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04/06/2021 | FRANCE | N°19

France | France, Tribunal de grande instance de Paris, Ct0196, 04 juin 2021, 19


TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS

3ème chambre 1ère section

No RG 20/01390 -
No Portalis 352J-W-B7E-CRUDD

No MINUTE :

Assignation du :
06 février 2020

ORDONNANCE DE RÉFÉRÉ RÉTRACTATION
rendue le 04 juin 2020

DEMANDERESSES

Société FAPAGAU ET COMPAGNIE
[Adresse 2]
[Adresse 2]

S.A L'OREAL
[Adresse 1]
[Adresse 1]

représentée par Me François POCHART, assisté de Me Thierry LAUTIER, de la SCP AUGUST et DEBOUZY et ASSOCIES, avocats au barreau de PARIS, vestiaire #P0438

DÉFENDERESSE

S

ociété ENVASES EUROPE A/S (anciennement dénommée GLUD et MARSTRAND A/S)
[Adresse 3]
[Adresse 3] (DANEMARK)

représentée par Me Jean-Frédéric GAULTIER de l...

TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS

3ème chambre 1ère section

No RG 20/01390 -
No Portalis 352J-W-B7E-CRUDD

No MINUTE :

Assignation du :
06 février 2020

ORDONNANCE DE RÉFÉRÉ RÉTRACTATION
rendue le 04 juin 2020

DEMANDERESSES

Société FAPAGAU ET COMPAGNIE
[Adresse 2]
[Adresse 2]

S.A L'OREAL
[Adresse 1]
[Adresse 1]

représentée par Me François POCHART, assisté de Me Thierry LAUTIER, de la SCP AUGUST et DEBOUZY et ASSOCIES, avocats au barreau de PARIS, vestiaire #P0438

DÉFENDERESSE

Société ENVASES EUROPE A/S (anciennement dénommée GLUD et MARSTRAND A/S)
[Adresse 3]
[Adresse 3] (DANEMARK)

représentée par Me Jean-Frédéric GAULTIER de la SELARL TALIENS, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #D0320

DÉBATS

Nathalie SABOTIER, 1ère vice-présidente adjointe

assistée de Caroline REBOUL, Greffier

A l'audience du 09 mars 2020, avis a été donné aux avocats que l'ordonnance serait rendue le 09 avril 2020.
Par application de la loi no 2020-290 du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de Covid-19, et de l'ordonnance de roulement modificative du président du tribunal judiciaire de Paris du 16 mars 2020 prise dans le cadre du plan de continuation de l'activité de cette juridiction, en date du 15 mars 2020 , le délibéré a été prorogé à ce jour.

ORDONNANCE

Prononcée publiquement par mise à disposition au greffe
Contradictoire
en premier ressort

EXPOSÉ DU LITIGE :

La SNC FAPAGAU ET COMPAGNIE est une entreprise spécialisée dans la fabrication et la vente de produits cosmétiques. Elle dispose d'une plate-forme logistique située à [Localité 1] destinée à la division "produits de luxe" de la société L'OREAL.

La société L'OREAL est le leader mondial de l'industrie cosmétique. Elle est l'un des associés en nom de la société FAPAGAU ET COMPAGNIE.

La société de droit danois GLUD et MARSTRAND, aux droits de laquelle se trouve désormais la société ENVASES EUROPE, est spécialisée dans la conception, la fabrication et la commercialisation de produits et de procédés appliqués à des solutions d'emballages métalliques destinées entre autres à l'industrie agro-alimentaire et à l'industrie des médias.

Dans ce cadre, elle est titulaire du brevet européen désignant la France EP 1 636 800 (ci-après EP 800), intitulé "emballage métallique", dont la demande a été déposée le 8 septembre 2004 et la délivrance publiée le 28 juin 2006.

