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17/06/2021 | FRANCE | N°12

France | France, Tribunal de grande instance de Paris, Ct0196, 17 juin 2021, 12


TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS

3ème chambre 1ère section

No RG 21/06244 -
No Portalis 352J-W-B7F-CULQZ

No MINUTE :

Assignation du :
05 mai 2021
ORDONNANCE DE RÉFÉRÉ RÉTRACTATION
rendue le 17 juin 2021
DEMANDERESSE

S.A.S AZUR DRONES
[Adresse 2]
[Adresse 4]

représentée par Me Albane EGLINGER de la SELAS KPMG AVOCATS, avocat au barreau des HAUTS-DE-SEINE, vestiaire #N1703

DÉFENDERESSE

S.A.S DRONE PROTECT SYSTEM (DPS)
[Adresse 1]
[Adresse 3]

représentée par Me Ron SOFFER, avocat au barreau

de PARIS, vestiaire #C2110

MAGISTRAT

Nathalie SABOTIER, 1ère vice-présidente adjointe

assistée de Caroline REBOUL, Greffière,

DEBATS

A l'au...

TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS

3ème chambre 1ère section

No RG 21/06244 -
No Portalis 352J-W-B7F-CULQZ

No MINUTE :

Assignation du :
05 mai 2021
ORDONNANCE DE RÉFÉRÉ RÉTRACTATION
rendue le 17 juin 2021
DEMANDERESSE

S.A.S AZUR DRONES
[Adresse 2]
[Adresse 4]

représentée par Me Albane EGLINGER de la SELAS KPMG AVOCATS, avocat au barreau des HAUTS-DE-SEINE, vestiaire #N1703

DÉFENDERESSE

S.A.S DRONE PROTECT SYSTEM (DPS)
[Adresse 1]
[Adresse 3]

représentée par Me Ron SOFFER, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #C2110

MAGISTRAT

Nathalie SABOTIER, 1ère vice-présidente adjointe

assistée de Caroline REBOUL, Greffière,

DEBATS

A l'audience du 02 juin 2021, avis a été donné aux avocats que l'ordonnance serait rendue le 17 juin 2021.

ORDONNANCE

Prononcée publiquement par mise à disposition au greffe
Contradictoire
En premier ressort

EXPOSÉ DU LITIGE :

Le 24 novembre 2014, a été créée, par MM. [G] [S], [T] [X] et [R] [J], la société SKEYETECH, aux droits de laquelle se trouve désormais la société AZUR DRONES.

La société SKEYETECH était une "start-up" spécialisée dans l'étude, la conception et la réalisation de systèmes mécatroniques, experte des technologies du drone, qui proposait à ses clients la vente de drones à usages professionnels et d'études d'ingénierie pour des solutions déclinables en série dans différents secteurs d'activité.

Au mois de mars 2016, la société SKEYETECH a été contactée par la société DRONE PROTECT SYSTEM (DPS) qui exploite, depuis sa création le 9 novembre 2015, une activité de distribution de solutions de surveillance par drones.

La société DPS faisait ainsi part à la société SKEYETECH de son intérêt pour commercialiser sa solution de drone autonome et de station d'accueil et de rechargement, auprès de ses clients du secteur de la sécurité, et lui proposait de conclure un contrat de distribution.

La société SKEYETECH et la société DPS ont ainsi conclu, le 15 mars 2016, un accord de confidentialité organisant la protection et l'utilisation des données confidentielles qu'elles seraient amenées à se communiquer mutuellement, dans le cadre de leurs relations commerciales, d'une durée d'au moins deux ans.

Puis, le 23 septembre 2016, les sociétés SKEYETECH et DPS s'engageaient dans le cadre d'un contrat de distribution, en vertu duquel la société SKEYETECH confiait à la société DPS la distribution exclusive de sa « solution logicielle et matérielle de levée de doute par drone de surveillance », en France.

La société SKEYETECH a prononcé la résiliation de ce contrat de distribution par une lettre du 30 octobre 2017.

La société DPS a contesté cette résiliation devant le tribunal de commerce de Bordeaux.

En février 2019, la société SKEYETECH (devenue alors AZUR DRONES) a découvert que la société DRONE PROTECT SYSTEM avait procédé au dépôt d'une demande de brevet français le 9 juin 2017, ayant pour titre "Procédé de vidéosurveillance utilisant au moins un drone autonome et dispositif pour sa mise en oeuvre".

