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04/12/2020 | FRANCE | N°2

France | France, Tribunal de grande instance de Paris, Ct0196, 04 décembre 2020, 2


TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS

3ème chambre 2ème section

No RG 18/04501
No Portalis 352J-W-B7C-CMXPX

No MINUTE :

Assignation du :
29 décembre 2017
JUGEMENT
rendu le 4 décembre 2020
DEMANDERESSE

SOCIÉTÉ LUFTHANSA TECHNIK AG
[Adresse 4]
[Localité 2]
ALLEMAGNE

représentée par Maîtres Thomas BOUVET et Eddy PROTHIERE du PARTNERSHIPS JONES DAY, avocats au barreau de PARIS, vestiaire #J0001

DEFENDERESSES

SOCIÉTÉ THALES AVIONICS INC.
[Adresse 3]
[Localité 3]
[Localité 1]
ETATS-UNIS D'

AMERIQUE

représentée par Maître Sandrine BOUVIER RAVON de l'ASSOCIATION COUSIN ET ASSOCIES, avocats au barreau de PARIS, vestiaire #R159

SOCIÉTÉ ASTR...

TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS

3ème chambre 2ème section

No RG 18/04501
No Portalis 352J-W-B7C-CMXPX

No MINUTE :

Assignation du :
29 décembre 2017
JUGEMENT
rendu le 4 décembre 2020
DEMANDERESSE

SOCIÉTÉ LUFTHANSA TECHNIK AG
[Adresse 4]
[Localité 2]
ALLEMAGNE

représentée par Maîtres Thomas BOUVET et Eddy PROTHIERE du PARTNERSHIPS JONES DAY, avocats au barreau de PARIS, vestiaire #J0001

DEFENDERESSES

SOCIÉTÉ THALES AVIONICS INC.
[Adresse 3]
[Localité 3]
[Localité 1]
ETATS-UNIS D'AMERIQUE

représentée par Maître Sandrine BOUVIER RAVON de l'ASSOCIATION COUSIN ET ASSOCIES, avocats au barreau de PARIS, vestiaire #R159

SOCIÉTÉ ASTRONICS ADVANCED ELECTRONIC SYSTEM
[Adresse 1]
[Localité 6]
ETATS-UNIS D'AMERIQUE

SOCIÉTÉ PANASONIC AVIONICS CORPORATION
[Adresse 2]
[Localité 7]
ETATS-UNIS D'AMERIQUE

représentées par Maître Stanislas ROUX-VAILLARD du PARTNERSHIPS HOGAN LOVELLS (PARIS) LLP, avocats au barreau de PARIS, vestiaire #J0033

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Florence BUTIN, Vice-Présidente
Catherine OSTENGO, Vice-présidente
Emilie CHAMPS, Vice-Présidente

assistées de Géraldine CARRION, greffier

DÉBATS

A l'audience du 8 octobre 2020
tenue en audience publique

JUGEMENT

Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe
Contradictoire
en premier ressort

EXPOSE DU LITIGE

PRESENTATION DES PARTIES :

La société LUFTHANSA TECHNIK AG, qui fait partie du groupe à capitaux allemands Lufthansa, se présente comme l'un des principaux fournisseurs indépendants de services de maintenance, de réparation, de révision et de modification dans l'industrie de l'aviation civile destinés à assurer la fiabilité et la disponibilité ininterrompues des flottes d'avions de ses clients. Dans le cadre de ses différentes branches d'activités, elle mène des programmes de recherche et développement pour aboutir à des innovations technologiques destinées en particulier à améliorer le confort ou la sécurité des passagers.

Elle est titulaire du brevet européen EP 0 881 145 désignant notamment la France intitulé « dispositif d'alimentation électrique », déposé le 22 mai 1998 sous priorité d'une demande de brevet allemand no 19722922 du 31 mai 1997 et délivré sans opposition le 26 novembre 2003. Maintenu en vigueur par le paiement régulier des redevances annuelles dont la dernière réglée le 22 mai 2017, ce titre a expiré le 22 mai 2018. Il a pour objet un dispositif destiné à fournir une tension d'alimentation domestique standard dans la cabine d'un avion, lequel est doté d'un système de détection de l'insertion simultanée de deux broches des fiches électriques dans la prise - cette simultanéité conditionnant la délivrance d'une tension d'alimentation - et permettant de couper de manière centralisée l'alimentation par un signal de commande à certaines étapes critiques du vol.

Dans le cadre d'un contrat de partenariat conclu en 1998, la société LUFTHANSA TECHNIK a concédé à la société KID SYSTEME GmbH - filiale de la société AIRBUS spécialisée dans la fourniture de systèmes électroniques en cabine pour des avions de ligne ou des avions privés - un droit d'utilisation de ce dispositif afin que celle-ci obtienne les autorisations nécessaires à son installation dans les avions commerciaux, puis qu'elle fabrique et commercialise les unités d'alimentation électrique s'y rapportant. Au début des années 2000, un différend juridique et commercial a opposé la société KID SYSTEME à la société AIRBORNE ELECTRIC SYSTEMS GROUP - aux droits de laquelle vient la société ASTRONICS AES - relatif à l'exploitation de plusieurs brevets sur lesquels ces deux entités détenaient respectivement des droits, ce qui a conduit le 27 octobre 2003 à la conclusion d'un accord transactionnel emportant renonciation à toute action judiciaire fondée sur certains des titres alors invoqués.

La société ASTRONICS ADVANCED ELECTRONIC SYSTEM - ci après AES - est une filiale groupe ASTRONICS spécialisé dans les technologies innovantes et les produits de pointe pour les industries de l'aérospatiale, de la défense et des semi-conducteurs. Fondée en 1958, elle se décrit comme leader de la fabrication de systèmes d'alimentation électriques destinés aux avions et détentrice d'une large majorité des parts de marché mondiales de ce secteur, fournissant à ce titre les principaux fabricants d'avions de transport commercial tels que Boeing et Airbus, ainsi que des fabricants d'avions militaires, d'affaires ou encore d'hélicoptères. Dans ce cadre, elle commercialise des gammes de dispositifs dits « ISPS » ou « In-Seat Power Supply » sous la marque « EMPOWER ».

La société PANASONIC AVIONICS se présente comme le fournisseur leader à l'échelle mondiale des systèmes de divertissement et de communication en vol, autrement désignés « IFE » pour « In-Flight Entertainment systems » ce vocable regroupant l'ensemble des dispositifs de divertissement des passagers pendant leur vol tels que les projections de films ou jeux. Ces moyens se sont récemment élargis à la connectivité en vol sous la dénomination « IFEC » pour « In-Flight Entertainment Connectivity » et concernent les services de navigation Internet, messagerie, usage du téléphone mobile ou de streaming sans fil. PANASONIC AVIONICS conçoit, développe, fabrique et installe de telles solutions selon les demandes de ses clients.

La société de droit américain THALES AVIONICS Inc. se décrit comme spécialisée dans la mise au point et la fabrication de systèmes de divertissement en vol destinés notamment aux compagnies aériennes.

LES AUTRES PROCEDURES INITIEES EN ALLEMAGNE, AUX ETATS-UNIS ET AU ROYAUME-UNI :

Le 29 décembre 2010, la société LUFTHANSA TECHNIK a engagé à l'encontre de la société ASTRONICS AES une action en contrefaçon de la partie allemande du brevet européen no 0 881 145 devant le Landgericht de [Localité 9], relative à des actes d'importation et de vente en Allemagne des dispositifs dits « EmPower ». Parallèlement le 17 juin 2011, la société ASTRONICS AES - par l'intermédiaire de sa filiale néerlandaise la société LUMINESCENT SYSTEMS Europe BVVA - a formé une action en nullité de la partie allemande du même titre devant le Bundespatentgericht, lequel a par décision du 18 décembre 2013 maintenu le brevet sous une forme modifiée consistant à combiner les revendications no 1 et 2. Les sociétés LUFTHANSA et LUMINESCENT SYSTEMS Europe BVVA ont renoncé au recours qu'elles avaient initialement formé contre cette décision lors de l'audience publique devant la cour suprême allemande - Bundesgerichtshof - le 9 novembre 2016.