La revendication no1 de ce brevet est ainsi libellée :

"Emballage comprenant :
- une première et seconde parties externes en matériau métallique (62),
- une partie interne en matériau non métallique faite en une pièce et comprenant (60) :
- un premier et second côtés opposés entre lesquels on peut ranger un élément, chaque coté ayant une partie centrale avec un périmètre et des parois latérales s'étendant vers le haut depuis la partie centrale,
- une partie charnière (61) formant au mains une charnière connectant lesdits cotes;
caractérisé en ce que :

ladite charnière permet aux cotés d'entrer en rotation l'un par rapport à l'autre avec un angle tel que l'on puisse ouvrir l'emballage et adaptant l'emballage pour un conditionnement dans une machine de conditionnement automatique,
et au moins une partie d'un périmètre des premier et second côtés externes comprend une portion de bards festonnés et / ou un rebord (46) qui s'étend transversalement à un plan défini par une partie centrale des parties externes, ladite portion de bords festonnés et / ou ledit rebord définissant des parois latérales s'étendant vers le haut étant adaptées pour maintenir la partie interne de manière à rattacher lesdites parties externes auxdits côtés respectifs de ladite partie interne pour recouvrir ladite partie centrale et les parois latérales desdits côtés de la partie interne."

Ayant acquis la conviction que les boîtiers de maquillage Naked 2, Naked 3 et Nirvana de la société Urban Decay, filiale de la société L'OREAL, contrefaisaient la revendication 1 du brevet EP 800, la société GLUD et MARSTRAND a, par une requête du 3 décembre 2019, saisi le délégataire du président du tribunal judiciaire de Paris aux fins d'être autorisée à faire pratiquer une saisie contrefaçon dans les locaux de l'établissement secondaire de [Localité 1] de la société FAPAGAU et COMPAGNIE.

La saisie a été autorisée par une ordonnance du même jour et les opérations se sont déroulées le 9 janvier 2020, les listings des clients classés par pays des boîtiers Naked 2 et Naked 3, étant placés sous séquestre provisoire conformément aux termes de l'ordonnance au titre de la protection des données couvertes par le secret des affaires.

Par acte d'huissier du 7 février 2020, les sociétés L'OREAL et FAPAGAU ET COMPAGNIE ont fait assigner en référé la société ENVASES EUROPE devant le juge ayant autorisé la saisie afin d'obtenir la modification de l'ordonnance.

A l'audience du 9 mars 2020, les sociétés L'OREAL et FAPAGAU ET COMPAGNIE ont confirmé les termes de leur assignation et demandent au juge des référés de :

Vu les articles 496 et497 du code de procédure civile,
Vu les articles L.151-1, L.152-4, L153-1, R153-1 et suivants du code de commerce,
Vu les articles L. 615-5 et R. 615-2 du code de la propriété intellectuelle,

Sur l'ordonnance de saisie-contrefaçon du 3 décembre 2019,

- Ordonner la modification de l'ordonnance de saisie-contrefaçon rendue le 3 décembre 2019 par le président du tribunal de grande instance de Paris en suite de la requête aux fins de saisie-contrefaçon présentée par Ia société ENVASES EUROPE NS (anciennement GLUD et MARSTRAND NS) sous le numéro de RG 19/03191, s'agissant du point 3(b), par la suppression de toute mention à la "destination" de la contrefaçon alléguée et l'exclusion explicite des « noms des clients des sociétés FAPAGAU ET COMPAGNIE et L'OREAL», comme suit :

« la recherche, la saisie réelle, la description et la copie (par voie de photographie, photocopie,
copie numérique et / ou téléchargement), en deux exemplaires, de tous documents et informations, que/ qu'en soit le support, d'où pourrait résulter la preuve de la matérialité de la contrefaçon alléguée, de son origine, de sa consistance, de sa destination et /ou de son étendue, notamment tous prospectus, catalogues, brochures, publications, plans, documents
techniques, demandes ou dossiers d'autorisation, de certification ou d' agrément, modes d'emploi, notices d' utilisation, supports vidéo et plus généralement tous documents relatifs aux produits Naked 2, Naked 3 et Nirvana, à leur origine (notamment les informations relatives aux fournisseurs ou sous-traitants desdits produits) et leur destination, à l'exclusion des noms des clients des sociétés FAPAGAU ET COMPAGNIE et L'OREAL. un des exemplaires devant être conservé par l' huissier instrumentaire dans son étude jusqu'à l'intervention entre les parties d' une décision définitive non susceptible de recours, l'autre pouvant être remis à la requérante à l' issue des opérations ou ultérieurement » ;

