La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

26/02/2021 | FRANCE | N°19/09000

France | France, Tribunal de grande instance de Paris, Ct0196, 26 février 2021, 19/09000


TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS

3ème chambre 2ème section

No RG 19/09000 -
No Portalis 352J-W-B7D-CQNCF

No MINUTE :

Assignation du :

22 juillet 2019JUGEMENT
rendu le 26 février 2021
DEMANDEURS

S.A.R.L. LABORATOIRE POLIDIS
[Adresse 6]
[Localité 4]

Monsieur [F] [G]
domicilié chez Me Annette SION
[Adresse 2]
[Localité 5]

représentés par Maître Annette SION, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #P0362

DÉFENDERESSE

S.A.S. LABORATOIRES MAJORELLE
[Adresse 1]
[Localité 3]

re

présentée par Maître Gabrielle ODINOT de la SELARL ODINOT et ASSOCIES, avocats au barreau de PARIS, vestiaire #L0271

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Florence BUTIN, V...

TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS

3ème chambre 2ème section

No RG 19/09000 -
No Portalis 352J-W-B7D-CQNCF

No MINUTE :

Assignation du :

22 juillet 2019JUGEMENT
rendu le 26 février 2021
DEMANDEURS

S.A.R.L. LABORATOIRE POLIDIS
[Adresse 6]
[Localité 4]

Monsieur [F] [G]
domicilié chez Me Annette SION
[Adresse 2]
[Localité 5]

représentés par Maître Annette SION, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #P0362

DÉFENDERESSE

S.A.S. LABORATOIRES MAJORELLE
[Adresse 1]
[Localité 3]

représentée par Maître Gabrielle ODINOT de la SELARL ODINOT et ASSOCIES, avocats au barreau de PARIS, vestiaire #L0271

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Florence BUTIN, Vice-Présidente
Catherine OSTENGO, Vice-présidente
Emilie CHAMPS, Vice-Présidente

assistées de Géraldine CARRION, greffier lors des débats et de Caroline REBOUL, greffier lors du prononcé

DÉBATS

A l'audience du 14 janvier 2021
tenue en audience publique

JUGEMENT

Prononcé publiquement par mise à disposition du greffe
Contradictoire
en premier ressort

EXPOSE DU LITIGE

[F] [G] se présente comme un célèbre journaliste, animateur, producteur d'émissions de télévision et de radio français ayant acquis une certaine popularité en animant des émissions telles que « Ciel, mon mardi ! » et « Coucou c'est nous ! » dans les années 80.

Il expose avoir en 1988, décidé d'utiliser la télévision pour informer les jeunes sur les méthodes de prévention du SIDA et l'usage du préservatif en créant le slogan « SORTEZ COUVERTS ! », qu'il dit prononcer systématiquement à la fin de chacune de ses émissions.

La société LABORATOIRE POLIDIS (ci-après POLIDIS) a pour activité la fabrication de dispositifs médicaux, notamment de préservatifs.

En 1992, [F] [G] et la société LABORATOIRE POLIDIS se sont associés pour lancer une opération commerciale baptisée « SORTEZ COUVERTS ! », dans le cadre de laquelle étaient proposés à la vente, « des préservatifs à 1 franc ».

[F] [G] expose être ensuite devenu le parrain de l'opération reprenant son slogan « SORTEZ COUVERTS ! » organisée par l'association de pharmaciens Croix verte et Ruban rouge et la société POLIDIS, permettant d'acquérir des préservatifs à des prix réduits conditionnés dans des boîtes arborant son slogan et distribuées dans les pharmacies et les universités françaises.

La marque française verbale no 3260170 « SORTEZ COUVERT » a été déposée le 12 janvier 2003 par la société COYOTE CONSEIL -dont [F] [G] assure la présidence- dans les classes 16, 35, 38, 41 pour désigner notamment la diffusion de programmes de télévision et radiophoniques et l'organisation de spectacles.

La société LABORATOIRES MAJORELLE (ci-après MAJORELLE) créée en 2001, est une entreprise pharmaceutique spécialisée en gynécologie et urologie.

Elle a déposé le 13 septembre 2018, une demande d'enregistrement de la marque verbale française, « SORTEZ COUVERTS ! » sous le no 4549108 dans les classes 5, 7 et 10 pour désigner notamment des préservatifs et des distributeurs automatiques de préservatifs.