Par jugement du 6 février 2015, le Landgericht de [Localité 9] a condamné la société ASTRONICS AES au titre d'actes de contrefaçon de la partie allemande du brevet de la société LUFTHANSA TECHNIK et cette décision a été confirmée par l'Oberlandesgericht de [Localité 5] le 9 septembre 2016. La demande de pourvoi devant le Bundesgerichtshof a été rejetée par une décision du 18 avril 2018 en ce qu'elle portait sur l'interprétation du protocole transactionnel, et admise pour les questions relatives à la prescription sur lesquelles par décision du 26 mars 2019, le Bundergerichtshof a jugé que les demandes en réparation fondées sur les bénéfices du contrefacteur se prescrivent à compter du 26 décembre 2003. Par assignation du 26 juillet 2017, la société LUFTHANSA TECHNIK a dans ce contexte engagé la procédure d'évaluation du préjudice devant le Landgericht de [Localité 9], et demandé la communication d'informations relatives à l'étendue des ventes de produits litigieux réalisées en Allemagne.

La société LUFTHANSA TECHNIK a ensuite engagé aux États-Unis une action en contrefaçon du brevet américain US no6 016 016 couvrant la même invention que le titre européen précité à l'encontre de la société ASTRONICS AES, dont elle a été déboutée par la Western District Court of Washington de Seattle suivant une décision rendue le 20 juillet 2016 et confirmée par la cour d'appel fédérale, aux termes d'un arrêt en date du 19 octobre 2017.

Sur le fondement de l'article 1782 du titre 28 de l'USC code, la société LUFTHANSA TECHNIK a sollicité l'ouverture de trois procédures de Discovery aux États-Unis les 25 septembre 2017, 21 novembre 2018 et enfin 28 juin 2019, visant respectivement les sociétés PANASONIC AVIONICS, ASTRONICS AES - laquelle est intervenante dans les procédures ne la visant pas directement - et THALES AVIONICS.

Dans le cadre de ces trois instances, la District Court du Western [Localité 11] et la District Court Central District of California ont ordonné distinctement à chacune des sociétés visées de communiquer - sous conditions définies aux termes de « protective orders » - un certain nombre d'informations relatives notamment au volume de produits argués de contrefaçon qu'elle aurait vendus ou livrés en France.

Le 18 décembre 2017, la société LUFTHANSA TECHNIK a initié une action en contrefaçon à l'encontre des sociétés ASTRONICS AES et ZODIAC SEATS UK Ltd devant la Cour des Brevets de la High Court of Justice sur le fondement de la partie britannique du brevet EP 145, laquelle a été jugée valide par décision du 22 juillet 2020 qui a estimé également que les revendications 1, 2 et 3 étaient contrefaites.

LE PRESENT LITIGE :

Considérant que la procédure allemande précitée ne lui permettrait pas d'obtenir la réparation du préjudice résultant des ventes des mêmes produits en France ou à destination de la France, ou de leur livraison en France pour leur installation dans des avions fabriqués ou équipés dans ce pays, la société LUFTHANSA TECHNIK a par acte d'huissier délivré le 29 décembre 2017 fait assigner les sociétés ASTRONICS AES et PANASONIC AVIONICS devant ce tribunal pour voir constater la contrefaçon des revendications 1, 2, 3 et 7 de son brevet EP 0881 145.

Dans ce contexte, elle a sollicité et obtenu postérieurement à l'introduction de cette instance le droit de faire procéder à quatre saisies-contrefaçon à l'encontre de plusieurs opérateurs intervenant dans la chaîne de production des avions et de commercialisation des dispositifs incriminés à savoir AIRBUS OPERATIONS à [Localité 10] les 8, 9 et 15 mars 2018, PANASONIC AVIONICS CORPORATION à [Localité 4] le 30 mars 2018, ZODIAC SEATS FRANCE les 6 et 12 avril 2018 et enfin THALES AVS FRANCE à [Localité 10] le 16 mai 2018.

Dans le prolongement de la mesure diligentée à l'égard de la société AIRBUS OPERATIONS et à défaut d'accord trouvé sur l'accès aux documents saisis, qui avaient été placés sous scellés en exécution d'une ordonnance de référé rendue le 14 mars 2018, une expertise judiciaire de tri a été ordonnée le 11 mai 2018 à la demande de la société LUFTHANSA TECHNIK et a donné lieu à un rapport déposé le 24 octobre 2018, lequel établit la liste des pièces susceptibles d'être communiquées.

Les modalités de traitement des documents saisis à l'encontre des sociétés PANASONIC AVIONICS CORPORATION et ZODIAC SEATS ont également été aménagées aux termes de deux ordonnances rendues le 13 septembre 2018.

Les procédures successivement engagées par la société LUFTHANSA TECHNIK au regard des éléments obtenus dans le cadre de ces opérations de saisie-contrefaçon - dont l'assignation délivrée le 18 juin 2018 à l'encontre des sociétés THALES AVIONICS et ASTRONICS AES - ont été jointes sous le no18/04501.

Par conclusions respectivement notifiées les 21 décembre 2018 et 29 mars 2019, les sociétés ASTRONICS AES et PANASONIC AVIONICS de même que THALES AVIONICS ont d'une part, invoqué la nullité du brevet EP 0 881 145 et d'autre part, contesté la matérialité de la contrefaçon alléguée.

Par ordonnance rendue le 19 juin 2020, le juge de la mise en état saisi à l'initiative des défenderesses a réservé la communication par la société LUFTHANSA TECHNIK des pièces no8.1 à 8.53 désignées comme « pièces confidentielles issues de la Discovery » jusqu'à une date ultérieure éventuelle et dans le cadre d'un séquençage de la procédure, a fixé un calendrier afin que les parties concluent et plaident exclusivement dans une première phase sur la validité de la partie française du brevet EP 145.

Aux termes de ses dernières conclusions sur la validité du brevet notifiées par voie électronique le 2 octobre 2020, la société LUFTHANSA TECHNIK présente les demandes suivantes :

Vu l'article L. 614-12 du code de la propriété intellectuelle ;
Vu l'article 138 de la Convention sur le brevet européen :

DEBOUTER les sociétés ASTRONICS AES, PANASONIC AVIONICS et THALES AVIONICS de leur demande reconventionnelle en nullité des revendications no 1, 2, 3 et 7 de la partie française du brevet d'invention européen no 0 881 145 ;

CONDAMNER in solidum les sociétés ASTRONICS AES, PANASONIC AVIONICS et THALES AVIONICS à payer à la société LUFTHANSA TECHNIK la somme de 100 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

REOUVRIR les débats afin qu'il soit statué sur les autres demandes de la société LUFTHANSA TECHNIK, à savoir :

FIXER un bref calendrier d'instruction sur la question de la confidentialité des pièces no 8.1 à 8.53 dont la communication par la société LUFTHANSA TECHNIK a été réservée par l'ordonnance du Juge de la mise en état du 19 juin 2020 ;

