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23/03/2021 | FRANCE | N°19/00228

France | France, Tribunal de grande instance de Paris, Ct0087, 23 mars 2021, 19/00228


TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS

3ème chambre
3ème section

No RG 19/00228 -
No Portalis 352J-W-B7D-COT5G

No MINUTE :

Assignation du :
06 Décembre 2018

JUGEMENT
rendu le 23 Mars 2021
DEMANDERESSE

La société ALIAS S.A.S.U.
[Adresse 1]
[Adresse 1]

représentée par Maître Michèle MERGUI, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #R0275

DÉFENDERESSES

La société RECORDATI ORPHAN DRUGS S.A.S.
[Adresse 2]
[Adresse 2]"
[Adresse 2]

La société RECORDATI RARE DISEASES S.A.R.L., ancienneme

nt ORPHAN EUROPE
[Adresse 2]
[Adresse 2]"
[Adresse 2]

représentése par Maître Nathalie HADJADJ CAZIER, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #P0419

COMPOSI...

TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS

3ème chambre
3ème section

No RG 19/00228 -
No Portalis 352J-W-B7D-COT5G

No MINUTE :

Assignation du :
06 Décembre 2018

JUGEMENT
rendu le 23 Mars 2021
DEMANDERESSE

La société ALIAS S.A.S.U.
[Adresse 1]
[Adresse 1]

représentée par Maître Michèle MERGUI, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #R0275

DÉFENDERESSES

La société RECORDATI ORPHAN DRUGS S.A.S.
[Adresse 2]
[Adresse 2]"
[Adresse 2]

La société RECORDATI RARE DISEASES S.A.R.L., anciennement ORPHAN EUROPE
[Adresse 2]
[Adresse 2]"
[Adresse 2]

représentése par Maître Nathalie HADJADJ CAZIER, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #P0419

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Carine GILLET, Vice-Présidente
Laurence BASTERREIX, Vice-Présidente
Elise MELLIER, Juge

assisté de Alice ARGENTINI, Greffière lors des débats et de Caroline REBOUL, Greffière lors de la mise à disposition

DEBATS

A l'audience du 03 Février 2021
tenue en audience publique

JUGEMENT

Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe
Contradictoire
En premier ressort

EXPOSE DU LITIGE

La société ALIAS, SASU créée en 1984, se présente comme une agence de communication et d'identité visuelle, proposant à sa clientèle des prestations de conception et de fabrication notamment de logotype, documents marketing ou packaging.

La société RECORDATI RARE DISEASES, anciennement ORPHAN EUROPE, est, tout comme la société RECORDATI ORPHAN DRUGS, une filiale de la société italienne RECORDATI, laquelle se présente comme l'un des principaux laboratoires pharmaceutiques européens spécialisés dans la recherche, le développement et la commercialisation de médicaments orphelins pour le traitement de maladies rares (ensemble « les sociétés RECORDATI »).

Par contrat conclu en 2003, la société RECORDATI RARE DISEASES a confié à la société ALIAS la réalisation de plaquettes de présentation de médicaments, avant de lui demander une refonte de l'emballage de sept de ceux-ci (WILZIN, CYSTAGON, CARBAGLU, VEDROP, NORMOSANG, CYSTADANE et PEDEA).

La société ALIAS expose alors avoir imaginé et mis au point un prototype de boîte hexagonale qu'elle a proposé à la société RECORDATI RARE DISEASES le 22 avril 2004 et dont la production a été validée par devis accepté du 28 mai 2004 et première facture du 31 août 2004, les commandes étant régulièrement renouvelées durant près de dix ans.

La société ALIAS soutient avoir constaté à compter de 2012 une baisse sensible des commandes, lesquelles se sont totalement interrompues en 2014, alors que la société RECORDATI RARE DISEASES continuait après cette date à vendre ses médicaments dans les mêmes boîtes hexagonales.

Elle expose avoir par ailleurs découvert à cette occasion que la forme de cette boîte avait fait l'objet par une société OE HOLDING, membre du groupe RECORDATI, avant transfert à la société RECORDATI ORPHAN DRUGS, de dépôts de marques tridimensionnelle française et de l'Union européenne (marques devenues depuis caduques), mais encore d'une marque tridimensionnelle internationale désignant l'Union européenne, déposée le 8 juin 2005 en classe 5 sous le no 855 857 (marque refusée dans un premier temps à l'enregistrement par l'OHMI pour absence de caractère distinctif, avant admission par la Chambre de recours le 1er mars 2007).