Estimant que cette invention leur avait été soustraite en violation d'une obligation conventionnelle, la société AZUR DRONES, ainsi que MM. [S] et [X] ont, par acte d'huissier du 2 avril 219, fait assigner la société DRONE PROTECT SYSTEM devant ce tribunal en revendication de la propriété de ce brevet.

Par deux requêtes reçues au greffe le 12 février 2021, la société DRONE PROTECT SYSTEM a saisi le délégataire du président du tribunal aux fins qu'il l'autorise à faire pratiquer des opérations de saisie-contrefaçon au siège de la société AZUR DRONES, ainsi que dans les locaux de l'Etablissement public du Grand Port [Établissement 1].

Par deux ordonnances du même jour, la présidente de la formation à laquelle l'affaire au fond avait été distribuée a réjeté ces requêtes, au motif que la mesure sollicitée apparaissait disproportionnée au regard de l'accessibilité des éléments de preuve recherchés (solutions commercialisées) et du litige pendant sur la titularité des droits invoqués.

Le 15 février 2021, la société DRONE PROTECT SYSTEM présentait de nouveau une requête afin de saisie-contrefaçon, à effectuer au siège de la société AZUR DRONES.

Par une ordonnance du 26 février 2021, le délégataire du président de ce tribunal a autorisé la mesure.

Les opérations de saisie-contrefaçon ont été réalisées le 1er avril 2021.

Par un acte d'huissier du 11 mai 2021, la société AZUR DRONES a fait assigner la société DRONE PROTECT SYSTEM en référé rétractation devant le magistrat ayant autorisé la saisie.

Par acte d'huissier du 25 mai 2021, la société DRONE PROTECT SYSTEM a fait assigner la société AZUR DRONES devant ce tribunal en contrefaçon de brevet.

La demande de rétractation a été plaidée à l'audience du 2 juin 2021.

A cette audience, la société AZUR DRONES a repris les termes de son assignation et demande au juge des référés de :

A titre principal,

- Rétracter l'ordonnance rendue le 26 février 2021 par le président du tribunal judiciaire de Paris à la requête de la société DRONE PROTECT SYSTEM ;

- Ordonner en conséquence la complète restitution de tous les documents et pièces saisis lors des opérations de saisie-contrefaçon du 1er avril 2021 entre les mains de la société AZUR DRONES;

A titre subsidiaire,

- Ordonner la conservation sous séquestre des documents saisis jusqu'à la décision du juge du fond quant au sort de ceux-ci ou à la désignation d'un expert en vue de l'étude de leur contenu et de leur tri ;

En tout état de cause,

- Condamner la société DRONE PROTECT SYSTEM au paiement de la somme de 25.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Condamner la société DRONE PROTECT SYSTEM aux entiers dépens, avocat, en application de l'article 699 du code de procédure civile ;

- Ordonner vu l'urgence l'exécution provisoire de l'ordonnance sur minute.

La société DRONE PROTECT SYSTEM a quant à elle développé les termes de ses conclusions par lesquelles elle demande au juge des référés de :

- DEBOUTER la société AZUR DRONES de sa demande de rétractation de l'ordonnance du 26 février 2021 ;

- CONSTATER que la société AZUR DRONES a introduit sa demande de rétraction de l'ordonnance du 26 février 2021 plus d'un mois après la signification de celle-ci ;

- CONSTATER que la mainlevée du séquestre des informations saisies par l'huissier de justice dans le cadre de la saisie-contrefaçon du 1er avril 2021 est automatique ;

- CONSTATER que les informations saisies par l'huissier de justice dans le cadre de la saisie-contrefaçon du 1er avril 2021doivent être transmises à la société DPS ;

- DEBOUTER la société AZUR DRONES de sa demande de mesures complémentaires de protection du secret des affaires ;

- ORDONNER l'exécution provisoire du jugement à intervenir nonobstant appel et sans caution;

- CONDAMNER la société AZUR DRONES à verser à la société DPS la somme de 25.000,00 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.

MOTIFS DE LA DÉCISION

La société AZUR DRONES sollicite la rétractation de l'ordonnance ayant autorisé la saisie en raison de la particulière déloyauté avec laquelle la requête a été présentée au magistrat par la société DRONE PROTECT SYSTEM.

