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11/03/2021 | FRANCE | N°3

France | France, Tribunal de grande instance de Paris, Ct0196, 11 mars 2021, 3


TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS

3ème chambre 1ère section

No RG 18/13707 -
No Portalis 352J-W-B7C-COJBD

No MINUTE :

Assignation du :
22 novembre 2018

JUGEMENT
rendu le 11 mars 2021
DEMANDEUR

Monsieur [C] [D]
[Adresse 2]
[Localité 1]

représenté par Me Randy YALOZ de la SELARL RANDY YALOZ, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #E0766

DÉFENDERESSE

S.A.S LABORATOIRE GLAXOSMITHKLINE
[Adresse 1]
[Localité 2]

représentée par Me Patricia GHOZLAND de l'AARPI ARMFELT, avocat au barreau de PAR

IS, vestiaire #P0569

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Nathalie SABOTIER, 1ère vice-présidente adjointe
Gilles BUFFET, Vice président
Alix FLEURIET, Juge
...

TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS

3ème chambre 1ère section

No RG 18/13707 -
No Portalis 352J-W-B7C-COJBD

No MINUTE :

Assignation du :
22 novembre 2018

JUGEMENT
rendu le 11 mars 2021
DEMANDEUR

Monsieur [C] [D]
[Adresse 2]
[Localité 1]

représenté par Me Randy YALOZ de la SELARL RANDY YALOZ, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #E0766

DÉFENDERESSE

S.A.S LABORATOIRE GLAXOSMITHKLINE
[Adresse 1]
[Localité 2]

représentée par Me Patricia GHOZLAND de l'AARPI ARMFELT, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #P0569

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Nathalie SABOTIER, 1ère vice-présidente adjointe
Gilles BUFFET, Vice président
Alix FLEURIET, Juge

assistés de Caroline REBOUL, Greffière

DEBATS

A l'audience du 19 janvier 2021
tenue en audience publique

JUGEMENT

Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe
Contradictoire
en premier ressort

EXPOSE DU LITIGE

M. [C] [D] est titulaire d'un doctorat en biochimie et enzymologie et exerce la profession de chercheur en biologie.

La société LABORATOIRE GLAXOSMITHKLINE est spécialisée dans le développement et la vente de produits pharmaceutiques.

Au cours de l'année 1991, elle a décidé de lancer, sur son site des Ullis, un projet de développement d'un inhibiteur de la phosphodiestérase de type 5 (PDE 5 - elle-même découverte par les chercheurs de l'Université américaine [Établissement 1]), pour le rôle de ces PDE5 en matière de pression artérielle et de traitement de l'hypertension.

Divers recrutements ont alors été effectués en vue de composer une équipe de chimistes et de biologistes.

C'est dans ce contexte que, suivant un contrat de travail en date du 2 mai 1991, M. [C] [D] a été engagé par la société LABORATOIRE GLAXOSMITHKLINE en qualité de chercheur en biologie, le contrat de travail étant expressément soumis à la Convention collective de l'industrie pharmaceutique.

Un partenariat a de la même manière été souscrit avec la société ICOS CORPORATION, laquelle a déposé, le 19 janvier 1995, la demande de brevet noEP 0740668, portant sur les "Dérivés tétracycliques, leurs procédés de préparation et leur utilisation", revendiquant la date de priorité de la demande internationale WO 95/19978 du 21 janvier 1994, et mentionnant en qualité d'inventeur M. [T] [R], salarié de la société LABORATOIRE GLAXOSMITHKLINE.

Le 31 janvier 1994, M. [D] a perçu une prime exceptionnelle d'un montant identique à celle versée à M. [R], soit 45.000 F. (6.800 €) en remerciement de sa participation à la découverte d'un inhibiteur de la phosphodiestérase de type 5.

Le brevet noEP 0740668 a été délivré le 29 juillet 1998.

Plus particulièrement, l'invention porte sur un procédé d'inhibition de la phosphodiestérase de type 5 par une molécule dénommée Tadalafil, laquelle bénéficie d'une date d'autorisation de mise sur la marché du 12 novembre 2002, sous la marque Cialis®, pour le traitement de la dysfonction érectile.

Par une requête du 15 septembre 2016, M. [C] [D] a saisi la Commission Nationale des Inventions de Salariés aux fins d'obtenir la détermination du montant de la rémunération supplémentaire pour invention qu'il estime lui être due au titre du brevet noEP 0740668.

Le contrat de travail a été rompu le 30 novembre 2016.