DIRE ET JUGER que le système EmPower de la société ASTRONICS AES en particulier les appareils d'alimentation (ISPS, SPM ou SPB), les prises de courant et les câbles qui le composent, dont les références sont énumérées distinctement dans le dispositif de ses écritures pour les appareils d'alimentation ISPS, SPM et SPB, pour les sources de tension centrales AMCU, pour les prises de courant et pour les câbles, ainsi que tous les autres produits ayant les mêmes caractéristiques, sous quelle que dénomination qu'ils soient commercialisés, reproduisent les revendications no 1, 2, 3 et 7 de la partie française du brevet d'invention européen no 0 881 145 ;

DIRE ET JUGER que les sociétés ASTRONICS AES, PANASONIC AVIONICS et THALES AVIONICS se sont rendues coupables de contrefaçon des revendications no 1, 2, 3 et 7 de la partie française du brevet d'invention européen no 0 881 145 notamment en important, offrant et vendant, en France, les éléments précités composant le système EmPower en tant que tel ou en ce qu'ils sont incorporés dans les dispositifs de divertissement en vol des sociétés PANASONIC AVIONICS et THALES AVIONICS ;

DESIGNER tel expert qu'il plaira au tribunal afin de fournir au tribunal toutes les informations nécessaires à l'évaluation du préjudice subi par la société LUFTHANSA TECHNIK et plus particulièrement avec pour mission :
o de déterminer les quantités totales d'éléments composant le système EmPower, notamment de dispositifs d'alimentation ISPS, SPM, SPB et autres, de câbles, de prises et d'alimentations centrales AMCU, ainsi que des dispositifs de divertissement en vol entrant dans le tout commercial, importés, vendus ou livrés, en France ou à destination de la France, par les sociétés ASTRONICS AES, PANASONIC AVIONICS et THALESAVIONICS , sur la période non prescrite, en tenant compte notamment des produits livrés à la société THALES AVIONICS en vue d'une exploitation en France ;
o de déterminer le chiffre d'affaires correspondant réalisé par les sociétés ASTRONICS AES, PANASONIC AVIONICS et THALES AVIONICS ;
o de rechercher le manque à gagner et la perte subie par la société LUFTHANSA TECHNIK ;
o d'évaluer distinctement les bénéfices et économies retirés par les sociétés ASTRONICS AES, PANASONIC AVIONICS et THALES AVIONICS du fait de la contrefaçon ;
o d'évaluer le préjudice moral subi par la société LUFTHANSA TECHNIK ;

DIRE que les investigations de l'expert devront porter sur tous les produits vendus ou livrés entre le 20 décembre 2012 et la date d'expiration des brevets, en particulier pour les dispositifs d'alimentation (ISPS, SPM etc.) et les AMCU qui n'ont pas été modifiés en 2015 ;

ENJOINDRE aux sociétés ASTRONICS AES, PANASONIC AVIONICS et THALES AVIONICS d'avoir à communiquer, sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard passé le délai de 30 jours suivant la signification du jugement à intervenir, une attestation de leurs commissaires aux comptes précisant les quantités annuelles d'éléments entrant dans la composition du système EmPower, à savoir d'appareils d'alimentation, d'alimentations centrales, de câbles et de prises ainsi que des appareils de divertissement en vol, importés, vendus ou livrés, en France ou à destination de la France, le chiffre d'affaires et la marge sur coût variable annuelle qui en sont résultés, sur la période non prescrite ;

CONDAMNER dès à présent la société ASTRONICS AES à payer à la société LUFTHANSA TECHNIK une provision sur dommages et intérêts de 2 000 000 euros ;

CONDAMNER dès à présent la société PANASONICAVIONICS à payer à la société LUFTHANSA TECHNIK une provision sur dommages-intérêts de 10 000 000 euros, et condamner la société ASTRONICS AES solidairement au paiement de cette somme ;

ORDONNER la publication, par extrait, du jugement à intervenir dans 5 journaux ou revues professionnelles, français ou étrangers, au choix de la société LUFTHANSA TECHNIK et aux frais in solidum des sociétés ASTRONICS AES, PANASONIC AVIONICS et THALES AVIONICS, à concurrence de 5 000 euros HT par publication ;

ORDONNER l'affichage, sur la page d'accueil des sites Internet des sociétés ASTRONICS AES, PANASONIC AVIONICS et THALES AVIONICS, pendant une durée d'un mois, aux frais in solidum des sociétés ASTRONICS AES, PANASONIC AVIONICS et THALES AVIONICS, sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard, d'un texte reprenant les condamnations judiciaires qui seront prononcées ;

CONDAMNER in solidum les sociétés ASTRONICS AES, PANASONIC AVIONICS et THALES AVIONICS à payer à la société LUFTHANSA TECHNIK la somme de 400 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

ORDONNER l'exécution provisoire du jugement à intervenir en toutes ces dispositions, en particulier les mesures d'interdiction de récidiver, d'expertise, de paiement d'une provision et de condamnation au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNER in solidum les sociétés ASTRONICS AES, PANASONIC AVIONICS et THALES AVIONICS aux entiers dépens, y compris les frais et honoraires des huissiers ayant réalisé les quatre saisies-contrefaçon, et dire qu'ils seront recouvrés conformément à l'article 699 du code de procédure civile.

* * *
Aux termes de leurs dernières conclusions notifiées par voie électronique le 31 juillet 2020, les sociétés ASTRONICS AES et PANASONIC AVIONICS Corp. présentent les demandes suivantes :

A titre principal :

DIRE ET JUGER que les revendications 1, 2, et 3 du brevet EP 0 881 145 sont dépourvues de nouveauté ;

DIRE ET JUGER que les revendications 1, 2, 3 et 7 du brevet EP 0 881 145 sont dépourvues d'activité inventive ;

Ou à tout le moins, en ce qui concerne la revendication 2 :

DIRE ET JUGER que la revendication 2 du brevet EP 0 881 145 est insuffisamment décrite ;

En conséquence,

PRONONCER la nullité des revendications 1, 2, 3 et 7 du brevet EP 0 881 145 ;

ORDONNER l'inscription de la décision à intervenir au Registre National des Brevets, à la diligence du greffe ;

DEBOUTER la société LUFTHANSA TECHNIK AG de l'ensemble de ses demandes formées à l'encontre des sociétés ASTRONIC ADVANCED ELECTRONIC SYSTEMS et PANASONIC AVIONICS CORPORATION ;

CONDAMNER la société LUFTHANSA TECHNIK AG à verser aux sociétés ASTRONIC ADVANCED ELECTRONIC SYSTEMS et PANASONIC AVIONICS CORORATION, in solidum, la somme de 200.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, sauf à parfaire ;

CONDAMNER la société LUFTHANSA TECHNIK AG en tous les dépens de l'instance dont distraction au profit de Maître Stanislas Roux-Vaillard, en application de l'article 699 du code de procédure civile ;

A titre subsidiaire :

FIXER un calendrier pour que les parties débattent, dans un second temps, de la question de l'absence de contrefaçon et des demandes de Lufthansa, étant entendu que cette seconde phase de la procédure au fond impliquera que les parties concluent d'abord sur l'incident relatif au statut des pièces no8 et suivantes de la société LUFTHANSA TECHNIK AG ;

* * *
La société THALES AVIONICS présente, aux termes de ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 29 juillet 2020, les demandes suivantes:

DIRE ET JUGER que les revendications 1, 2, 3, et 7 de la partie française du brevet EP 0 881 145 de la société LUFTHANSA TECHNIK sont nulles pour défaut de nouveauté et/ou pour défaut de brevetabilité et/ou pour défaut d'activité inventive, conformément aux dispositions des articles 52 et 54 et/ou 56 de la Convention sur le Brevet Européen,

En conséquence,

PRONONCER la nullité des revendications 1, 2, 3 et 7 de la partie française du brevet EP 0 881 145 de la société LUFTHANSA TECHNIK, conformément aux dispositions des articles 138 de la CBE et L 614-12 du CPI,

ORDONNER l'inscription de la décision à intervenir au Registre National des Brevets tenu par l'INPI, à la diligence du greffe,

DEBOUTER en conséquence la société LUFTHANSA TECHNIK de toutes ses demandes formées à l'encontre de la société THALES AVIONICS, Inc.,

CONDAMNER la société LUFHTANSA à payer à la société THALES AVIONICS la somme de 150.000 euros au titre de l'article 700 du CPC ainsi qu'aux entiers dépens.

