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11/03/2021 | FRANCE | N°18/13651

France | France, Tribunal de grande instance de Paris, Ct0196, 11 mars 2021, 18/13651


TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS

3ème chambre 1ère section

No RG 18/13651 -
No Portalis 352J-W-B7C-COIU6

No MINUTE :

Assignation du :
20 Novembre 2018

JUGEMENT
rendu le 11 mars 2021
DEMANDERESSE

S.A.R.L. TAMI-PHARM
[Adresse 1]
[Localité 2]

représentée par Me Clarisse OUEDRAOGO, avocat au barreau de MELUN, vestiaire #M99

DÉFENDERESSE

Madame [J] [Y]
[Adresse 4]
[Adresse 3]
BEYROUTH (LIBAN)

représentée par Me Cyril BELLAICHE, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #G0050

COMPOS

ITION DU TRIBUNAL

Nathalie SABOTIER, 1ère vice-présidente adjointe
Gilles BUFFET, Vice président
Alix FLEURIET, Juge

assistés de Caroline REBOUL, Greffi...

TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS

3ème chambre 1ère section

No RG 18/13651 -
No Portalis 352J-W-B7C-COIU6

No MINUTE :

Assignation du :
20 Novembre 2018

JUGEMENT
rendu le 11 mars 2021
DEMANDERESSE

S.A.R.L. TAMI-PHARM
[Adresse 1]
[Localité 2]

représentée par Me Clarisse OUEDRAOGO, avocat au barreau de MELUN, vestiaire #M99

DÉFENDERESSE

Madame [J] [Y]
[Adresse 4]
[Adresse 3]
BEYROUTH (LIBAN)

représentée par Me Cyril BELLAICHE, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #G0050

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Nathalie SABOTIER, 1ère vice-présidente adjointe
Gilles BUFFET, Vice président
Alix FLEURIET, Juge

assistés de Caroline REBOUL, Greffière

DEBATS

A l'audience du 12 janvier 2021
tenue en audience publique

JUGEMENT

Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe
Contradictoire
en premier ressort

EXPOSÉ DU LITIGE :

La SARL TAMI-PHARM, immatriculée au RCS de PARIS le 7 février 2011, a été créée par Mme [J] [Y], M. [K] [F] et les consorts [I], M. [R] [I] étant nommé gérant de la société.

La SARL TAMI-PHARM a pour activité l'élaboration et la commercialisation de produits et matières premières alimentaires et médicales.

Mme [J] [Y] est la titulaire inscrite de la marque semi-figurative française no3841214 « TAMIPHARM », déposée le 24 juin 2011 pour désigner différents produits et services en classes 3, 5, 10 et 41 et notamment les huiles essentielles, les cosmétiques, les produits pharmaceutiques et les substances diététiques :

Des dissensions sont apparues entre les associés et, par acte d'huissier du 20 novembre 2018, la SARL TAMI-PHARM a fait assigner Mme [J] [Y] devant le tribunal judiciaire de Paris, en nullité de la marque no3841214 comme portant atteinte aux droits antérieurs de la société.

Dans ses dernières conclusions signifiées par la voie électronique le 20 février 2020, la société TAMI-PHARM, demande au tribunal, au visa des articles L.711-4, L.714-3 et L714-5 du code de la propriété intellectuelle, de :
- Déclarer la SARL TAMI-PHARM recevable et bien fondée en son action ;

- Débouter Mme [J] [Y] de l'ensemble de ses demandes ;

- Déclarer nul l'enregistrement de la marque TAMIPHARM et le logo y associé déposés le 24 juin 2011 à l'INPI au nom de Mme [J] [Y] ;

- Condamner Mme [J] [Y] à payer à la SARL TAMI-PHARM la somme de 60.000 € en réparation de son préjudice sur le fondement de l'article 1240 du code civil;

A TITRE SUBSIDIAIRE,

- Dire et juger que Mme [J] [Y] est déchue de ses droits sur la marque enregistrée le 24 juin 2011;

- Condamner Mme [Y] à payer à la SARL TAMI-PHARM la somme de 15.000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Ordonner l'exécution provisoire de la décision à intervenir nonobstant toutes voies de recours et sans caution ;