La société POLIDIS et [F] [G] ont, par lettre recommandée en date du 9 novembre 2018, vainement mis en demeure la société MAJORELLE d'avoir à procéder au retrait total de sa marque no4482459 et à cesser tout usage de l'expression « SORTEZ COUVERTS ! » .

L'opposition formée par la société COYOTE CONSEIL contre cette marque a été rejetée par l'INPI par décision du 4 juin 2019 puis le 6 avril 2020 cet organisme a notifié à la société MAJORELLE un refus d'enregistrement définitif pour défaut de distinctivité.

La société MAJORELLE avait par ailleurs réservé, à la même date du 13 septembre 2018, les noms de domaines suivants : sortez-couvert.com, sortezcouvert.fr, sortez-couvert.net, sortezcouvert.net, sortez-couvert.org, sortezcouvert.org, sortez-couvert.paris, sortezcouvert.paris, sortez-couverts.com, sortezcouverts.com, sortez-couverts.fr, sortez-couverts.net, sortezcouverts.net, sortezcouverts.org, sortezcouverts.paris.

C'est dans ces conditions que [F] [G] et la société POLIDIS ont saisi le juge des référés dutribunal de grande instance de Paris afin d'obtenir des mesures d'interdiction provisoire d'usage de la marque « SORTEZ COUVERTS ! », demande dont ils ont été déboutés suivant ordonnance du 27 mars 2019. Dans son arrêt du 15 septembre 2020, la cour d'appel de Paris a réformé cette décision. Un pourvoi formé par la société MAJORELLE est actuellement pendant devant la cour de cassation.

Parallèlement, le 31 mai 2019, la société LABORATOIRE POLIDIS et [F] [G] ont déposé en indivision, la marque verbale française « SORTEZ COUVERTS ! » sous le no 4 549 108 dans les classes 5, 7 et 10 pour désigner notamment des distributeurs automatiques de préservatifs et des préservatifs.

La société MAJORELLE, qui avait formé opposition contre ce dépôt a vu sa demande rejetée par décision de l'INPI en date du 29 juillet 2019 qui parallèlement, a notifié le même jour aux requérants, un refus provisoire d'enregistrement de cette marque pour défaut de distinctivité.

C'est dans ce contexte que par acte signifié le 22 juillet 2019, [F] [G] et la société POLIDIS ont fait délivrer à la défenderesse, une assignation à comparaître devant le tribunal judiciaire de Paris aux fins de se voir transférer la marque no4482459 et les noms de domaine associés et obtenir réparation de leur préjudice.

Ils présentent, aux termes de leurs dernières conclusions notifiées par voie électronique le 8 octobre 2020, les demandes suivantes :

Vu les dispositions des articles 31 et suivants du Code de Procédure Civile,

-Déclarer Monsieur [F] [G] et la société LABORATOIRE POLIDIS recevables en leur action

-Vu les dispositions de l'article L712-6 du Code de la Propriété Intellectuelle, et 1240 du Code Civil,

-Juger frauduleux le dépôt, par la société LABORATOIRES MAJORELLE, de la marque « SORTEZ COUVERTS ! » no4482459.

-Juger frauduleuse la réservation des noms de domaine sortez-couvert.com, sortezcouvert.fr,sortez-couvert.net, sortezcouvert.net, sortez-couvert.org, sortezcouvert.org, sortez-couvert.paris, sortezcouvert.paris, sortez-couverts.com, sortezcouverts.com, sortez-couverts.fr, sortez-couverts.net, sortezcouverts.net, sortezcouverts.org, sortezcouverts.paris.

En conséquence,

-Ordonner le transfert de la marque « SORTEZ COUVERTS ! » no4482459, au profit de Monsieur [F] [G] et de la société LABORATOIRE POLIDIS, dans un délai de 8 jours, et ce sous astreinte de 10.000 euros par jour de retard, à compter de la signification de la décision à intervenir.