Sur la protection du secret des affaires,

- Dire que les informations contenues dans les documents no 1 bis, 2bis, 3bis, 4bis et 5bis placés sous séquestre provisoire lors des opérations de saisie-contrefaçon du 9 janvier 2020 ne sont pas nécessaires à la solution du litige initié par lesdites opérations et relatif à la contrefaçon alléguée du brevet européen noEP 1 636 800 de la société ENVASES EUROPE NS (anciennement GLUD et MARSTRAND NS) ;

- Dire que les informations contenues dans les documents no1 bis, 2bis, 3bis, 4bis et 5bis placés sous séquestre provisoire lors des opérations de saisie-contrefaçon du 9 janvier 2020 sont protégées au titre du secret des affaires des sociétés FAPAGAU ET COMPAGNIE et L'OREAL selon l'article L.151-1 du code de commerce ;

En conséquence, à titre principal,

- Dire qu'il ne sera procédé à aucune mainlevée de la mesure de séquestre provisoire ;

- Ordonner la restitution des documents no 1 bis, 2bis, 3bis, 4bis et 5bis à la société FAPAGAU ET COMPAGNIE en vue de leur destruction ;

A titre subsidiaire,

- Limiter la mainlevée de la mesure de séquestre provisoire à des versions des documents no 1 bis à 5bis à des versions expurgées des noms des clients telles qu'elles figurent en pièces no 14.1, 14.2, 14.3, 14.4 et 14.5 ;

A titre infiniment subsidiaire,

- Limiter l'accès à toute autre version des documents no 1 bis, 2bis, 3bis, 4bis et 5bis a une seule personne physique pour la société ENVASES EUROPE NS (anciennement GLUD et MARSTRAND NS) et aux avocats qui la représente dans l'instance à venir devant le tribunal judiciaire de Paris, tous tenus a une obligation de confidentialité ;

- Limiter l'utilisation de toute autre version des documents no 1 bis, 2bis, 3bis, 4bis et 5bis au seul litige initié par lesdites opérations et relatif à la contrefaçon alléguée de la partie française du brevet européen no EP 1 636 800 de la société ENVASES EUROPE NS (anciennement GLUD et MARSTRAND NS) ;

En tout état de cause,

- Condamner la société ENVASES EUROPE NS (anciennement GLUD et MARSTRAND NS) à payer à chacune des sociétés FAPAGAU ET COMPAGNIE et L'OREAL Ia somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Condamner la société ENVASES EUROPE NS (anciennement GLUD et MARSTRAND NS) aux entiers dépens, dont distraction au profit de Maître François Pochart conformément à l'article 699 du code de procédure civile.

La société ENVASES EUROPE demande quant à elle au juge des référés de :

- Ordonner la communication de tous les documents placés sous séquestre provisoire lors des opérations de saisie-contrefaçon du 9 janvier 2020 ;

- à titre subsidiaire, ordonner la communication de ces éléments selon les modalités suivantes :
* l'accès sera limité à une personne physique pour ENVASES EUROPE, une personne physique pour SCANAVO, les avocats et conseils en propriété industrielle qui respectivement les représentent et les assistent dans l'instance au fond pendante devant la 3ème chambre 1ère section du tribunal judiciaire de Paris sous le no RG 20/02033, tous tenus à une obligation de confidentialité ;
* ces pièces ne pourront être utilisées que pour les besoins de l'instance précitée et de ses suites et ce, tant qu'aucune décision au fond ne sera rendue jugeant que le brevet est contrefait par l'un des produits ;

- Débouter les sociétés L'OREAL et FAPAGAU et COMPAGNIE de l'ensemble de leurs demandes ;

- Condamner solidairement les sociétés L'OREAL et FAPAGAU et COMPAGNIE à payer à la société ENVASES EUROPE la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Les condamner sous la même solidarité aux entiers dépens, dont distraction au profit de la Sealarl TALLIENS conformément à l'article 699 du code de procédure civile.

