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18/12/2020 | FRANCE | N°19/04106

France | France, Tribunal de grande instance de Paris, Ct0196, 18 décembre 2020, 19/04106


TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS

3ème chambre 2ème section

No RG 19/04106
No Portalis 352J-W-B7D-CPRHT

No MINUTE :

Assignation du :
18 mars 2019
JUGEMENT
rendu le 18 décembre 2020
DEMANDERESSES

Madame [W] [U] [Y]
[Adresse 6]
[E] [H]
TEHERAN
IRAN

S.A.R.L. MELMAX
[Adresse 1]
[Localité 5]

représentés par Maître Delphine LEFAUCHEUX de la SELARL KOHN ET ASSOCIES, avocats au barreau de PARIS, vestiaire #P0233

DÉFENDEURS

Monsieur [O] [J]
[Adresse 3]
[Localité 8]

S.A.R.L. LON

G DISTANCE PRODUCTIONS (STUDIOS BABEL)
[Adresse 4]
[Localité 8]

représentés par Maître Michael MAJSTER de l'AARPI CBR et ASSOCIES, avocats au barreau de PARIS, ...

TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS

3ème chambre 2ème section

No RG 19/04106
No Portalis 352J-W-B7D-CPRHT

No MINUTE :

Assignation du :
18 mars 2019
JUGEMENT
rendu le 18 décembre 2020
DEMANDERESSES

Madame [W] [U] [Y]
[Adresse 6]
[E] [H]
TEHERAN
IRAN

S.A.R.L. MELMAX
[Adresse 1]
[Localité 5]

représentés par Maître Delphine LEFAUCHEUX de la SELARL KOHN ET ASSOCIES, avocats au barreau de PARIS, vestiaire #P0233

DÉFENDEURS

Monsieur [O] [J]
[Adresse 3]
[Localité 8]

S.A.R.L. LONG DISTANCE PRODUCTIONS (STUDIOS BABEL)
[Adresse 4]
[Localité 8]

représentés par Maître Michael MAJSTER de l'AARPI CBR et ASSOCIES, avocats au barreau de PARIS, vestiaire #R0139

SOCIETE DES AUTEURS COMPOSITEURS ET EDITEURS DE MUSIQUE (SACEM)
[Adresse 2]
[Localité 7]

défaillante

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Florence BUTIN, Vice-Présidente
Catherine OSTENGO, Vice-présidente
Emilie CHAMPS, Vice-Présidente

assistées de Géraldine CARRION, greffier

DÉBATS

A l'audience du 19 novembre 2020
tenue en audience publique

JUGEMENT

Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe
Réputé contradictoire
en premier ressort

EXPOSE DU LITIGE

[W] [U] [Y], dit [W] [U] se présente comme une actrice reconnue notamment en Iran, où elle réside. Elle est également auteur-compositeur et artiste-interprète, activités qu'elle indique exercer sous le pseudonyme [W] [I].

[W] [U] expose avoir, sous ce pseudonyme, adapté, composé et interprété deux chansons intitulées « Man O To » et « Red Dervish » dérivées de musiques et de poèmes traditionnels iraniens, ce pour le film « Bab'Aziz » réalisé en 2005 par [N] [K].

[O] [J] se présente comme un auteur-compositeur français d'oeuvres musicales pour le cinéma, la télévision et la danse. Il indique avoir composé et enregistré une vingtaine de morceaux pour le film « Bab'Aziz ».

La société LONG DISTANCE PRODUCTIONS immatriculée au registre du commerce et des sociétés de Paris le 19 décembre 2012 a notamment pour activité la post-production de films cinématographiques, de vidéo et de programmes de télévision ainsi que la production musicale des enregistrements tirés des oeuvres composées par [O] [J] qui en est le co-fondateur. Elle s'est vue confier la production exécutive de la bande originale du film « Bab'Aziz ».

La société MELMAX, immatriculée en 2002 au registre du commerce et des sociétés de Paris a pour activité l'édition musicale et la production d'enregistrements sonores. Elle est notamment l'éditeur de [W] [I].

Le 15 mars 2005, la société LONG DISTANCE PRODUCTIONS a conclu avec la société NAIVE un contrat de licence afin de commercialiser un album reproduisant l'intégralité de la bande originale du film « Bab' Aziz ».

Le 20 février 2015, ces deux sociétés ont conclu avec la société ADAMA, un contrat de synchronisation de l'oeuvre « Man O To » reproduite dans le film « Nous Trois ou Rien » réalisé par [V] ainsi qu'un contrat de licence d'exploitation du phonogramme avec la société GAUMONT, signé le 4 septembre 2016 mais prenant effet le 4 novembre 2015.

Le 2 août 2016 la société LONG DISTANCE PRODUCTIONS a ensuite conclu un contrat intitulé « Sample clearance contract » avec la société PIOJITO LTD T/A CROSSTOWN REBELS qui faisait suite à la commercialisation non autorisée depuis 2012, d'un remix de la chanson « Man O To » interprété par [D] [F] agissant sous le pseudonyme « NU ».

[W] [U] expose avoir découvert qu'[O] [J] a déposé en son nom personnel auprès de la SACEM, d'une part la chanson « Man O To » d'autre part, la chanson « Red Dervish » sous l'intitulé « Song of the Red Dervish » ces deux oeuvres ayant été commercialisées par la société LONG DISTANCE PRODUCTIONS et indique que la chanson « Man O To » a été exploitée et « samplée » sans son accord, ce qui l'a amenée à mettre en demeure [O] [J] et la société LONG DISTANCE PRODUCTIONS par courrier du 29 juin 2019, d'avoir à renoncer aux dépôts des deux oeuvres litigieuses, à cesser leur commercialisation, exploitation et enregistrement et à indemniser son préjudice.

C'est dans ces conditions que par assignations délivrées les 18 et 28 mars 2019 et 3 avril 2019, [W] [U] et la société MELMAX ont fait citer [O] [J], la société LONG DISTANCE PRODUCTIONS et la SOCIETE DES AUTEURS COMPOSITEURS ET EDITEURS DE MUSIQUE (SACEM), en contrefaçon de droits d'auteur et droits voisins d'artiste-interprète relatifs aux deux chansons « Man O To » et « Red Dervish ».

