La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

12/05/2021 | FRANCE | N°21/53136

France | France, Tribunal de grande instance de Paris, Ct0196, 12 mai 2021, 21/53136


TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS

No RG 21/53136 - No Portalis 352J-W-B7F-CUEJC

No:1/FF

Assignation du :
06 Avril 2021

J U G E M E N T
rendu le 12 mai 2021

en état de référé (article 487 du Code de procédure civile) par le Tribunal judiciaire de PARIS, composé de :

Florence BUTIN, Vice-Présidente
Catherine OSTENGO, Vice-Présidente
Alix FLEURIET, Juge

Assistées de Fabienne FELIX, Faisant fonction de greffier,

dans l'instance opposant :

S.A.S SANOFI MATURE IP
[Adresse 1]
[Adresse 1]

S.A SANOFI WI

NTHROP INDUSTRIE
[Adresse 2]
[Adresse 2]

S.A SANOFI-AVENTIS FRANCE
[Adresse 3]
[Adresse 3]

représentées par Maître Frédéric CHEVALLIER du ...

TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS

No RG 21/53136 - No Portalis 352J-W-B7F-CUEJC

No:1/FF

Assignation du :
06 Avril 2021

J U G E M E N T
rendu le 12 mai 2021

en état de référé (article 487 du Code de procédure civile) par le Tribunal judiciaire de PARIS, composé de :

Florence BUTIN, Vice-Présidente
Catherine OSTENGO, Vice-Présidente
Alix FLEURIET, Juge

Assistées de Fabienne FELIX, Faisant fonction de greffier,

dans l'instance opposant :

S.A.S SANOFI MATURE IP
[Adresse 1]
[Adresse 1]

S.A SANOFI WINTHROP INDUSTRIE
[Adresse 2]
[Adresse 2]

S.A SANOFI-AVENTIS FRANCE
[Adresse 3]
[Adresse 3]

représentées par Maître Frédéric CHEVALLIER du PARTNERSHIPS HERBERT SMITH FREEHILLS PARIS LLP, avocats au barreau de PARIS - J0025

à :

S.A.S TEVA SANTE
[Adresse 4]
[Adresse 4]

représentée par Maître François POCHART de la SCP AUGUST et DEBOUZY et associés, avocats au barreau de PARIS - #P0438

DÉBATS

A l'audience du 14 Avril 2021 présidée par Florence BUTIN, Vice-Présidente, tenue publiquement

LE TRIBUNAL

EXPOSE DU LITIGE

PRESENTATION DES PARTIES :

Les sociétés SANOFI MATURE IP, SANOFI WINTHROP INDUSTRIE et SANOFI-AVENTIS FRANCE sont des entités du groupe français SANOFI qui se présente comme figurant parmi les laboratoires pharmaceutiques leaders au niveau mondial.

Le groupe SANOFI est à l'origine de la mise sur le marché de la spécialité de référence JEVTANA®, décrite comme le premier traitement de deuxième ligne du cancer de la prostate ayant permis d'étendre la durée de vie des patients après l'échec d'une chimiothérapie, commercialisée dans plus de 75 pays et représentant 62,5% des ventes de médicaments en oncologie du groupe SANOFI pour l'Europe - dont 27, 69% concernent la France - soit 187 millions d'euros en 2020.

La société SANOFI MATURE IP, à laquelle la demande avait été cédée le 23 mai 2019 par la société AVENTIS PHARMA SA en cours d'examen, est titulaire du brevet EP 2 493 466 ayant pour intitulé « Nouvelle utilisation antitumorale du cabazitaxel », qui émane d'une demande internationale WO 2011/0251894 A113 déposée le 27 octobre 2010 revendiquant la priorité de 7 documents américains - le premier déposé le 29 octobre 2009 - et dont la délivrance, intervenue le 11 février 2021, a été publiée le 10 mars 2021 par l'Office européen des brevets. Une demande divisionnaire no EP 21155421.7 du brevet EP 2 493 466 non encore publiée a été déposée le 12 février 2021.

Le brevet EP 466 concerne l'utilisation d'un taxane - classe de diterpènes utilisé en tant qu'agent chimiothérapeutique - à savoir le cabazitaxel, en association avec la prednisone ou la prednisolone dans le traitement du cancer de la prostate métastatique résistant à la castration chez des patients précédemment traités avec un régime à base de docétaxel, et dont l'état s'est dégradé pendant ou après ledit traitement. Il s'agit de la seule indication autorisée de la spécialité de référence JEVTANA.

Les sociétés SANOFI WINTHROP INDUSTRIE et SANOFI-AVENTIS FRANCE se présentent comme respectivement licenciée et sous-licenciée du brevet EP 466 pour la France, ce suivant contrats inscrits au Registre européen des brevets le 5 février 2021 - à l'effet d'assurer leur opposabilité aux tiers en application des dispositions de l'article L. 614-11 du code de la propriété intellectuelle avant publication de la délivrance du titre - et portés au Registre national des brevets le 10 mars 1921 en application de l'article L. 613-9 du même code.

Il est précisé que la société AVENTIS PHARMA SA était précédemment titulaire du brevet européen désignant la France EP 0 817 779 intitulé « Nouveaux taxoides, leur préparation et les compositions pharmaceutiques qui les contiennent », dont les effets ont expiré le 25 mars 2016 et qui protégeait le composé cabazitaxel.

Le médicament de référence JEVTANA® a été autorisé par l'agence européenne du médicament - EMA - le 17 mars 2011 sous la dénomination « JEVTANA 60 mg, solution à diluer et solvant pour solution pour perfusion ». La solution est un flacon de 1,5 ml contenant 60 mg de cabazitaxel.

Elle est fabriquée au nom de la société SANOFI WINTHROP INDUSTRIE et commercialisée par la société SANOFI-AVENTIS FRANCE. Autorisée pour une utilisation hospitalière uniquement, la spécialité JEVTANA est en application de l'article R. 5121-83 du code de la santé publique, fournie aux établissements de santé aux termes de contrats et d'appels d'offres mais n'est pas disponible en pharmacie de ville.

La société TEVA SANTE est la filiale française du groupe TEVA PHARMACEUTICALS LTD. qui se décrit comme omniprésent dans le domaine pharmaceutique et employant plus de 47 000 salariés à travers le monde.

Elle est chargée de la distribution sur le territoire français de la spécialité « CABAZITAXEL-TEVA SANTE » pour laquelle la société TEVA BV est titulaire d'une autorisation de mise sur le marché délivrée le 19 août 2020, obtenue selon la procédure dite « abrégée » qui permet au demandeur de se référer aux résultats des essais précliniques et cliniques conduits pour la spécialité de référence.

La société TEVA SANTE a déposé une demande d'inscription sur la liste des médicaments facturables en sus de la T2A - liste prévue à l'article L.162-22-7 du code de la sécurité sociale - ainsi qu'une déclaration de prix pour la spécialité hybride CABAZITAXEL TEVA SANTE 10 mg/ml le 4 novembre 2020 auprès du CEPS - comité économique des produits de santé - et dans ce cadre la société SANOFI, s'appuyant sur l'article 3 de l'Accord Cadre signé entre le CEPS et le LEEM (organisation professionnelle des entreprises du médicament) du 31 décembre 2015 sur l'information du breveté, a indiqué au CEPS que sa spécialité JEVTANA était protégée par un brevet européen désignant la France no 2 493 466 dont la mention de la délivrance devait être publiée le 10 mars 2021, ce qui a conduit cet organisme à interroger TEVA SANTE sur la possibilité de « commercialiser les présentations génériques sans enfreindre les droits déclarés » et la date programmée de début de commercialisation.

La société TEVA SANTE a répondu le 22 mars 2021 au CEPS d'une part, qu'elle ne contrefaisait pas de brevet valide lors du lancement de sa spécialité, et d'autre part, que l'article 3 précité ne trouvait manifestement pas à s'appliquer s'agissant d'un médicament hybride.

NAISSANCE DU LITIGE :

La spécialité en cause « CABAZITAXEL TEVA SANTE 10 mg/ml, solution à diluer pour perfusion » commercialisée par TEVA et autorisée par référence au médicament JEVTANA, se présente comme un hybride au sens de l'article L. 5121-1§5(c) et de l'article L. 5121-10-1 du code de la santé publique, à savoir une spécialité pharmaceutique « qui ne répond pas à la définition d'une spécialité générique parce qu'elle comporte par rapport à la spécialité de référence des différences relatives aux indications thérapeutiques, au dosage, à la forme pharmaceutique ou à la voie d'administration [?] ».

Les sociétés SANOFI estiment que la différence entre JEVTANA® et la spécialité de TEVA ne concerne pas l'indication thérapeutique - laquelle est protégée par le brevet précité - mais la concentration du produit dont la préparation par dilution est différente, ce qui a une incidence sur son prix fixé à 40% plus bas que celui de la spécialité JEVTANA.

Après la délivrance de l'autorisation de mise sur le marché pour la spécialité en cause, le conseil de SANOFI a adressé le 21 décembre 2020 une lettre à la société TEVA SANTE - le brevet EP 466 n'étant alors pas encore délivré, un jeu de revendications modifiées devant être soumis ultérieurement à l'examinateur - sollicitant au visa de plusieurs titres de propriété industrielle une confirmation que ni celle-ci, « ni l'un de ses affiliés, ni un tiers collaborant avec elle ou l'un de ses affiliés notamment aux termes d'un contrat de licence, n'enfreindra l'exclusivité commerciale précitée [ soit celle associée à l'AMM et expirant le 23 mars 2021] et ne commettra d'actes de contrefaçon en France » suivie d'un courrier du 3 mars 2021 leur notifiant une traduction certifiée du brevet EP 466 tel qu'il serait délivré et une traduction certifiée des revendications de sa demande telle que publiée au visa des articles L. 615-4 et L. 614-9 du code de la propriété intellectuelle.

Constatant après la mise à jour mensuelle du site officiel de l'agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé - ANSM - le 30 mars 2021 que TEVA avait déclaré la commercialisation de sa spécialité hybride à compter du 23 mars 2021, en application de l'article L. 5124-5 du code de la santé publique, SANOFI a vérifié qu'il s'agissait de la seule déclaration de commercialisation intervenue parmi les entités ayant une autorisation de mise sur le marché pour une spécialité générique contenant du cabazitaxel :

La mention de la délivrance du brevet EP 466 ayant été publiée le 10 mars 2021, 7 oppositions ont en l'état été formées - le délai expirant le 10 décembre 2021 - notamment par des entités du groupe TEVA, qui bénéficient d'une autorisation de mise sur le marché en France pour une spécialité hybride de la spécialité JEVTANA®.