MOTIFS DE LA DÉCISION

1o) Sur la modification de l'ordonnance

Les sociétés FAPAGAU ET COMPAGNIE et L'OREAL exposent en premier lieu que le brevet EP 800 concerne des boîtiers de CD et DVD et que d'ailleurs la société ENVASES EUROPE ne commercialise pas des produits de maquillage, mais uniquement des produits "médias" dans ses boîtiers. Elles ajoutent que la revendication 1 du brevet EP 800 n'est pas reproduite par les boîtiers Naked et Nirvana dès lors que la partie interne du boîtier ne comporte pas de "parois latérales s'étendant vers le haut depuis la partie centrale" destinées selon elles à extraire le CD ou le DVD.

Elles ajoutent que la demande aux fins de connaître la destination des produits n'a fait l'objet d'aucune motivation spécifique dans la requête, et n'apparaît pas nécessaire, la saisie-contrefaçon ne pouvant avoir pour objet de rechercher des preuves de faits qui seraient commis à l'étranger, en particulier dans des pays où le brevet n'est pas en vigueur, de sorte qu'il n'aurait pas dû être fait droit à cette demande, qui relève en outre du droit d'information dont la mise en oeuvre est particulièrement prématurée.

Elles font encore valoir que la société ENVASES EUROPE n'a sollicité les éléments relatifs à la destination des produits, qu'aux fins, selon elles, de se lancer sur le marché des boîtiers de maquillage.

La société ENVASES EUROPE conclut au rejet des demandes. Elle fait valoir que les clients des sociétés FAPAGAU ET COMPAGNIE et L'OREAL sont des contrefacteurs et qu'il lui était parfaitement loisible dans le cadre de la saisie-contrefaçon de solliciter que les mesures lui permettent de connaître l'étendue des actes de contrefaçon conformément aux dispositions de l'article R.615-2 du code de la propriété intellectuelle.

Sur ce,

Selon l'article L.615-5 du code de la propriété intellectuelle, "La contrefaçon peut être prouvée par tous moyens.
A cet effet, toute personne ayant qualité pour agir en contrefaçon est en droit de faire procéder en tout lieu et par tous huissiers, le cas échéant assistés d'experts désignés par le demandeur, en vertu d'une ordonnance rendue sur requête par la juridiction civile compétente, soit à la description détaillée, avec ou sans prélèvement d'échantillons, soit à la saisie réelle des produits ou procédés prétendus contrefaisants ainsi que de tout document s'y rapportant. L'ordonnance peut autoriser la saisie réelle de tout document se rapportant aux produits ou procédés prétendus contrefaisants en l'absence de ces derniers.
La juridiction peut ordonner, aux mêmes fins probatoires, la description détaillée ou la saisie réelle des matériels et instruments utilisés pour fabriquer ou distribuer les produits ou pour mettre en oeuvre les procédés prétendus contrefaisants.
Elle peut subordonner l'exécution des mesures qu'elle ordonne à la constitution par le demandeur de garanties destinées à assurer l'indemnisation éventuelle du défendeur si l'action en contrefaçon est ultérieurement jugée non fondée ou la saisie annulée.
A défaut pour le demandeur de s'être pourvu au fond, par la voie civile ou pénale, dans un délai fixé par voie réglementaire, l'intégralité de la saisie, y compris la description, est annulée à la demande du saisi, sans que celui-ci ait à motiver sa demande et sans préjudice des dommages et intérêts qui peuvent être réclamés."