Considérant que le dépôt de ces marques et la continuation de l'exploitation de boîtes hexagonales identiques à celle qu'elle soutient avoir créée constituent une atteinte à ses droits d'auteur, la société ALIAS a, après vaines tentatives de règlement amiable, fait assigner les sociétés RECORDATI ORPHAN DRUGS et RECORDATI RARE DISEASES devant ce tribunal, par acte du 6 décembre 2018, en contrefaçon de droits d'auteur, revendication de la marque internationale no 855 857 pour dépôt frauduleux et, subsidiairement, concurrence déloyale et parasitaire.

Elle a par ailleurs intenté à l'encontre de la société RECORDATI RARE DISEASES, selon assignation du 29 janvier 2019, une action en réparation pour rupture brutale des relations commerciales établies devant le tribunal de commerce de Paris, lequel, par jugement du 3 février 2020, a jugé la rupture brutale caractérisée en l'absence d'un préavis raisonnable évalué à six mois et a attribué à la société ALIAS une indemnité réparatrice de 41 738 euros. La société ALIAS a fait appel de cette décision.

Dans l'intervalle, la société ALIAS a également saisi l'EUIPO d'une action en nullité de la marque no 855 857 sur le fondement des articles 59 §1 b) et 60 §2 c) du Règlement sur la marque de l'Union européenne, avant de solliciter la suspension de cette procédure dans l'attente de la décision du tribunal de céans relative à sa demande de revendication de cette marque.

Par ordonnance du 13 mars 2020, le juge de la mise en état a rejeté comme prématurée la demande de communication de pièces formée devant lui par la société ALIAS.

***
Aux termes de ses conclusions en réponses no 2 signifiées par voie électronique le 2 septembre 2020, la société ALIAS demande au tribunal de :

Vu les articles L. 111-1, L. 113-1, L. 331-3, L. 712-6, L. 711-4 du code de la propriété intellectuelle,
Vu les articles 1240 et 1241 nouveaux du code civil,
Vu les pièces versées au débat,

- Recevoir la société ALIAS en ses demandes, les déclarer bien fondées et y faire droit ;
- Débouter les sociétés RECORDATI RARE DISEASES et RECORDATI ORPHAN DRUGS de toutes leurs demandes, fins et conclusions ;
- Dire que la société ALIAS est recevable à agir sur le fondement du Livre I du code de la propriété intellectuelle ;
- Dire que les modèles de conditionnements des produits WILZIN, CYSTAGON, CARBAGLU, VEDROP, NORMOSANG, CYSTADANE, PEDEA sont des ?uvres de l'esprit protégées par le Livre I du code de la propriété intellectuelle ;
- Dire et juger qu'en exploitant la marque internationale désignant l'Union européenne, tridimensionnelle, déposée le 8 juin 2005 sous le no 0855857, et en reproduisant l'?uvre appartenant à la société ALIAS, la société RECORDATI RARE DISEASES a commis des actes de contrefaçon de droits d'auteur au sens des livres I et III du code de la propriété intellectuelle ;
- Dire et juger qu'en déposant la marque internationale désignant l'Union européenne, tridimensionnelle, le 8 juin 2005 sous le no 0855857, la société RECORDATI ORPHAN DRUGS s'est rendue coupable de dépôt frauduleux au sens de l'article L. 712-6 du code de la propriété intellectuelle ;

En conséquence,
- Ordonner le transfert de ladite marque au profit de la société ALIAS ;
- Condamner la société RECORDATI RARE DISEASES à payer à la Société ALIAS la somme de 1 405 600 euros à parfaire en réparation du préjudice causé par les actes de contrefaçon dont elle s'est rendue coupable ;
- Condamner la société RECORDATI ORPHAN DRUGS à verser à la société ALIAS la somme de 1 600 000 euros, à parfaire, en réparation du préjudice causé par les actes d'usurpation de marque dont elle s'est rendue coupable ;