AUTRES LITIGES OU PROCEDURES EN COURS :

Le brevet américain no 8,927,592 (US'592) appartient à la même famille que le brevet EP 466 aux États-Unis. La société MYLAN LABORATORIES LIMITED a demandé une inter partes review ( IPR ) du brevet US'592136 et par décision du Patent Trial and Appeal Board (PTAB) de l'Office américain des brevets du 21 septembre 2017, il a été considéré que les revendications d'origine du brevet US'592 n'étaient pas brevetables.
La même conclusion a été émise dans une procédure parallèle devant le U.S. District Court for the District of New Jersey impliquant plusieurs laboratoires génériques soit MYLAN, FRESENIUS KABI USA LLC, ACCORD HEALTHCARE INC., BPI LABS LLC, BELCHER PHARMACEUTCIALS LLC, APOTEX, BRECKENRIDGE PHARMACEUTICAL INC., ACTAVIS LLC, DR REDDY'S LABORATORIES, GLENMARK PHARMACEUTICALS et SANDOZ. Le PTAB a délivré le titre avec des revendications modifiées du brevet US'592 déposées par SANOFI pendant la procédure IPR.

Deux brevets additionnels de cette famille ont été délivrés - no 10,583,110 et no 10,716,777 - en 2020 et ont été opposés dans des contentieux devant le U.S. District Court for the District of Delaware à l'encontre des mêmes entités ainsi que des sociétés MSN PHARMACEUTICALS, INC, MSN LABORATORIES PRIVATE LTD., HETERO USA, INC., HETERO LABS, UNIT-VI et HONG KONG KING-FRIEND INDUSTRIAL COMPANY LTD.

Ces contentieux sont actuellement toujours en cours.

C'est dans ce contexte que par acte délivré le 6 avril 2021 les sociétés SANOFI MATURE IP, SANOFI WINTHROP INDUSTRIE et SANOFI-AVENTIS FRANCE, y étant préalablement autorisées par ordonnance rendue le 2 avril 2021, ont fait assigner en référé à heure indiquée la société TEVA SANTE en invoquant l'atteinte vraisemblable portée à leurs droits, présentant aux termes de leur acte introductif d'instance développé oralement à l'audience du 14 avril 2021, les demandes suivantes :

Vu les articles L. 613-3, L. 613-4, L. 615-1, L. 615-3, L. 615-4 et L. 615-5-2 du code de la propriété intellectuelle ;

Vu le brevet européen no 2 493 466 ;

DIRE ET JUGER que le brevet européen no 2 493 466 est manifestement valable ;

DIRE ET JUGER que la défenderesse a commis des actes de contrefaçon d'à tout le moins les revendications 1, 2, 5, 6, 7, 8 et 9 du brevet européen no 2 493 466 en fabriquant, offrant, mettant dans le commerce, utilisant, important, exportant, transbordant et détenant aux fins précitées la spécialité arguée de contrefaçon ;

INTERDIRE à la défenderesse jusqu'au 27 octobre 2030 inclus de fabriquer, offrir, mettre dans le commerce, utiliser, importer, exporter, transborder, ou détenir aux fins précitées, des compositions pharmaceutiques reproduisant les caractéristiques des revendications 1, 2, 5, 6, 7, 8 et 9 du brevet européen no 2 493 466, sous astreinte de 10.000 euros (DIX MILLE EUROS) par médicament fabriqué, offert, mis dans le commerce, utilisé, importé, exporté, transbordé, ou détenu, quelle que soit sa forme de conditionnement, à compter de la date de la signification de l'ordonnance à intervenir ;

ORDONNER à la défenderesse de rappeler et/ou de retirer des réseaux de distribution, y compris auprès des pharmacies et des hôpitaux, tout médicament fabriqué, offert, mis dans le commerce, utilisé, importé, exporté, transbordé, ou détenu aux fins précitées, reproduisant les caractéristiques des revendications 1, 2, 5, 6, 7, 8 et 9 du brevet européen no 2 493 466, sous astreinte de 10.000 euros (DIX MILLE EUROS) par médicament non rappelé ou non retiré des réseaux de distribution, à compter d'un délai de 48 heures suivant la date de la signification de l'ordonnance à intervenir ;

AUTORISER les sociétés SANOFI MATURE IP, SANOFI WINTHROP INDUSTRIE et SANOFI-AVENTIS FRANCE à demander que toute composition pharmaceutique reproduisant les caractéristiques des revendications 1, 2, 5, 6, 7, 8 et 9 du brevet européen no 2 493 466 soit remise à tout huissier de leur choix, aux seuls frais de la défenderesse, afin d'empêcher leur introduction dans les circuits commerciaux et la poursuite d'actes de contrefaçon et par conséquent de :

AUTORISER les sociétés SANOFI MATURE IP, SANOFI WINTHROP INDUSTRIE et SANOFI-AVENTIS FRANCE à faire procéder par tout huissier instrumentaire de leur choix, à la saisie réelle de toute composition pharmaceutique reproduisant les caractéristiques des revendications 1, 2, 5, 6, 7, 8 et 9 du brevet européen no 2 493 466 dans les locaux de la défenderesse et en tous endroits dans lesquels les opérations révéleraient la présence de produits contrefaisants, afin que ces produits soient conservés sous le contrôle de l'huissier en tout lieu de stockage approprié ;

AUTORISER l'huissier instrumentaire à se faire assister d'un officier de police ou de tout représentant de la force publique qui pourra procéder même en dehors de sa circonscription, et de tout expert du choix des sociétés SANOFI MATURE IP, SANOFI WINTHROP INDUSTRIE et SANOFI-AVENTIS FRANCE, autres que les subordonnés des demanderesses ;

AUTORISER l'huissier instrumentaire à se faire assister par un serrurier, par un informaticien et par toute personne de son étude ;

AUTORISER l'huissier instrumentaire à poursuivre, en cas de besoin, ses opérations au-delà de la fin du premier jour ; dans ce cas, autoriser l'huissier instrumentaire à apposer les scellés sur les produits pertinents et, d'une façon générale, à apposer tous scellés ou autres moyens dans le but de préserver, sauvegarder et conserver toute composition pharmaceutique reproduisant les caractéristiques des revendications 1, 2, 5, 6, 7, 8 et 9 du brevet européen no 2 493 466 à saisir dans les lieux de la saisie ;

AUTORISER l'huissier instrumentaire à se faire assister par un manutentionnaire, emballeur et conducteur pour le transport des produits saisis et autoriser l'huissier instrumentaire à apporter tout moyen de transporter sur les lieux de la saisie ;

ORDONNER à la défenderesse, sous astreinte de 10.000 euros (DIX MILLE EUROS) par jour de retard passé un délai de huit jours à compter de la date de la signification de l'ordonnance à intervenir, à communiquer tous documents ou informations détenus par la société défenderesse afin de déterminer l'origine et les réseaux de distribution des compositions pharmaceutiques reproduisant les caractéristiques des revendications 1, 2, 5, 6, 7, 8 et 9 du brevet européen no 2 493 466, et notamment (i) les noms et adresses des fabricants, grossistes, importateurs et autres détenteurs antérieurs de ces produits, (ii) les quantités produites, importées, commercialisées, livrées, reçues ou commandées et (iii) le prix et autres avantages obtenus pour ces produits contrefaisants ;

ORDONNER à la défenderesse de communiquer aux sociétés SANOFI MATURE IP, SANOFI WINTHROP INDUSTRIE et SANOFI-AVENTIS FRANCE, par écrit et sous une forme appropriée (divisés en trimestres de l'année calendaire), les documents comptables, certifiés par un commissaire aux comptes, indiquant l'étendue des actes de contrefaçon précités commis depuis mars 2016 par la Défenderesse sous astreinte de 10.000 euros (DIX MILLE EUROS) par jour de retard passé un délai de huit jours à compter de la date de la signification de l'ordonnance à intervenir ;

SE RESERVER la liquidation des astreintes fixées ;

DEBOUTER la défenderesse de toutes ses demandes, fins et conclusions ;

CONDAMNER la défenderesse à payer aux sociétés SANOFI MATURE IP, SANOFI WINTHROP INDUSTRIE et SANOFI-AVENTIS FRANCE la somme de 100.000 euros (CENT MILLE EUROS) en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNER la défenderesse aux entiers dépens qui seront recouvrés par Maître Frédéric CHEVALLIER au titre de l'article 699 du code de procédure civile ;

RAPPELER que les décisions de première instance sont de droit exécutoires à titre provisoire en application de l'article 514 du code de procédure civile et que l'exécution de l'ordonnance de référé aura lieu au seul vu de la minute en application de l'article 489 du code de procédure civile.

Aux termes de ses conclusions notifiées le 12 avril 2021 et développées oralement, la société TEVA SANTE présente les demandes suivantes :

Vu le brevet européen EP 2 493 466 B1 ;

Vu les articles L.613-3, L.615-2 et L.615-3 du code de la propriété intellectuelle ;

DECLARER que les sociétés SANOFI WINTHROP INDUSTRIE et SANOFI-AVENTIS FRANCE
sont irrecevables à agir ;

DEBOUTER les sociétés SANOFI MATURE IP, SANOFI WINTHROP INDUSTRIE et SANOFI-AVENTIS FRANCE de l'intégralité de leurs demandes, fins et prétentions à l'encontre de la société TEVA SANTE ;

DIRE ET JUGER qu'il n'y a pas lieu à référé, les conditions de l'article L.615-3 du Code de la propriété intellectuelle n'étant pas réunies ;

REJETER l'ensemble des demandes, fins et prétentions des sociétés SANOFI MATURE IP, SANOFI WINTHROP INDUSTRIE et SANOFI-AVENTIS FRANCE à l'encontre de la société TEVA SANTE ;

ORDONNER la publication de la décision à intervenir, aux frais exclusifs des sociétés SANOFI MATURE IP, SANOFI WINTHROP INDUSTRIE et SANOFI-AVENTIS FRANCE, sous la forme d'un document de type PDF reproduisant l'entière décision et accessible par un lien hypertexte apparent situé sur la page d'accueil de leur site Internet, le titre du lien étant, en version française, anglaise ou néerlandaise, dans la langue appropriée :
« Les sociétés SANOFI MATURE IP, SANOFI WINTHROP INDUSTRIE et SANOFI-AVENTIS FRANCE ont été déboutées de l'ensemble de leurs demandes en interdiction de la spécialité CABAZITAXEL TEVA SANTE » dans une police d'une taille de 20 (vingt) points au moins, pendant 6 (six) mois, sous astreinte de 10 000 (dix mille) euros par jour de retard dans un délai de 8 (huit) jours à compter de la signification de l'ordonnance ;

ORDONNER également la publication de la décision à intervenir, aux frais exclusifs des sociétés SANOFI MATURE IP, SANOFI WINTHROP INDUSTRIE et SANOFI-AVENTIS FRANCE, dans 5 (cinq) journaux sectoriels et/ou publications nationales au choix de la société TEVA SANTE dans la limite de 10 000 (dix mille) euros HT, augmentés de la TVA au taux en vigueur, par insertion ;

DIRE qu'en cas de condamnation et d'interdiction de la société TEVA SANTE, les effets de la décision cesseront dès que la division d'opposition de l'Office européen des brevets révoquera le brevet européen EP 2 493 466 B1 ou le maintiendra sous une forme modifiée lors de la procédure orale à venir ou que le tribunal judiciaire statuera sur la validité du brevet européen EP 2 493 466 B1 ou que le tribunal judiciaire rejettera une demande d'interdiction dans une décision parallèle ;

CONDAMNER les sociétés SANOFI MATURE IP, SANOFI WINTHROP INDUSTRIE et SANOFI-AVENTIS FRANCE à verser à TEVA SANTE la somme de 150 000 (cent cinquante mille) euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

L'affaire a été plaidée le 14 avril 2021, les débats s'étant partiellement déroulés sous forme de télé-audience.