-Ordonner le transfert au profit de Monsieur [F] [G] et de la société LABORATOIRE POLIDIS des noms dedomaine: sortez-couvert.com, sortezcouvert.fr, sortez-couvert.net, sortezcouvert.net, sortez-couvert.org, sortezcouvert.org, sortez-couvert.paris, sortezcouvert.paris, sortez-couverts.com, sortezcouverts.com, sortez-couverts.fr, sortez-couverts.net, sortezcouverts.net, sortezcouverts.org, sortezcouverts.paris, dans un délai de 8 jours, et sous astreinte définitive de 10.000 euros par jour de retard, à compter de la signification de la décision à intervenir.

-Condamner la société LABORATOIRES MAJORELLE à verser à Monsieur [F] [G] la somme de 50.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice par lui subi.

-Condamner la société LABORATOIRES MAJORELLE à verser à la société LABORATOIRE POLIDIS la somme de 50.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice par elle subi.

-Débouter la société LABORATOIRES MAJORELLE de l'intégralité de ses demandes.

-Condamner la société LABORATOIRES MAJORELLE à payer à Monsieur [F] [G] et à la société LABORATOIRE POLIDIS la somme de 15.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.

-Ordonner la publication de la décision à intervenir, dans cinq journaux ou revues au choix de Monsieur [F] [G] et de la société LABORATOIRE POLIDIS et aux frais de la société LABORATOIRES MAJORELLE, le coût de chacune des publications ne pouvant excéder la somme de 5.000 euros H.T.

Dans ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 17 novembre 2020, la société LABORATOIRES MAJORELLE présente les demandes suivantes :

Vu les pièces versées aux débats,
Vu les dispositions de l'article L712-6 du Code de la propriété intellectuelle,
Vu l'article 1240 du Code civil,
Vu les articles 31, 32-1, 122, 699 et 700 du Code de procédure civile,

RECEVOIR la société LABORATOIRES MAJORELLE en ses présentes écritures et y faisant droit,

A TITRE PRINCIPAL,

DECLARER les demandes de la société LABORATOIRE POLIDIS et de M. [F] [G] irrecevables pour défaut de qualité et d'intérêt à agir,

DIRE ET JUGER que la société LABORATOIRE POLIDIS et de M. [F] [G] ne démontrent pas que la société LABORATOIRES MAJORELLE aurait commis un enregistrement de marque en fraude des droits d'un tiers,

DIRE ET JUGER sans objet la demande de transfert de marque « SORTEZ COUVERTS ! » no4482459 formée par la société LABORATOIRE POLIDIS et de M. [F] [G] en application de L.712-6 du Code de la propriété intellectuelle,

DIRE ET JUGER sans objet la demande de transfert à leur profit des noms de domaine :
sortez-couvert.com, sortezcouvert.fr, sortez-couvert.net, sortezcouvert.net, sortez-couvert.org, sortezcouvert.org, sortez-couvert.paris, sortezcouvert.paris, sortez-couverts.com, sortezcouverts.com, sortez-couverts.fr, sortez-couverts.net, sortezcouverts.net, sortezcouverts.org, sortezcouverts.paris,

CONSTATER en tout état de cause que la société LABORATOIRE POLIDIS et M. [F] [G] ne démontrent pas l'existence d'un préjudice indemnisable,

DEBOUTER en conséquence la société LABORATOIRE POLIDIS et de M. [F] [G] de toutes ses demandes, fins et conclusions.

A TITRE RECONVENTIONNEL, SUR LA PROCEDURE ABUSIVE,

CONSTATER que la société LABORATOIRE POLIDIS et de M. [F] [G] ont fait preuve de déloyauté dans la mise en oeuvre de la procédure engagée à l'égard de la société LABORATOIRES MAJORELLE,

DIRE ET JUGER que la procédure intentée par la société LABORATOIRE POLIDIS et de M. [F] [G] est en conséquence abusive,
CONDAMNER solidairement la société LABORATOIRE POLIDIS et de M. [F] [G] à payer à la société LABORATOIRES MAJORELLE la somme de 53 000 euros à titre de dommages et intérêts.

EN TOUT ETAT DE CAUSE,

CONDAMNER solidairement la société LABORATOIRE POLIDIS et de M. [F] [G] à verser à la société LABORATOIRES MAJORELLE la somme de 15 000 euros au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile,

CONDAMNER la société LABORATOIRE POLIDIS et de M. [F] [G] aux entiers dépens de l'instance, en ce compris les frais de constat dressés par ministère d'huissier en date du 14 février 2019,

ORDONNER l'exécution provisoire de ces condamnations.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 19 novembre 2020 et l'affaire plaidée le 14 janvier 2021.