Afin d'évaluer l'ampleur de la masse contrefaisante et des bénéfices indus :
- Ordonner aux défenderesses la production de tout document de la société RECORDATI ORPHAN DRUGS en sa qualité de propriétaire de la marque contrefaisante relatifs à sa relation avec la société RECORDATI RARE DISEASES exploitant et licenciée de la marque et plus généralement tous les relevés de redevances ou flux relatifs à cette marque contrefaisante ;
- Ordonner aux défenderesses la production de l'intégralité des factures de fabrications des étuis contrefaisants depuis 2014, avec l'identité des nouveaux fabricants et les quantités achetées et vendues par an, certifiées par un expert-comptable indépendant ;

Subsidiairement :
- Dire et juger que la société RECORDATI RARE DISEASES s'est rendue coupable d'actes de concurrence déloyale et parasitaire à l'encontre de la société ALIAS sur le fondement des articles 1240 et 1241 du code civil ;
- Condamner la société RECORDATI RARE DISEASES à payer à la société ALIAS la somme de 1 000 000 euros à parfaire en réparation du préjudice causé par les actes de concurrence déloyale et de parasitisme dont elles s'est rendue coupable ;

En tout état de cause :
- Faire interdiction aux sociétés RECORDATI RARE DISEASES et RECORDATI ORPHAN DRUGS, de faire usage ou d'exploiter de quelque manière que ce soit les packagings contrefaisants et actuellement commercialisés pour les médicaments WILZIN, CYSTAGON, CARBAGLU, VEDROP, NORMOSANG, CYSTADANE ce sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard à compter de la signification du jugement à intervenir ;
- Ordonner la publication du Jugement à intervenir dans dix revues, aux frais solidaires des sociétés RECORDATI RARE DISEASES et RECORDATI ORPHAN DRUGS, sans que les coûts de chaque insertion ne puissent être inférieurs à la somme de 15 000 euros Hors Taxes ;
- Condamner les sociétés RECORDATI RARE DISEASES et RECORDATI ORPHAN DRUGS à verser à la société ALIAS la somme de 50 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Condamner les sociétés RECORDATI RARE DISEASES et RECORDATI ORPHAN DRUGS en tous les dépens ;
- Ordonner l'exécution provisoire du jugement à intervenir.

*Aux termes de leurs conclusions en réplique no 3 signifiées par voie électronique le 1er octobre 2020, les sociétés RECORDATI ORPHAN DRUGS et RECORDATI RARE DISEASES demandent au tribunal de :

Vu les articles 9, 31, 32 et 122 et suivants du code de procédure civile,
Vu les articles L. 111-1, L. 113-1, L. 113-2, L. 113-5 et L. 331-1-3 du code de la propriété intellectuelle,
Vu l'article L. 712-6 et L. 716-7-1 du code de la propriété intellectuelle,
Vu les dispositions du Règlement (UE) 2017/1001 du 14 juin 2017 sur la marque de l'Union européenne,
Vu l'article 1240 du code civil,
Vu l'article L. 153-1 1o du code de commerce,
Vu les articles 699 et 700 du code de procédure civile,
Vu les pièces communiquées au débat,

A titre principal,
- DECLARER, la société ALIAS irrecevable et mal fondée en toutes ses demandes ;
- DEBOUTER, en conséquence, la société ALIAS de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;

A titre subsidiaire, si par extraordinaire le tribunal venait à considérer que la société ALIAS est recevable et bien fondée :
- ENJOINDRE aux sociétés RECORDATI de lui communiquer les pièces qu'il estimera strictement utile à la solution du litige, dans les conditions de l'article L. 153-1 1o du code de commerce, afin que seul le tribunal puisse en prendre connaissance ;

En tout état de cause,
- CONDAMNER la société ALIAS à payer aux sociétés RECORDATI la somme de 85 974 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- CONDAMNER la société ALIAS aux entiers dépens, en application de l'article 699 du code de procédure civile ;
- ORDONNER l'exécution provisoire du jugement à intervenir, nonobstant appel et sans constitution de garantie.

*

Par conclusions en date du 6 novembre 2020, les sociétés RECORDATI ont sollicité du juge de la mise en état, au visa des articles 15, 16, 135, 768, 780, 786 du code de procédure civile :
- le rejet des pièces no 43 bis, 57 et 58-1 à 58-4 communiquées par la société ALIAS le 27 octobre 2020 comme irrecevables en ce qu'elles ont été versées en dehors du périmètre fixé par le juge de la mise en état lors de l'audience du 15 octobre 2020 et qu'elles ne sont pas accompagnées de conclusions, rendant impossible le respect du principe du contradictoire et de loyauté des débats,
- et la condamnation de la société ALIAS à leur verser la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'au paiement des entiers dépens de l'incident.