MOTIFS DE LA DECISION :

I- l'objet et la portée du brevet EP 2 493 466 :

L'invention décrit une nouvelle utilisation antitumorale du cabazitaxel dans le traitement du cancer de la prostate qui peut être métastatique, en particulier pour les patients qui ne sont pas pris en charge par un traitement à base de taxane. Elle porte sur l'utilisation du cabazitaxel pour traiter le cancer métastatique résistant à la castration - ou « mCRPC » - après un traitement préalable par un régime à base de docétaxel.

Il est exposé aux termes de la description qu'à la date de priorité du brevet soit octobre 2009, le cancer de la prostate est généralement traité au départ en privant les hormones androgènes, à savoir par excision chirurgicale des testicules. Les traitements par antiandrogènes ou manipulations hormonales sont associées à des réponses de courte durée et sans amélioration du temps de survie. Le rôle de la chimiothérapie cytotoxique dans le soulagement des symptômes et la réduction des taux de PSA - antigène prostatique spécifique - est établi. Aucune monothérapie n'a obtenu un taux de réponse supérieur à 30% et les combinaisons testées - dont la toxicité est problématique chez les patients âgés et dotés d'une réserve limitée de moelle osseuse - n'ont montré aucun effet sur la durée de survie.

Les chimiothérapies utilisées étaient limitées au cyclophosphamide, aux anthracyclines (doxorubinine ou mitoxantrone) et à l'extramustine, et les effets de ces traitements restaient relativement médiocres. Des effets palliatifs ont été observés chez des patients après l'administration de corticoïdes seuls ou de mitoxantrone avec de la presdnisone ou de l'hydrocortisone. Suite aux essais de phase II, l'association de la mitoxantrone avec des corticoïdes a été reconnue comme le traitement de référence du cancer de la prostate hormono-résistant.

Ensuite, des traitements au docétaxel - taxane autorisé en Europe sous la dénomination TAXOTERE® le 22 octobre 2004 - en association avec l'estramustine ou la prednisone ont permis de traiter les cancers résistants à la privation hormonale.

Il est souligné que les réponses dans les cancers avancés de la prostate sont difficiles a évaluer en raison de l'hétérogénéité de la maladie et du manque de consensus sur les critères de réponse au traitement, de nombreux patients atteints d'un cancer métastatique de la prostate n'ayant pas de maladie mesurable, mais des symptômes dominés par des métastases osseuses. La mesure du taux de PSA, de la tumeur lorsque cela est possible, des tumeurs osseuses, de la douleur et enfin la qualité de vie se sont avérés être des moyens pour évaluer de nouveaux candidats, étant ajouté que le cancer peut devenir résistant aux agents utilisés et en particulier aux taxanes.

Le problème technique que l'invention entend résoudre est celui de fournir une nouvelle option thérapeutique pour traiter le cancer de la prostate, en particulier pour les patients atteints d'un cancer métastatique résistant à la castration et précédemment traités par régime à base de docétaxel.

La description précise que quatre essais cliniques sur le cabazitaxel sont connus depuis avril 2006. Trois tests de monothérapie ont permis de déterminer la dose maximale tolérée et les toxicités aux doses limites. Ces tests ont été réalisés sur des tumeurs du sein, de sarcome et de la prostate. Des doses de 10 à 30 mg/ m² toutes les trois heures ont été utilisées. Un essai de phase II a été réalisé sur des patientes atteintes d'un cancer du sein, qui avaient précédemment reçu des taxanes et des anthracyclines comme adjuvant c'est-a-dire après une chirurgie, ou comme traitement de première intention. Les taux de réponse étaient de 14,6% comme adjuvant et 9,5% comme traitement de deuxième intention.

Sont cités les documents MITA ET AL (« Étude de phase I et pharmacocinétique de XRP6258 (RPR 116258A), un nouveau taxane, administré en perfusion d'une heure toutes les 3 semaines chez des patients atteints de tumeurs solides avancées ») et T ANNOCK ET AL (« Docétaxel plus prednisone ou mitoxantrone plus prednisone pour le cancer avance de la prostate »).

L'invention concerne une nouvelle utilisation thérapeutique pharmaceutique antitumorale comprenant du cabazitaxel de formule

Elle propose un composé ayant la formule représentée ci-dessus pouvant être sous forme de base ou sous forme d'un hydrate ou d'un solvate, en association avec la prednisone ou la prednisolone, pour une utilisation dans le traitement du cancer de la prostate chez les patients présentant les caractéristiques précédemment définies.
Cet agent antitumoral peut se présenter sous forme de base anhydre, d'hydrate ou de solvate. Le cabazitaxel est administré en association avec un corticoïde choisi parmi la prednisone et la prednisolone, de préférence à une dose quotidienne de 10 mg par voie orale.

Dans certains aspects de l'invention, le cabazitaxel est administré à une dose (définie pour chaque administration) comprise entre 20 et 25 mg/m², et peut se présenter sous la forme d'un solvat acétonique qui contient plus particulièrement entre 5% et 8% et de préférence entre 5% et 7% en poids d'acétone.
Il peut être administré par perfusion intraveineuse à une dose comprise entre 15 et 25 mg/m², ce cycle d'administration étant répété à un intervalle de 3 semaines susceptible d'être prolongé selon la tolérance à la dose précédente. Le cabazitaxel peut être administré en association avec le corticoïde qui est la prednisone ou la prednisolone, sous forme de deux préparations pharmaceutiques distinctes.

La dose recommandée est de 25 mg/m² de cabazitaxel administré en perfusion d'une heure et de 10 mg par jour de prednisone ou de prednisolone par voie orale.

Il est précisé que dans certains aspects, le patient a été préalablement traité avec une dose cumulée d'au moins 225 mg/ m² de docétaxel.

Le brevet EP 466 décrit les résultats d'un essai clinique de phase III - dit TROPIC - utilisant le cabazitaxel, qui a porté sur 755 patients atteints d'un cancer de la prostate métastatique résistant à la castration ayant progressé pendant ou après un régime à base de docétaxel. Il s'agissait de comparer les résultats sur un groupe de patients traités avec le cabazitaxel en association avec de la prednisone à ceux recevant le traitement de référence à base de mitoxantrone + prednisone. La dose médiane antérieure de traitement par docétaxel était de 576 mg/ m² pour le groupe cabazitaxel et de 529 mg/ m² pour le groupe mitoxantrone.

Les résultats de l'essai clinique TROPIC sont rapportés dans l'exemple 1 du brevet EP 2 493 466 énonçant que « La survie médiane des patients du groupe cabazitaxel était de 15,1 mois contre 12,7 mois dans le groupe mitoxantrone. Notamment, l'extension de la survie a été observée indépendamment du statut de performance ECOG [EasternCooperativeOncology Group], du nombre de régimes de chimiothérapie antérieurs et à l'âge. Un bénéfice a également été observé chez le tiers des patients réfractaires au docétaxel et ayant progressé au cours du traitement par docétaxel » et que « la survie sans progression (PFS) définie comme la progression la plus précoce de la tumeur, du PSA ou de la douleur était également statistiquement significativement plus longue dans le groupe cabazitaxel par rapport au groupe mitoxantrone (p etlt; 0,0001, rapport de risque = 0, 74 (95% Cl, 0,64, 0,86), et la survie médiane sans progression était de 2,8 mois contre 1,4 mois. Les taux de réponse et le PFS pour le PSA et les évaluations tumorales étaient statistiquement significatifs en faveur du cabazitaxel, tandis que le taux de réponse et le PFS pour la douleur ne présentaient pas de différence statistiquement significative ».

Le titre contient 9 revendications dont la R1 indépendante, qui sont libellées comme suit :

1. Composé de formule

qui peut être sous forme de base ou sous forme d'un hydrate ou d'un solvate, en association avec de la prednisone ou de la prednisolone, pour une utilisation dans le traitement du cancer de la prostate, chez les patients atteints d'un cancer métastatique de la prostate résistant à la castration qui ont été précédemment traités avec un régime à base de docétaxel et ayant un cancer de la prostate qui a progressé pendant ou après ledit traitement.

2. Composé pour une utilisation selon la revendication 1, où le cancer de la prostate est une maladie métastatique avancée.

3. Composé pour une utilisation selon l'une quelconque des revendications 1 à 2, sous la forme d'un solvat acétonique.

4. Composé pour une utilisation selon la revendication 3, dans lequel le solvat acétonique contient entre 5% et 8% et de préférence entre 5% et 7% en poids d'acétone.

5. Composé pour une utilisation selon l'une quelconque des revendications 1 à 4, administré à une dose comprise entre 15 et 25 mg/m², la prednisone ou prednisolone étant administrée à une dose de 10 mg/jour.

6. Composé pour une utilisation selon la revendication 5, administré à une dose de 25 mg/m² .

7. Composé pour une utilisation selon l'une quelconque des revendications 1 à 6, comprenant la répétition de l'administration de ce composé en un nouveau cycle toutes les 3 semaines.

8. Composé pour une utilisation selon l'une quelconque des revendications 1 à 7, en association avec de la prednisone.

9. Composé pour une utilisation selon l'une quelconque des revendications 1 à 8, dans lequel lesdits patients ont été précédemment traités avec au moins 225 mg/ m² de dose cumulée de docétaxel.