Par une décision du 30 janvier 2018, la Commission Nationale des Inventions de Salariés s'est déclarée incompétente pour connaître de la demande de M. [D] et l'a renvoyé à mieux se pourvoir aux fins d'être reconnu comme inventeur.

Le 15 juin 2018, M. [D] a sollicité et obtenu du délégataire du président du tribunal de grande instance de Paris l'autorisation de se faire remettre par la société LABORATOIRE GLAXOSMITHKLINE tous documents relatifs à sa participation à l'invention du Tadalafil, ainsi qu'aux revenus issus de la vente du Cialis.

Cette ordonnance rendue sur requête a été rétractée le 22 février 2019 au terme d'une procédure de référé rétractation, M. [D] n'ayant pas informé le juge des requêtes de la procédure initiée devant la CNIS.

C'est dans ce contexte que, par acte d'huissier du 22 novembre 2018, M. [D] a fait assigner la société LABORATOIRE GLAXOSMITHKLINE devant le tribunal judiciaire de Paris, aux fins d'être reconnu en qualité d'inventeur du Tadalafil, et obtenir le versement de la rémunération supplémentaire due pour cette invention.

Par une ordonnance du 4 juin 2020, le juge de la mise en état a rejeté la demande de communication de pièces formée par M. [D], aux motifs que le moyen tiré de la prescription de l'action, soulevé par la société LABORATOIRE GLAXOSMITHKLINE, apparaissait sérieux et renvoyé M. [D] et la société LABORATOIRE GLAXOSMITHKLINE devant le tribunal afin qu'il statue sur la fin de non recevoir.

Dans ses dernières conclusions signifiées par la voie électronique le 02 novembre 2020, M. [D], demande au tribunal, au visa des articles L.611-7,1o du code de la propriété intellectuelle et L.3245-1 du code du travail, de :

A titre principal,

- Dire que M. [D] n'a pas eu connaissance de la part de GSK des éléments comptables et financiers nécessaires au calcul de sa rémunération supplémentaire, de sorte que la prescription n'a pas commencé à courir ;

A titre subsidiaire,

- Dire que le point de départ de la prescription est le 9 décembre 2015, date de l'envoi de la première demande de rémunération supplémentaire par M. [D] à GSK ;

- Dire que la prescription a été suspendue durant toute la procédure devant la CNIS, soit du 15 septembre 2016 au 30 janvier 2018 ;

- Dire que l'expiration théorique du délai de prescription serait intervenue le 23 août 2020 ;

- Dire que la présente action de M. [D] datant de novembre 2018 a été introduite antérieurement à l'expiration de ce délai :

A titre infiniment subsidiaire,

- Dire que la relation de subordination existant entre GSK et M. [D] a fait obstacle à tout départ de la prescription, de sorte que celle-ci n'a pu courir qu'à compter de la rupture du contrat de travail entre les parties, soit à compter du 30 novembre 2016 ;

- Dire que l'expiration théorique du délai de prescription serait intervenue le 30 novembre 2019;

- Dire que la présente action de M. [D] datant de novembre 2018 a été introduite antérieurement à l'expiration de ce délai :

Et en conséquence,

- Déclarer recevable et non prescrite l'action de M. [D] ;

- Dire que M. [D] n'est pas forclos à agir en demande de rémunération supplémentaire à l'égard de son employeur ;

- Renvoyer la cause devant le juge de la mise en état pour qu'il soit statué sur la demande de communication de pièces soulevée par incident ;

- Réserver les dépens.

Dans ses dernières conclusions signifiées par la voie électronique le 20 novembre 2020, la société LABORATOIRE GLAXOSMITHKLINE, demande au tribunal, au visa des articles 611.7 al. 1 du code de la propriété intellectuelle, 2224 et 2232, al.1 du code civil, de :

- Dire que M. [C] [D] n'est pas co-inventeur du Tadalafil qui a notamment fait l'objet du Brevet EP 0740668 BI ;

En conséquence,

- Dire qu'en l'absence de qualité d'inventeur, M. [C] [D] ne saurait prétendre recevoir une quelconque rémunération d'inventeur salarié,

- Dire que l'action en paiement d'une rémunération d'inventeur salarié initiée par M. [C] [D] au titre du Tadalafil, est prescrite ;

- Dire que l'action en paiement d'une rémunération d'inventeur salarié au titre du Tadalafil initiée par M. [C] [D], est forclose ;

En tout état de cause,

- Débouter M. [C] [D] de toutes ses demandes.