Elle indique ainsi que cette société, après avoir subi un premier rejet d'une même demande par la présidente de la formation ayant à connaître de l'affaire au fond concernant les parties, a présenté une nouvelle requête, alors que la période des vacations judiciaires venait de débuter, sans joindre, ni sa précédente requête, ni l'ordonnance, en omettant de mentionner qu'un litige était en cours concernant la revendication du brevet qui servait de fondement aux demandes et, surtout, en entretenant sciemment une confusion entre titularité et validité d'un brevet.

La société AZUR DRONES en déduit qu'une telle présentation ne visait qu'à induire en erreur le magistrat de permanence et le conduire à autoriser la mesure de saisie-contrefaçon précédemment refusée par le magistrat en charge de l'affaire au fond.

La société DRONE PROTECT SYSTEM conclut quant à elle à son absence de déloyauté.

Elle indique n'avoir nullement cherché à minimiser l'action en revendication de brevet puisque le magistrat de permanence a sollicité l'envoi des conclusions au fond dans le litige pendant et était donc informé de ce litige. Elle ajoute n'avoir rien caché au magistrat de la complexité des relations entre les parties, contrairement à ce qu'affirme la société défenderesse et précise que selon elle, la disproportion soulignée par le premier magistrat tenait au fait que la première requête visait une saisie à effectuer chez un concurrent à laquelle elle a renoncé. Enfin, la société DRONE PROTECT SYSTEM soutient qu'elle ignorait que la requête ne serait pas présentée au même magistrat, raison pour laquelle elle n'a pas transmis l'ordonnance précédemment rendue.

Sur ce,

Aux termes de l'article L.615-5 du code de la propriété intellectuelle, "La contrefaçon peut être prouvée par tous moyens.
A cet effet, toute personne ayant qualité pour agir en contrefaçon est en droit de faire procéder en tout lieu et par tous huissiers, le cas échéant assistés d'experts désignés par le demandeur, en vertu d'une ordonnance rendue sur requête par la juridiction civile compétente, soit à la description détaillée, avec ou sans prélèvement d'échantillons, soit à la saisie réelle des produits ou procédés prétendus contrefaisants ainsi que de tout document s'y rapportant. L'ordonnance peut autoriser la saisie réelle de tout document se rapportant aux produits ou procédés prétendus contrefaisants en l'absence de ces derniers.
La juridiction peut ordonner, aux mêmes fins probatoires, la description détaillée ou la saisie réelle des matériels et instruments utilisés pour fabriquer ou distribuer les produits ou pour mettre en oeuvre les procédés prétendus contrefaisants.
Elle peut subordonner l'exécution des mesures qu'elle ordonne à la constitution par le demandeur de garanties destinées à assurer l'indemnisation éventuelle du défendeur si l'action en contrefaçon est ultérieurement jugée non fondée ou la saisie annulée.
A défaut pour le demandeur de s'être pourvu au fond, par la voie civile ou pénale, dans un délai fixé par voie réglementaire, l'intégralité de la saisie, y compris la description, est annulée à la demande du saisi, sans que celui-ci ait à motiver sa demande et sans préjudice des dommages et intérêts qui peuvent être réclamés."

Selon l'article 493 du code de procédure civile, "L'ordonnance sur requête est une décision provisoire rendue non contradictoirement dans les cas où le requérant est fondé à ne pas appeler de partie adverse."

Il résulte en outre des articles 496 et 497 de ce même code que "S'il n'est pas fait droit à la requête, appel peut être interjeté à moins que l'ordonnance n'émane du premier président de la cour d'appel. Le délai d'appel est de quinze jours. L'appel est formé, instruit et jugé comme en matière gracieuse.
S'il est fait droit à la requête, tout intéressé peut en référer au juge qui a rendu l'ordonnance.
Le juge a la faculté de modifier ou de rétracter son ordonnance, même si le juge du fond est saisi de l'affaire."

Le caractère non contradictoire de la procédure sur requête, qui autorise un requérant, à solliciter dans un cadre exorbitant du droit commun, sur une présentation unilatérale de sa demande, l'autorisation de procéder chez une personne suspectée de commettre des actes de contrefaçon ou un tiers, sans son assentiment, à des investigations instrusives ou à des mesures conservatoires, suppose une particulière loyauté du requérant. Ce dernier se doit ainsi de porter à la connaissance du juge, l'ensemble des éléments de droit et de faits utiles, afin de permettre à celui-ci de porter une appréciation éclairée sur la demande qui lui est soumise et d'ordonner une mesure proportionnée, en tenant compte des intérêts divergents du saisissant et du saisi.