Les sociétés SANOFI exposent sur le contexte de la délivrance du brevet EP 466 qu'au cours des années 2000, beaucoup de nouvelles générations de taxanes ont été développées afin d'obtenir des améliorations des traitements contre le cancer par rapport aux taxanes existants comme le docétaxel autorisé pour la première fois en Europe en 1995 mais qu'en octobre 2009, il existait un scepticisme grandissant dans ce domaine sur le point de savoir si cet axe de recherche était prometteur, la résistance cellulaire aux taxanes restant un phénomène très complexe. Elles indiquent que le cabazitaxel a été sélectionné pour un développement plus avancé sur la base d'une part, de son affinité minimale pour la glycoprotéine-P (P-gp) - l'un des mécanismes possibles de résistance aux taxanes - et d'autre part, de sa plus grande pénétration de la barrière sang-cerveau.

Elles soulignent que les patients atteints d'un cancer de la prostate métastatique résistant à la castration constituent un groupe particulièrement difficile à traiter du fait de l'âge, de comorbidités et du caractère hétérogène de la pathologie, que la survie globale était à l'époque le critère principal d'efficacité d'un traitement et que le taux de succès des essais cliniques dans le cancer de la prostate métastatique résistant à la castration, entre l'autorisation du docétaxel en 2004 « en association à la prednisone ou à la prednisolone est indiqué dans le traitement du cancer de la prostate métastatique hormono-résistant » et la date de priorité en octobre 2009 était dissuasif, cette situation ayant perduré de sorte que plus de dix années plus tard, la spécialité JEVTANA® demeure la seule chimiothérapie autorisée à allonger la survie globale des patients atteints d'un cancer de la prostate métastatique résistant à la castration qui a progressé pendant ou après le traitement à base de docétaxel.

Portée du brevet :

Les sociétés SANOFI exposent que le problème décrit et l'effet technique obtenu par le traitement est l'allongement de la survie globale des patients - qui constituait le critère principal pour la plupart des agences de santé concernant le cancer de la prostate métastatique résistant à la castration et qu'aucun traitement autre que le docétaxel n'avait précédemment permis - indépendamment d'un effet thérapeutique qui n'est pas pertinent dans ce contexte, alors que selon la société TEVA SANTE, le brevet EP 466 ne peut être lu comme limitant l'effet thérapeutique obtenu par la combinaison du cabazitaxel avec la prednisone/prednisolone à la seule survie globale, qui au demeurant, ne constituait pas le seul critère d'évaluation de l'étude TROPIC.

Les revendications du brevet ne faisant comme le souligne la défenderesse aucune référence à ce critère, il y a lieu de se référer à la description et en particulier à la formulation du problème technique que l'invention entend résoudre.

Or celui-ci est présenté (page 2, paragraphe 3 de la traduction) en termes non limitatifs comme celui « de fournir une nouvelle option thérapeutique pour traiter le cancer de la prostate, en particulier pour les patients qui ne sont pas pris en charge par un traitement à base de taxane, tels que les patients atteints d'un cancer de la prostate métastatique résistant à la castration qui ont été précédemment traites par régime à base de docétaxel (vendu sous la marque Taxotere®), un besoin médical non satisfait ».
Il est ensuite précisé page 4 que « dans certains modes de réalisation, la quantité efficace de cabazitaxel produit au moins un effet thérapeutique choisi dans le groupe constitué par une augmentation de la survie globale, une réponse partielle, une réduction de la taille de la tumeur, une réduction des métastases, une rémission complète, une rémission partielle, une maladie stable ou une réponse complète » et indiqué page 8 - paragraphe [0034] - que « l'augmentation de la survie d'un patient atteint d'un cancer de la prostate métastatique réfractaire aux hormones, comprenant l'administration d'une quantité efficace cliniquement prouvée de cabazitaxel au patient en combinaison avec de la prednisone ou de la prednisolone » est « un aspect de l'invention ».

Enfin si le commentaire des résultats exposés tel que reproduit plus haut insiste sur le premier aspect, il est mentionné que ceux-ci sont :
« survie globale (OS): le temps entre l'inclusion et l'étude jusqu'à la date du décès
réponse complète (CR): disparition des lésions
réponse partielle (RP): au moins 30% de réduction du plus grand diamètre de la lésion
progression (PD): augmentation d'au moins 20% de la somme du plus grand diamètre de la lésion ou apparition d'une ou plusieurs nouvelles lésions
maladie stable (SD): réduction de la tumeur insuffisante pour être incluse dans PR et augmentation de la tumeur insuffisante pour être incluse dans PD » page 14 et paragraphes [0072] ? [0074].

La portée du brevet doit au regard de ces éléments être définie, ainsi que le suggère la société TEVA SANTE, comme visant à proposer une nouvelle option thérapeutique par l'utilisation du cabazitaxel dont l'effet attendu est d'une part un traitement de la maladie et d'autre part, une augmentation de la survie globale des patients et ce, qu'elle soit ou non en corrélation avec les résultats constatés pour les autres indicateurs.

La seconde question concerne la forme revendiquée du cabazitaxel, la société TEVA SANTE estimant que celle-ci concerne uniquement les formes « base », « hydrate » et « solvate » selon une définition particulière et SANOFI affirmant au contraire, que le brevet ne limite pas l'invention à une forme spécifique du cabazitaxel par opposition à une autre.

La description indique sur ce point que « spécifiquement, l'invention propose un compose ayant la formule représentée ci-dessus qui peut être sous forme de base ou sous forme d'un hydrate ou d'un solvate » ([0013]) que « cet agent antitumoral peut se présenter sous forme de base anhydre, d'hydrate ou de solvate » ([0014]) et que « le cabazitaxel peut se présenter sous la forme d'un solvat acétonique. Plus particulièrement, le solvat acétonique du cabazitaxel contient entre 5% et 8% et de préférence entre 5% et 7% en poids d'acétone » ([0015]).

Il est également précisé au [0024] que « le cabazitaxel peut être administré sous forme de base (cf. formule ci-dessus), ou sous forme d'hydrate. II peut également s'agir d'un solvate, c'est-à-dire d'un complexe moléculaire caractérisé par l'incorporation du solvant de cristallisation dans le cristal de la molécule du principe actif (...). En particulier, il peut s'agir d'un solvate d'acétone ».

La revendication 1 vise un composé « qui peut être sous forme de base ou sous forme d'un hydrate ou d'un solvate ».

Au regard des mentions qui précèdent qui présentent différentes options dont l'une seule - le solvate d'acétone - est détaillée et considérée comme préférée, cette énumération ne peut être lue comme limitant la portée du brevet à ces formes de cabazitaxel à l'exclusion de toute autre alors que cette restriction ne se déduit d'aucune autre indication fournie dans la description.

L'homme du métier :

L'homme du métier est un spécialiste du secteur technique dont relève l'invention doté des connaissances théoriques et pratiques et de l'expérience qui peuvent normalement être attendues d'un professionnel du domaine concerné, et lui permettent de concevoir la solution au problème que le brevet entend résoudre. A ce titre, il est un praticien de bon niveau qui connaît sa propre discipline et a acquis un savoir issu de domaines voisins ou relevant d'une culture technique générale.

La société TEVA SANTE suggère que l'homme du métier soit au cas d'espèce défini comme une équipe comprenant un médecin oncologue ayant une expérience clinique dans le traitement du cancer de la prostate métastatique résistant à la castration et de chercheurs en chimie et biochimie travaillant dans le domaine de la recherche et développement de tels traitements, et connaissant de ce fait les mécanismes d'action des taxanes et de résistance à cet agent.

Cette définition n'étant pas discutée par les demanderesses et adaptée au domaine de l'invention qui est celui de la recherche médicale dans le secteur particulier de l'oncologie, elle sera retenue par le tribunal.
II- recevabilité des demandes :

La société TEVA SANTE soutient au visa des articles L. 615-2 et L. 615-3 du code de la propriété intellectuelle que les demandes des sociétés SANOFI WINTHROP INDUSTRIE et SANOFI AVENTIS FRANCE sont irrecevables dès lors que celles-ci ne démontrent pas avoir qualité à agir en tant que licenciées exclusives.

Les sociétés SANOFI répondent que ces fins de non-recevoir ne peuvent qu'être écartées.

Sur ce,

Les demandes fondées sur l'article L. 613-3 du code de la propriété intellectuelle peuvent être présentées par « toute personne ayant qualité pour agir en contrefaçon », soit selon l'article L. 615-2 du même code, le propriétaire du brevet ou le bénéficiaire d'un droit exclusif d'exploitation ou après mise en demeure du breveté, le « titulaire d'une licence obligatoire ou d'une licence d'office ».

Il est cependant observé que les mesures d'interdiction ne sont pas spécifiquement formulées au nom des licenciées, lesquelles sont concernées par certaines modalités d'exécution et sollicitent en leur nom la communication de documents comptables susceptibles de permettre l'évaluation du préjudice qui leur est propre, et dont elles ont la faculté de poursuivre ultérieurement la réparation.

La fin de non-recevoir opposée en défense n'a dans ces conditions pas lieu d'être accueillie.

III- les demandes de mesures provisoires présentées :

Moyens des parties :

Les sociétés SANOFI soutiennent que la date de priorité la plus ancienne du brevet EP 466 est valablement revendiquée.

Elles soulignent qu'un essai clinique sans résultat ne peut pas être considéré comme destructeur de nouveauté pour une revendication d'utilisation thérapeutique, qu'au début de l'essai TROPIC il n'existait pas d'espoir raisonnable que le cabazitaxel serait efficace pour améliorer la survie globale des patients atteints d'un cancer de la prostate métastatique résistant à la castration qui a progressé pendant ou après un traitement à base de docétaxel et qu'il serait donc autorisé pour sa commercialisation, et qu'en outre, le descriptif TROPIC ne contient aucune donnée clinique pour démontrer l'efficacité du cabazitaxel, de sorte que le simple fait que ce taxane soit testé ne divulgue en rien l'issue de cette expérimentation.