L'instruction de l'affaire a été clôturée par une ordonnance du 8 décembre 2020.

MOTIFS DE LA DÉCISION

La société LABORATOIRE GLAXOSMITHKLINE soutient que l'action de M. [D] est prescrite.

Cette société rappelle que c'est le Dr [B], responsable de la synthèse chimique de son laboratoire des Ulis, qui, ayant pris connaissance d'un article déterminant (intitulé "Relaxant effects of beta-carbolines on rat aortic rings" paru en mai 1992), a demandé à M. [R] de lancer une recherche sur une molécule de la bibliothèque du laboratoire (GR30040X), proche de CCI 23002A décrite dans l'article et de GR35273X, nouvelle molécule basée sur un analogue rigide du Zaprinast. Elle ajoute que dans le cadre de ces recherches, M. [R] a modifié les molécules originales et mis au point le GF196960X, testé, comme toutes les autres molécules par le laboratoire de biologie, pour le traitement de l'hypertension.

La société LABORATOIRE GLAXOSMITHKLINE précise que c'est ICOS, son partenaire, qui a découvert que le Tadalafil pouvait être utile dans le traitement de l'impuissance masculine.

La société LABORATOIRE GLAXOSMITHKLINE précise encore que dès 1993 s'est posée la question de la reconnaissance de la qualité d'inventeur, et en particulier celle de désigner conjointement MM. [R] et [B], tandis qu'il n'a jamais été question de désigner un biologiste dont l'activité s'est en l'occurrence trouvée limitée à la mise au point de tests aux fins de mesurer l'activité des molécules mises au point par les chimistes. Une telle activité n'est selon elle pas inventive dès lors qu'elle a consisté à mettre en oeuvre des tests selon des modalités bien connues de l'art antérieur.

En ce qui concerne la prescription, la société LABORATOIRE GLAXOSMITHKLINE soutient qu'est applicable la Convention collective de l'industrie pharmaceutique et non celle de la chimie, qui, effectivemennt prévoit une obligation d'information des salariés inventeurs et qui était applicable dans les affaires ayant donné lieu aux décisions invoquées par M. [D]. Or, la convention ici applicable ne prévoit pas d'obligation d'information des salariés.

Elle en déduit que le point de départ de l'action de M. [D] était la date de dépôt du brevet voire celle de la publication de sa délivrance et que son action est en tout état de cause prescrite. La société LABORATOIRE GLAXOSMITHKLINE ajoute que M. [D] ne justifie pas s'être trouvé en situation d'empêchement légitime au sens où l'entendent les dispositions de l'article 2234 du code civil.

La société LABORATOIRE GLAXOSMITHKLINE soutient enfin que l'action de M. [D] est en tout état de cause forclose en application des dispositions de l'article 2232 premier alinéa du code civil.

M. [D] soutient quant à lui que son action n'est ni prescrite ni forclose.

Il rappelle que sa contribution à la découverte du Tadalfil a été déterminante, ainsi que le démontrent selon lui le fait que l'employeur lui a versé une prime d'un montant identique à celle versée à M. [R], ainsi que les nombreux articles sur la découverte de la molécule dont il est l'auteur, d'ailleurs avec M. [R]. Il ajoute que ce dernier seul, en tant que chimiste, est mentionné comme inventeur, alors même que son intervention, en tant que biologiste ayant notamment développé une plateforme d'enzymologie extrêmement performante et découvert l'intérêt d'une comparaison de l'enzyme PDE5 avec l'enzyme PDE6, a été décisive.

En ce qui concerne la prescription, M. [D] soutient que le point de départ de cette prescription ne peut être, conformément à la jurisprudence, que le jour où son employeur lui a fourni les éléments lui permettant de calculer le montant de la rémunération supplémentaire lui étant due, ainsi qu'il est contamment jugé. Il ajoute que ces informations ne lui ont jamais été transmises, tandis qu'en sa qualité de chercheur, il n'y avait pas accès.

Il précise, s'agissant de sa participation au litige ayant opposé son employeur à l'Université [Établissement 1], que son témoignage ne visait pas à démontrer que M. [R] était le seul inventeur du Tadalafil, mais que les trois chercheurs de l'Université [Établissement 1] n'avaient pas cette qualité.