L'affaire a été clôturée le 8 octobre 2020 sur les questions relatives à la validité du brevet et a été plaidée sur ce seul point le même jour.

Pour un exposé complet de l'argumentation des parties il est, conformément à l'article 455 du code de procédure civile, renvoyé à leurs dernières conclusions précitées.

MOTIFS DE LA DECISION:

1- OBJET ET PORTÉE DU BREVET :

Le brevet européen EP 088 1145 porte sur un dispositif d'alimentation électrique destiné à mettre à disposition une tension d'alimentation pour des appareils électriques dans la cabine d'un avion.

Il est rappelé dans la partie descriptive du brevet que l'alimentation et le fonctionnement d'appareils électriques dans un avion doivent répondre à des impératifs de sécurité qui sont de deux ordres à savoir celle des passagers et celle du réseau de bord électrique de l'avion, dans lequel aucun parasite ne doit s'introduire. Dans les dispositifs existants, le premier de ces aspects est pris en compte soit par la mise à disposition d'une tension continue inférieure à 30 V, ce qui ne permet pas de faire fonctionner tous les appareils et nécessitent des câbles de liaison spéciaux, soit par la présence d'un commutateur fonctionnant au moyen d'une clé distribuée par le personnel navigant, ce qui n'assure la protection ni des utilisateurs, ni du réseau de l'avion.

L'art antérieur cité comme le plus proche est le document FR-A-2 653 944 ([W]), ayant pour objet une prise électrique de sécurité destinée en particulier, mais non exclusivement, à éviter les risques de court-circuit et d'électrocution. Il décrit un dispositif d'alimentation électrique comprenant une prise de courant et un appareil d'alimentation disposé à distance de celle-ci. Ces deux éléments sont reliés l'un à l'autre par des lignes de signal pour la transmission de signaux et par des lignes d'alimentation pour la transmission d'une tension d'alimentation. La prise de courant présente un détecteur de fiche qui adresse un signal à l'appareil d'alimentation, et le courant ne peut atteindre le connecteur mâle que si un contact mécanique satisfaisant est établi entre les deux connecteurs.

Le but de l'invention tel qu'exposé dans la description est de proposer un dispositif d'alimentation électrique pour des cabines d'avion assurant une plus grande protection contre une application défectueuse de la tension d'alimentation au niveau de la prise de courant. La prise de courant présente un détecteur de fiche et deux lignes, l'une de signal et l'autre pour la tension d'alimentation, qui la relient à un appareil d'alimentation disposé à distance de celle-ci. La tension est appliquée uniquement lorsque la présence des deux broches de contact d'une fiche sont détectées simultanément, ce qui assure avec une grande probabilité qu'il ne s'agit pas d'une manipulation involontaire, ou alternativement, lorsque le boîtier de la fiche se trouve plus proche qu'une valeur de distance prédéterminée de la prise. Dans ce second cas, le détecteur de boîtier est de préférence un capteur de réflexion optique.

Selon une configuration préférée, la source de tension centrale prévue pour l'alimentation électrique des appareils d'alimentation peut être coupée par un signal de commande déclenché par le personnel navigant ou automatiquement, par exemple dans des situations exigeant une grande insensibilité aux parasites.

Le brevet se compose à cette fin de 7 revendications, dont seules sont invoquées les revendications 1, 2, 3 et 7 suivantes qui sont relatives au détecteur de fiche (et non de boîtier) :

1. Dispositif d'alimentation électrique permettant de mettre à disposition une tension d'alimentation pour des appareils électriques (36) dans la cabine d'un avion, comportant une prise de courant (22) à laquelle peut être connecté l'appareil (36) à l'aide d'une fiche (38) et au niveau de laquelle la tension d'alimentation peut être appliquée, la prise de courant (22) présentant un détecteur de fiche (45, 46) qui détecte la présence d'une fiche (38) enfichée dans la prise de courant (22), un appareil d'alimentation (16) disposé à l'écart de la prise de courant (22) et relié à la prise de courant (22) par l'intermédiaire d'une ligne de transmission de signaux (18) et par l'intermédiaire d'une ligne d'alimentation (20) pour la tension d'alimentation, et l'appareil d'alimentation (16) appliquant la tension d'alimentation au niveau de la prise de courant (22) lorsque le détecteur de fiche (45, 46) signale à l'appareil d'alimentation (16) la présence de la fiche (38) par l'intermédiaire de la ligne de transmission de signaux (18),
caractérisé en ce que
le détecteur de fiche (45, 46) est configuré de telle sorte qu'il détecte la présence de deux broches (53, 54) de la fiche (38) dans la prise de courant (22),
et
en ce que l'appareil d'alimentation (16) n'applique la tension d'alimentation au niveau de la prise de courant (22) que lorsque la présence de deux broches (53, 54)de la fiche (38) est détectée simultanément.

2. Dispositif d'alimentation électrique selon la revendication l caractérisé en ce que l'appareil d'alimentation (16) n'applique la tension d'alimentation que lorsqu'une durée de contact maximale n'a pas été dépassée entre la détection de la première et de la deuxième broche (53, 54) de la fiche (38).

3. Dispositif d'alimentation électrique selon la revendication 1 ou 2, caractérisé en ce que le détecteur de fiche présente des commutateurs mécaniques (45, 46), qui sont actionnés par les broches (53, 54) enfichées de la fiche.

7. Dispositif d'alimentation selon l'une des revendications 1 à 6, comportant plusieurs appareils d'alimentation (16) et une source de courant centrale (30) qui forme l'alimentation en tension des appareils d'alimentation (16), la source de courant (30) pouvant être coupée par un signal de commande.

Le brevet contient les 5 figures suivantes :

La société LUFTHANSA TECHNIK entend préciser sur la portée du brevet que :
-la revendication no 1 prévoit que « l'appareil d'alimentation [est] disposé à l'écart de la prise de courant » à savoir à une certaine distance de celle-ci ;
-le terme « enfiché » ou en allemand « eingesteckt » signifie que les deux broches de la prise sont complètement insérées dans celle-ci, les micro-commutateurs mécaniques de la revendication 3 étant en effet situés à l'extrémité des trous d'embrochage ;
-dans un mode de réalisation optionnel mais préféré, le dispositif contrôle également le « timing » de l'insertion des deux broches de la fiche, selon la notion de « durée de contact maximale entre la détection de la première et de la deuxième broche » avant d'aboutir à la « simultanéité » de la revendication 1, ce qui est énoncé à la revendication 2 ;
-selon la revendication 7, la source de courant centrale vers les appareils d'alimentation peut être coupée par un signal de commande, déclenché par le personnel naviguant ou automatiquement.

Les sociétés ASTRONICS AES et PANASONIC AVIONICS font observer qu'il n'est pas exigé que les deux broche simultanément insérées le soient de façon intégrale, ce qui n'est pas nécessaire à l'obtention de l'effet technique recherché et peut s'avérer impossible avec certains formats de fiches. Elles ajoutent ensuite que si la revendication 2 porte sur la détection de la temporalité de l'insertion de chacun des broches de la fiche qui doit intervenir dans un délai limité, aucune indication n'est en revanche fournie quant à la durée du "temps de contact maximum" ne devant pas être dépassé.