Aux termes de l'article R.615-2 du même code, "La saisie, descriptive ou réelle, prévue au deuxième alinéa de l'article L. 615-5 est ordonnée par le président d'un des tribunaux judiciaires mentionnés à l'article D. 631-2, dans le ressort duquel les opérations doivent être effectuées.
L'ordonnance est rendue sur simple requête et sur la représentation soit du brevet, du certificat complémentaire de protection, du certificat d'utilité ou du certificat d'addition, soit, dans le cas prévu au premier alinéa de l'article L. 615-4, d'une copie certifiée conforme de la demande de brevet, de certificat complémentaire de protection, de certificat d'utilité ou de certificat d'addition. Dans ce dernier cas, le requérant doit justifier en outre que les conditions prévues à cet article sont remplies.
Si la requête est présentée par le concessionnaire d'un droit exclusif d'exploitation ou par le titulaire d'une licence octroyée en vertu des articles L. 613-11, L. 613-15, L. 613-17, L. 613-17-1 et L. 613-19, le requérant doit justifier que les conditions prescrites, selon le cas, par le deuxième ou le quatrième alinéa de l'article L. 615-2 sont remplies.
Le président peut autoriser l'huissier à procéder à toute constatation utile en vue d'établir l'origine, la consistance et l'étendue de la contrefaçon.
Afin d'assurer la protection du secret des affaires, le président peut ordonner d'office le placement sous séquestre provisoire des pièces saisies, dans les conditions prévues à l'article R. 153-1 du code de commerce."

Ces dispositions doivent être interprétées à la lumière de l'article 6 "Éléments de preuve" de la directive 2004/48/CE du Parlement Européen et du Conseil du 29 avril 2004 relative au respect des droits de propriété intellectuelle, aux termes duquel "1. Les États membres veillent à ce que, sur requête d'une partie qui a présenté des éléments de preuve raisonnablement accessibles et suffisants pour étayer ses allégations et précisé les éléments de preuve à l'appui de ses allégations qui se trouvent sous le contrôle de la partie adverse, les autorités judiciaires compétentes puissent ordonner que ces éléments de preuve soient produits par la partie adverse, sous réserve que la protection des renseignements confidentiels soit assurée. Aux fins du présent paragraphe, les États membres peuvent prévoir qu'un échantillon raisonnable d'un nombre substantiel de copies d'une oeuvre ou de tout autre objet protégé est considéré par les autorités judiciaires compétentes comme constituant des éléments de preuve suffisants.
2. Dans les mêmes conditions, en cas d'atteinte commise à l'échelle commerciale, les États membres prennent les mesures nécessaires pour permettre aux autorités judiciaires compétentes,
le cas échéant, sur requête d'une partie, d'ordonner la communication de documents bancaires, financiers ou commerciaux, qui se trouvent sous le contrôle de la partie adverse, sous réserve que la protection des renseignements confidentiels soit assurée."

Les articles 496 et 497 du code de procédure civile disposent enfin respectivement que « s'il est fait droit à la requête, tout intéressé peut en référer au juge qui a rendu l'ordonnance » et que « le juge a la faculté de modifier ou de rétracter son ordonnance, même si le juge du fond est saisi de l'affaire ».

En l'occurrence, contrairement aux affirmations des sociétés FAPAGAU ET COMPAGNIE et L'OREAL, la revendication 1 opposée ne concerne pas exclusivement des CD et DVD, le dispositif destiné à permettre le retrait du disque étant décrit à partir de la revendication 18 ("18. Emballage selon une quelconque des revendications précédentes, où l'élément 30 à ranger comprend un élément porteur de données.
19. Emballage selon la revendication 18, où l'élément porteur de données comprend un trou central.
20. Emballage selon une quelconque des revendications précédentes, où la partie interne comprend une fixation pour l'élément porteur de données.") du brevet EP 800, dont l'objet "consiste à proposer un emballage métallique adapté pour et pouvant être conditionné dans des machines de conditionnement automatique traditionnelles (...) présentant une meilleure résistance et un aspect plus exclusif (...)" (lignes 18 et suivantes, page 5 de la traduction française du brevet).

La revendication 1 énoncée ci-dessus décrit quant à elle un emballage constitué d'une partie externe en métal ayant vocation à recevoir, et à retenir par des bords festonnés, une partie interne en matière non métallique, les deux côtés et parties du boîtier étant reliés par une charnière permettant son ouverture dans des conditions propres à assurer son conditionnement par une machine automatique.