Sur l'activité inventive, les sociétés SANOFI exposent que le problème technique objectif que l'invention doit solutionner à partir du « Descriptif TROPIC » - document de l'art antérieur le plus proche - est une amélioration de la survie globale et non l'obtention d'un effet thérapeutique, et que ce descriptif ne créait pas cet espoir raisonnable de succès de le résoudre. Elles soutiennent que l'examinateur de l'OEB a à juste titre délivré le brevet EP 466 au regard de l'art antérieur cité durant son examen et aux États-Unis et en particulier des documents suivants :
- MITA et al, Clinical Cancer Research (2009), 15(2), 723-730 (« Mita 2009 »), en ce que la diminution du PSA et de la taille de la tumeur ne sont pas des indicateurs de l'efficacité du traitement en terme de survie, la réponse d'un patient unique n'est pas révélatrice en soi, le dosage pratiqué a généré des effets indésirables graves ;
- PIVOT et al, Annals of Oncology (2008), 19(9), 1547-1552 (« Pivot 2008 ») en ce que l'issue d'un essai clinique de Phase II chez les patientes atteintes d'un cancer du sein métastatique auxquelles du cabazitaxel a été administré n'est pas transposable au cas de la prostate ;
- Beardsley 2008, dont les auteurs soulignent qu'un essai de phase II avec le cabazitaxel n'a pas été réalisé chez des patients atteints d'un cancer de la prostate métastatique résistant à la castration avant le début de l'essai de phase III TROPIC ;
- Attard 2006, selon lequel « les [doses maximales autorisées] du XRP6258 [cabazitaxel] et du XRP9881 sont limitées par la myélosuppression et cela peut limiter l'étendue de la destruction des cellules tumorales qui peut être obtenue » ;
- NHSC - National Horizon Scanning Center Research Program - 2009 selon lequel « le cabazitaxel a montré un profil d'innocuité et une activité prometteurs chez les patients progressant après un traitement à base de docétaxel » ce qui n'est toutefois étayé par aucune référence mais au contraire s'accompagne de réserves ;
- L'Article du Blog 2007 faisant référence à des essais portant sur le cabazitaxel ainsi que sur les thérapies expérimentales G-VAX, DN-101 et satraplatine, lesquels ont tous échoué.

Sur les atteintes alléguées, les sociétés SANOFI font valoir en substance que selon le brevet EP 466, le cabazitaxel et le composé avec lequel il est associé - c'est-à-dire la prednisone ou la prednisolone - ne sont pas combinées dans la même composition pharmaceutique mais constituent deux composés distincts dans deux compositions distinctes, administrées au patient afin de traiter une maladie spécifique, que le brevet ne limite en aucun façon l'invention à une forme spécifique du cabazitaxel par opposition à une autre, qu'aucune autre utilisation du cabazitaxel que celle décrite par le brevet, c'est-à-dire sans association avec la prednisone ou la prednisolone, n'est autorisée et enfin qu'un médicament reproduisant les caractéristiques de JEVTANA® contrefait directement la revendication 1 du brevet EP 466, or l'autorisation de mise sur le marché de la spécialité arguée de contrefaçon est une copie de celle de la spécialité de référence.

Les demanderesses font observer sur les conséquences des actes litigieux qu'ils sont commis 9 années avant l'expiration du brevet en litige et que les médicaments contenant du cabazitaxel sont réservés à l'usage hospitalier, à savoir fournis aux établissements de santé aux termes de contrats et d'appels d'offres mais ne sont pas disponibles en pharmacie de ville de sorte que SANOFI est susceptible de perdre de façon irréparable 100% du marché français. La société SANOFI-AVENTIS FRANCE indique qu'elle s'est vu demander le 15 septembre 2020 par le CEPS de consentir une baisse de prix de 40% pour la spécialité JEVTANA® à fin d'alignement sur celui du produit argué de contrefaçon, ce qu'elle a refusé mais qui lui sera imposé si les mesures provisoires sollicitées ne sont pas prononcées. Il est exposé que même si SANOFI se voit attribuer 100% des appels d'offre, elle perd dans ces conditions 20,71 millions d'euros par an au regard de ses ventes de 2020 sur lesquels une marge incontestable de 50% peut être estimée et que si au contraire 100% des marchés sont perdus, ce chiffre s'établit à 51.794.652 euros.

Les sociétés SANOFI ajoutent que d'autres génériques initialement respectueux de leurs droits sont susceptibles de lancer également leurs spécialités, entraînant ainsi une guerre des prix et une accélération des pertes de parts de marché, ce qui aura un impact significatif sur leur activité de recherche et développement mais aussi sur leur empreinte industrielle en France, et donc sur la sécurisation de la disponibilité des produits fabriqués.

La société TEVA SANTE expose sur le contexte qu'à la date de dépôt, les laboratoires pharmaceutiques avaient axé leurs recherches sur le développement de nouveaux taxanes qui échapperaient aux mécanismes de résistance connus et notamment à la P-glycoprotéine, et l'homme du métier savait que le cabazitaxel s'était montré efficace dans les lignées cellulaires résistantes au docetaxel, citant à cet égard le document MITA rapportant les résultats d'un essai de phase I ayant permis à SANOFI d'obtenir l'autorisation nécessaire pour mener son essai clinique à grande échelle sur 720 patients, le document PIVOT relatif à un essai de phase II évaluant le cabazitaxel (XRP6258) administré chez des patientes présentant un cancer du sein résistant aux taxanes, et le document BEARDSLEY mentionnant l'existence d'un essai de phase III -l'essai TROPIC- qui était en cours.

Elle soutient ensuite que SANOFI ne justifie pas que les droits à revendiquer la priorité des sept demandes US ont été dûment cédés par l'inventeur avant le dépôt du brevet et qu'à défaut, l'objet de l'invention ne peut bénéficier que de la date du 27 octobre 2010.

Elle ajoute qu'en tout état de cause, l'objet de la revendication 1 ne peut découler directement et sans ambiguïté ni de la première demande de priorité du 29 octobre 2009, ni de la deuxième demande de priorité du 11 janvier 2010 de sorte que l'article DE BONO et al publié le 2 octobre 2010 et le RCP américain de JEVTANA® publié en juin 2010, qui lui sont donc opposables, détruisent la nouveauté du brevet EP 466.

Sur l'activité inventive, la société TEVA SANTE soutient que le protocole de l'essai clinique TROPIC - admis comme l'art antérieur le plus proche - divulgue toutes les caractéristiques a) à f) de la revendication 1 et que le problème technique objectif à résoudre au vu de cette publication ne pourrait être que de déterminer si la conclusion de l'essai clinique a été positive.

Elle affirme qu'à supposer même que le brevet EP 466 bénéficie de sa première date de priorité l'homme du métier aurait, en l'absence d'alternative thérapeutique pour cette catégorie de patients, été incité à administrer du cabazitaxel en combinaison avec de la prednisone ou prednisolone pour traiter un cancer de la prostate métastatique résistant à la castration au regard des informations alors disponibles.

Elle fait en outre valoir que la vraisemblance de la contrefaçon alléguée n'est pas démontrée, SANOFI échouant selon elle à établir que le traitement commercialisé s'adresse spécifiquement à la catégorie de patients décrite par le brevet.

Pour soutenir enfin que les mesures provisoires sollicitées ne sont pas opportunes, la société TEVA SANTE expose que les laboratoires princeps bénéficient d'un avantage substantiel dans le cadre des appels d'offres aux hôpitaux par rapport aux fabricants de médicaments génériques en application du mécanisme par lequel les hôpitaux récupèrent 50% de l'écart entre le prix obtenu et le tarif fixé par le CEPS pour la spécialité de référence et qu'ainsi, dans l'hypothèse où SANOFI propose un médicament avec un tarif fixé à 100 euros par le CEPS aux hôpitaux à un prix de 60 euros soit au même prix que les génériqueurs, cela implique que les hôpitaux paieront 40 euros pour le produit princeps après rétrocession de 50% de la sécurité sociale, raison pour laquelle le CEPS applique au générique ainsi qu'au princeps la même décote de 40% par souci d'équité concurrentielle.

Elle ajoute qu'en application de l'Accord Cadre du 5 mars 2021 entre le CEPS et le LEEM, la décote de 40% refusée par SANOFI ne lui sera appliquée qu' « qu'après la résolution du contentieux » de sorte qu'il n'existe pas en l'état de préjudice irréparable.

Sur ce,

L'article L. 615-3 du code de la propriété intellectuelle dispose que toute personne ayant qualité pour agir en contrefaçon peut saisir en référé la juridiction civile compétente afin de voir ordonner, au besoin sous astreinte, à l'encontre du prétendu contrefacteur ou des intermédiaires dont il utilise les services, toute mesure destinée à prévenir une atteinte imminente aux droits conférés par le titre ou à empêcher la poursuite d'actes argués de contrefaçon.
Les mesures sollicitées ne peuvent être ordonnées que si les éléments de preuve, raisonnablement accessibles au demandeur, rendent vraisemblable qu'il est porté atteinte à ses droits ou qu'une telle atteinte est imminente.
La juridiction peut interdire la poursuite des actes argués de contrefaçon, la subordonner à la constitution de garanties destinées à assurer l'indemnisation éventuelle du demandeur ou ordonner la saisie ou la remise entre les mains d'un tiers des produits soupçonnés de porter atteinte aux droits conférés par le titre, pour empêcher leur introduction ou leur circulation dans les circuits commerciaux. Si le demandeur justifie de circonstances de nature à compromettre le recouvrement des dommages et intérêts, la juridiction peut ordonner la saisie conservatoire des biens mobiliers et immobiliers du prétendu contrefacteur, y compris le blocage de ses comptes bancaires et autres avoirs, conformément au droit commun. Pour déterminer les biens susceptibles de faire l'objet de la saisie, elle peut ordonner la communication des documents bancaires, financiers, comptables ou commerciaux ou l'accès aux informations pertinentes.
Elle peut également accorder au demandeur une provision lorsque l'existence de son préjudice n'est pas sérieusement contestable.
Saisie en référé ou sur requête, la juridiction peut subordonner l'exécution des mesures qu'elle ordonne à la constitution par le demandeur de garanties destinées à assurer l'indemnisation éventuelle du défendeur si l'action en contrefaçon est ultérieurement jugée non fondée ou les mesures annulées. Lorsque les mesures prises pour faire cesser une atteinte aux droits sont ordonnées avant l'engagement d'une action au fond le demandeur doit, dans un délai fixé par voie réglementaire, soit se pourvoir par la voie civile ou pénale, soit déposer une plainte auprès du procureur de la République. A défaut, sur demande même non motivée du défendeur, les mesures ordonnées sont annulées sans préjudice des dommages et intérêts susceptibles d'être réclamés.

Le juge des référés saisi de telles demandes doit dans ce cadre apprécier le caractère sérieux des arguments présentés en défense, susceptibles de porter sur la validité du brevet et sur la matérialité de la contrefaçon, et évaluer le rapport de proportionnalité entre la contestation de l'atteinte alléguée et les mesures provisoires sollicitées, au regard des enjeux du litige - qui sont ici économiques mais aussi de santé publique - et des risques encourus par chacune des parties.