Pour un exposé complet de l'argumentation des parties il est, conformément à l'article 455 du code de procédure civile, renvoyé à leurs dernières conclusions précitées.

MOTIFS

1- Sur la fin de non-recevoir tirée du défaut de qualité et d' intérêt à agir des demandeurs

La société MAJORELLE soutient que ni la société POLIDIS ni [F] [G] n'étant titulaires de droits privatifs sur le signe « SORTEZ COUVERT » qui a été déposé par la société COYOTE CONSEIL, ceux-ci ne justifient pas de leur qualité ou intérêt à agir contre le dépôt des marque et noms de domaines litigieux. Elle ajoute que tout particulièrement, la démarche de la société POLIDIS auprès des autorités de santé afin d'obtenir la prise en charge par l'Assurance Maladie de préservatifs dont le conditionnement reproduisait la marque no 4482459 alors en cours d'enregistrement, ne peut rétroactivement lui octroyer un tel droit privatif. Elle fait enfin valoir que l'objet du partenariat dont la société LABORATOIRE POLIDIS se prévaut est illicite par référence aux dispositions de l'article L 5213-1 du Code de la santé publique.

Les demandeurs reprennent à cet égard la motivation de l'arrêt de la cour d'appel de Paris qui le 15 septembre 2020, a jugé qu'en raison de l'usage à la fois ancien et reconnu par [F] [G] de l'expression « SORTEZ COUVERTS ! », celui-ci dispose d'un intérêt légitime à agir pour s'opposer à l'usage de cette locution à titre de marque par un tiers et que la société POLIDIS pour sa part, qui distribue des préservatifs dans des boîtes portant l'expression « SORTEZ COUVERTS ! », a pareillement un intérêt légitime à agir. Ils rappellent par ailleurs que l'action fondée sur les dispositions de l'article L712-6 du code de la propriété intellectuelle a pour but de protéger celui qui ne dispose pas d'une marque antérieure à celle qui a été frauduleusement déposée, ce qui leur confère nécessairement qualité à agir. Ils terminent en soutenant que la promotion des préservatifs dans le cadre de la campagne Croix Verte et Ruban Rouge n'est pas contraire au code de la santé publique et qu'en tout état de cause, ce moyen est inopérant dans le cadre du présent litige.

Sur ce,

Selon l'article 122 du code de procédure civile, constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d'agir, tel le défaut de qualité, le défaut d'intérêt, la prescription, le délai préfixe, la chose jugée.

L'article 31 du même code dispose que l 'action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d'une prétention et l'article 32 suivant, qu'est irrecevable toute prétention émise par ou contre une personne dépourvue du droit d'agir.

En l'espèce, l'action est essentiellement fondée sur les dispositions de l'article L712-6 du code de la propriété intellectuelle qui dispose que si un enregistrement a été demandé en fraude des droits d'un tiers, la personne qui estime avoir un droit sur la marque peut revendiquer sa propriété en justice.

Dans la mesure où [F] [G] et la société POLIDIS se prévalent d'un usage antérieur du signe « SORTEZ COUVERTS ! » pour la commercialisation de préservatifs et qu'ils considèrent que le dépôt de la marque éponyme par la société MAJORELLE leur cause un préjudice, ils justifient tant de leur qualité que de leur intérêt à agir.

Enfin, comme le font justement valoir les requérants, la contradiction alléguée de la campagne litigieuse avec les dispositions de l'article L 5213-1 du Code de la santé publique qui réglemente la publicité en matière de dispositifs médicaux ne constitue pas une fin de non-recevoir.

L'action doit en conséquence, être déclarée recevable.

2- Sur le caractère frauduleux du dépôt de la marque no 4482459 et des noms de domaines associés

Les demandeurs font valoir que la société MAJORELLE qui ne pouvait ignorer l'usage antérieur du signe litigieux pour la distribution de préservatifs, a déposé la marque no 4482459 dans la seule intention de leur interdire de poursuivre l'exploitation de leur signe. Ils ajoutent que le fait que l'INPI ait finalement rejeté l'enregistrement de cette marque les amène à renoncer à leur demande de transfert mais qu'ils restent fondés à réclamer la réparation du préjudice que leur cause ce dépôt frauduleux.