Selon la société THALES AVIONICS, la revendication 2 ne serait pas brevetable en ce qu'elle porte sur un résultat et non sur les moyens permettant de l'obtenir, ce en application de l'article 138 a) de la CBE.

Le tribunal estime que l'énonciation selon laquelle l'appareil d'alimentation est positionné à distance de la prise de courant - ou « à l'écart » de celle-ci selon les termes du préambule de la revendication 1 - doit s'interpréter par référence à la description qui évoque une « disposition séparée et distanciée » (page 4 ligne 7 de la traduction) et de la figure 1 sur laquelle la prise (22) est logée dans l'accoudoir et l'alimentation (16) placée sous le siège du passager. Ces deux éléments doivent en conséquence être non seulement physiquement séparés mais placés à une certaine distance d'un de l'autre.
Le terme « enfiché » implique que les deux broches de la prise soient suffisamment insérées pour permettre soit leur détection par les micro-commutateurs mécaniques placés à l'extrémité des trous d'embrochage - selon la revendication 3, illustrée par la figure 3 - soit celle du boîtier de fiche lorsqu'il est suffisamment rapproché de la prise. Il s'en déduit que comme le soutient la société LUFTHANSA TECHNIK, la fiche doit être correctement insérée dans la prise de courant de telle sorte que la tension d'alimentation pourra être activée, ce qui correspond à une utilisation normale du dispositif.

Ensuite sur l'objet prétendument non brevetable de la revendication 2, il est rappelé qu'elle vise un « dispositif d'alimentation électrique selon la revendication l caractérisé en ce que l'appareil d'alimentation (16) n'applique la tension d'alimentation que lorsqu'une durée de contact maximale n'a pas été dépassée entre la détection de la première et de la deuxième broche (53, 54) de la fiche (38) » ce qui contrairement à ce que soutient la société THALES AVIONICS, est relatif non pas à un résultat mais à un moyen fonctionnel supplémentaire destiné à sécuriser l'utilisation d'une prise de courant conçue de telle sorte que l'alimentation n'est fournie que si les deux broches de la fiche sont insérées et donc détectées simultanément - état statique - y ajoutant une détection dynamique permettant de vérifier que les deux broches ont été insérées « à peu près au même moment » selon les termes de la description (page 5 lignes 13 à 16). Le fait que la réalisation technique de cette fonction ne soit pas explicitée ne remet pas en cause la brevetabilité de la revendication 2, étant sur ce point observé que l'expert [N] [K], cité par les parties défenderesses dans le cadre de la procédure devant la Hight Court de [Localité 8], a considéré sans être contredit - sur ce point précis et non sur la divulgation de cette caractéristique qui sera examinée plus loin - que ce chronométrage « aurait été simple à mettre en oeuvre pour un homme du métier » (pièce JD 2.18, point 153).

?Sur l'art antérieur pertinent :

Dans son introduction, le brevet mentionne en tant qu'art antérieur le plus proche - contenu dans le préambule de la revendication 1 - le document FR-A-2 653 944 précité décrivant un dispositif d'alimentation électrique comprenant une prise de courant et un appareil d'alimentation disposé à distance de celle-ci, la tension étant appliquée uniquement lorsque la présence d'une fiche est signalée. L'apport du dispositif breveté visant à améliorer la protection contre une utilisation défectueuse de la prise, est de conditionner la fourniture de tension d'alimentation à un ou deux éléments supplémentaires qui sont d'une part, la détection simultanée des deux broches - avec une possible option supplémentaire de temporalité selon la revendication 2 - et d'autre part, alternativement ou de façon cumulative, la proximité détectée du boîtier de la fiche selon les revendications 4 à 6.

?Sur l'homme du métier :

L'homme du métier est un spécialiste du secteur technique dont relève l'invention doté des connaissances théoriques et pratiques et de l'expérience qui peuvent normalement être attendues d'un professionnel du domaine concerné et lui permettent de concevoir la solution au problème que le brevet propose de résoudre. A ce titre, il est un praticien de bon niveau qui connaît sa propre discipline et a acquis un savoir issu de domaines voisins ou relevant d'une culture technique générale. Les parties s'accordent pour considérer que l'homme du métier doit être défini dans le cas d'espèce comme un ingénieur électricien spécialisé dans la conception d'équipements électriques, susceptible de consulter de façon optionnelle un spécialiste de la sécurité aérienne pour répondre à des demandes particulières.

2-VALIDITE DU BREVET (revendications 1, 2, 3 et 7) :

L'article 52 de la convention de Munich (CBE) dispose que « les brevets européens sont délivrés pour toute invention dans tous les domaines technologiques, à condition qu'elle soit nouvelle, qu'elle implique une activité inventive et qu'elle soit susceptible d'application industrielle ».

Au soutien de leur demande en nullité pour défaut de nouveauté et/ou activité inventive, les sociétés ASTRONICS AES et PANASONIC AVIONICS rappellent qu'à la date de priorité du brevet EP 145, l'état de la technique accessible à l'homme du métier comprenait plusieurs dispositifs visant à résoudre le problème lié au risque de décharge accidentelle, citant pour exemple le système modulaire dit "OAC EmPower System" commercialisé par OLIN AEROSPACE qui comportait une prise de courant, un appareil d'alimentation individuel nommé "In-Seat Power Supply" (ISPS) et optionnellement une unité de gestion centrale.

Elles mentionnent au titre de l'art antérieur pertinent les documents suivants :

-le document US 4 871 924 ([O]) qui est un brevet américain intitulé "Réceptacle de sécurité avec série d'interrupteurs à fil chaud", délivré le 3 octobre 1989 (pièces HL no3.1.1 et 3.1.2),

-le document FR 2 653 944 A2 ([W]) qui est une demande de brevet français, intitulée "Prise électrique de sécurité" publiée le 3 mai 1991, mentionné par la description du brevet EP 145 comme appartenant à l'état de la technique (pièce HL no3.2) ;

-le document US 4 591 732 ([J]) qui est un brevet américain intitulé "Réceptacle de sécurité", déposé le 27 mai 1986 (pièces HL no3.3.1 et 3.3.2) ;

-l'appareil EmPower OAC 1996 commercialisé par la société Olin Aerospace qui est un système d'alimentation électrique intégré dans le siège passager fournissant du courant continu permettant « un fonctionnement ininterrompu d'un ordinateur portable ainsi qu'un rechargement de la batterie tout le long du vol » ;

-le Memorandum de l'US Department of Transportation publié le 3 octobre 1996 par le département des transports et l'administration fédérale de l'aviation (FAA) et intitulé "Orientation relative à l'installation de systèmes d'alimentation dans les sièges (ISPSS) pour les appareils électroniques portables (PED)" (pièces HL no3.4.1 et 3.4.2).

Elles estiment que des documents de l'art antérieur ne peuvent être écartés au seul motif qu'ils ne répondraient pas à une réglementation spécifique ou à des préconisations qui sont par définition évolutives.

La société THALES AVIONICS indique s'associer à l'argumentation développée par les sociétés AES et PANASONIC, y ajoutant que la revendication 2 est privée d'activité inventive au regard du brevet américain [X] no 3 617 662 déposé le 3 février 1970 et délivré le 2 novembre 1971 qui a pour objet de fournir une prise de courant de sécurité configurée pour ne fournir du courant que lorsque les deux broches d'une prise mâle sont simultanément insérées (pièce THALES 2).

La société LUFTHANSA rappelle sur la nouveauté que les documents de l'art antérieur doivent être analysés dans leur globalité et que l'appréciation de l'activité inventive suppose de suivre l'approche dite « problème-solution » définie par l'OEB, consistant en particulier à rechercher non seulement si l'homme du métier aurait pu réaliser l'invention en combinant l'art antérieur le plus proche avec d'autres documents mais également, s'il était incité à aller en ce sens.