Il est en outre explicité dans la requête afin de saisie-contrefaçon que les boîtiers litigieux reproduisent ces caractéristiques et que les atteintes alléguées sont commises par les sociétés FAPAGAU ET COMPAGNIE et L'OREAL "à l'échelle commerciale" (cf. requête page 7, 1er paragraphe : "En France, ces produits sont vendus sur le site internet https://w\vw.urbandecay.fr/, opéré par L'Oréal Produits de Luxe France, ainsi que par des distributeurs, tels que Sephora, dans ses magasins et via son site internet https://v, \\ \'w.sephora.fr/, ainsi que GetM 1' a fait constater par huissier. (Pièce no7)").

La société ENVASES EUROPE était donc en droit, sans avoir à motiver davantage cette demande et indépendamment de l'exercice d'un droit d'information, de solliciter que la mesure ait aussi pour objet de lui permettre d'établir "l'origine, la consistance et l'étendue" de la contrefaçon, et à cette fin de demander à appréhender des éléments "bancaires financiers et commerciaux" en lien avec l'atteinte alléguée, étant également observé que le terme "destination" n'a vocation qu'à préciser la notion d'étendue de la contrefaçon, sans en soi en étendre indûment le sens.

La demande afin de modification de l'ordonnance du 3 décembre 2019 sera donc rejetée.

2o) Sur la protection du secret des affaires

Les sociétés FAPAGAU ET COMPAGNIE et L'OREAL indiquent en premier lieu avoir déposé un mémoire conforme aux dispositions de l'article R.153-3 du code de commerce.

Elles exposent ensuite que la liste des pays où sont commercialisés les boîtiers de maquillage en litige, identifiant nominativement les clients par pays, n'est pas nécessaire à la solution du litige, constitue une information susceptible d'être divulguée uniquement dans le cadre d'un droit d'information, prématuré à ce stade, et revêt surtout toutes les conditions d'un secret des affaires.

En particulier, les sociétés FAPAGAU ET COMPAGNIE et L'OREAL soutiennent que ces éléments ne sont pas aisément accessibles, qu'ils revêtent une valeur commerciale et qu'ils font l'objet de mesures spécifiques de protection. Elles précisent à cet égard que les documents revêtent la mention "C3 - très confidentiel", que l'accès à ce type de documents est très restreint et qu'ils sont conservés au sein d'un système d'information conservant l'identité et le moment auquel ces documents ont été édités ainsi qu'en attestent la date et l'heure après la mention "C3 - très confidentiel". Les sociétés FAPAGAU ET COMPAGNIE et L'OREAL sollicitent par conséquent à titre principal, le maintien intégral du séquestre jusqu'à la destruction des pièces saisies, subsidiairement, que les noms des clients soient biffés, et à titre infiniment subsidiaire, la mise en place d'un cercle de confidentialité.

La société ENVASES EUROPE soutient quant à elle que les clients "retail" des sociétés FAPAGAU ET COMPAGNIE et L'OREAL sont très aisément identifiables et que ces dernières ne peuvent prétendre à la protection d'un quelconque secret des affaires de ce chef.

Elle ajoute que les clients étrangers de la société L'OREAL sont susceptibles de commettre des actes de contrefaçon en France, ainsi que dans les pays où le brevet est en vigueur, de sorte que la communication de ces pièces est nécessaire.

Subsidiairement, la société ENVASES EUROPE sollicite la mise en oeuvre de son droit d'information à l'occasion de la présente instance, et précise certaines modalités de mise en oeuvre d'un cercle de confidentialité.

Sur ce,

Est protégée au titre du secret des affaires toute information répondant aux critères suivants :
1o Elle n'est pas, en elle-même ou dans la configuration et l'assemblage exacts de ses éléments, généralement connue ou aisément accessible pour les personnes familières de ce type d'informations en raison de leur secteur d'activité ;
2o Elle revêt une valeur commerciale, effective ou potentielle, du fait de son caractère secret ;
3o Elle fait l'objet de la part de son détenteur légitime de mesures de protection raisonnables, compte tenu des circonstances, pour en conserver le caractère secret. (Article L.151-1 du code de commerce)

Le juge saisi en référé d'une demande de modification ou de rétractation de l'ordonnance est compétent pour statuer sur la levée totale ou partielle de la mesure de séquestre dans les conditions prévues par les articles R. 153-3 à R. 153-10 (article R.153-1 du code de commerce).