La société MAJORELLE réplique que ni sa connaissance de l'usage antérieur du signe litigieux pour désigner des « préservatifs » dans la classe 10 à la date du dépôt, ni son intention de priver les demandeurs d'un signe nécessaire à leurs activités, ne sont établies. Elle relève à cet égard qu'il n'est pas justifié d'une exploitation suffisante et non précaire par la société POLIDIS du signe « SORTEZ-COUVERTS ! » et qu'il ne résulte pas du sondage produit aux débats que le nom de [F] [G] était notoirement associé à ce signe par le public pertinent.

Sur ce,

La fraude visée à l'article L 712-6 précité, est caractérisée dès lors que le dépôt a été opéré pour détourner le droit des marques de sa finalité et non pour distinguer des produits et services en identifiant leur origine, pour priver des concurrents du déposant ou tous les opérateurs d'un même secteur d'un signe nécessaire à leur activité. Le caractère frauduleux du dépôt s'apprécie au jour ou il est effectué. La fraude ne se présume pas et la charge de la preuve pèse sur celui qui l'allègue.

Au regard des pièces produites aux débats, la société MAJORELLE, bien qu'elle s'en défende, ne pouvait ignorer l'usage antérieur du signe « SORTEZ COUVERTS ! » par [F] [G] et la société POLIDIS.

En premier lieu, elle ne conteste pas avoir été informée du dépôt de la marque verbale française no 3260170 « SORTEZ COUVERT » le 12 janvier 2003 par la société COYOTE CONSEIL et s'il est exact que cette marque ne couvre pas les classes 5, 7 et 10, la société MAJORELLE pouvait aisément vérifier que [F] [G] en assurait la présidence, alors que celui-ci était particulièrement identifié comme un acteur de la prévention du SIDA et dans ce cadre, de la promotion de l'utilisation de préservatifs.

La société MAJORELLE ne peut sérieusement soutenir ne pas avoir eu connaissance lors du dépôt de la marque litigieuse et de la réservation des noms de domaine de cette implication très largement relayée au niveau national du fait des fonctions d'animateur d'émissions télévisées de l'intéressé. Il est à cet égard très largement justifié de l'utilisation récurrente du slogan « SORTEZ COUVERTS! » jusqu'en 2018, donc antérieurement au dépôt de la marque litigieuse (pièce DEM no10).

Les demandeurs produisent par ailleurs un sondage réalisé en juin 2019 auprès d'un échantillon de 1000 répondants répartis de façon homogène sur le territoire français et représentatifs tant au regard de leur catégorie socio-professionnelle que de leur tranche d'âge, duquel il ressort que 92 % d'entre eux connaissent l'expression « SORTEZ COUVERTS! » dont 62 % depuis plus de 10 ans, ceux-ci l'associant pour 70 % à l'usage du préservatif et 15 % au SIDA.

Au vu de ces résultats, la société MAJORELLE ne peut pertinemment soutenir qu'elle ne pouvait être informée de l'utilisation de cette expression comme élément d'identification de produits et services autres que ceux qui étaient visés au dépôt de la marque no 3260170.

I l résulte enfin de plusieurs extraits d'émissions télévisées populaires qu' entre 2012 et 2018 (pièce DEM no10-2, 10-5, 10-6, 10-7, 10-9, 10-10, 10-11) [F] [G] continuait de faire la promotion de l'opération « Croix verte et Ruban rouge » et citait le nom du distributeur (la société POLIDIS) associée à la vente de préservatifs sous le signe « SORTEZ COUVERTS ! ».

Ces éléments considérés ensemble, permettent de déduire que la société MAJORELLE était nécessairement informée de l'usage par les demandeurs de l'expression « SORTEZ COUVERTS ! » lorsqu'en septembre 2018, elle a déposé la marque éponyme.

Comme le relève nt justement la société POLIDIS et [F] [G], le simple fait d'être informé qu'un concurrent utilisait antérieurement le signe litigieux pour désigner les mêmes produits permet de caractériser la mauvaise foi de la défenderesse dans la mesure où le dépôt de ce signe à titre de marque avait forcément pour conséquence de leur interdire d'en poursuivre l'exploitation pour la commercialisation de préservatifs.