Elles présentent, aux termes de leurs dernières conclusions signifiées par voie électronique le 9 septembre 2020 , les demandes suivantes :

Vu les pièces versées aux débats,
Vu les articles L113-1, L121-1, L 212-2, L212-3, L 335-3, L 335-4 et L331-1-3 du Code de la Propriété Intellectuelle,

IN LIMINE LITIS, SUR LES FINS DE NON-RECEVOIR DES DEFENDEURS

- REJETER les fins de non-recevoir formulées par les défendeurs à l'encontre de la société MELMAX ;

- DIRE ET JUGER la société MELMAX recevable à agir ;

- DIRE ET JUGER non prescrites les demandes de [W] [U] et de la société MELMAX tant au titre de l'usurpation de la qualité d'auteur-compositeur par [O] [J] de l'oeuvre musicale « Man O To », qu'au titre des exploitations contrefaisantes qui ont été faites par la société LONG DISTANCE des oeuvres et enregistrements « Man O To » et « Red Dervish » en violation des droits d'auteur et d'artiste interprète de [W] [U] et de son éditeur MELMAX, et ce, y compris pour les exploitations antérieures au 18 mars 2014 en raison des circonstances de l'espèce ;

SUR LE FOND

SUR LE TERRAIN DU DROIT D'AUTEUR

S'agissant de l'oeuvre musicale « Man O To »

- DIRE ET JUGER que [O] [J] et la société LONG DISTANCE PRODUCTIONS ont sciemment usurpé la qualité respectivement d'auteur-compositeur, d'une part, et d'éditeur, d'autre part, de l'oeuvre musicale « Man O To », qu'ils ont déposée à la SACEM en la déclarant de manière mensongère sous leur nom à la SACEM, et ce, au préjudice de [W] [U] (sous son pseudonyme [W] [I]) et de la société MELMAX, respectivement auteur/adaptateur -compositeur et éditeur de ladite oeuvre ;

En conséquence,

- PRONONCER l'annulation du bulletin de déclaration de [O] [J] et de son éditeur, LONG DISTANCE PRODUCTIONS, de l'oeuvre « Man O To » ;

- DIRE ET JUGER contrefaisantes toutes les exploitations de l'oeuvre « Man O To » auxquelles [O] [J] et la société LONG DISTANCE PRODUCTIONS ont procédé, soit directement, soit par le biais de la SACEM du fait de leur dépôt de l'oeuvre en leur nom auprès de cette société de gestion collective ;

- FAIRE INTERDICTION à [O] [J] et à son éditeur la société LONG DISTANCE PRODUCTIONS d'exploiter l'oeuvre « Man O To » ;

- ORDONNER à la société LONG DISTANCE PRODUCTIONS la communication aux concluants, sous astreinte de 500 euros par jour de retard à compter d'un délai de 8 jours suivant la notification de la décision à intervenir, la copie de ses livres comptables, pour la partie des comptes de produits, sur les 5 dernières années ;
- ORDONNER à la SACEM la communication aux demandeurs du récapitulatif des sommes versées à [O] [J] et à la société LONG DISTANCE PRODUCTIONS se rattachant à l'oeuvre « Man O To » et ce, depuis le début de son exploitation ;

- CONDAMNER conjointement et solidairement [O] [J] et la société LONG DISTANCE PRODUCTIONS à payer à [W] [U] et à son éditeur MELMAX, selon une répartition égalitaire de 50% chacun, la somme de 20.000 euros au titre du préjudice moral et la somme de 40.000 euros au titre du préjudice matériel, sauf à parfaire à hauteur de la différence, si le récapitulatif fournis par la SACEM montre que les sommes perçues par [O] [J] et à la société LONG DISTANCE PRODUCTIONS se rattachant à l'oeuvre « Man O To » sont supérieures à 40.000 euros,
- CONDAMNER conjointement et solidairement [O] [J] et la société LONG DISTANCE PRODUCTIONS à payer à [W] [U] la somme de 20.000 euros à titre de dommages et intérêts pour l'atteinte à son droit moral d'auteur (droit de paternité) ;

S'agissant de l'oeuvre musicale « Red Dervish » publiée phonographiquement par la société LONG DISTANCE PRODUCTIONS sous le nom « Song of the Red Dervish » en titre no8 du CD 2 de l'Album de la BOF du film « Bab Aziz » (Pièce no18) :

- DIRE ET JUGER que l'exploitation par la société LONG DISTANCE PRODUCTION de l'enregistrement reproduisant l'oeuvre « Red Dervish » - qui n'était alors pas déposée à la SACEM– sans avoir obtenu ni même demandé l'accord de [W] [U], auteur/adaptateur et compositeur de l'oeuvre, ou avoir régularisé par la suite la situation avec son éditeur MELMAX, constitue une exploitation contrefaisante, portant atteinte à leurs droits patrimoniaux d'auteur ;

- DIRE ET JUGER que l'exploitation par la société LONG DISTANCE PRODUCTION de l'oeuvre « Red Dervish » qu'elle a publié phonographiquement sous un autre titre, « Song of the Red Dervish » engendrant une confusion, a en outre porté atteinte au droit moral de [W] [U] ;

En conséquence,

- CONDAMNER la société LONG DISTANCE PRODUCTIONS à payer à [W] [U] et à son éditeur MELMAX, la somme de 40.000 euros (à répartir par moitié entre eux en application de leurs accords), à titre de dommages et intérêts au titre de l'atteinte à leurs droits patrimoniaux d'auteur ;

- CONDAMNER la société LONG DISTANCE PRODUCTIONS à payer à [W] [U] la somme de 20.000 euros à titre de dommages et intérêts au titre de l'atteinte à son droit moral (droit de paternité et droit au respect de l'oeuvre) ;

- DIRE ET JUGER commun à la société des Auteurs Compositeurs et Editeurs de Musique (SACEM) le jugement à intervenir ;

A TITRE SUBSIDIAIRE,SUR LE TERRAIN DU PARASITISME dans l'hypothèse où, par impossible, la protection de Droit d'auteur ne serait pas reconnue aux oeuvres « Man O To » et « Red Dervish »,

- DIRE ET JUGER que [O] [J] et sa société LONG DISTANCE PRODUCTIONS sont coupables d'agissements parasitaires au préjudice de [W] [U] et de la société MELMAX

En conséquence,

- CONDAMNER conjointement et solidairement [O] [J] et la société LONG DISTANCE PRODUCTIONS à payer à [W] [U] et la société MELMAX, selon une répartition égalitaire de 50% chacun, la somme de 120.000 euros sur le fondement du parasitisme ;
SUR LE TERRAIN DS DROITS VOISINS D'ARTISTE INTERPRETE

- DIRE ET JUGER que l'exploitation par la société LONG DISTANCE PRODUCTION des phonogrammes « Man O To » et « Song of the Red Dervish » (version de la Pièce no18-2) sans l'accord écrit de [W] [U], en qualité d'artiste-interprète, porte atteinte à ses droits voisins d'artiste-interprète ;