Par conclusions d'incident en réponse signifiées le 30 novembre 2020, la société ALIAS a, au visa des articles 15, 16, 135, 768, 780, 786 du code de procédure civile, sollicité le débouté de cette demande de rejet de pièces en l'absence selon elle de motif justifiant un tel rejet, et la condamnation des sociétés RECORDATI à lui verser la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'au paiement des entiers dépens de l'incident.

Le juge de la mise en état a dit n'y avoir lieu à incident, considérant qu'il appartiendrait au tribunal statuant au fond de décider de la pertinence et de la valeur probante des pièces litigieuses versées par la demanderesse, en particulier en l'absence de conclusions dans lesquelles elles seraient discutées.

La clôture a en conséquence été prononcée le 10 décembre 2020 et l'affaire fixée pour être plaidée le 3 février 2021.

*

Pour un exposé complet de l'argumentation des parties, il est, conformément à l'article 455 du code de procédure civile, renvoyé à leurs dernières conclusions précitées.

MOTIFS DE LA DÉCISION

A titre liminaire, sur les pièces no 43 bis, 57 et 58-1 à 58-4 au bordereau de la société ALIAS

Les pièces communiquées par la société ALIAS le 27 octobre 2020 l'ont été suite à autorisation du juge de la mise en état, lequel a jugé ne pas avoir lieu à les rejeter, ayant été produites au bordereau dans les délais et avant clôture. Néanmoins leur portée, notamment probatoire, sera nécessairement limitée du fait de l'absence d'argumentation au soutien de leur production.

Sur la contrefaçon de droits d'auteur

La société ALIAS soutient pour l'essentiel que les boîtes hexagonales litigieuses ont été imaginées et conçues par elle avant d'être proposées aux sociétés RECORDATI sous la forme de croquis et prototypes, de telle sorte qu'elle dispose inévitablement de droits sur ces modèles de conditionnement.

L'unique directive reçue d'avoir à concevoir un emballage en conformité avec la réglementation européenne relative aux mentions obligatoires dans toutes les langues de commercialisation sur les boîtes de médicaments n'est pas incompatible avec les choix arbitraires et créatifs ensuite mis en ?uvre dans la conception dudit emballage, lequel ne dépend pas de seuls impératifs techniques, mais est au contraire empreint d'une réelle originalité lui ouvrant droit à protection par le droit d'auteur (pliage de la boîte, fonds de couleurs dégradés et positionnement des écritures sur toutes les faces).
La présomption de titularité ne peut bénéficier aux défenderesses dès lors que la société ALIAS revendique des droits d'auteur sur les boîtes litigieuses et une telle présomption ne pouvant jouer qu'à l'égard d'un tiers contrefacteur.
La reproduction servile et commercialisation, sans son autorisation, du conditionnement litigieux est constitutive de contrefaçon devant donner lieu à indemnisation.
Outre un droit d'information portant sur l'intégralité des factures de fabrication des emballages litigieux auprès du/des nouveaux fournisseurs, la société ALIAS demande réparation au titre de la contrefaçon de droit d'auteur à titre provisionnel à hauteur de :
- 754 560 euros, correspondant au manque à gagner et à la perte subie sur les conditionnements dont les défenderesses ont cessé de lui passer commande à compter de 2013,
- 700 000 euros au titre des bénéfices indus.

Les sociétés RECORDATI soutiennent en premier lieu que la boîte hexagonale litigieuse n'est pas éligible à la protection au titre du droit d'auteur, la demanderesse se contentant selon elle de livrer une description purement technique des caractéristiques fonctionnelles de la boîte litigieuse, laquelle appartient en tout état de cause au fond commun du conditionnement et de l'emballage. La forme hexagonale et la présentation du texte n'ont été choisies que pour répondre à des impératifs techniques dictés et arrêtés par les défenderesses, pour des raisons notamment financières et logistiques, et la société ALIAS ne disposait d'aucune marge créative.
Elles considèrent par ailleurs la société ALIAS irrecevable à agir, comme ne justifiant pas des conditions pour bénéficier de la présomption prétorienne de titularité (absence de commercialisation sous son nom) et étant incapable de préciser les conditions dans lesquelles elle aurait été investie des droits patrimoniaux de l'auteur, comme d'établir le processus créatif de la boîte litigieuse. La présomption de titularité doit en revanche bénéficier aux défenderesses, dès lors qu'elles justifient d'une exploitation paisible et non-équivoque des boîtes hexagonales sous leur nom depuis près de 15 ans.