L 'intention de nuire a au demeurant été confirmée par l'opposition formée par la société MAJORELLE contre la marque « SORTEZ COUVERTS ! » déposée par les demandeurs le 31 mai 2019 sous le no 4 549 108 dans les classes 5, 7 et 10.

Il s'ensuit que le dépôt, le 13 septembre 2018, en classe 5, 7 et 10 de la marque no 4482459 ainsi que la réservation des noms de domaines associés identiques au signe utilisé par la société POLIDIS et [F] [G] pour commercialiser des préservatifs, constitue bien une fraude.

3- Sur les demandes de dommages et intérêts et autres mesures réparatrices

[F] [G] et la société POLIDIS, s'ils indiquent renoncer au transfert de la marque no 4482459 à leur profit du fait du refus d'enregistrement opposé à la société MAJORELLE par l'INPI, maintiennent cette demande s'agissant des noms de domaines associés. Ils ajoutent que ces seuls dépôts, en dehors de l'exploitation effective du signe, leur cause un préjudice du fait notamment de la popularité de l'opération soutenue par [F] [G] qui a d'ailleurs amené le magasine CAPITAL à publier un article en juillet 2019 relatif à la procédure l'opposant à la défenderesse. Ils sollicitent par ailleurs, compte tenu du caractère public de l'atteinte portée à leurs droits, une mesure de publication de la décision.

La société MAJORELLE réplique que les demandeurs ne sauraient prétendre à un quelconque monopole sur la locution « SORTEZ COUVERTS ! » et que leur demande indemnitaire a pour seul but de la punir des retombées médiatiques consécutives à son dépôt à titre de marque, la presse ayant évoqué la possibilité de voir proposés dans les pharmacies, deux préservatifs concurrents portant le signe « SORTEZ-COUVERTS ». Elle soutient qu'ils ne peuvent justifier d'aucun autre préjudice, notamment matériel, en l'absence d'exploitation tant de la marque que des noms de domaine associés et considère qu'une mesure de publication serait disproportionnée au regard du dommage réellement subi.

Sur ce,

L'article 1240 du code civil dispose que tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.

Il appartient à la victime d'établir l'existence d'un dommage, celle d'une faute ou d'un fait dommageable et un lien de causalité entre le dommage et la faute ou le fait allégué.

En l'espèce, la faute de la société MAJORELLE consistant dans le dépôt frauduleux de la marque no 4482459 et des noms de domaines associés, est suffisamment établie.

Certes, ces derniers n'ont fait l'objet d'aucune exploitation mais la défenderesse ne saurait s'en prévaloir pour dénier à la société POLIDIS et à [F] [G] tout droit à réparation alors que cette situation est indépendante de sa volonté puisqu'elle lui a été imposée par les décisions respectives de la cour d'appel de Paris qui a prononcé une mesure d'interdiction et de l'INPI qui a refusé l'enregistrement de sa marque.

Or, les demandeurs, bien que ne pouvant justifier d'un préjudice matériel, ont dû faire face à un dépôt frauduleux de marque alors qu'eux-mêmes ?uvraient, de façon désintéressée et dans l'intérêt général, pour lutter contre la propagation du SIDA en particulier chez les jeunes. Ils ont de ce fait nécessairement subi un préjudice sinon matériel, du moins moral qui sera réparé par l'allocation de la somme de 5000 euros chacun.

En revanche, bien que la réservation des noms de domaine comportant le signe « sortez couvert » soit jugée frauduleuse, leur transfert au bénéfice de [F] [G] et de la société POLIDIS ne peut être ordonné dès lors qu'une telle demande trouve son fondement dans les dispositions des articles L.45-2 et L.45-6 du code des postes et des communications électroniques qui réserve cette faculté au seul titulaire d'un droit de propriété intellectuelle et qu'au cas d'espèce, la marque à laquelle l'enregistrement des noms de domaine litigieux serait susceptible de porter atteinte est la propriété de la société COYOTE CONSEIL, non attraite dans la cause.