- ORDONNER à LONG DISTANCE PRODUCTIONS la cessation de toute exploitation des enregistrements des interprétations de [W] [U] des oeuvres « Man O To » et « Red Dervish » (publiée sous le nom « Song of the red Dervish »), et ce, sous astreinte de 500 euros par jour de retard, passé un délai de 15 jours suivant la date de signification du jugement à intervenir ;

- ORDONNER à LONG DISTANCE PRODUCTIONS de procéder aux notifications de cette interdiction aux plateformes YouTube et Soundcloud, afin de demander la suppression des contenus accessibles aux adresses URL reproduites en p. 12 à 14 de la présente assignation et visées dans le constat d'huissier produit aux débats (Pièce no37), et ce, sous astreinte de 500 euros par jour de retard, passé un délai de 15 jours suivant la date de signification du jugement à intervenir ;

- CONDAMNER la société LONG DISTANCE PRODUCTIONS à payer à [W] [U] la somme forfaitaire de 100.000 euros au titre de l'atteinte à ses droits voisins d'artiste interprète, dont 60.000 euros au titre de son droit moral ;

EN TOUT ETAT DE CAUSE

- CONDAMNER conjointement et solidairement [O] [J] et la société LONG DISTANCE PRODUCTIONS à payer à [W] [U] et à son éditeur MELMAX, selon une répartition égalitaire de 50% chacun, la somme de 15.000 euros au titre de l'article 700 du CPC ;

- LES CONDAMNER conjointement et solidairement aux dépens ;

- PRONONCER l'exécution provisoire du jugement à intervenir.

Dans leurs dernières conclusions signifiées par voie électronique le 31 août 2020, [O] [J], et la société LONG DISTANCE PRODUCTIONS demandent au tribunal :

Vu l'article 31 du Code de procédure civile,
Vu les articles L. 111-1, L.112-3, L. 212-2 et L. 212-4 du Code de la propriété intellectuelle,

A titre liminaire :

- DECLARER la société MELMAX irrecevable à agir pour défaut d'intérêt à agir ;

En conséquence,

- DEBOUTER la société MELMAX de l'intégralité de ses demandes, fins et prétentions ;

- DECLARER prescrite l'intégralité des demandes de [W] [U] et la société MELMAX au titre des exploitations des oeuvres et enregistrements « Red Dervish » et « Man O To » antérieures au 18 mars 2014 ;

En conséquence,

- DEBOUTER [W] [U] et la société MELMAX de l'intégralité de leurs demandes, fins et prétentions antérieures au 18 mars 2014 ;

A titre principal :

- CONSTATER que l'oeuvre « Song of the Red Dervish » déposée par la société NAIVE et composée par [O] [J] et son enregistrement sont distincts de l'oeuvre « Red Dervish » tirée du folklore perse et de son enregistrement interprété par [W] [U] ;

- CONSTATER que [W] [U] et la société MELMAX ont en conséquence retiré leurs demandes à l'encontre de l'oeuvre « Song of the Red Dervish » et de son enregistrement ;

- DEBOUTER [W] [U] et la société MELMAX de l'ensemble de leurs demandes à l'encontre de l'oeuvre « Red Dervish » et de son enregistrement ;

- DIRE ET JUGER que [W] [U] n'est titulaire d'aucun droit d'auteur concernant l'oeuvre « Man O To » ;

- DEBOUTER [W] [U] de ses demandes fondées sur ses prétendus droits patrimoniaux d'artiste-interprète ;

- DIRE ET JUGER qu'aucune atteinte au droit moral de [W] [U] n'est constituée ;

- En conséquence, DEBOUTER [W] [U] de l'ensemble de ces demandes fondées sur ce grief ;

- DEBOUTER les demandeurs de leur demande d'annulation du bulletin de déclaration SACEM de l'oeuvre « Man O To » étant toutefois précisé que [O] [J] s'engage à se rapprocher de la SACEM afin de reverser ses droits issus du dépôt au Comité du C?ur, organisme de bienfaisance de la SACEM ;

- CONSTATER que [O] [J] et LONG DISTANCE PRODUCTIONS ont communiqué l'ensemble des redditions de comptes afférentes à « Man O To » et en conséquence DEBOUTER les demandeurs de leur demande de communication de documents comptables ;

- DEBOUTER [W] [U] et la société MELMAX de leur demande de condamnation au paiement de 20.000 euros au titre du préjudice moral et la somme de 40.000 euros au titre du préjudice matériel ou, à tout le moins, le ramener à de plus justes proportions (20% des droits d'auteurs générés par l'oeuvre depuis temps non prescrit) ;

- DEBOUTER [W] [U] et la société MELMAX de leur demande de cessation d'exploitation de l'enregistrement « Man O To » et de la notification aux plateformes ;

- DEBOUTER [W] [U] de sa demande de condamnation au paiement de 100.000 euros ou, à tout le moins, la ramener à de plus justes proportions ;

- REJETER purement et simplement le grief de parasitisme allégué par [U] et la société MELMAX à l'encontre des défendeurs ;

A titre subsidiaire :

- FIXER le préjudice de [W] [U] à 20% (vingt pour cent) des recettes perçues par [J] et LONG DISTANCE PRODUCTIONS au titre des exploitations tant de l'oeuvre que de l'enregistrement « Man O To » depuis le 14 mars 2014, soit la somme de 14.389,864 euros ;

En tout état de cause :

- CONDAMNER solidairement [W] [U] et la société MELMAX à verser à [O] [J] et à la société LONG DISTANCE PRODUCTIONS la somme de 30.000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- CONDAMNER [W] [U] et la société MELMAX aux entiers dépens.

La SACEM n' pas constitué avocat mais a fait parvenir le 15 avril 2019 un courrier à la juridiction indiquant qu'elle appliquera la décision à venir en précisant que l'oeuvre « Song of Red dervish » est éditée par la société NAIVE aux droits de laquelle vient la société BELIEVE et non par la société LONG DISTANCE PRODUCTIONS.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 17 septembre 2020, et l'affaire plaidée le 19 novembre 2020.

Pour un exposé complet de l'argumentation des parties il est, conformément à l'article 455 du code de procédure civile, renvoyé à leurs dernières conclusions précitées.

MOTIFS

1- Sur les fins de non-recevoir

1.1- Sur la fin de non recevoir tirée du défaut de qualité à agir de la société MELMAX

Les défendeurs font valoir que le contrat d'édition liant les demanderesses étant daté du 16 janvier 2018, jour du dépôt par leurs soins, des oeuvres litigieuses à la SACEM, la société MELMAX ne disposait pas, jusqu'à cette date, de la qualité d'éditeur. Ils ajoutent que cette société ne justifie par ailleurs d'aucun préjudice personnel dans la mesure où elle ne rapporte pas la preuve de l'édition effective des oeuvres litigieuses.