Discussion relative à la validité du brevet EP 2 493 466 :

1o- la question des dates de priorité revendiquées (cession des droits de priorité et condition requise de « même invention ») :

1) cession des droits :

La société TEVA SANTE soutient que pour céder valablement ses droits de priorité à AVENTIS PHARMA S.A. sur l'invention objet du brevet en cause, l'inventeur [S] [E] devait en avoir la possession à la date de la cession et ne pas les avoir précédemment transmis à son employeur - alors SANOFI US - en application des dispositions de son contrat de travail et qu'il est de pratique usuelle dans l'industrie pharmaceutique américaine que les salariés occupant des postes de recherches cèdent automatiquement à leur employeur tout droit de propriété industrielle généré par leur activité. Elle ajoute qu'en tout état de cause, SANOFI ne justifie pas d'une cession des droits de priorité avant le dépôt de la demande PCT du brevet EP 466 datée du 27 octobre 2010, la société TEVA SANTE faisant observer que celle-ci a été déposée par la société AVENTIS PHARMA S.A. et non par l'inventeur et que le seul document disponible sur le site internet de l'USPTO est un contrat de cession signé par [S] [E] en date du 12 novembre 2010 - ne pouvant avoir d'effet rétroactif - portant sur son invention intitulée « Nouvelle utilisation antitumoral du cabazitaxel » et toute demande de brevet revendiquant la priorité des sept demandes américaines, respectivement datées du 29 octobre 2009 (no61/256,160), 11 janvier 2010 (61/293,903), 17 juin 2010 (61/355,834 et 61/355,888), 2 août 2010 (61/369,929), 17 septembre 2010 (61/383,933) et du 5 octobre 2010 (61/389,969).

Les sociétés SANOFI font observer que ces arguments n'ont jamais été soulevés durant la procédure d'examen devant l'OEB ni encore dans le cadre de l'opposition formée par TEVA SANTE après la délivrance du brevet, ce qui montre qu'ils sont manifestement privés de pertinence, et répondent qu'il suffit de constater que le déposant du document de priorité étant également celui de la demande de brevet en litige - ce qui est le cas puisque [S] [E] et AVENTIS PHARMA apparaissent comme ayant déposé conjointement - le droit de priorité n'avait pas lieu d'être précédemment cédé pour que la demande PCT en bénéficie.

Sur ce,

Il sera à titre liminaire relevé que l'hypothèse d'un transfert immédiat des droits de propriété industrielle résultant de l'invention de [S] [E] au profit de la société SANOFI US, purement spéculative et estimée probable sur la base d'une consultation établie pour les besoins de la cause dont la conclusion repose notamment sur des pratiques habituelles du secteur pharmaceutique, ne peut suffire dans le cadre d'un référé à remettre en cause l'apparente validité du titre invoqué.

En application de l'article 87 (1) de la CBE, « celui qui a régulièrement déposé, dans ou pour
a) un État partie à la Convention de Paris pour la protection de la propriété industrielle ou
b) un membre de l'Organisation mondiale du commerce,
une demande de brevet d'invention, de modèle d'utilité ou de certificat d'utilité, ou son ayant cause, jouit, pour effectuer le dépôt d'une demande de brevet européen pour la même invention, d'un droit de priorité pendant un délai de douze mois à compter de la date de dépôt de la première demande ».
Les directives d'examen de l'OEB (A-III-6.1) précisent que le demandeur d'un brevet européen peut se prévaloir de la priorité du dépôt antérieur d'une première demande lorsque « le demandeur du brevet européen était également le déposant de la demande antérieure ou son ayant-cause ».

Par ailleurs l'article 8 du traité PCT (Convention de Washington) « revendication de priorité » prévoit que « la demande internationale peut comporter une déclaration, conforme aux prescriptions du règlement d'exécution, revendiquant la priorité d'une ou de plusieurs demandes antérieures déposées dans ou pour tout pays partie à la Convention de Paris pour la protection de la propriété industrielle » et que « les conditions et les effets de toute revendication de priorité présentée conformément à l'alinéa 1) sont ceux que prévoit l'article 4 de l'Acte de Stockholm de la Convention de Paris pour la protection de la propriété industrielle ».

La demande américaine no61/256,160 du 29 octobre 2009 (HS B.2.1) a été déposée par l'inventeur [S] [E] et la demande PCT WO 2011/051894 A1 du 27 octobre 2010 (HS B.3.1), conjointement par AVENTIS PHARMA SA (« for all designed states except US ») et [S] [E] (« for US only »). Dans cette hypothèse, il est admis qu'un transfert spécial du droit de priorité à l'autre déposant n'est pas exigé. Cette solution - applicable au cas où les déposants ne sont pas les mêmes selon les États désignés en application de l'article 118 de la CBE - concerne également l'hypothèse d'une demande internationale désignant l'OEB (OEB, 21 févr. 2014, T-1933/12, Porsche et Sachs c/ [A]). La jurisprudence de la chambre de recours communiquée par TEVA SANTE (T 0407/15 du 27 octobre 2020) n'est en revanche pas transposable au cas d'espèce en ce qu'elle s'est prononcée sur le cas d'inventeurs qui se trouvaient être les mêmes, et non d'une identité de déposants.

Il s'ensuit que ce premier moyen tiré de l'absence de justification d'une cession du droit de priorité à la société AVENTIS PHARMA préalablement au dépôt de la demande PCT ne peut être accueilli.

2) revendication de priorité du 29 octobre 2009 :

La société TEVA SANTE fait valoir que la notion de « même invention » visée à l'article 87 précité signifie, selon la jurisprudence de la chambre de recours de l'OEB et des juridictions françaises, « qu'il ne convient de reconnaître qu'une revendication figurant dans une demande de brevet européen bénéficie de la priorité d'une demande antérieure conformément à l'article 88 CBE que si l'homme du métier peut, en faisant appel à ses connaissances générales, déduire directement et sans ambiguïté l'objet de cette revendication de la demande antérieure considérée dans son ensemble », et que l'appréciation de ce critère doit s'opérer par analogie avec l'exigence de l'article 123 (2) CBE sur l'examen de l'objet modifié devant se déduire de la demande telle que déposée.

Appliquant ces principes au cas d'espèce, elle soutient que ni la revendication 1 ni la revendication 6 du document US 160 ne divulguent la caractéristique selon laquelle le patient a « un cancer de la prostate qui a progressé pendant ou après ledit traitement » au docétaxel. Elle souligne que cette caractéristique f) rajoutée au cours de la procédure d'examen du brevet EP 466 dans la réponse de SANOFI à l'OEB du 7 mai 2020 a été essentielle à la délivrance du titre, et que le second paragraphe de la page 7 de la demande telle que déposée, indiqué comme support pour cet ajout, est absent du document US 160.

La société TEVA SANTE estime que cette caractéristique n'apparaît pas non plus à travers la description du brevet US 160, affirmant en particulier que le passage page 5, lignes 35 à 38 du document US 160 énonçant que « les patients ont en particulier un cancer qui est résistant à l'hormonothérapie et qui a déjà été traité avec une dose cumulée d'au moins 225 mg/m² de TAXOTERE®. Ils ont de préférence présenté une progression de leur maladie dans les six mois suivant l'hormonothérapie ou pendant le traitement par TAXOTERE® ou après le traitement par TAXOTERE®. » se rapporte à l'essai clinique dont l'ensemble des caractéristiques aurait alors dû figurer dans la revendication, faisant valoir à cet égard que selon une jurisprudence constante des chambres de recours de l'OEB, il n'est normalement pas permis de modifier une revendication en puisant des caractéristiques isolées dans un ensemble de caractéristiques divulguées à l'origine uniquement de façon combinée.

Les sociétés SANOFI répondent que le contenu global de la demande antérieure doit divulguer explicitement ou implicitement les caractéristiques de la demande ultérieure, que toutes les caractéristiques notamment de la revendication 1 du brevet EP 466 sont revendiquées dans le document US 160 et qu'elles se retrouvent également dans la description considérée dans son ensemble, dont elles citent à cet égard plusieurs occurrences.

Sur ce,

L'article 88 CBE relatif à la revendication de priorité dispose que :

« (3) Lorsqu'une ou plusieurs priorités sont revendiquées pour la demande de brevet européen, le droit de priorité ne couvre que les éléments de la demande de brevet européen qui sont contenus dans la demande ou dans les demandes dont la priorité est revendiquée.
(4) Si certains éléments de l'invention pour lesquels la priorité est revendiquée ne figurent pas parmi les revendications formulées dans la demande antérieure, il suffit, pour que la priorité puisse être accordée, que l'ensemble des pièces de la demande antérieure révèle d'une façon précise lesdits éléments ».

Dans le document US 160 (pièce AD 02.05 pour la traduction), il est mentionné dans la présentation de l'essai clinique que « les patients ont en particulier un cancer qui est résistant à l'hormonothérapie et qui a déjà été traité avec une dose cumulée d'au moins 225 mg/m² de Taxotere.
Ils ont de préférence présenté une progression de leur maladie dans les six mois suivant l'hormonothérapie ou pendant le traitement par Taxotere ou après le traitement par Taxotere ».

Contrairement à ce qu'affirme la société TEVA SANTE - qui souligne à juste titre que les autres citations ne sont pas pertinentes - cette référence à la progression de la maladie ne peut être considérée comme une caractéristique arbitrairement isolée d'un ensemble dans la mesure où celle de la dose cumulée d'au moins 225 mg/m2 de TAXOTERE est contenue dans la revendication 9 du brevet EP 466, et que les autres éléments définissant le profil des patients consistent dans le détail des indicateurs retenus - taille de la tumeur mesurable, augmentation du taux de PSA - le mode de castration, et enfin l'espérance de vie dont force est de constater qu'ils explicitent pour l'essentiel une donnée reprise dans le brevet, à savoir le traitement antérieurement appliqué, et n'apparaissent donc pas comme « inextricablement » soit fonctionnellement et structurellement, liées à la dernière caractéristique ajoutée à la revendication 1 au sens de la jurisprudence citée par la défenderesse.

Il ressort de ces observations que la caractéristique f) de la revendication 1 se déduit explicitement et sans ambiguïté du document de priorité US 160, et que la priorité la plus ancienne apparaît en conséquence valablement revendiquée.

Les arguments visant à combattre la nouveauté du brevet - documents DE BONO et al de mai et octobre 2010, résumé des caractéristiques de résumé des caractéristiques de la spécialité JEVTANA® autorisée aux États-Unis en juin 2010 - n'ont dès lors pas lieu d'être examinés.