- Condamner Madame [J] [Y] aux entiers dépens qui pourront être recouvrés par Maître Clarisse OUEDRAOGO conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Dans ses dernières conclusions signifiées par la voie électronique le 11 septembre 2020, Mme [J] [Y] demande au tribunal, au visa des articles L712-1 du code de la propriété intellectuelle, et 2224 du code civil, de :

In limine litis, sur l'irrecevabilité :

- Dire et juger irrecevable, car prescrite, l'action de la société TAMI-PHARM ;

Subsidiairement, sur le fond :

- Dire et juger valable l'enregistrement de la marque TAMI-PHARM par Mme [J] [Y] le 24 juin 2011

En conséquence :

- Débouter la société TAMI-PHARM de toutes ses demandes, fins et conclusions ;

Et, en tout état de cause :

- Dire et juger que Madame [Y] est seule titulaire de la marque TAMI-PHARM ;

- Interdire en conséquence à la société TAMIPHARM d'utiliser la marque TAMI-PHARM et le logo correspondant ;

- Condamner la société TAMI-PHARM à payer à Mme [Y] :
* la somme de 25.000 € à titre de dommages et intérêts sur le fondement de l'article 1240 du code civil,
* la somme de 10.000 € à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive sur le fondement des articles 32-1 du code de procédure civile et 1240 du code civil,
* la somme de 15.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ,
* les entiers dépens ;

- Ordonner l'exécution provisoire.

L'instruction de l'affaire a été clôturée par une ordonnance du 10 novembre 2020.

MOTIFS DE LA DÉCISION

1o) Sur la prescription de la demande principale en nullité de la marque

Mme [Y] soutient que la demande de la société TAMI-PHARM est prescrite, ayant été formée plus de cinq après le dépôt, le dépôt étant le jour auquel la demanderesse aurait dû avoir connaissance de la qualité de seule titulaire de la marque de Mme [Y]. Elle invoque à cet égard les dispositions de droit commun de l'article 2224 du code civil dont la Cour de cassation a jugé qu'elles s'appliquaient aux demandes de nullité de marques (Cass. Com., 8 juin 2017, pourvoi no15-21.357).

La société TAMI-PHARM conclut à la recevabilité de sa demande. Elle soutient que Mme [Y] a tu le fait qu'elle avait effectué le dépôt de marque en son nom, lequel a au demeurant été réglé au moyen des fonds de la société, ainsi qu'elle en justifie, et est exploité par la société et par elle seule pour les besoins de son activité. Elle ajoute n'avoir découvert que le 7 octobre 2015, en effectuant une recherche auprès de l'INPI que la marque appartenait à Mme [Y], de sorte que selon elle sa demande n'est nulletment atteinte par la prescription.

Sur ce,

Avant l'entrée en vigueur de la Loi no 2019-486 du 22 mai 2019 pour la croissance et la transformation des entreprises (PACTE), il était constamment jugé que l'action principale en nullité d'une marque était soumise au délai de prescription de droit commun prévu à l'article 2224 du code civil aux termes duquel « Les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer » (Cass. Com., 8 juin 2017, pourvoi no 15-21.357, Bull. 2017, IV, no 81).

Selon l'article L.714-3-1 du code de la propriété intellectuelle, créé par l'article 124, 8o de la Loi du 22 mai 2019, "Sans préjudice du troisième alinéa de l'article L. 714-3 et de l'article L. 714-4, l'action en nullité d'une marque n'est soumise à aucun délai de prescription."

Selon l'article 124 III de la Loi du 22 mai 2019, "Les 2o, 4o, 5o, 7o et 8o du I du présent article s'appliquent aux titres en vigueur au jour de la publication de la présente loi. Ils sont sans effet sur les décisions ayant force de chose jugée."

Précisons enfin que l'article L. 714-3-1 du code de la propriété intellectuelle a été abrogé par l'ordonnance 2019-1169 du 13 novembre 2019, de sorte qu'il convient de se référer désormais à l'article L. 716-2-6 du même code qui dispose désormais et de la même manière que « Sous réserve des articles L. 716-2-7 et L. 716-2-8, l'action ou la demande en nullité d'une marque n'est soumise à aucun délai de prescription ».