Les demanderesses répliquent que la société MELMAX est la cessionnaire exclusive des droits de reproduction et de représentation des oeuvres « Man O To » et « Red Dervish » suivant contrat d'édition signé le 16 janvier 2018 et lettre accord du 11 mars 2020 qui prévoit une cession au profit de l'éditeur des droits d'auteur et des créances indemnitaires résultant d'atteintes antérieures.

Sur ce,

Les demanderesses produisent un contrat d'édition relatif notamment aux chansons « Red Dervish » et « Man O To » signé entre elles le 16 janvier 2018 ainsi qu'une lettre-accord venant préciser que les parties s'accordent sur le fait que ce contrat emporte cession au profit de l'éditeur de toutes les créances de droits d'auteur nées antérieurement à la date de signature du contrat et de toute les créances indemnitaires relatives à des exploitations contrefaisantes des oeuvres qui en sont l'objet, y compris lorsqu'elles sont antérieures au 16 janvier 2018.

Ces documents suffisent à établir la qualité à agir de la société MELMAX sans qu'il soit nécessaire de rechercher les conditions dans lesquelles ce contrat d'édition est effectivement exécuté.

1.2 - Sur la fin de non recevoir tirée de la prescription des demandes fondées sur des faits antérieurs au 14 mars 2014

Les demandeurs concluent à l'irrecevabilité des demandes portant sur les faits antérieurs de plus de cinq ans à la date de l'assignation en exposant que le point de départ du délai de prescription correspond à la date de la première exploitation litigieuse -débutée en 2005- et que [W] [U] ne démontre pas ne pas avoir été en mesure de la connaître.

Les demanderesses répliquent que [W] [U] n'a découvert l'exploitation illicite de ses oeuvres qu'en 2016, lorsque le titre « Man O To » a été utilisé dans le film « Nous trois ou rien » et rappelle que vivant en Iran, elle n'a pas un accès libre à l'information.

Sur ce,

En l'absence de disposition particulière prévue par le code de la propriété intellectuelle sur la prescription des actions fondées sur le droit d'auteur, celle-ci est soumise aux règles du droit commun édictées par l'article 2224 du code de procédure civile aux termes duquel "les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits qui permettraient de l'exercer" ce qui implique que chaque acte invoqué comme constitutif de contrefaçon fait courir un nouveau délai de prescription.

En l'espèce, les demandes portent en premier lieu sur la reproduction des deux chansons « Man O To » et « Red Dervish » par la société NAIVE en exécution d'un contrat de licence relatif à la commercialisation de la bande originale du film « Bab' Aziz » en date du 15 mars 2005.

En second lieu, l'action est fondée sur la reproduction de la seule chanson « Man O To » dans le cadre d'un contrat signé le 20 février 2015 avec la société ADAMA suivi d'un contrat de licence d'exploitation signé avec la société GAUMONT 13 septembre 2016.

Ensuite, [L] [U] et la société MELMAX fondent leurs demandes sur la signature le 2 août 2016, d'un contrat de « sample » avec la société PIOJITO LTD T/A CROSSTOWN REBELS.

Il est enfin reproché à [O] [J] d'avoir déposé la chanson « Man O To » auprès de la SACEM en 2016.

Les demanderesses ne contestent pas l'application du délai de prescription quinquennal mais font valoir que son point de départ ne peut être fixé antérieurement à la date à laquelle [W] [U] indique avoir été personnellement informée de la reproduction de ses chansons, en septembre 2016.

Il sera cependant relevé que le contrat signé par la société LONG DISTANCE PRODUCTIONS le 15 mars 2005, a été suivi de la diffusion au public de la bande originale du film « Bab's Aziz » et [W] [U] qui soutient ne pas avoir été en mesure d'en être informée du fait de la censure sévissant dans son pays, ne produit à l'appui de ses dires aucune pièce de nature à établir qu'elle était privée de tout moyen de communication lui permettant d'accéder à cette information. Il sera à cet égard rappelé que la co-productrice du film litigieux est [X] [P] la mère de [W] [U], laquelle a nécessairement été informée de la cession des droits sur la bande originale du film à [O] [J].

Dans ces conditions, il doit être considéré que le délai de prescription s'agissant de l'exploitation de ses oeuvres en application de ce contrat, a commencé à courir en 2005.

Or, les défendeurs soutiennent que depuis sa parution, l'album de la bande originale du film « Bab'Aziz » ne fait plus l'objet d'aucune exploitation et n'est d'ailleurs plus disponible à la vente.

En l'absence de démonstration contraire de la part des demanderesses et les assignations ayant été délivrées les 18 et 28 mars 2019, leurs prétentions relatives à la reproduction des deux chansons « Man O To » et « Red Dervish » en exécution du contrat de licence du 15 mars 2005 doivent être déclarées irrecevables.

En revanche, compte tenu de la date des autres faits reprochés, postérieurs à janvier 2016, aucune prescription ne peut à leur égard être opposée à [W] [U] et à la société MELMAX, étant rappelé que ces faits oncernent uniquement la chanson « Man O To ».

2- Sur la protection par le droit d'auteur

Les défendeurs soutiennent que la chanson revendiquée sous le titre « Man O To » est issue d'un poème et d'une mélodie traditionnels persans qui font partie du fond commun du folklore iranien et que le travail d'interprétation auquel [W] [U] s'est livrée ne peut être considéré comme une adaptation protégée par le droit d'auteur. Ils ajoutent que la déclaration à leur initiative de cette chanson au répertoire de la SACEM ne permet pas de juger qu'ils en reconnaissent l'originalité et soutiennent que cette démarche a été effectuée dans une intention de protection et non d'appropriation.

Les demanderesses répliquent que dans la mesure où [O] [J] a déposé « Man O To » auprès de la SACEM, il ne peut pertinemment lui dénier la qualité d'oeuvre sans se voir déclarer irrecevable par application du principe de l'estoppel. Elles font ensuite valoir que l'originalité d'une oeuvre peut résulter d'une combinaison personnelle d'éléments qui sont dans le domaine public et qu'au cas d'espèce, l'adaptation à laquelle [W] [U] s'est livrée constitue une oeuvre dérivée protégée par le droit d'auteur.