Elle souligne à cet égard qu'aucune des antériorités [O], [W] ou [J] ne relève du domaine de l'aéronautique et qu'à la date de priorité, le fait de placer des prises de courant alternatif haute tension dans les sièges d'un avion se heurtait à une forte réticence de sorte que seule l'utilisation du courant continu basse tension était envisagée.

?Sur le moyen tiré du défaut de nouveauté :

Selon l'article 54 de la CBE "Une invention est considérée comme nouvelle si elle n'est pas comprise dans l'état de la technique".

Pour être comprise dans l'état de la technique et privée de nouveauté, l'invention doit se trouver toute entière et dans une seule antériorité au caractère certain avec les éléments qui la constituent, dans la même forme, avec le même agencement et le même fonctionnement en vue du même résultat technique.

Les défenderesses soutiennent que les revendications invoquées sont privées de nouveauté au regard des document US 4 871 924 ([O]) et US 4 591 732 ([J]) qui doivent être examinées successivement.

Le document [O] intitulé "Réceptacle de sécurité avec série d'interrupteurs à fil chaud" porte sur une prise électrique de sécurité raccordée à plusieurs lignes et configurée de manière à recevoir les broches d'une fiche mâle correspondante. Il divulgue un terminal de réception connecté à chaque ligne d'alimentation, lequel est destiné à recevoir une broche correspondante de la fiche électrique qui, lors de l'insertion dans le terminal, active un interrupteur associé. Les interrupteurs sont connectés en série et, à l'insertion complète de toutes les broches, génèrent un signal de connexion qui conditionne l'alimentation. La description expose que l'invention concerne ainsi une prise de courant « configurée pour devenir énergisée lorsqu'une prise mâle est complètement insérée à l'intérieur ». Il est précisé qu'aligné à chaque zone d'introduction des broches (3) « se trouve un terminal de réception (4) servant à recevoir une broche respective de la fiche. Chaque terminal est associé à une ligne d'alimentation respective. Tous les terminaux de réception possèdent un interrupteur normalement ouvert qui est configuré mécaniquement pour sentir que la broche correspondante de la prise de courant est complètement insérée dans le terminal, ce qui provoque la fermeture de l'interrupteur ».

Les interrupteurs sont référencés 9 sur la figure ci-dessus. Selon ce document, la sécurité de l'utilisateur est assurée par le fait que le courant électrique n'est distribué que si les broches sont toutes correctement insérées, ce qui déclenche le signal de connexion.
L'appareil de connexion ou triac (13) délivre le courant en direction de la prise lorsqu'il reçoit ce signal.

Ainsi que le souligne la société LUFTHANSA TECHNIK, l'appareil de connexion - ou d'alimentation pour reprendre les termes du brevet - n'est pas positionné à distance de la prise de telle sorte que la tension est délivrée en permanence à l'intérieur de celle-ci jusqu'au triac.
Il est certes exact que comme le font observer les défenderesses, le document [O] ne précise pas que l'appareil de connexion devrait nécessairement être logé dans le boîtier de la prise, énonçant seulement que « la ligne électrique à haut potentiel possède un appareil électrique connecté, inséré dans la ligne d'alimentation correspondante, qui réagit au signal de connexion ». Pour soutenir que la séparation entre le boîtier de la prise et l'appareil d'alimentation est au contraire envisagée dans cette antériorité, elles se fondent sur la figure 2 qu'elles interprètent comme opérant une séparation entre les éléments mécaniques - situés dans le boîtier 1 - et ceux se rapportant au circuit électrique qui sont à l'extérieur de celui-ci :

Cette interprétation ne peut cependant être retenue en ce que comme le fait observer la société LUFTHANSA TECHNIK et a pu l'admettre l'expert [N] [K] dans le cadre de la procédure britannique précitée (pièce JD 2.22), la figure 2 est destinée à illustrer la réalisation des connexions et n'est pas forcément représentée à la même échelle que la vue d'ensemble du dispositif. La divulgation d'un positionnement « à l'écart » de la prise, qui n'est suggéré ni par la description évoquant seulement son placement « inséré dans la ligne d'alimentation » ni par les dessins, ne peut même pas être considérée comme implicite puisque cette caractéristique n'est pas envisagée comme un moyen participant à la sécurité recherchée, laquelle repose sur le fait que « tout courant est absent de la prise jusqu'à ce que la fiche et la prise correspondante soient complètement jointes l'une à l'autre ». En tout état de cause et comme l'a relevé le juge anglais (point 182 de la décision, pièce JD 2.18), l'exigence d'éloignement de l'appareil d'alimentation telle qu'elle ressort de la revendication 1 ne pourrait pas être illustrée par cette figure qui présente ces éléments non pas « à distance » mais seulement séparés l'un de l'autre.

Le document [O] ne détruit donc pas la nouveauté de la revendication 1.

Le document [J] porte sur un « réceptacle de sécurité ». Il expose dans sa partie descriptive que les réceptacles conventionnels, y compris les prises murales et les prises de courant encastrées, représentent une source de danger constant. Le but de l'invention est de fournir une construction améliorée d'un réceptacle de sécurité ou d'un système de contact qui ne présente pas les inconvénients de l'art antérieur - proposant des dispositifs dotés d'une plaque ou barre de sécurité amovible et d'un relais activé par un commutateur - qui sont l'espace occupé par ces moyens de protection et la force nécessaire pour insérer la fiche. Selon l'invention, le connecteur n'est pas en contact avec sa ligne d'alimentation électrique tant que toutes les broches d'une prise n'ont pas été introduites dans le réceptacle, l'insertion d'une fiche n'est pas gênée de manière substantielle par les caractéristiques de sécurité et le dispositif breveté n'est pas plus encombrant qu'un réceptacle traditionnel.
Ces buts sont atteints par une barrière lumineuse fonctionnant comme un interrupteur en ce qu'elle se trouve interrompue par l'introduction de la fiche mâle, ce qui active la connexion entre la ligne d'alimentation électrique et les connecteurs de la prise femelle.
Il est précisé - colonne 3 paragraphe 2 de la description - que de préférence, une ligne (théorique) de déplacement de broche est définie entre chaque ouverture de la plaque frontale et le connecteur associé et que conformément à ce mode de réalisation préféré, « la barrière lumineuse maintient le relais dans une position de coupure de contact lorsqu'il est en position de repos, c.-à-d. en l'absence des broches de la fiche, et n'opérera le relais pour la connexion du connecteur à la ligne d'alimentation que si les broches sont déplacées simultanément le long de la ligne théorique de mouvement de la broche jusqu'au contact avec le connecteur ».