Enfin, les circonstances de l'espèce et la notoriété du signe « SORTEZ COUVERTS ! » justifient qu'une mesure de publication soit ordonnée, aux frais de la société MAJORELLE.

4- Sur la demande reconventionnelle de dommages et intérêts pour procédure abusive

Pour justifier de sa demande, la société MAJORELLE qualifie la présente action et les prétentions de la société POLIDIS et de [F] [G] d'extravagantes, lesquelles dénotent selon elle, une volonté d'instrumentalisation de la justice à d'autres fins que la défense d'un véritable droit de marque.

Toutefois, dans la mesure où il est partiellement fait droit aux prétentions des demandeurs, la procédure ne saurait être qualifiée d'abusive. La demande de dommages et intérêts formée de ce chef sera en conséquence rejetée.

5- Demandes relatives aux frais du litige et aux conditions d'exécution de la décision

La société MAJORELLE, partie perdante, supportera la charge des dépens.

Elle doit en outre être condamnée à verser à la société POLIDIS et à [F] [G] ensemble, qui ont dû exposer des frais irrépétibles pour faire valoir leurs droits, une indemnité de 7000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

L'exécution provisoire, compatible avec la nature de l'affaire, sera ordonnée.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal, statuant publiquement par jugement mis à disposition au greffe, contradictoire et en premier ressort,

ECARTE la fin de non-recevoir tirée du défaut de qualité et d'intérêt à agir de la société LABORATOIRE POLIDIS et de [F] [G] à l'encontre de la société LABORATOIRE MAJORELLE ;

DIT que la marque verbale française no 4482459 a été déposée en classe 5, 7 et 10 par la société LABORATOIRE MAJORELLE en fraude des droits de la société LABORATOIRE POLIDIS et de [F] [G] ;

DIT que la réservation des noms de domaine sortez-couvert.com, sortezcouvert.fr, sortez-couvert.net, sortezcouvert.net, sortez-couvert.org, sortezcouvert.org, sortez-couvert.paris, sortezcouvert.paris, sortez-couverts.com, sortezcouverts.com, sortez-couverts.fr, sortez-couverts.net, sortezcouverts.net, sortezcouverts.org, sortezcouverts.paris a été effectuée en fraude des droits de la société LABORATOIRE POLIDIS et de [F] [G] ;

CONSTATE que la marque verbale française no 4482459 a fait l'objet d'un refus d'enregistrement par l'INPI ;

DIT sans objet l'action en revendication de la marque verbale française no 4482459 ;

REJETTE la demande de transfert au profit de [F] [G] et de la société LABORATOIRE POLIDIS des noms de domaine intégrant le signe « sortez couvert » enregistrés par la société LABORATOIRE MAJORELLE ;

CONDAMNE la société LABORATOIRE MAJORELLE à verser à la société LABORATOIRE POLIDIS et à [F] [G] la somme de 5000 euros chacun, en réparation de leur préjudice moral ;

ORDONNE, à titre de supplément de dommages et intérêts et une fois le jugement devenu définitif, la publication dans 3 journaux ou revues, au choix des demandeurs et aux frais de la société LABORATOIRE MAJORELLE sans que le coût de chacune de ces insertions ne puisse excéder la somme de 5.000 euros H.T., du communiqué suivant :
« Par jugement en date du 26 février 2021 la société LABORATOIRE MAJORELLE a été condamnée pour avoir frauduleusement déposé le 15 septembre 2018 la marque verbale française no 4482459 « SORTEZ COUVERTS! » en classe 5, 7 et 10 au préjudice de [F] [G] et de la société LABORATOIRE POLIDIS ».

DEBOUTE la société LABORATOIRE MAJORELLE de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive ;

CONDAMNE la société LABORATOIRE MAJORELLE à verser à la société LABORATOIRE POLIDIS et de [F] [G] ensemble, la somme de 7 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE la société LABORATOIRE MAJORELLE aux dépens.

ORDONNE l'exécution provisoire.

Fait et jugé à Paris le 26 février 2021.

Le GreffierLe Président


Synthèse
Tribunal : Tribunal de grande instance de Paris
Formation : Ct0196
Numéro d'arrêt : 19/09000
Date de la décision : 26/02/2021

Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.grande.instance.paris;arret;2021-02-26;19.09000 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award