Sur ce,

L'article L.111-1 du code de la propriété intellectuelle dispose que l'auteur d'une oeuvre de l'esprit jouit sur cette oeuvre, du seul fait de sa création et dès lors qu'elle est originale, d'un droit de propriété incorporelle exclusif comportant des attributs d'ordre intellectuel et moral ainsi que des attributs d'ordre patrimonial. L'originalité de l'oeuvre, qu'il appartient à celui invoquant la protection de caractériser, suppose qu'elle soit issue d'un travail libre et créatif et résulte de choix arbitraires révélant la personnalité de son auteur.

Il résulte par ailleurs de l'article L113-2 alinéa 2 du même code, que l'oeuvre nouvelle à laquelle est incorporée une oeuvre préexistante sans la collaboration de l'auteur de cette dernière mais avec son autorisation, bénéficie de la protection de l'article L.111-1 précité dès lors qu'elle porte l'empreinte de la personnalité de son auteur.

L'originalité de l'oeuvre composite ou dérivée doit s'apprécier indépendamment des éléments qui la composent, elle réside soit dans l'agencement des différents éléments soit dans l'apport s'il est original (Cour de cassation, Chambre civile 1, 15 Février 2005 - no 02-16.957)

En l'espèce, il sera à titre liminaire relevé que la titularité des droits de [W] [U] sur la chanson « Man O To » n'est pas contestée, l'argumentation des défendeurs visant exclusivement à établir que celle-ci n'étant pas originale, elle ne peut bénéficier de la protection du droit d'auteur.

Il est constant que les paroles de cette chanson sont issues du poème intitulé « Mathnawî » écrit par [T] [T] [T] poète persan du XIIIème siècle. Quant à la mélodie, [W] [U] indique l'avoir puisée dans la musique traditionnelle. Elle ne revendique d'ailleurs pas chacune de ces composantes prise individuellement, mais leur combinaison.

Les défendeurs pour leur part, ne contestent l'originalité ni du poème ni de la mélodie mais soutiennent que [W] [U] s'est livrée à une simple interprétation, a capella, donc sans harmonie particulière.
Le Professeur [J] [S] du conservatoire« Trinity Laban Conservatoire of Music and Dance » indique dans son attestation produite aux débats que les modèles mélodiques standard de la musique classique iranienne sont codi és et que les artistes iraniens, pour former une chanson sélectionnent des musiques dans ce fond commun qu'ils accompagnent de poésie classique, d'éléments improvisés ou de compositions originales. Il ajoute s'agissant de « Man O To » que ce morceau « a été composé selon la même discipline en matière de composition iranienne » en précisant : « Elle ([W] [U]) a improvisé (dans le système modal) Homayoun dastg h (et [Z] [M]). Les degrés d'échelle sont F G Ap B C D Eb. Le ton de récitation (? hed) est sur C, la hauteur initiale ( ? z) peut être sur C ou G, la hauteur cadentielle ( st) peut être C ou Ap, et la hauteur finale est sur G (bien que plus tôt dans le siècle, il a conclu sur F) ». (pièce DEM no50-1 et 50-2)

C'est en effet ce procédé que [W] [U] a adopté pour concevoir la chanson « Man O To » comme cela résulte des témoignages qu'elle produit aux débats, plus particulièrement de celui de l'ingénieur du son qui l'a enregistrée en vue de son intégration au film « Bab'Aziz » et qui lui écrit «vous avez affiné et adapté les oeuvres, en testant différentes mélodies jusqu'à ce que nous parvenions à une adaptation qui nous plaise ». (pièce DEM 15-2)

[A] [G] directeur photo du film atteste pour sa part avoir été témoin de ce que [W] [U] a sélectionné des poèmes et les a arrangés sur la base de mélodies traditionnelles. (pièce DEM 14-2)

Dans la mesure où [W] [U] a librement sélectionné parmi des centaines de textes et de mélodies ceux qui devaient composer la chanson « Man O To » et qu'elle a choisi de les associer dans une interprétation personnelle, cette combinaison traduit nécessairement un effort créatif et porte l'empreinte de sa personnalité.

Il s'ensuit que cette chanson est éligible à la protection par le droit d'auteur.

3- actes de contrefaçon de droits d'auteur et atteinte au droit moral

Les demanderesses exposent en premier lieu que « Man O To » a abusivement été déposée à la SACEM par [O] [J] et la société LONG DISTANCE PRODUCTIONS en qualité d'auteur-compositeur et d'éditeur ce qui constitue selon elles outre une usurpation de qualité, un acte de contrefaçon. En second lieu, il leur est reproché d'avoir commercialisé le double album de la bande originale du film « Bab Aziz », incluant la chanson litigieuse puis d'avoir concédé une licence d'exploitation pour son intégration dans un morceau de musique électronique particulièrement attentatoire, selon elles, au droit moral de l'auteur. Enfin, les défenderesses invoquent la conclusion par la société LONG DISTANCE PRODUCTIONS d'un contrat de synchronisation pour l'utilisation du Master de « Man O To » dans le film « Nous trois ou Rien » produit par la société GAUMONT.

Les défendeurs répliquent d'une part que « Man O To » étant désormais déposée à la SACEM par [W] [U] seul cet organisme a qualité pour agir en contrefaçon et d'autre part, que celle-ci ne peut invoquer une quelconque atteinte à son droit moral d'auteur faute d'avoir cette qualité et qu'en tout état de cause, les exploitations litigieuses de la chanson dans des oeuvres dérivées n'ont pas été effectuées à leur initiative puisque les vidéos qui circulent sur internet n'ont jamais été autorisées et ont été mises en ligne par des utilisateurs de plateformes de partage de contenus. Ils précisent avoir finalement négocié les termes d'un contrat de « sample » sans l'autorisation préalable de [L] [U], parce que celle-ci était demeurée injoignable.

Sur ce,

Aux termes de l'article L121-1 du code de la propriété intellectuelle l'auteur jouit du droit au respect de son nom, de sa qualité et de son oeuvre.

En application des dispositions des articles L122-1 et L122-4 du code de la propriété intellectuelle, le droit d'exploitation appartenant à l'auteur comprend le droit de représentation et le droit de reproduction, et toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite.
Il en est de même pour la traduction, l'adaptation ou la transformation, l'arrangement ou la reproduction par un art ou un procédé quelconque.
La contrefaçon d'une oeuvre protégée par le droit d'auteur, qui n'implique pas l'existence d'un risque de confusion, consiste dans la reprise de ses caractéristiques reconnues comme étant constitutives de son originalité.
La contrefaçon s'apprécie selon les ressemblances et non d'après les différences. Elle ne peut toutefois être retenue lorsque les ressemblances relèvent de la reprise d'un genre et non de la reproduction de caractéristiques spécifiques de l'oeuvre première.