En l'occurrence, après un premier rejet de sa précédente requête par le magistrat saisi du fond de l'instance en revendication de brevet initiée par la société AZUR DRONES, la société DRONE PROTECT SYSTEM a de nouveau saisi le délégataire du président du tribunal, d'une requête afin de saisie-contrefaçon.

Il doit être observé que cette requête ne mentionne le précédent rejet qu'en page 4 (sur 25), dans un paragraphe 9 (sur 115) ainsi rédigé : "Cette première requête a été rejetée au motif que "les mesures non contradictoires sollicitées apparaissent disproportionnées au regard de l'accessibilité des éléments de preuve recherchés (solution commercialisée) et du litige pendant sur la titularité des droits invoqués".

La (seconde) requête poursuit, dans un paragraphe 12, en ces termes : "Quant au litige pendant sur la titularité des droits invoqués, le tribunal de grande instance de Paris a rappelé qu' "il n'appartient pas au juge des requêtes d'apprécier la validité du titre sur le fondement duquel est présentée une requête en saisie-contrefaçon (...) Il relève du juge des requêtes devant lequel est présentée une requête en saisie-contrefaçon d'apprécier la recevabilité du requérant à solliciter une telle mesure, au vue de la titularité ou de l'absence de titularité de la partie requérante sur la marque invoquée à l'appui de la requête". Ceci est également vrai en matière de brevet.
13. En d'autres termes, comme le confirme la doctrine avertie, le président, saisi de la présente requête, n'a pas à sa préoccuper de la question de la validité du titre, qui relève de la compétence exclusive du juge du fond. A ce stade, foi est due au titre."

Il est également précisé que ni la première requête, ni l'ordonnance de rejet, n'était jointe à cette seconde requête.

Cette présentation minimise indiscutablement le rejet des premières requêtes, suggérant même l'idée que ce premier rejet serait fondé sur une erreur de droit commise par le juge saisi du fond de l'affaire qui, en évoquant le litige sur la titularité, aurait porté une appréciation sur la validité du titre, laquelle échappe à sa compétence. A tout le moins, les paragraphes 12 et 13 de la requête entretiennent la plus grande confusion entre titularité et validité, alors même que leur incidence sur l'appréciation d'une requête afin de saisie-contrefaçon est loin d'être neutre.

Une telle présentation est déloyale et a privé le magistrat, ici du service des vacations du tribunal judiciaire ce que la requérante pouvait difficilement ignorer, d'éléments qui lui auraient été fort utiles afin de porter une appréciation éclairée sur la requête.

Il y a donc lieu d'ordonner la rétractation totale de l'ordonnence rendue le 26 février 2021.

Partie perdante au sens de l'article 696 du code de procédure civile, la société DRONE PROTECT SYSTEM sera condamnée aux dépens, ainsi qu'à payer à la société AZUR DRONES la somme de 10.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

En application des articles 489 et 514 alinéa 2 du code de procédure civile, la présente décision est exécutoire par provision.

PAR CES MOTIFS,

Le juge des référés, statuant publiquement par mise à disposition au greffe, par ordonnance contradictoire et en premier ressort,

Vu l'ordonnance du 26 février 2021,

Vu le procès-verbal de saisie-contrefaçon du 1er avril 2021,

Ordonne la rétractation totale de l'ordonnance rendue le 26 février 2021 sur requête de la société DRONE PROTECT SYSTEM,

Ordonne la restitution à la société AZUR DRONES de l'intégralité des pièces saisies le 1er avril 2021, y compris celles se trouvant encore en possession de l'huissier instrumentaire,

Condamne la société DRONE PROTECT SYSTEM aux dépens et autorise Maître Albane Eglinger, avocat, à recouvrer directement ceux dont elle aurait fait l'avance sans avoir reçu provision,

Condamne la société DRONE PROTECT SYSTEM à payer à la société AZUR DRONES la somme de 10.000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

Rappelle que la présente ordonnance est de droit exécutoire par provision.

Fait et jugé à Paris le 17 juin 2021.

La Greffière La Juge des référés


Synthèse
Tribunal : Tribunal de grande instance de Paris
Formation : Ct0196
Numéro d'arrêt : 12
Date de la décision : 17/06/2021

Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.grande.instance.paris;arret;2021-06-17;12 ?
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