, Bull. 2017, IV, no 160)

Il en résulte que :
- l'effet thérapeutique recherché doit être précisé dans les revendications, et
- pour qu'il soit satisfait à l'exigence de suffisance de description, le brevet relatif à une seconde application thérapeutique doit comporter, par toute sorte de données, les informations établissant clairement et sans ambiguïté l'effet thérapeutique revendiqué, sans qu'il soit nécessaire de fournir à ce stade le résultat d'essais cliniques, l'effet thérapeutique étant alors considéré comme "plausible" (Décision de la chambre des recours de l'OEB du 23 août 2007, T-1642/06).

Corrélativement, lorsqu'il est divulgué, avant la date de priorité ou de publication de la demande, qu'une étude clinique est en cours, l'homme du métier est conduit à considérer qu'il existe une espérance de succès suffisante dans le traitement, de nature à rendre l'invention dépourvue d'activité inventive.

C'est en ce sens que se sont prononcées plusieurs décisions des chambres de recours de l'Office européen des brevets et en particulier la décision suivante :

"3.10 Le document D2 divulgue qu'une étude clinique de phase I évaluant le traitement combiné du cancer avec Yondelis (ET-743) et Doxil (PLD) était en cours. Par conséquent, à la date de publication de D2, l'information selon laquelle le traitement combiné en question était envisagé par les chercheurs pharmaceutiques avec une espérance de succès suffisante pour justifier un essai clinique de phase I était disponible. Dans ce contexte, il est souligné que les composés pharmaceutiques devant être utilisés dans un essai clinique sur des sujets humains ne sont pas sélectionnés sur la base d'une approche générale « try and see », mais sur la base de données scientifiques favorables existantes, pour des raisons à la fois éthiques et économiques. Un essai clinique n'est donc pas un simple exercice de criblage.
3.11 Contrairement à ce qui a été soutenu par les titulaires du brevet, le dossier ne contient aucune autre information qui aurait amené l'homme du métier à modifier cette appréciation et à estimer, à la date de priorité du brevet en litige, qu'il n'y avait finalement aucune espérance raisonnable de réussite pour la polythérapie avec ET-743 et PLD.

3.12 Il était connu que les deux médicaments étaient bien tolérés en monothérapie chez des patients humains (voir D16a pour PLD ; D2 et D7 : pages 1189 et 1190 pour ET-743) et présentaient des toxicités limitant la dose différentes pour la plupart des types de cancer. Ces informations ne vont au moins pas à l'encontre de l'association des médicaments, étant donné qu'il est avantageux de choisir des substances présentant des effets secondaires limitant la dose différents afin d'obtenir un bénéfice d'un traitement combiné (voir point 3.8 ci-dessus et D35 : page 292). Bien que des données expérimentales relatives à la sécurité de l'association ne soient pas disponibles, la simple absence de telles informations n'aurait pas été une raison pour l'homme du métier de s'attendre à l'échec de la polythérapie.
À cet égard, les titulaires du brevet ont fait valoir que le taux de réussite des essais en oncologie était généralement très faible, d'environ 5 % (comme indiqué dans la déclaration d'expert D50 : page 2), et il était donc surprenant que les études qu'ils avaient conduites montraient que la polythérapie pouvait être réalisée avec succès à des doses sûres.
3.12.2 La chambre observe que la déclaration contenue dans le document D50 et citée par les titulaires du brevet concernant les faibles taux de succès des médicaments en oncologie fait référence à des essais effectués sur de nouveaux médicaments individuels plutôt que sur des traitements combinés avec des médicaments anticancéreux connus.
En tout état de cause, l'argument des titulaires du brevet n'est pas recevable, étant donné que la considération générale selon laquelle tout essai clinique est susceptible d'échouer ne jette aucun doute supplémentaire sur la polythérapie particulière envisagée et n'est donc pas suffisante pour établir une activité inventive. La raison pour laquelle des études cliniques sont conduites est que leurs résultats sont incertains. Mais ce sont des essais de routine et le fait que leur résultat soit incertain ne transforme pas en soi leurs résultats en invention."

(Décision de la chambre de recours technique du 4 octobre 2016, noT 2506/12 ; voir aussi T 239/16 du 13 septembre 2017)

Il doit être également rappelé que l'homme du métier est celui du domaine technique où se pose le problème que l'invention, objet du brevet, se propose de résoudre (Cass. Com., 20 novembre 2012, pourvoi no11-18.440).

Il n'est pas contesté que l'homme du métier est en l'occurrence une équipe composée d'un oncologue ayant une expérience clinique dans le traitement du cancer de la prostate métastatique et d'un formulateur ayant une connaissance des mécanismes d'action des taxanes.

Il doit en outre être constaté que les revendications ne contiennent aucune mention quant à l'effet thérapeutique revendiqué relatif à un allongement de la survie globale des patients.