Conformément à l'article 2 du code civil, la loi ne dispose que pour l'avenir, elle n'a pas d'effet rétroactif.

Plus précisément, s'agissant d'une loi relative au délai de prescription, l'article 2222 du code civil prévoit que « La loi qui allonge la durée d'une prescription ou d'un délai de forclusion est sans effet sur une prescription ou une forclusion acquise. Elle s'applique lorsque le délai de prescription ou le délai de forclusion n'était pas expiré à la date de son entrée en vigueur. Il est alors tenu compte du délai déjà écoulé. (...) ».

Il résulte de ces dispositions que lorsque le législateur allonge le délai d'une prescription, cette loi n'a pas d'effet sur la prescription définitivement acquise, à moins qu'une volonté contraire ne soit expressément affirmée dans ladite loi.

En l'occurrence, si le législateur a bien allongé le délai de prescription des actions en nullité de marques, il n'a pas entendu permettre que les dispositions nouvelles s'appliquent aux prescriptions acquises avant l'entrée en vigueur de la loi PACTE, le 24 mai 2019.

Il doit en outre être retenu que c'est au jour du dépôt par Mme [Y], que la société TAMI-PHARM, qui n'a jamais soutenu ne pas avoir eu connaissance de ce dépôt, et qui ne conteste pas qu'il s'agit d'une création de deux de ses associés, aurait dû savoir que ce dépôt avait été effectué en son nom par la déposante, et non celui de la société.

Il en résulte qu'au jour de l'introduction de la demande, le 20 novembre 2018, la demande principale d'annulation de la marque de la société TAMI-PHARM était precsrite depuis le 24 juin 2016.

2o) Sur la demande d'interdiction et l'exception de nullité de la marque

Mme [Y] sollicite qu'il soit fait défense à la société TAMI-PHARM de faire usage de la marque. Elle s'oppose aux demandes reconventionnelles en soutenant que sa marque est valable. A cet égard, elle rappelle que le signe est constitué du diminutif de son prénom, [J], accolé au terme "pharm", pour désigner des produits pharmaceutiques. Elle soutient être la seule créatrice de ce signe, dont le logo a été dessiné en 2010 par M. [F], avec lequel elle a eu l'idée de s'associer pour créer une ligne de produits de soins. Mme [Y] précise qu'elle même et M. [F] ont fait la connaissance par la suite de M. [I], qui a décidé d'investir dans le projet. Mme [Y] ajoute que le fait que le dépôt a été réglé avec les fonds de la société et qu'elle a autorisé l'usage par la société du signe depuis 2011, n'est pas de nature à le rendre nul. Mme [Y] soutient encore qu'elle n'est pas déchue de ses droits pour en avoir permis l'usage depuis 2011 à la société TAMI-PHARM.

Mme [Y] demande donc au tribunal de dire la marque valable et d'en interdire l'usage par la société TAMI-PHARM, étant parfaitement fondée selon elle à retirer l'autorisation tacite qu'elle lui avait accordée.

La société TAMI-PHARM s'oppose à la demande d'interdiction en rappelant d'une part que la marque est nulle et que Mme [Y] est en tout état de cause déchue de ses droits, n'ayant fait elle-même aucun usage sérieux de cette marque.

Elle rappelle, qu'alors que la société TAMI-PHARM était créée depuis déjà six mois, Mme [Y] a procédé au dépôt en son nom de la marque TAMI-PHARM. Elle ajoute que, non seulement le dépôt a été réglé au moyen des fonds de la société, mais encore que Mme [Y] a toujours accepté l'usage par celle-ci, et par elle seule, du signe à titre de raison sociale, de nom commercial, et de marque pour l'ensemble des produits qu'elle commercialise.

Sur ce,

La demande d'interdiction formulée par Mme [Y] a pour effet de rendre recevable l'exception de nullité de la marque soulevée en défense par la société TAMI-PHARM.