Il sera à titre liminaire rappelé que les membres de la SACEM par leur adhésion, lui cèdent le droit d'ester en justice dans tout procès intenté contre des tiers sur le fondement des droits d'exécution publique ou représentation publique ou de reproduction mécanique apportés par lui, mais que cette cession porte exclusivement sur les droits patrimoniaux de l'auteur et qu'elle ne prend effet qu'à la date de l'adhésion, de sorte que les défendeurs ne peuvent utilement soutenir que les demanderesses n'ont pas qualité pour agir en contrefaçon du fait de la déclaration à la SACEM de la chanson « Man O To » intervenue le 16 janvier 2018.

Sur le fond, la déclaration d'une chanson au répertoire de la SACEM en infraction des droits de l'auteur doit être considérée comme constitutive d'une contrefaçon dans la mesure où elle prive celui-ci de la perception des droits qui sont attachés à sa qualité et porte par ailleurs atteinte à son droit à la paternité de l'oeuvre.

En l'espèce, [O] [J] et la société LONG DISTANCE PRODUCTIONS ont procédé au dépôt "Man O To" respectivement en qualité d'auteur-compositeur et d'éditeur or, il résulte des précédents développements qu'elle est l'oeuvre de [W] [U] dont l'éditeur est le société MELMAX. Ces faits sont constitutifs d'actes de contrefaçon et portent par ailleurs atteinte aux droits moraux de l'auteur.

Il n'est en outre pas contesté que la société LONG DISTANCE PRODUCTIONS et la société NAIVE ont signé avec la société ADAMA, un contrat de synchronisation incluant cession des droits de reproduction de la chanson "Man O To". Ce contrat signé le 20 février 2015 précise qu'[O] [J] en est l'auteur compositeur, [W] [U] [U] n'étant mentionnée qu'en qualité d'interprète. (pièce no11 DEM)

La société LONG DISTANCE PRODUCTION a ensuite signé, le 13 septembre 2016, avec la société GAUMONT un contrat de licence non exclusive d'exploitation du phogramme "Man O To" prenant effet le 4 novembre 2015, dans lequel il est seulement indiqué que l'interprète est [W] [U].

Le 2 août 2016 enfin, la société LONG DISTANCE PRODUCTIONS a signé avec la société PIOJITO LTD T/A CROSSTOWN REBELS un contrat de "sample" autorisant la reproduction de "Man O To".

Ces trois contrats signés sans l'autorisation de [W] [U] constituent autant d'actes de contrefaçon à son préjudice et celui de son éditeur la société MELMAX.

Ils portent par ailleurs atteinte au droit à la paternité de [W] [U] qui est systématiquement citée en sa qualité d'interprète mais non d'auteur compositeur.

Enfin, le contrat signé le 2 août 2016 ayant permis à l'artiste [D] [F] connu sous le pseudonyme "NU" d'intégrer "Man O To" dans un morceau de musique électronique qui en constitue une dénaturation, cette atteinte à l'intégrité de l'oeuvre doit également être imputée à la société LONG DISTANCE PRODUCTIONS signataire du contrat qui en cette qualité, ne pouvait ignorer l'usage qui serait fait de la chanson originale étant relevé de son propre aveu, que ette convention est venue régulariser une situation préexistante.

4- Sur la protection au titre des droits voisins du droit d'auteur

Les défendeurs ne contestent pas la qualité d'artiste-interprète à [W] [U] mais font valoir qu'elle n'est pas titulaire des droits patrimoniaux qui y sont associés puisque "Man O To" a été interprétée spécifiquement pour les besoins du film "Bab'Aziz" et qu'elle entre donc dans le champ d'application de l'article L 212-4 du code de la propriété intellectuelle qui instaure une présomption de cession des droits des artistes-interprètes au profit du producteur d'une oeuvre audiovisuelle.

[W] [U] réplique sur ce point qu'en l'absence de contrat de cession de ses droits au producteur du film « Bab'Aziz », ils ne peuvent utilement soutenir qu'elle n'est pas titulaire des droits patrimoniaux.

Sur le fond, elle fait valoir que les contrats signés par la société LONG DISTANCE PRODUCTIONS sans son autorisation portent atteinte outre à ses droits d'auteur, à ceux attachés à sa qualité d'interprète. Elle précise à cet égard que la diffusion de sa prestation sur internet se fait au péril de sa sécurité puisque sa véritable identité y est révélée et que son interprétation a été détournée pour être reprise en boucle dans un morceau de musique électronique, associée à des images tendancieuses, ce qui constitue une atteinte tant à son droit à la paternité qu'à l'intégrité de son interprétation.

Les défendeurs lui répliquent qu'elle ne rapporte pas la preuve de ce que ses interprétations ont toujours été publiées sous son pseudonyme « [W] [I] » afin de protéger son identité et qu'ils ne peuvent être tenus pour responsables de la diffusion de vidéos sur internet. Ils font valoir qu'au contraire, après la reprise non autorisée par l'artiste « NU » de la chanson « Man O To » ils sont immédiatement intervenus afin de négocier un contrat de cession de droits auquel ils n'ont pu associer [W] [U] qui n'était alors pas joignable.

Sur ce,

L'article L. 212-1 du code de la propriété intellectuelle dispose qu' « à l'exclusion de l'artiste de complément, considéré comme tel par les usages professionnels, l'artiste-interprète ou exécutant est la personne qui représente, chante, récite, déclame, joue ou exécute de toute autre manière une oeuvre littéraire ou artistique, un numéro de variétés, de cirque ou de marionnettes ».

Selon l'article L. 212-2 du même code, il a le droit « au respect de son nom, de sa qualité et de son interprétation ».

Et en application de l'article L.212-3 « sont soumises à l'autorisation écrite de l'artiste-interprète la fixation de sa prestation, sa reproduction et sa communication au public, ainsi que toute utilisation séparée du son et de l'image de la prestation lorsque celle-ci a été fixée à la fois pour le son et l'image ».

Enfin, l'article L 212-4 dispose que « la signature du contrat conclu entre un artiste-interprète et un producteur pour la réalisation d'une oeuvre audiovisuelle vaut autorisation de fixer, reproduire et communiquer au public la prestation de l'artiste-interprète ».

Il résulte de ces dispositions que les artistes-interprètes sont titulaires de droits patrimoniaux et d'un droit moral.

En l'espèce, il est constant que [W] [U] a interprété deux chansons qui ont été intégrées à la bande son du film « Bab's Aziz » mais il résulte de l'attestation de [X] [P] co-productrice, qu'aucun contrat n'a été formalisé à cette occasion.