Sur ce,

Si la question de la titularité par la société ALIAS de droits d'auteur éventuels portant sur la boîte litigieuse n'est critiquée que dans un second temps par les défenderesses, il convient néanmoins de statuer sur ce point, constitutif d'une irrecevabilité potentielle, avant d'examiner le cas échéant l'originalité de la création revendiquée.

Sur la titularité

En application de l'article L. 113-1 du code précité, la qualité d'auteur appartient sauf preuve contraire à celui ou à ceux sous le nom de qui l'?uvre est divulguée, et en l'absence de revendication d'une personne physique qui s'en prétendrait l'auteur, l'exploitation non équivoque de l'?uvre par une personne morale sous son nom fait présumer à l'égard des tiers recherchés pour contrefaçon que celle-ci est titulaire des droits patrimoniaux invoqués.

Pour bénéficier de cette présomption, il appartient à la personne morale d'identifier avec précision l'?uvre sur laquelle elle revendique des droits, de justifier de la date et des modalités de la première commercialisation sous son nom et d'apporter la preuve que les caractéristiques de l'?uvre qu'elle a commencé à commercialiser à cette date sont identiques à celles qu'elle revendique.

Si les conditions de commercialisation apparaissent équivoques, il lui appartient alors de préciser les circonstances de fait et de droit qui la fondent à agir en contrefaçon.

En l'espèce, quand bien même la société ALIAS a répondu à une commande des défenderesses dans le cadre d'un projet de refonte faisant suite à un besoin de conformité à la réglementation, elle établit, par la production des devis, prototypes, factures et bons de livraison correspondants (pièces no 6 à 8, 10-1 et 10-2, 17 à 20, 22 ALIAS), avoir procédé à la mise au point de la boîte litigieuse, laquelle a obtenu l'aval des sociétés RECORDATI. Pour leur part, si elles soutiennent que la demanderesse n'a fait qu'obéir à des instructions précises émanant d'elles, les défenderesses ne versent cependant aucune pièce à l'appui de ces affirmations et échouent donc à renverser la présomption simple selon laquelle la société ALIAS est la conceptrice de la maquette de la boîte hexagonale litigieuse.

Par ailleurs, le fait que cette boîte ait été commercialisée publiquement uniquement par les sociétés RECORDATI, pour le compte desquelles elle a été conçue, n'est pas de nature à priver la société ALIAS de la titularité de droits éventuels dès lors qu'elle justifie être la conceptrice de la boîte et, en l'absence de revendication d'un auteur personne physique, elle n'a pas à en préciser le processus créatif. A l'inverse, les défenderesses ne peuvent bénéficier de la présomption prétorienne de titularité alors d'une part que leur exploitation de la boîte n'est pas paisible et dépourvue d'équivocité au regard des revendications de la société ALIAS, et d'autre part qu'elles ne contestent pas que le travail de mise au point en revient à cette dernière.

Sur l'originalité

L'article L. 111-1 du code de la propriété intellectuelle dispose que l'auteur d'une ?uvre de l'esprit jouit sur cette ?uvre, du seul fait de sa création, d'un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous, comportant des attributs d'ordre intellectuel et moral ainsi que des attributs d'ordre patrimonial.

Le droit de l'article susmentionné est conféré, selon l'article L. 112-1 du même code, à l'auteur de toute ?uvre de l'esprit, quels qu'en soit le genre, la forme d'expression, le mérite ou la destination. Il se déduit de ces dispositions le principe de la protection d'une ?uvre sans formalité et du seul fait de la création d'une forme originale.
La reconnaissance de la protection par le droit d'auteur ne repose pas sur un examen de l'?uvre invoquée par référence aux antériorités produites, même si celles-ci peuvent contribuer à l'appréciation de choix arbitraires. L'originalité de l'?uvre peut résulter du choix des couleurs, des dessins, des formes, des matières ou des ornements mais également de la combinaison originale d'éléments connus.