Selon l'article L.711-3 du code de la propriété intellectuelle, dans sa rédaction issue de l'ordonnance no2019-1169 du 13 novembre 2019, "I.-Ne peut être valablement enregistrée et, si elle est enregistrée, est susceptible d'être déclarée nulle une marque portant atteinte à des droits antérieurs ayant effet en France, notamment : (...)
3o Une dénomination ou une raison sociale, s'il existe un risque de confusion dans l'esprit du public ;

4o Un nom commercial, une enseigne ou un nom de domaine, dont la portée n'est pas seulement locale, s'il existe un risque de confusion dans l'esprit du public ; "

Force est en l'occurrence de constater que la marque déposée par Mme [Y] était au moment de son dépôt et depuis quatre mois la raison sociale et le nom commercial de la société TAMI-PHARM.

En outre, le risque de confusion est évident et avéré, les fournisseurs se trouvant dans l'impossibilité de distinguer la société TAMI-PHARM de son associée, Mme [J] [Y], qui exerce sous une enseigne "TAMI-PHARM LIBAN" (cf pièces TAMI-PHARM no16, 17 et 18 : "Nous sommes aujourd'hui surpris de recevoir de la part de Mme [G] et de MM. [F] et [I] des informations internes à vos sociétés concernant les produits que nous fabriquons pour Tamipharm France et Tamipharm Liban. Pour des raisons que nous ignorons et pour lesquelles nous ne souhaitons en aucun cas intervenir, Tamipharm France et Tamipharm Liban revendiquent chacun la propriété de ces produits et nous demandent de ne pas produire pour l'autre.")

Le dépôt effectué par Mme [Y] en son nom porte donc atteinte à la raison sociale et au nom commercial dela société TAMI-PHARM, dans des conditions de nature à créer un risque de confusion. Il y a donc lieu d'annuler cette marque pour tous les produits et services visés au dépôt, identiques à ceux commercialisés par cette société.

L'annulation de la marque rend sans objet les demandes de Mme [Y] aux fins d'en interdire l'usage à la société demenderesse et mal fondées toutes ses demandes financières.

3o) Sur les autres demandes

La société TAMI-PHARM qui ne caractérise pas d'autre préjudice que celui résultant des coûts exposés pour assurer sa défense, sera déboutée de sa demande de dommages-intérêts.

Partie perdante au sens de l'article 696 du code de procédure civile, Mme [Y] sera condamnée aux dépens, ainsi qu'à payer à la société TAMI-PHARM la somme de 8.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Nécessaire et compatible avec la nature de l'affaire, l'exécution provisoire de la présente décision sera ordonnée sauf en ce qui concerne la transmission de la décision à l'INPI aux fns d'inscription au registre des marques, compte tenu de l'effet irréversible d'une telle mesure.

PAR CES MOTIFS,

Statuant publiquement par mise à disposition au greffe, contradictoirement et en premier ressort,

Le tribunal,

Dit l'action principale en nullité de la marque no3841214 precrite ;

Dit l'exception de nullité de la marque no3841214 non precrite ;

Déclare nulle la marque semi-figurative française no3841214 « TAMIPHARM », déposée le 24 juin 2011 par Mme [Y], dans toutes les classes désignées à l'enregistrement ;

Ordonne l'inscription de la présente décision, une fois passée en force de chose jugée, à l'initiative de la partie la plus diligente, sur le registre des marques tenu par l'INPI ;

Dit sans objet la demande de Mme [Y] aux fins d'interdire l'usage de cette marque à la société TAMI-PHARM ;

Rejette les demandes de dommages-intérêts de la société TAMI-PHARM et celles de Mme [Y] ;

Condamne Mme [Y] aux dépens ;

Condamne Mme [Y] à payer à la SARL TAMI-PHARM la somme de 8.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

Ordonne l'exécution provisoire du présent jugement, sauf en ce qui concerne son inscription au registre des marques.

Fait et jugé à Paris le 11 mars 2021.

La GreffièreLa Présidente


Synthèse
Tribunal : Tribunal de grande instance de Paris
Formation : Ct0196
Numéro d'arrêt : 18/13651
Date de la décision : 11/03/2021

Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.grande.instance.paris;arret;2021-03-11;18.13651 ?
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