Les défendeurs ne le contestent d'ailleurs pas dans la mesure où il exposent que [W] [U] omet de préciser dans ses écritures qu'elle est la fille de [X] [P], ce qui explique selon eux, l'absence de contrat écrit.

Aucun contrat n'ayant été signé entre [W] [U] et le producteur du film « Bab'Aziz », [O] [J] et la société LONG DISTANCE PRODUCTIONS ne peuvent donc pertinemment soutenir que la demanderesse est présumée avoir cédé ses droits patrimoniaux et qu'elle est donc irrecevable en son action.

Les défendeurs ne contestant pas la qualité d'interprète de [W] [U], la signature de contrats de cession du droit de reproduire son interprétation sans son autorisation caractérise une contrefaçon qui porte atteinte à ses droits patrimoniaux.

Pour s'en défendre, ils exposent avoir vainement essayé de contacter la défenderesse mais produisent pour en justifier des courriels qui sont tous postérieurs à la date de signature des contrats litigieux or, ces échanges démontrent que rapidement après avoir interrogé l'entourage de [W] [U], ils sont parvenus en septembre 2016, à établir un contact avec elle par l'intermédiaire de [B] [R], ce qui démontre qu'ils auraient eu la possibilité de solliciter son autorisation avant de céder ses droits.

Par ailleurs le droit moral de l'artiste-interprète comprend le droit à la paternité qui doit être interprété comme la faculté pour l'artiste de voir son interprétation divulguée sous le pseudonyme qu'il s'est choisi.

En l'espèce, [W] [U] reproche aux défendeurs d'avoir cédé ses droits en mentionnant dans les contrats litigieux son véritable patronyme alors qu'elle soutient avoir, pour des raisons de sécurité, adopté celui de [I]. Elle produit pour en justifier la pochette de l'album Mirage dans lequel elle a interprété un titre (pièce DEM 4.4). Les défendeurs répliquent en produisant un extrait du site Itunes dans lequel elle apparaît sous le nom de [U] en qualité d'interprète de la chanson Hadise Ashnaei.

Ces seuls éléments ne suffisent pas à démontrer l'utilisation systématique par [W] [U] d'un pseudonyme et donc à établir à l'encontre de la société LONG DISTANCE PRODUCTIONS, une atteinte au droit à la paternité de la demanderesse.

Il n'est pas non plus établi que la société LONG DISTANCE PRODUCTION, en signant un contrat de « sample » sur la chanson « Man O To » avec la société PIOJITO LTD T/A CROSSTOWN REBELS, a autorisé son utilisation dans le cadre de clips vidéo diffusés sur internet. Aucune atteinte à l'intégrité de l'interprétation de la chanson par [W] [U] ne peut donc lui être reprochée.

5- Demandes indemnitaires et réparatrices

Sur le fondement du droit d'auteur, les demanderesses sollicitent d'une part l'annulation du bulletin de déclaration d'[O] [J] et de son éditeur auprès de la SACEM de l'oeuvre « Man O To » accompagnée d'une mesure d'interdiction et d'autre part, qu'il leur soit ordonné sous astreinte, de produire les justificatifs comptables des revenus perçus au titre de l'exploitation et de la cession des droits sur ce titre. Elles sollicitent en outre une provision de 40 000 euros en réparation de leur préjudice matériel. Au titre de l'atteinte au droit moral, [W] [U] réclame la somme de 20 000 euros.

Au titre de l'atteinte à ses droits d'artiste-interprète, [W] [U] sollicite la somme de 60 000 euros en réparation de la violation de ses droits patrimoniaux outre une mesure d'interdiction et de retrait des plateformes de diffusion sur internet des vidéos accompagnant le remix de la chanson « Man O To » par NU.
[O] [J] et la société LONG DISTANCE PRODUCTIONS qui contestent la qualité d'auteur compositeur de [W] [U], proposent de lui reverser 20% des recettes éditoriales brutes perçues depuis la déclaration de « Man O To » à la SACEM au titre de ses droits d'artiste-interprète et de veiller à ce que les droits d'auteur soient à l'avenir reversés au Comité du C?ur, organisme de bienfaisance de la SACEM, une annulation du dépôt étant selon eux, impossible.
Ils jugent par ailleurs inutile la demande de communication de pièces en rappelant avoir transmis un état détaillé des redevances perçues tant de la SACEM que des sociétés CROSSTOWN REBELS et GAUMONT. Ils consentent enfin à lui verser la somme 14.389,864 euros correspondant à 20 % des sommes perçues au titre de l'exploitation de la chanson « Man O To ».

Sur ce,

5.1- Mesures indemnitaires

L'article L.331-1-3 du code de la propriété intellectuelle dispose que « pour fixer les dommages et intérêts, la juridiction prend en considération distinctement :
1o Les conséquences économiques négatives de l'atteinte aux droits, dont le manque à gagner et la perte subis par la partie lésée ;
2o Le préjudice moral causé à cette dernière ;
3o Et les bénéfices réalisés par l'auteur de l'atteinte aux droits, y compris les économies d'investissements intellectuels, matériels et promotionnels que celui-ci a retirées de l'atteinte aux droits.
Toutefois, la juridiction peut, à titre d'alternative et sur demande de la partie lésée, allouer à titre de dommages et intérêts une somme forfaitaire. Cette somme est supérieure au montant des redevances ou droits qui auraient été dus si l'auteur de l'atteinte avait demandé l'autorisation d'utiliser le droit auquel il a porté atteinte. Cette somme n'est pas exclusive de l'indemnisation du préjudice moral causé à la partie lésée ».

Les critères ainsi définis n'ont pas vocation à aboutir à un cumul mathématique des indemnités susceptibles d'être calculées pour chacun des postes énumérés.

Ils doivent néanmoins permettre la prise en considération de l'ensemble des conséquences subies par la partie lésée du fait des actes de contrefaçon dans toutes leurs composantes en vue d'une évaluation aussi complète qu'il est possible du préjudice dans ses différents aspects économiques et moraux incluant, dans cette perspective, tant les impacts négatifs des agissements reprochés que les avantages corrélativement retirés par leur auteur de façon à ce que celui-ci ne puisse pas, nonobstant la condamnation pécuniaire prononcée, en conserver un bénéfice subsistant.

Le contrat signé par la société LONG DISTANCE PRODUCTION et la société NAIVE avec la société ADAMA, prévoit le versement à chacune, de la somme forfaitaire de 3000 euros HT.

Le contrat signé le 13 septembre 2016 attribue à la société LONG DISTANCE PRODUCTION 30 % des sommes HT encaissées par la société GAUMONT au prorata temporis.