Lorsque cette protection est contestée en défense, l'originalité d'une ?uvre doit être explicitée par celui qui s'en prétend auteur, seul ce dernier étant à même d'identifier les éléments traduisant sa personnalité.

En l'espèce, comme déjà relevé supra, les défenderesses ne démontrent pas que la boîte litigieuse n'aurait fait que répondre à des directives précises de leur part, ne laissant aucune marge créative à la société ALIAS. Le fait que des contraintes techniques, comme la nécessité de mentionner sur un même unique emballage la notice dans 12 langues différentes, n'est par ailleurs pas incompatible avec une certaine liberté de création se traduisant par des choix arbitraires.

Toutefois, le choix d'une forme hexagonale, s'il n'apparaît pas avoir été exclusivement dicté par la nécessité de présentation des notices dans la mesure où d'autres choix auraient été possibles pour répondre à cet impératif, ne fait cependant montre d'aucune recherche particulière impliquant des choix arbitraires, ce type d'emballage existant auparavant, y compris dans le domaine médical (pièces no 6 RECORDATI). Et si la société ALIAS rappelle à juste titre qu'une combinaison d'éléments connus n'est pas a priori exclue de la protection par le droit d'auteur, encore faut-il que cette combinaison révèle une empreinte véritablement personnelle, ce que ne saurait à l'évidence traduire la simple réunion, sur un emballage de forme usuelle, d'un dégradé de couleurs, au demeurant déjà adopté et exploité antérieurement sur leurs anciens emballages par les défenderesses, du positionnement des notices (au contenu imposé) à raison de deux par face soit un nombre dicté par le choix d'une boîte présentant huit faces, et de drapeaux de pays communément utilisés pour faciliter le repérage de la langue de chaque notice.

Faute de démontrer l'existence de choix propres et arbitraires susceptibles de voir attribuer à la boîte hexagonale revendiquée le statut d'?uvre, la société ALIAS ne peut bénéficier de la protection du droit d'auteur et ses prétentions au titre de la contrefaçon ne peuvent qu'être rejetées.

Sur la revendication de la marque no 855 857

La société ALIAS soutient que la marque tridimensionnelle internationale désignant l'Union européenne no 855 857 a été déposée en fraude de ses droits, et considère dès lors être recevable à en solliciter le transfert à son profit. Le dépôt ayant eu lieu de mauvaise foi, puisqu'effectué à l'insu de la demanderesse, sciemment en violation de droits préexistants et de l'obligation de loyauté dans les relations contractuelles, et dans l'intention de lui nuire en la privant d'un signe dont elle pouvait tirer profit, le délai de prescription de cinq ans ne peut courir.
Au titre des redevances indûment perçues par les sociétés RECORDATI, elle réclame, outre la revendication, la somme provisionnelle de 1 600 000 euros, à parfaire en fonction d'éléments dont elle demande communication.

Les sociétés RECORDATI soutiennent qu'une marque de l'Union européenne (ici une marque internationale visant l'UE) ne peut donner lieu à une action en revendication pour fraude, la mauvaise foi éventuelle du déposant n'autorisant qu'à agir en nullité devant l'EUIPO. En tout état de cause, l'action de la société ALIAS est prescrite depuis plus de huit ans et la société OE Holding n'a procédé au dépôt litigieux ni en fraude des droits de la demanderesse, ni en violation d'une obligation légale ou conventionnelle.

Sur ce,
Le règlement (UE) 2017/1001 du 14 juin 2017 de la marque sur l'Union européenne ne prévoit la possibilité d'un transfert au profit de celui qui la revendique que d'une marque de l'Union européenne enregistrée au nom de l'agent ou du représentant d'une personne qui est titulaire de celle-ci sans son autorisation (article 21) ;
Son article 59 1.b ne prévoit quant à lui pas la possibilité d'une cession forcée de la marque déposée de mauvaise foi, cette dernière n'étant envisagée que comme fondement possible d'une action en nullité, action qui, formée à titre principal, relève de la compétence exclusive de l'Office de l'Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO), devant lequel une action en ce sens a du reste été parallèlement intentée par la demanderesse.