2o- moyens opposés sur l'activité inventive :

La société TEVA SANTE rappelle que la détermination de l'activité inventive suppose d'évaluer si l'homme du métier - au regard de ses connaissances générales - aurait pu aboutir à l'invention revendiquée au vu du problème technique à résoudre et de l'enseignement de l'art antérieur, et que SANOFI opère une confusion en invoquant la plausibilité de l'invention qui est un critère trouvant à s'appliquer lors de l'examen de la suffisance de description.

Elle affirme que contrairement à ce que les sociétés SANOFI soutiennent, tant la jurisprudence française que celle de l'OEB considèrent que la publication d'un protocole d'un essai clinique remet en cause la validité du brevet et son activité inventive, et qu'au vu de l'art antérieur, l'homme du métier aurait eu non pas une certitude de réussite - qui n'existe pas en matière de tests cliniques - mais une espérance raisonnable de succès.

La société TEVA SANTE estime que l'objet de la revendication 1 est privée d'activité inventive à la première date de priorité soit au 29 octobre 2009, en ce qu'elle découle de manière évidente de l'art antérieur constitué de la publication de la version 8 du protocole de l'essai TROPIC - qui contient toutes les caractéristiques de la revendication 1 mais n'en divulgue pas les résultats - au regard du document « NHSC : Cabazitaxel (XRP-6258) pour le cancer de la prostate métastatique, réfractaire aux hormones ? seconde ligne après le docetaxel » qui est une note d'information publiée en avril 2009 par le NHSC - National Horizon Scanning Center, institution émanant du National Institute for Health Research britannique et chargé de fournir un avis préalable sur les médicaments et dispositifs médicaux dans la perspective de leur utilisation et leur financement - laquelle présente le cabazitaxel comme un agent prometteur. Elle soutient que l'homme du métier se serait attendu au succès de l'essai TROPIC au vu du document MITA et al, commenté de façon manifestement partiale par le Professeur [O] devant l'OEB, et de BEARDSLEY évoquant les résultats de l'étude PIVOT qui concerne le cancer du sein et le lancement d'un essai de phase III avec le XRP6258 (cabazitaxel) lesquels témoignent de l'opinion de la communauté scientifique sur les perspectives liées à ce nouveau taxane.

Les sociétés SANOFI répondent qu'il n'existe à la date de priorité aucun espoir raisonnable de succès de l'indication thérapeutique brevetée, soulignant en particulier que le document Mita 2009, qui rapporte un essai clinique de phase I du cabazitaxel en monothérapie chez les patients présentant différentes tumeurs solides avancées - ce qui n'a pas pour objet d'évaluer l'efficacité des substances en développement mais seulement la toxicité selon les schémas de dosages - et concerne un patient unique ayant le profil de l'essai TROPIC, ne rapporte pas de données relatives à la survie globale et est dissuasive s'agissant d'un traitement avec 25 mg/m² de cabazitaxel qui a montré des effets indésirables graves.

Elles exposent qu'une réponse chez un seul patient en essai de phase I et l'absence de phase II rendaient les résultats positifs de l'essai TROPIC particulièrement imprédictibles mais que le besoin urgent d'un traitement de deuxième ligne et l'absence d'alternative aux soins palliatifs a justifié le choix de l'entreprendre, soulignant que si des espoirs réels de succès avaient existé, la démarche d'une étude aurait été contraire à l'éthique et les médecins auraient pu demander une autorisation temporaire d'utilisation du cabazitaxel chez les patients concernés avant la date de priorité, ce qui n'a pas été le cas.

Sur ce,

L'article 56 de la CBE dispose qu' « une invention est considérée comme impliquant une activité inventive si, pour un homme du métier, elle ne découle pas d'une manière évidente de l'état de la technique ».
L'appréciation du caractère inventif implique de déterminer si eu égard à l'état de la technique l'homme du métier normalement qualifié et expérimenté, au vu du problème que l'invention prétend résoudre, aurait obtenu la solution technique revendiquée par le brevet en utilisant ses connaissances professionnelles et en effectuant de simples opérations d'exécution.
L'activité inventive se définit au regard du problème spécifique auquel est confronté l'homme du métier.

Il est observé que pour contester l'activité inventive de la revendication 1, la société TEVA SANTE ne s'appuie pas sur la divulgation du protocole de l'essai TROPIC - dont il n'est pas discuté qu'il constitue l'art antérieur le plus proche - mais sur les espoirs qu'il pouvait générer au regard des données disponibles et de l'interprétation susceptible d'en être faite.

Le protocole de l'essai clinique NCT00417079 intitulé « XRP6258 Plus Prednisone Compare A Mitoxantrone Plus Prednisone Dans Le Cancer De La Prostate Métastatique Réfractaire Aux Hormones (TROPIC) » (pièce AD 4.13) a été publié le 17 novembre 2008. Il décrit « une étude randomisée, ouverte et multicentrique comparant la sécurité et l'efficacité de XRP6258 plus prednisone à celles de mitoxantrone plus prednisone dans le traitement du cancer de la prostate métastatique hormono-réfractaire précédemment traité par un régime contenant Taxotere®. (?) L'objectif principal est la survie globale. Les objectifs secondaires comprennent la survie sans progression, le taux de réponse globale, la réponse/progression de l'antigène spécifique de la prostate (PSA), la réponse/progression de la douleur, la sécurité globale et la pharmacocinétique. Les patients seront traités jusqu'à la progression de la maladie, le décès, une toxicité inacceptable, ou pendant un maximum de 10 cycles ».

Les mesures des résultats primaires sont :
1. survie globale définie comme l'intervalle de temps entre la date de la randomisation et la date du décès, quelle qu'en soit la cause.

Les mesures des résultats secondaires sont :
2. Taux d'APS à la sélection, au jour 1 de chaque cycle de traitement, à la fin du traitement de l'étude et lors du suivi jusqu'à progression documentée.
3.Activité antitumorale par tomographie assistée par ordinateur / imagerie par résonance magnétique (et scintigraphie osseuse, comme indiqué).
4. Douleur via un score de consommation d'analgésiques et le Present Pain Index sur une période d'une semaine.
5. Événements indésirables, anomalies de laboratoire, signes vitaux.

Les critères d'inclusion sont 1. Adénocarcinome de la prostate confirmé histologiquement ou cytologiquement, 2. Progression documentée de la maladie (démontrant au moins une lésion métastatique viscérale ou des tissus mous, y compris une nouvelle lésion) - les patients dont la maladie n'est pas mesurable doivent présenter une augmentation documentée du taux de PSA ou l'apparition d'une nouvelle lésion - et 3. Castration chirurgicale ou hormonale.

Le document NHSC (AD 4.16) publié en avril 2009 indique en première page que le résumé technologique qu'il contient « est basé sur les informations disponibles au moment de la recherche et sur une recherche documentaire limitée. Il ne s'agit pas d'une déclaration définitive sur la sécurité, l'efficacité ou l'efficience de la technologie de santé couverte et ne doit pas être utilisé à des fins commerciales ». Il est intitulé « Cabazitaxel (XRP-6258) pour le cancer de la prostate métastatique hormono-réfractaire - deuxième ligne après docétaxel » et communique les informations suivantes :

« Description de la technologie
Le cabazitaxel (XRP-6258) est un agent anti-néoplasique de type taxane. Il agit en perturbant le réseau microtubulaire qui est essentiel aux fonctions cellulaires mitotiques et interphasiques et provoque l'inhibition de la division et de la mort cellulaires. Le cabazitaxel en association avec la prednisone est destiné à offrir une option thérapeutique supplémentaire aux patients dont la maladie progresse après ou pendant un traitement à base de docétaxel.
Le cabazitaxel est administré par perfusion intraveineuse (IV) à raison de 25mg/m² toutes les 3 semaines.

Innovation et/ou avantages
Il n'existe aucun agent approuvé pour les hommes atteints de HRPC métastatique dont la maladie a progressé pendant ou après un traitement de chimiothérapie de première ligne. Le cabazitaxel a montré un profil de sécurité et une activité prometteurs chez les patients ayant progressé après un traitement par docétaxel ».

Ainsi que le soulignent à juste titre les sociétés SANOFI, aucun élément précis n'est fourni quant à la documentation sur la base de laquelle cet avis est émis et il ne peut sur ce point suffire de se référer aux garanties de sérieux de cette institution, ni à l'objectif dans lequel elle diffuse ses travaux. Ce document peut tout au plus être considéré comme illustrant l'opinion générale d'au moins une partie de la communauté scientifique sur le Cabazitaxel à la date de sa parution.

Le document PIVOT du 23 avril 2008 (AD 4.6) est relatif à une étude multicentrique de phase II évaluant le XRP6258 - nouveau taxoïde de faible affinité avec la glycoprotéine P - administré en perfusion i.v. d'une heure toutes les 3 semaines chez des patientes présentant un cancer du sein métastatique résistant aux taxanes. Il conclut que « le XRP6258 a été actif et bien toléré chez ce groupe de patientes présentant un CSM résistant aux taxanes » et que ces résultats « appuient la poursuite du développement clinique de cet agent ». Comme le font justement observer les sociétés SANOFI, cette étude portait sur un profil de patient et un type de tumeur très différents de sorte que ces observations sont difficilement transposables à l'indication thérapeutique protégée.

Le document BEARDSLEY (AD 4.7) a pour objet de passer en revue les récents développements dans le domaine des options envisageables pour un traitement systémique des patients atteints d'un cancer de la prostate résistant à la castration qui ont progressé après avoir reçu une chimiothérapie de première ligne à base de docétaxel. Il évoque le retraitement par docétaxel comme option raisonnable pour un sous-groupe sélectionné de patients ayant précédemment toléré ce traitement en première intention, la mitoxantrone et les épothilones dont la toxicité est cliniquement significative, le satraplatine sans résultat sur la survie globale et enfin, le XRP2658 pour lequel « un essai de phase II a été menée chez des patientes atteintes d'un cancer du sein métastatique réfractaire au docétaxel et un taux de réponse objective de 14% a été observé ». Il est ensuite précisé concernant l'essai TROPIC qu' « un essai de Phase II avec le XRP6258 n'a pas été réalisé chez les patients atteints d'un cancer de la prostate résistant à la castration ; toutefois, compte-tenu de son activité dans le cadre réfractaire au docétaxel décrit ci-dessus, cet agent est actuellement étudié dans un essai de supériorité randomisé multicentrique de Phase III, comparant le XRP6258 administré pendant 3 semaines avec de la prednisone, par rapport à l'association mitoxantrone plus prednisone, chez des patients présentant un cancer de la prostate métastatique résistant à la castration et précédemment traité par docétaxel. L'objectif est de recruter 720 patients, avec une date d'achèvement prévue pour mai 2010 ». Il est enfin indiqué en conclusion de cet article qu'il n'existe pas de traitement systémique standard accepté pour les patients dont le cancer évolue après un traitement par docétaxel et que dans ce contexte, dans lequel la mitoxantrone est devenue un traitement de deuxième intention de facto sans bénéfice clairement démontré, « un certain nombre d'agents de chimiothérapie et de thérapie ciblée sont testés dans des essais cliniques de phase II et III, et leurs résultats sont très attendus ».