Enfin, le contrat du 2 août 2016 signé avec la société PIOJITO LTD T/A CROSSTOWN REBELS autorise la reproduction de "Man O To" contre le paiement d'une redevance de 3000 euros outre les redevances réparties de la manière suivante :
- Long Distance Productions : 80%
- [D] [F] connu sous le nom « NU » : 20%.
Il prévoyait en outre qu'en contrepartie des redevances perçues antérieurement à la signature du contrat, le producteur réglerait à la société LONG DISTANCE PRODUCTIONS la somme de 9000 euros.

A ces sommes viennent s'ajouter les droits perçus par l'intermédiaire de la SACEM soit entre octobre 2016 et avril 2019, les sommes de 10578,68 euros au profit de la société LONG DISTANCE PRODUCTIONS et de 15724,16 euros au profit d'[O] [J]. Sur cette base, les droits perçus de la SACEM depuis le mois de mai 2019 peuvent être évalués à environ 16000 euros.

Les défendeurs produisent un tableau duquel il ressort qu'au total, les droits patrimoniaux générés par la chanson « Man O To » atteignent 71 949,35 euros au 30 avril 2019.

Le tribunal dispose donc des éléments suffisants pour évaluer la préjudice patrimonial à hauteur de 90 000 euros étant précisé que [W] [U] étant reconnue tout à la fois auteur compositeur et interprète, elle est bénéficiaire de la totalité des droits générés par la chanson « Man O To »

En application du contrat signé entre [W] [U] et son éditeur, la société MELMAX, cette somme revient à cette dernière -à charge pour elle d'en reverser 50 % à la première comme indiqué dans le contrat-. Son paiement sera partagé comme suit :
- [O] [J] : 18 000 euros
- la société LONG DISTANCE PRODUCTIONS : 72 000 euros.

S'agissant de l'atteinte au droit moral de l'auteur, le préjudice de [W] [U] sera estimé à 20 000 euros, somme au paiement de laquelle la société LONG DISTANCE PRODUCTIONS et [O] [J] seront in solidum condamnés.

5.2- Autres mesures réparatrices

[O] [J] ne peut pertinemment soutenir qu'il n'avait pas la possibilité de revenir sur sa déclaration auprès de la SACEM alors que selon l'article L 322-5 du code de la propriété intellectuelle, « un titulaire de droits peut résilier à tout moment, en tout ou partie, dans les limites arrêtées par l'organisme (...), l'autorisation qu'il a donnée à l'organisme de gestion collective de gérer ses droits patrimoniaux. »

Compte tenu de la qualité d'auteur compositeur et d'interprète reconnue à [W] [U], la demande tendant à la modification de la documentation de la SACEM apparait en conséquence fondée et sera accueillie selon les modalités indiquées au dispositif.
Il sera par ailleurs fait interdiction aux défendeurs d'exploiter l'oeuvre « Man O To » dans les conditions précisées au dispositif.

En revanche, la demande visant à obtenir la suppression de la diffusion des vidéos litigieuses sur le web ne peut qu'être rejetée dans la mesure où il n'est pas établi qu'[O] [J] ou la société LONG DISTANCE PRODUCTIONS en sont à l'origine et où les plateformes You Tube et Soundcloud sur lesquelles ces vidéos sont diffusées ne sont pas dans la cause. Il appartenait le cas échéant aux demanderesses de solliciter auprès de la société Google et des fournisseurs d'accès à internet le déréférencement de ces vidéos, demande dont le tribunal n'est pas saisi.

6-demandes relatives aux frais du litige et aux conditions d'exécution de la décision:

La société LONG DISTANCE PRODUCTIONS et [O] [J], parties perdantes, supporteront la charge des dépens.

Ils doivent en outre être condamnés à verser à [W] [U] et à la société LONG DISTANCE PRODUCTIONS, qui ont dû exposer des frais irrépétibles pour faire valoir leurs droits, une indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile qu'il est équitable de fixer à la somme de 5000 euros.

L'exécution provisoire étant justifiée au cas d'espèce et compatible avec la nature du litige, elle sera ordonnée.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal, statuant publiquement par jugement mis à disposition au greffe, réputé contradictoire et en premier ressort,

ECARTE la fin de non recevoir tirée du défaut de qualité à agir de la société MELMAX ;

DECLARE prescrite l'action de [W] [U] [Y] et de la société MELMAX relative à la chanson « Red Dervish » ;

DECLARE prescrite l'action de [W] [U] [Y] et de la société MELMAX relative aux actes commis antérieurement au 18 mars 2014 ;

DIT la chanson « Man O To » protégée par le droit d'auteur ;

ORDONNE à la SACEM, passé un délai de 20 jours suivant la signification du présent jugement, d'enregistrer dans sa documentation, « Man O To » (Code ISWC : T-703.931.213.7) comme suit :
- [W] [I], Compositeur Code IPI : 847719495
- [W] [I], Auteur Code IPI : 847719495
- MELMAX, Éditeur Code IPI : 426626622
- [W] [I], Interprète

FAIT INTERDICTION à la société LONG DISTANCE PRODUCTIONS et à [O] [J] d'exploiter l'enregistrement de l'interprétation de [W] [U] [Y] de la chanson « Man O To » à compter de la date de la présente décision, ce sous astreinte de 2000 euros par infraction ;

SE RESERVE la liquidation de l'astreinte ;

CONDAMNE [O] [J] à payer à la société MELMAX la somme de 18 000 euros au titre des droits patrimoniaux ;

CONDAMNE la société LONG DISTANCE PRODUCTIONS à payer à la société MELMAX la somme de 72 000 euros au titre des droits patrimoniaux ;

CONDAMNE in solidum [O] [J] et la société LONG DISTANCE PRODUCTIONS à payer à [W] [U] [Y] la somme de 20 000 euros au titre de l'atteinte au droit moral de l'auteur ;

REJETTE les autres demandes ;

CONDAMNE [O] [J] et la société LONG DISTANCE PRODUCTIONS à payer à [W] [U] [Y] et à la société MELMAX ensemble une indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile la somme de 5000 euros ;

CONDAMNE [O] [J] et la société LONG DISTANCE PRODUCTIONS aux dépens ;

ORDONNE l'exécution provisoire ;

Fait et jugé à Paris le 18 décembre 2020.

Le GreffierLe Président


Synthèse
Tribunal : Tribunal de grande instance de Paris
Formation : Ct0196
Numéro d'arrêt : 19/04106
Date de la décision : 18/12/2020

Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.grande.instance.paris;arret;2020-12-18;19.04106 ?
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