Toutefois, la CJUE a dit pour droit que, la marque de l'Union européenne étant considérée en sa totalité et pour l'ensemble du territoire de l'Union comme une marque nationale enregistrée dans l'État membre dans lequel le titulaire a son siège, son domicile ou, à défaut, un établissement, dans toutes les situations n'entrant pas dans le champ d'application de l'article 21, la réglementation nationale dudit Etat membre saisi d'une action en revendication d'une marque de l'Union européenne doit trouver à s'appliquer (CJUE 23.11.2017, Affaire C-381-16).

Et l'article 6 septies de la Convention d'Union de Paris prévoit que le titulaire d'une marque dans un pays de l'Union peut s'opposer à l'enregistrement d'une marque tierce ou en réclamer la radiation, ou encore, si la loi du pays le permet, demander le transfert à son profit de l'enregistrement, cette dernière option n'étant toutefois possible qu'à l'égard de la partie visant le pays en question d'une marque internationale, la partie de cette marque visant le territoire de l'Union européenne étant assimilée à une marque de l'Union européenne.

Or, aux termes de l'article L. 712-6 du code de la propriété intellectuelle, « Si un enregistrement a été demandé soit en fraude des droits d'un tiers, soit en violation d'une obligation légale ou conventionnelle, la personne qui estime avoir un droit sur la marque peut revendiquer sa propriété en justice.
A moins que le déposant ne soit de mauvaise foi, l'action en revendication se prescrit par cinq ans à compter de la publication de la demande d'enregistrement ».

Contrairement à ce que soutiennent les défenderesses, la société ALIAS est en conséquence recevable à solliciter devant la juridiction nationale un transfert à son profit de la partie communautaire de la marque internationale no 855 857.

Toutefois, le fait pour la société OE Holding d'avoir fait le choix de déposer à titre de marque tridimensionnelle le packaging de ses médicaments, pour la mise au point et la fabrication duquel elle avait passé commande auprès de son sous-traitant et alors même que ledit packaging ne faisait l'objet d'aucun droit privatif, n'est pas en soi constitutif de fraude, en ce qu'il traduit avant tout une volonté de sécuriser les investissements consacrés par les sociétés RECORDATI à la promotion de ses médicaments.

Dès lors, et si tant est que l'action en revendication ne soit pas prescrite, il ne peut être considéré que le dépôt a été opéré en connaissance par le déposant de droits antérieurs préexistants qui seraient nécessaires à l'activité de la demanderesse, l'emballage litigieux ne donnant justement pas lieu à droit d'auteur, pas plus qu'à parasitisme comme il sera vu infra.

Par suite, la société ALIAS sera déboutée de son action en revendication de la marque no 855 857 et de ses demandes indemnitaires concomitantes.

Subsidiairement, sur la concurrence déloyale et parasitaire

La société ALIAS soutient, à titre subsidiaire, que les agissements des sociétés RECORDATI, et notamment la manière dont elle a exigé de sa cocontractante la remise de tous les documents de travail et fichiers source des boîtes, sont constitutifs de concurrence déloyale et parasitaire, en ce qu'ils ont visé à l'appropriation, sans bourse délier, d'un savoir-faire construit sur plusieurs années d'effort de créativité de la part de la demanderesse ; elle en demande réparation à hauteur de 1 000 000 euros, outre des mesures d'interdiction et de publication judiciaire.

Selon les sociétés RECORDATI, les éléments dont la reprise est invoquée par la société ALIAS ne font l'objet d'aucun droit privatif à son bénéfice dans la mesure où elle n'a eu qu'un rôle d'exécutant technique dans la fabrication des boîtes litigieuses ; la remise des fichiers source a été volontaire et il n'est démontré aucun fait fautif, pas plus du reste que d'investissements financiers ou intellectuels. La société ALIAS ne justifie d'aucun préjudice et ses demandes complémentaires ne le sont pas davantage.

Sur ce,
La concurrence déloyale comme le parasitisme présentent la caractéristique commune d'être appréciés à l'aune du principe de la liberté du commerce qui implique qu'un produit qui ne fait pas ou ne fait plus l'objet de droits de propriété intellectuelle, puisse être librement reproduit, sous certaines conditions tenant à l'absence de faute par la création d'un risque de confusion dans l'esprit de la clientèle sur l'origine du produit ou par l'existence d'une captation parasitaire, circonstances attentatoires à l'exercice paisible et loyal du commerce. Dans les deux cas doivent être relevés des actes fautifs à l'origine d'un préjudice.