Le premier mode de réalisation illustré ci-dessous (fig 1) montre la position des connecteurs (23, 24). Les broches de contact (30) seront déplacées le long de la ligne L. Des rails de guidage (31, 32) guident une barre ou un élément de pont. Les extrémités des conducteurs optiques (41, 42) sont placés à côté des extrémités longitudinales du pont. Une partie de connecteur optique (43) est inséré dans une rainure du pont. Les positions relatives des extrémités (41, 42) des conducteurs optiques et les faces d'extrémité du conducteur optique (43) à l'intérieur de l'élément de pont (33) sont placées en décalage dans les FIG. 1a et 1b, illustrant la position de repos dans laquelle la trajectoire optique du moyen de barrière lumineuse est interrompue, ou « ouverte »:

Dans le cas illustré par la figure 5, l'amplificateur électronique destiné à être utilisé avec le moyen de barrière lumineuse est modifié de sorte que le relais ne sera activé et la tension d'alimentation délivrée que lorsque le rayon lumineux des deux portails ou portions de barrière lumineuse sera interrompu par le bout des broches de contact (83). Les ouvertures (85) guident les broches (83, 84). Le socle (70) comporte des rainures permettant d'insérer les connecteurs (79, 78) - uniquement la partie en contact avec les broches présentées - et des trous (81, 82) reçoivent une partie du bout des broches de contact (83, 84). Le socle comporte également un passage central (86) et deux passages décentrés (87, 88) afin de recevoir les conducteurs optiques (89, 94 et 96) :

Comme le souligne la société LUFTHANSA TECHNIK, et l'ont successivement retenu les juridictions allemande et britannique (pièces JD 2.1 page 23 et 2.18, point 143) ce dispositif quel que soit le mode de réalisation proposé n'exige pas que les broches soient complètement - ou « correctement » - enfichées puisque le courant est fourni dès lors que les deux broches sont déplacées au niveau de la barrière lumineuse. Par ailleurs, ce document ne contient aucune indication selon laquelle l'alimentation électrique devrait être placée à distance de la prise.

Faute d'être une antériorité de toutes pièces, le document [J] ne détruit donc pas non plus la nouveauté de la revendication 1, ni celle des revendications dépendantes invoquées en incorporant les caractéristiques.

?Sur le moyen tiré du défaut d'activité inventive de la revendication 1 :

L'article 56 de la CBE dispose qu' « une invention est considérée comme impliquant une activité inventive si, pour un homme du métier, elle ne découle pas d'une manière évidente de l'état de la technique ».

L'appréciation du caractère inventif implique de déterminer si eu égard à l'état de la technique l'homme du métier, au vu du problème que l'invention prétend résoudre, aurait obtenu la solution technique revendiquée par le brevet en utilisant ses connaissances professionnelles et en effectuant de simples opérations. L'activité inventive se définit au regard du problème spécifique auquel est confronté l'homme du métier.

Les sociétés AES et PANASONIC AVIONICS estiment s'agissant de la revendication 1 que les caractéristiques invoquées par la demanderesse comme absentes des documents [O] et [J] relevaient des connaissances générales de l'homme du métier.

Elles ajoutent que ces caractéristiques étaient divulguées par le document [W].

Ainsi qu'il a été relevé plus haut dans le cadre de la présentation du brevet, le document [W] cité dans sa partie descriptive ne se rapporte pas spécifiquement à un dispositif destiné à l'alimentation électrique dans la cabine d'un avion. Il est par ailleurs exposé qu'outre les dispositifs d'alimentation connus fournissant une tension continue pouvant atteindre 30V, « on connaît également des dispositifs d'alimentation électriques fournissant une alimentation de secteur aux passagers de l'avion » activée et coupée au moyen d'un commutateur à clé (page 2, ligne 10 à 17), ce qui signifie une tension alternative sinusoïdale de 230V. Il est permis d'en déduire que l'homme du métier, défini plus haut comme un ingénieur électricien spécialisé dans la conception d'équipements et susceptible de s'adjoindre ponctuellement un spécialiste de la sécurité aérienne, ne sera pas forcément dissuadé de s'intéresser aux systèmes ne relevant pas du domaine de l'aéronautique et appliqués à la distribution de courant alternatif même si à la date de priorité du brevet, les orientations du mémorandum du département des transports et de l'administration fédérale américaine de l'aviation de 1996 relatives à « l'installation de systèmes d'alimentation dans les sièges (ISPSS) pour les appareils électroniques portables (PED) » (pièce HL 3.4) prévoyaient notamment que « pour fournir une connexion électrique entre l'ISPSS de l'avion et l'appareil électronique portable, un adaptateur spécial sera requis pour le fonctionnement de tous les PEDs. L'adaptateur spécial (?) doit posséder un connecteur mâle qui se branche dans un connecteur unique du côté de l'avion qui ne peut pas être confondu avec, et n'est pas compatible avec, une prise de courant alternatif CA conventionnelle ».

Comme le soulignent les sociétés défenderesses, ces préconisations même édictées en termes impératifs étaient susceptibles d'évoluer de sorte que l'homme du métier, appelé à concevoir des dispositifs d'alimentation électrique dans un avion, pouvait les considérer certes comme un cadre réglementaire contraignant adopté au regard de l'offre existante - ne pouvant assurer une sécurité jugée suffisante - mais pas comme un obstacle d'ordre technique excluant toute innovation en ce sens.

Le brevet EP 145 vise, dans ce contexte, à améliorer la sécurité des dispositifs connus - qui pouvaient contenir un appareil d'alimentation maintenu à distance de la prise - en subordonnant la disponibilité de la tension d'alimentation au niveau de la prise à des conditions supplémentaires.

Dans le document [O] décrit ci-dessus, les interrupteurs sont connectés en série et génèrent un signal de connexion qui permet l'alimentation de la prise uniquement lorsque toutes les broches sont correctement insérées, ce que divulgue la partie caractérisante de la revendication 1 selon laquelle le détecteur de fiche d'une part, identifie la présence de deux broches dans la prise de courant, et d'autre part, n'applique la tension d'alimentation que si cette détection est simultanée.

Le document [W], qui est mentionné dans la description du brevet comme divulguant l'ensemble des caractéristiques du préambule de la revendication 1, porte sur une prise destinée à éviter les court-circuits et les électrocutions en ne permettant le passage du courant que si le connecteur mâle est correctement enfoncé dans la prise femelle, soit dans le cas d'une surface de contact maximale entre les broches et les logements correspondants. Le but poursuivi est également l'étanchéité du contact (page 1 ligne 25 à 35).

Le boîtier du connecteur mâle inclut un aimant dont la proximité avec l'interrupteur optique de la prise femelle provoque la fermeture du relais et donc l'alimentation.

Les revendications sont illustrées par la figure 1 suivante :

Le boîtier du connecteur mâle comprend un aimant (1) venant en regard d'un interrupteur optique (2) relié par des fibres optiques (10, 11) à un émetteur (8) et à un récepteur (9) connecté à une borne de commande (13) d'un relais d'établissement de courant (7).

Ce document est structurellement le point de départ le plus prometteur pour parvenir à l'invention, qui consiste à augmenter la sécurité par des moyens relatifs au contrôle de l'alimentation de la prise. Or contrairement à ce que soutient la société LUFTHANSA TECHNIK, le seul fait que l'appareil d'alimentation ne soit pas décrit comme placé à distance de la prise dans le dispositif [O] ne permet pas de conclure que l'homme du métier aurait ignoré cette antériorité, dont l'objectif énoncé est le même à savoir, celui de prévenir les risques d'électrocution en cas d'insertion accidentelle d'objets dans les orifices destinés à recevoir les broches.

L'homme du métier aurait donc, en cherchant à améliorer le dispositif [W], été incité à adopter la solution divulguée par le brevet [O] et consistant à ajouter aux caractéristiques précitées la condition de détection de la présence simultanée des deux broches de la fiche devant être « complètement insérée » pour que la prise soit alimentée.
Il ne peut en outre être considéré comme le soutient la société LUFTHANSA TECHNIK que l'homme du métier aurait été dissuadé d'abandonner un système reposant sur l'utilisation d'une prise mâle spécifique par référence aux préconisations du mémorandum précité publié par l'administration américaine, au regard des avantages présentés par un dispositif entièrement contenu dans la prise femelle et fonctionnant avec une fiche standard.

La combinaison des documents [W] - considéré comme point de départ de l'approche dite « problème-solution » - et [O] conduit ainsi à la conclusion que la revendication 1 ne procède pas d'une activité inventive.