Ainsi que le relève la société défenderesse, la description mentionne au titre des effets thérapeutiques, à son paragraphe [0017], ainsi que dans un tableau 1, outre l'amélioration de la survie globale, la régression de la maladie mesurée notamment par une réduction de la taille de la tumeur et une réduction du taux de PSA, de même que le paragraphe [0034] enseigne que l'augmentation de la survie est "un aspect" de l'invention.

La partie descriptive du fascicule de brevet évoque également les résultats des essais de phase I et en particulier le Document Mita ea "Phase I and pharmacokinetic study of XRP6258, a novel Taxane administered as a 1 hour infusion every 3 weeks in patients with advanced solid tumors", du 15 janvier 2009, ainsi que le fait que ces résultats ont ete confortés par ceux communiqués par l'étude [E] ("A multicenter phase II study of XRP6258 administered as a 1 hour infusion every 3 weeks in taxane resistant metastatic breast cancer patients"), parue le 23 avril 2008.

L'homme du métier a également connaissance, avant la date de priorité revendiquée, du lancement d'un essai de phase III (document Beardsley "Systemic therapy after first ligne docetaxel in metastatic castration resistant prostate cancer" paru en 2008): "aucune étude de phase II sur XRP6258 n'a été réalisée chez les patients présentant un CPHR ; cependant, compte tenu de son activité dans un cadre réfractaire au docétaxel décrit ci-dessus, cet agent fait actuellement l'objet d'investigations dans le cadre d'une étude de supériorité multicentrique de phase III, comparant l'administration de XRP6258 avec la prednisone toutes les trois semaines avec l'administration de mitoxantrone avec la prednisone chez des patients présentant un cancer de la prostate métastatique résistant à la castration, précédemment traités par un schéma contenant du Docetaxel."

Aussi, aidé de ses connaissance générales sur les essais de phase III et au vu de l'ensemble de ces documents, l'homme du métier serait parvenu à la conclusion, avant la date de priorité, qu'il existait un espoir raisonnable de succès en faveur d'une plutôt bonne tolérabilité du Cabazitaxel, ainsi que de son efficacité anti-tumorale chez les patients résistants aux taxanes, et en particulier, son effet thérapeutique tel que décrit dans le fascicule de brevet c'est à dire non limité à la survie globale, laquelle n'est en tout état de cause pas totalement indépendante des autres critères ainsi que l'a déjà retenu ce tribunal.

Il n'est au demeurant produit aucun document qui aurait amené l'homme du métier à modifier cette appréciation à la date de priorité, la "réussite" d'un essai de phase III étant distincte de celle de l'efficacité thérapeutique d'un médicament, ainsi que le rappelle à juste titre la défenderesse.

Aussi, la critique tirée du défaut d'activité inventive du brevet EP 466 apparaît à ce stade comme un moyen sérieux de nature à remettre en cause l'apparente validité de ce brevet qui justifie, au vu des risques encourus de part et d'autre, de rejeter les demandes présentées en référé par les sociétés Sanofi.

4o) Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile

Parties perdantes au sens de l'article 696 du code de procédure civile, les sociétés SANOFI MATURE IP, SANOFI WINTHROP INDUSTRIE et SANOFI-AVENTIS FRANCE seront condamnées aux dépens, ainsi qu'à payer à la société EVER PHARMA FRANCE la somme de 80.000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS,

Statuant publiquement pas mise à disposition au greffe, contradictoirement et en premier ressort,

Le juge des référés,

Constate l'existence d'une contestation sérieuse de nature à remettre en cause le caractère vraisemblable de la contrefaçon des revendications 1, 2, 5, 6, 7, 8 et 9 de la partie française du brevet EP 2 493 466 par la société EVER PHARMA FRANCE ;

Dit par conséquent n'y avoir lieu à prononcé de mesures d'interdiction en référé ;

Condamne les sociétés SANOFI MATURE IP, SANOFI WINTHROP INDUSTRIE et SANOFI-AVENTIS FRANCE in solidum aux dépens et autorise Maître Guillaume HENRY, avocat, à recouvrer directement ceux dont il aurait fait l'avance sans avoir reçu provision conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile ;

Condamne les sociétés SANOFI MATURE IP, SANOFI WINTHROP INDUSTRIE et SANOFI-AVENTIS FRANCE in solidum à payer à la société EVER PHARMA la somme de 80.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

Rappelle que la présente décision est de plein droit exécutoire par provision.

Fait à [Localité 10] le 17 juin 2021

Le Greffier,Le Président,

Fabienne FELIXNathalie SABOTIER


Synthèse
Tribunal : Tribunal de grande instance de Paris
Formation : Ct0760
Numéro d'arrêt : 21/53849
Date de la décision : 17/06/2021

Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.grande.instance.paris;arret;2021-06-17;21.53849 ?
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