M. [D] fait encore valoir que la société LABORATOIRE GLAXOSMITHKLINE est d'autant moins fondée à lui opposer la prescription qu'elle ne l'a pas fait pour M. [R], qui l'avait assignée devant ce même tribunal le 23 décembre 2016, cette assignation ayant été suivie d'une transaction et d'un désistement de M. [R].

A titre infiniment subsidiaire, M. [D] invoque l'état de subordination dans lequel il se trouvait vis à vis de son employeur l'ayant empêché d'agir avant la rupture du contrat de travail, survenue le 30 novembre 2016, de sorte que c'est selon lui à cette date que devrait être fixé le point de départ de la prescription.

Sur ce,

Selon l'article L.143-14 du code du travail, dans sa version applicable au moment de la délivrance du brevet, "L'action en paiement du salaire se prescrit par cinq ans conformément à l'article 2277 du code civil."

En outre, aux termes de l'article 2262 ancien du code civil alors applicable, "Toutes les actions, tant réelles que personnelles, sont prescrites par trente ans, (...)"

Ces dispositions étaient constamment interprétées en ce sens que la prescription quinquennale, s'appliquait à toute « action afférente aux salaires » (Cass. Soc., 13janvier 2004, Bull. 2004, V, no 2 ; Cass. Soc, 10 mars 2004, Bull. no 79 ; Cass. Soc., 5 mai 2004, pourvoi no 02 44 949 ; Cass. Soc., 23 juin 2004, Bull. 2004, V, no 182), tandis que les autres actions se voyaient appliquer la prescription trentenaire de l'article 2262 du code civil ancien (voir par exemple Cass. Soc., 15 mars 2005, pourvoi no 02-43.616, 02-43.560, Bull. 2005, V, no 86).

Au moment de la publication de la délivrance du brevet objet du présent litige, le 29 juillet 1998, M. [D] disposait donc d'un délai jusqu'au 29 juillet 2028 pour agir à l'encontre de son employeur aux fins de se voir reconnaître la qualité d'inventeur.

Le délai de prescription de droit commun a toutefois été réduit à cinq ans par la Loi no2008-561 du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile.

L'article 2224 du code civil prévoit ainsi désormais que "Les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer."

Selon les dispositions transitoires de la loi du 17 juin 2008 qui figurent à son article 26 II, "II. Les dispositions de la présente loi qui réduisent la durée de la prescription s'appliquent aux prescriptions à compter du jour de l'entrée en vigueur de la présente loi, sans que la durée totale puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure."

Il en résulte qu'en l'occurrence, le nouveau délai de prescription, qui en a réduit la durée, a commencé à courir le 19 juin 2008, soit le lendemain de la parution de cette loi au Journal Officiel.

Aussi, l'action de M. [D] aux fins de se voir reconnaître la qualité d'inventeur s'est trouvée atteinte par la prescription le 19 juin 2013, dès lors que ce dernier savait, ou aurait dû savoir, qu'il n'était pas désigné comme inventeur dans ce brevet dès la publication de sa délivrance.

Enfin, l'existence d'un contrat de travail entre les parties jusqu'au 30 novembre 2016, ne peut en elle-même être regardée comme une cause de suspension de la préscription pour impossibilité d'agir au sens de l'article 2234 du code civil, qui prévoit que "La prescription ne court pas ou est suspendue contre celui qui est dans l'impossibilité d'agir par suite d'un empêchement résultant de la loi, de la convention ou de la force majeure."

De tout ce qui précède il résulte que l'action de M. [D] aux fins de se voir reconnaître la qualité d'inventeur du brevet EP 0 740 668 était prescrite depuis le 19 juin 2013 lorsqu'il a engagé son action le 22 novembre 2018.

Partie perdante au sens de l'article 696 du code de procédure civile, M. [D] supportera les dépens.

PAR CES MOTIFS,

Statuant publiquement par mise à disposition au greffe, contradictoirement et en premier ressort,

Le tribunal,

Déclare irrecevable comme étant prescrite depuis le 19 juin 2013 l'action de M. [C] [D] aux fins de se voir reconnaître la qualité d'inventeur du brevet EP 0 740 668 ;

Condamne M. [D] aux dépens ;

Dit n'y avoir lieu à exécution provisoire.

Fait et jugé à [Localité 3] le 11 mars 2021.

La GreffièreLa Présidente


Synthèse
Tribunal : Tribunal de grande instance de Paris
Formation : Ct0196
Numéro d'arrêt : 3
Date de la décision : 11/03/2021

Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.grande.instance.paris;arret;2021-03-11;3 ?
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