A peine d'irrecevabilité, la partie ou le tiers à la procédure qui invoque la protection du secret des affaires pour une pièce dont la communication ou la production est demandée remet au juge, dans le délai fixé par celui-ci : 1o La version confidentielle intégrale de cette pièce ; 2o Une version non confidentielle ou un résumé ; 3o Un mémoire précisant, pour chaque information ou partie de la pièce en cause, les motifs qui lui confèrent le caractère d'un secret des affaires. Le juge peut entendre séparément le détenteur de la pièce, assisté ou représenté par toute personne habilitée, et la partie qui demande la communication ou la production de cette pièce (R. 153-3).

Le juge refuse la communication ou la production de la pièce lorsque celle-ci n'est pas nécessaire à la solution du litige (R.153-5) et ordonne cette communication ou production de la pièce en cause dans sa version intégrale lorsque celle-ci à l'inverse est nécessaire à la solution du litige, alors même qu'elle est susceptible de porter atteinte à un secret des affaires. ( R.153-6).

Lorsque seuls certains éléments de la pièce sont de nature à porter atteinte à un secret des affaires sans être nécessaires à la solution du litige, le juge ordonne la communication ou la production de la pièce dans une version non confidentielle ou sous forme d'un résumé, selon les modalités qu'il fixe. (R.153-7).

Force est de constater que la liste des clients identifiés nominativement (avec pour certains d'entre eux la mention de l'identité d'une personne physique) et par pays destinataires des boîtes de maquillage en litige ne se trouve pas sous cette forme aisément accessible, dispose en elle-même d'une forte valeur commerciale potentielle, et fait en l'occurrence l'objet de mesures élevées de protection.

Cette liste de clients est donc couverte par le secret des affaires.

En outre, dès lors que la présente juridiction n'a pas vocation à connaître des atteintes aux parties autres que la partie française du brevet EP 800, cette pièce n'apparaît pas nécessaire à la résolution du litige.

Enfin, la faculté de faire droit à une demande présentée sur le fondement de l'article L.615-5-2 du code de la propriété intellectuelle excède la compétence que la présente juridiction tient de l'application combinée des articles L.615-5 du code de la propriété intellectuelle et 497 du code de procédure civile.

Il sera donc fait droit à la demande de maintien intégral du séquestre jusqu'à la remise des pièces aux sociétés FAPAGAU ET COMPAGNIE et L'OREAL.

Partie perdante au sens de l'article 696 du code de procédure civile, la société ENVASES EUROPE sera condamnée aux dépens, ainsi qu'à payer aux sociétés FAPAGAU ET COMPAGNIE et L'OREAL la somme de 5.000 euros chacune par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS,

Statuant publiquement par mise à disposition au greffe, contradictoirement et en premier ressort,

Le juge des référés,

Dit n'y avoir lieu à modification de l'ordonnance de saisie-contrefaçon rendue le 3 décembre 2019 à la requête de la société ENVASES EUROPE ;

Dit qu'il ne sera procédé à aucune mainlevée de la mesure de séquestre provisoire et ordonne la restitution des documents no 1 bis, 2bis, 3bis, 4bis et 5bis à la société FAPAGAU ET COMPAGNIE ;

Condamne la société ENVASES EUROPE (anciennement GLUD et MARSTRAND NS) à payer aux sociétés FAPAGAU ET COMPAGNIE et L'OREAL Ia somme de 5.000 euros chacune au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la société ENVASES EUROPE (anciennement GLUD et MARSTRAND NS) aux dépens, et autorise Maître François Pochart, avocat, à recouvrer directement ceux dont il aurait fait l'avance sans avoir reçu provision conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile ;

Rappelle que la présente décision est de plein droit exécutoire par provision.

Faite et rendue à Paris le 04 juin 2020.

La GreffièreLa Présidente


Synthèse
Tribunal : Tribunal de grande instance de Paris
Formation : Ct0196
Numéro d'arrêt : 19
Date de la décision : 04/06/2021

Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.grande.instance.paris;arret;2021-06-04;19 ?
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