La publication MITA datée du 15 janvier 2009 (AD 4.5 bis), concerne une « Étude pharmacocinétique évaluant le XRP6258 (RPR 116258A) [soit le cabazitaxel] , un nouveau taxane, administré par perfusion de 1 heure toutes les 3 semaines à des patients présentant des tumeurs solides à un stade avancé ».
Sur les 25 patients concernés, 8 présentaient une tumeur de la prostate.
Concernant le seuil de toxicité limitant la dose (TLD) il est mentionné qu' « au niveau de dose supérieur suivant (20 mg/m²), aucune TLD n'a été observée chez les trois premiers patients inclus initialement. Cependant, trois sujets sur sept ont présenté une TLD, y compris une neutropénie fébrile chez un patient PM et une neutropénie prolongée (etgt; 5 jours) de grade 4 chez deux patients PL traités au niveau de dose de 25 mg/m² . Par conséquent, le taux de TLD a dépassé les limites prédéfinies de tolérabilité au niveau de dose de 25 mg/ m² et, comme aucune TLD n'a été observée chez six patients PM et PL supplémentaires traités au niveau de dose précédent (20 mg/m²), celui-ci a été considéré comme la dose recommandée en phase II pour les patients PM et PL » étant rappelé que l'essai TROPIC a été initié avec une dose de 25 mg/m².

Il est relevé que « des preuves d'activité anticancéreuse due au XRP6258 ont été observées chez deux patients.
Un homme de 80 ans atteint d'un cancer de la prostate avec métastases dans le foie et les os, dont la maladie avait progressé après un traitement par castration chirurgicale, bicalutamide, diéthylstilbestrol, mitoxantrone et prednisone, a présenté une réduction de l'antigène prostatique spécifique de 62 à 21 ng/mL, une diminution des douleurs osseuses liées à la maladie et une réduction de sa lésion cible, une métastase dans les ganglions lymphatiques, ce qui a été considéré comme une réponse partielle confirmée après quatre cycles à 15 mg/m2. Le patient a refusé de poursuivre le traitement après son sixième cycle, moment auquel la réponse persistait.
Un homme de 50 ans atteint d'un cancer de la prostate réfractaire aux hormones et au docétaxel métastatique aux ganglions lymphatiques iliaques et osseux a également présenté une réponse partielle après un traitement par XRP6258 à la dose de 25 mg/m² de XRP6258. Son antigène prostatique spécifique a diminué de 415 à 44 ng/mL et sa maladie mesurable a montré une réponse partielle confirmée. La maladie progressive a été notée après huit cycles ».

La partie « discussion » mentionne sur les toxicités que « la principale TLD du XRP6258 observée dans cette étude a été la neutropénie. Bien que celle-ci soit fréquente à des doses plus élevées, la neutropénie sévère était généralement de courte durée et rarement associée à de la fièvre. Au niveau de dose recommandé (20 mg/m²), une neutropénie de grade 4 a été observée dans seulement 4 % des cycles, ce qui constitue une comparaison favorable par rapport aux autres taxanes. A l'instar des autres taxanes, une anémie et une thrombocytopénie ont rarement été observées, même chez les patients PL. Les toxicités gastro-intestinales, en particulier les nausées, les vomissements et la diarrhée, étaient légères à modérées même en l'absence d'une prophylaxie de routine et étaient généralement gérables avec des traitements standard ».

La conclusion générale de l'étude indique que « la dose de XRP6258 recommandée pour la phase II dans ce calendrier thérapeutique est de 20 mg/m² . La tolérabilité générale et l'activité antitumorale encourageante observées chez les patients réfractaires aux taxanes justifient d'autres évaluations du XRP6258 ».

C'est à juste titre que les sociétés SANOFI relèvent que la dose préconisée pour des essais de phase II était réduite à 20 mg/m² - étant cependant observé que celle reçue par le patient réfractaire au docétaxel était de 25 mg/m² comme dans le cas de l'essai TROPIC - et que l'utilisation de corticostéroïdes n'était pas autorisée.

Il a été objecté devant l'OEB que le document MITA ne comportait pas d'indicateur relatif à la survie globale, argument devant être apprécié au regard de la portée du brevet.

Il ressort de l'ensemble de ce qui précède que le contexte était à la date de priorité, celui du besoin urgent de disposer d'une nouvelle option thérapeutique pour traiter le cancer de la prostate métastatique résistant à la castration pour les patients précédemment traités par régime à base de docétaxel et que dans ce cadre, les résultats des essais cliniques en cours sur le cabazitaxel étaient attendus.

Le contenu des publications versées aux débats permettent en outre de vérifier que la survie globale demeurait la référence dans le cadre de l'évaluation de nouveaux agents (notamment sur ce point HS B.07 Ramiah et al, pages 306 et 307, HS B.08/B.08.1 Amstrong and Carducci, conclusion page 142, Amstrong, page 431) ce au regard de l'incertitude demeurant sur la pertinence des autres mesures pour apprécier les bénéfices cliniques du traitement.

Sur la question essentielle de savoir si l'enseignement de l'art antérieur pouvait au-delà de l'intérêt précédemment relevé faire naître un espoir raisonnable de succès - ce qui doit constituer le critère d'appréciation de l'activité inventive dans ce cadre, comme l'admettent de fait les demanderesses affirmant que dans l'état des expériences menées et au vu des mécanismes de résistance aux taxanes, cette espérance était quasiment inexistante - les informations contenues dans le document MITA sont pertinentes bien qu'il s'agisse d'un essai de phase I, en ce qu'elles font état de résultats encourageants en terme de tolérance par rapport aux autres taxanes et d'une réponse partielle confirmée pour un patient correspondant au groupe protégé par le brevet, ce qu'a relevé l'examinateur de l'OEB dans sa communication du 6 février 2018 (AD 2.15) selon laquelle au vu de D1 « il n'était pas inattendu que le traitement par cabazitaxel augmente la survie ou soit de toute façon bénéfique pour les patients atteints d'un cancer de la prostate ayant progressé après un traitement par docétaxel ».
Dans le cadre de la procédure de délivrance, la société SANOFI a répondu aux observations qui lui étaient faites par référence au document MITA en soutenant que l'apport de la revendication 1 résidait dans la combinaison du cabazitaxel avec la prednisone ou la prednisolone , précisant - en lien avec l'ajout de la caractéristique f) - que l'homme du métier n'aurait pas envisagé le cabazitaxel pour des patients chez lesquels le traitement par le docétaxel - appartenant à la même classe des taxanes - avait échoué et dont le cancer de la prostate avait progressé pendant ou après ledit traitement (AD 2.14 et 2.16), soulignant que l'activité anticancéreuse relevée dans D1 - diminution du PSA et de la taille de la tumeur - ne sont pas nécessairement indicatifs d'efficacité et ne constituent pas des critères de substitution de celui de la survie globale. La notification du 10 juillet 2020 conclut que les revendications 1 et 9 procèdent d'une activité inventive au regard de D1 en combinaison avec D2 (TANNOCK IAN F - divulguant l'association docétaxel+prednisone) (HS B.21).

Cependant les résultats de l'étude MITA - qui a justifié compte-tenu de l'absence d'alternative pour les patients concernés d'engager directement des essais cliniques de phase III - et les articles précités qui témoignent plus globalement de l'intérêt porté au cabazitaxel, font mention de résultats qui s'ils ne révèlent pas d'indices prometteurs concernant précisément le paramètre de la survie globale, seront néanmoins regardés par l'homme de métier comme également encourageants sur ce point en ce que sans être une conséquence acquise des effets mesurables du traitement - les articles précités le soulignent - ce bénéfice en terme de survie ne peut pour autant être considéré comme indépendant des autres critères d'évaluation.

C'est donc à juste titre que la défenderesse se prévaut d'un contexte pouvant s'analyser comme étant porteur d'un espoir raisonnable de succès au regard de l'ensemble des effets revendiqués - qui inclut, de façon non limitative mais principalement, celui de prolonger la durée de vie du patient - c'est-à-dire, celui d'obtenir des résultats permettant de déboucher sur un traitement utilisant ce nouveau texane.

Les arguments de la société TEVA SANTE apparaissent en conséquence suffisamment sérieux pour remettre en cause l'apparente validité du brevet EP 466 et justifier de ne pas faire droit aux mesures provisoires sollicitées.

IV -autres demandes et frais du litige :

Les sociétés SANOFI MATURE IP, SANOFI WINTHROP INDUSTRIE et SANOFI-AVENTIS FRANCE , partie perdante, supporteront la charge des dépens et doivent être condamnées à verser ensemble à la société TEVA SANTE, qui a dû exposer des frais irrépétibles pour faire valoir ses droits, une indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile qu'il est équitable de fixer à la somme de 80 000 euros.

Les mesures de publication sollicitées n'étant ni justifiées ni adaptées au contexte du litige, elles n'ont pas lieu d'être ordonnées.

PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL

Le tribunal, statuant en état de référé publiquement, par jugement mis à disposition au greffe, contradictoire et en premier ressort,

ECARTE la fin de non-recevoir opposée à l'action des sociétés SANOFI WINTHROP INDUSTRIE et SANOFI-AVENTIS FRANCE ;

DEBOUTE les sociétés SANOFI MATURE IP, SANOFI WINTHROP INDUSTRIE et SANOFI-AVENTIS FRANCE de leurs demandes ;

REJETTE les demandes de publication ;

CONDAMNE les sociétés SANOFI MATURE IP, SANOFI WINTHROP INDUSTRIE et SANOFI-AVENTIS FRANCE à verser à la société TEVA SANTE la somme de 80 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

CONDAMNE les sociétés SANOFI MATURE IP, SANOFI WINTHROP INDUSTRIE et SANOFI-AVENTIS FRANCE aux dépens.

Fait à Paris le 12 mai 2021

Le Greffier, Le Président,

Fabienne FELIX Florence BUTIN


Synthèse
Tribunal : Tribunal de grande instance de Paris
Formation : Ct0196
Numéro d'arrêt : 21/53136
Date de la décision : 12/05/2021

Analyses

Brevet sur Cabazitaxel


Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.grande.instance.paris;arret;2021-05-12;21.53136 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award