En l'espèce, il apparaît que, si la société ALIAS a remis à la société ORPHAN EUROPE devenue RECORDATI RARE DISEASES les fichiers sources permettant la fabrication de la boîte hexagonale litigieuse (pièces no 24 à 26 ALIAS) alors que celle-ci était l'un de ses principaux clients depuis de nombreuses années, impliquant une certaine relation de confiance, elle ne fait cependant état d'aucune man?uvre déloyale ni pression particulière ; au-delà, les fichiers en cause correspondent à des maquettes de boîtes sur lesquels la demanderesse ne bénéficie d'aucun droit privatif, et ils ont été communiqués dans le cadre de relations contractuelles entre un fournisseur et son client, moyennant le paiement des factures émises, de sorte qu'aucune faute n'est imputable à la défenderesse dans le fait d'avoir sollicité la transmission de ces fichiers, ce dont la société ALIAS s'est exécutée spontanément en 2014 et 2015 (pièces no 24 à 26 ALIAS). Aucun risque de confusion fautif ne peut être non plus retenu, les boîtes litigieuses ayant continué à être fabriquées aux fins de commercialisation des médicaments pour lesquels elles avaient été conçues, sans que les patients et professionnels de santé ne soient induits en erreur sur les médicaments eux-mêmes ni leurs fabricants, tandis qu'ils ignoraient que le fabricant des boîtes ait pu changer, information sans importance pour eux.

Les fichiers sources ont certes permis aux sociétés RECORDATI de faciliter le transfert de la production des boîtes à un nouveau fournisseur, ce que leur autorisait toutefois la liberté du commerce, la rupture brutale des relations commerciales établies ayant été reconnue par ailleurs et ayant donné lieu à indemnisation par le tribunal de commerce de Paris (pièce no 9 RECORDATI). Et outre que le travail de conception initiale de la société ALIAS a été rémunéré à travers la facturation établie durant 2004, il n'est démontré ni la valeur économique spécifique qu'aurait acquise la boîte hexagonale, ni la réalité d'efforts tant intellectuels que financiers importants ayant permis à la société ALIAS d'en retirer un avantage concurrentiel que les défenderesses auraient indûment détourné à leur profit.

Les demandes présentées sur le fondement de la concurrence déloyale et parasitaire seront par conséquent rejetées.

*La demanderesse, qui succombe, supportera la charge des dépens et ses propres frais.

Elle sera en outre condamnée à verser aux sociétés RECORDATI, qui ont dû exposer des frais irrépétibles pour faire valoir leurs droits, y compris à l'occasion de l'incident en droit d'information soulevé par la société ALIAS durant la mise en état, une indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile, qu'il est équitable de fixer à la somme de 9 000 (neuf mille) euros, étant observé que les frais engagés par les défenderesses dans la procédure parallèle devant l'EUIPO ne peuvent être indemnisés dans le cadre de la présente procédure.

L'exécution provisoire n'apparaît en l'espèce ni nécessaire, ni justifiée.

PAR CES MOTIFS
Le tribunal, statuant publiquement par jugement mis à disposition au greffe, contradictoire et en premier ressort,

DIT la société ALIAS recevable à agir en contrefaçon de droit d'auteur mais la DÉBOUTE de ses demandes à ce titre ;

DIT la société ALIAS irrecevable à solliciter le transfert de la marque de l'Union européenne no 0855857 dont est titulaire la société RECORDATI ORPHAN DRUGS et une indemnisation au titre d'actes d'usurpation de marque, mais la DÉBOUTE de ses demandes ;

DÉBOUTE la société ALIAS de sa demande subsidiaire en concurrence déloyale et parasitaire ;

CONDAMNE la société ALIAS à verser aux sociétés RECORDATI ORPHAN DRUGS et RECORDATI RARE DISEASES la somme globale de 9 000 (neuf mille) euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE la société ALIAS aux entiers dépens ;

DIT n'y avoir lieu à exécution provisoire.

Fait et jugé à Paris, le 23 mars 2021.

La GreffièreLa Présidente


Synthèse
Tribunal : Tribunal de grande instance de Paris
Formation : Ct0087
Numéro d'arrêt : 19/00228
Date de la décision : 23/03/2021

Analyses

Action en contrefaçon de droits d'auteur


Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.grande.instance.paris;arret;2021-03-23;19.00228 ?
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