?Sur le moyen tiré du défaut d'activité inventive de la revendication 2 :

Les sociétés AES et PANASONIC AVIONICS soutiennent que la revendication 2 est également privée d'activité inventive au regard du document [J] qui divulgue le critère de la durée écoulée entre la première détection de la première broche et celle de la seconde broche en prévoyant un dispositif selon lequel la tension électrique n'est activée que lorsque les broches mâles d'une fiche sont déplacées de façon "substantiellement simultanée" vers et au contact des connecteurs. Elles se réfèrent sur ce point au mode de réalisation évoqué plus haut et illustré par la figure 5, indiquant qu'il permet de détecter avec précision le moment de la première introduction de chacune des broches, et soutiennent que l'homme du métier mettant en oeuvre ses connaissances générales aurait été capable de configurer le circuit électrique en conformité avec ce critère.

Elles font observer que le brevet invoqué ne fournit pas plus d'indication que l'antériorité citée sur les caractéristiques et le fonctionnement de l' « unité de commande et de contrôle » calculant cette temporalité.

La société THALES AVIONICS ajoute que la revendication 2 est également dépourvue d'activité inventive au regard du document no US 3 617 662 ([X]) déposé le 3 février 1970 et délivré le 2 novembre 1971, qui porte sur une prise de courant sécurisée (« safety electrical outlet ») et pose le même problème technique à résoudre que le brevet invoqué soit celui d'empêcher l'alimentation électrique lorsque deux objets sont successivement introduits dans la prise, lequel est résolu notamment au moyen d'une détection dynamique.

La société LUFTHANSA TECHNIK estime que s'il est mentionné dans le brevet [J] que le dispositif détecte l'introduction « substantiellement simultanée » des broches d'une fiche mâle, c'est uniquement parce que celles-ci sont de fait insérées en même temps et non parce que cette simultanéité d'introduction aurait été contrôlée. Elle fait valoir que ce document ne décrit ni un dispositif capable de détecter individuellement la présence des broches, ni a fortiori de mesurer le temps écoulé entre l'introduction de chacune d'elles, ce qui serait techniquement envisageable dans le second mode de réalisation comportant deux faisceaux lumineux, mais en réalité impossible dès lors que le raccordement électrique décrit est le même que pour le premier mode de réalisation. Elle ajoute que ni [W] ni [J] ne divulguent ni même ne suggèrent de subordonner la délivrance de la tension électrique à une temporisation entre la détection de l'une et l'autre des broche insérées.

Sur la combinaison de l'antériorité [J] avec le brevet [X], la société LUFTHANSA TECHNIK fait valoir qu'aucun de ces documents ne divulgue un dispositif muni d'un appareil d'alimentation séparé et situé à l'écart de la prise électrique, relié par une ligne de transmission à des détecteurs de fiches. Elle expose ensuite que le document [X] repose sur une technologie très différente à savoir un système entièrement mécanique - mettant en oeuvre des leviers et des ressorts à lame - que l'homme du métier n'aurait pas associé à des composants électroniques.

A l'égard du document [J], la société LUFTHANSA TECHNIK formule les mêmes objections que celles émises concernant le brevet [O] et qui sont tirées de son domaine d'application, de la différence de structure des deux systèmes et de l'absence de référence au problème lié au déversement de liquide qui comme le relèvent les défenderesses, n'est pas non plus évoqué par le brevet EP 145.

Le brevet [J] évoque la question de la synchronisation du déplacement des broches dans la description - colonne 3 lignes 21 à 28 - et dans la revendication 3 énonçant que « le réceptacle de la revendication 1, dans lequel ledit moyen de barrière lumineuse comprend deux portions de barrière, chacune étant associée à l'un desdits connecteurs et placée entre le connecteur associé et l'une desdites ouvertures de manière à ne faire fonctionner ledit relais pour raccordement de ladite ligne d'alimentation avec lesdits connecteurs que lorsque les broches de contact d'une prise sont déplacées de façon substantiellement simultanée vers, et au contact de, les connecteurs ».

Le sens de cette expression et la divulgation ou non d'une fonction de temporisation par cette antériorité sont longuement abordés aux points 149 à 162 de la décision de la Hight Court. La société LUFTHANSA TECHNIK soutient, en conformité avec la conclusion du juge anglais mais aussi avec la position adoptée par la juridiction allemande, que la notion d'introduction quasi simultanée des broches est évoquée non pas comme une condition pour l'alimentation - et donc un niveau supplémentaire de sécurité recherché - mais comme un état de fait lié à la configuration normale d'une fiche.

Le Bundespatentgericht a également écarté l'hypothèse de la temporisation requise par la revendication 3 du brevet [J] aux motifs qu'aucune mesure de durée n'y était évoquée et qu'aucun mode de réalisation exposé ne présentait une configuration intégrant cette fonction de chronométrage (pièce JD 02.01).

Il reste que comme le soulignent à juste titre les défenderesses, d'une part cette interprétation s'écarte de la lettre de la revendication 3 reproduite ci-dessus et d'autre part, le brevet EP 145 n'est pas plus explicite quant à la mise en oeuvre de cette caractéristique, la portée de l'invention étant en effet limitée à une condition de mesure de temps - ou « concept » de timing - indépendamment des moyens techniques permettant de l'appliquer, ce qui conduit à conclure que l'homme du métier était en mesure d'adapter le dispositif pour y intégrer une telle fonction au moyen de ses connaissances générales.
S'agissant d'apprécier l'activité inventive de la revendication 2 et non plus la seule question discutée de la divulgation par l'art antérieur du critère de temporisation conditionnant l'alimentation de la prise, les documents à la disposition de l'homme du métier étaient - outre [W] admis comme le point de départ le plus pertinent - les antériorités [J] et [X] versée aux débats par la société THALES AVIONICS.

Le document [X] (pièce THALES 2) porte sur une prise de courant de sécurité visant à prévenir le risque lié aux utilisations accidentelles, comprenant un réceptacle de fiche au niveau duquel aucun potentiel électrique n'est disponible si deux broches ne sont pas simultanément insérées.

Cette caractéristique de fonctionnement est obtenue en connectant l'alimentation à un moyen de commutation et non directement à une borne sur le réceptacle de la fiche, ledit moyen étant actionné uniquement par « l'action simultanée exercée sur lui de deux éléments de broche » (page 1 de la description traduite, lignes 26 et 27).

Le premier élément de sécurité du dispositif tient à la présence d'un commutateur (7) connecté en série dans le circuit entre la ligne électrocutante (5) et le réceptacle (2). Un élément de commande (11) plat allongé est connecté au niveau d'une extrémité correspondante, à une partie rigide du cadre de prise (12). Au niveau de l'extrémité libre (15) de cet élément (11), une plaque (16) est fixée de façon pivotante le long d'un axe central. Le corps du réceptacle en matériau isolant comprend des alésages (17) fixés de façon coulissante par rapport à des pistons (18) alignés axialement avec le trou de broche de masse et celui de côté retour, de sorte que les deux broches (3) appuient contre les pistons en les comprimant contre la plaque (16) si une fiche est insérée (fig 2). Quand les deux pistons sont poussés simultanément contre la plaque (16), celle-ci ne pivotera pas et contraindra à sa place l'élément de commande (11) vers la droite, amenant la tige (13) à appuyer contre le ressort (8) permettant d'actionner le contact (9) :

La figure 4 illustre le cas dans lequel un seul des pistons (18) est poussé, ce qui se produit en cas d'utilisation accidentelle de la prise. Dans cette hypothèse, la plaque 16 va pivoter dans l'une ou l'autre des directions autour de son axe sans modifier la position de l'élément de commande qui restera alors inactif, de telle sorte qu'aucune tension ne sera distribuée :

Le document [X] contient donc cette exigence de temporisation qui est obtenu non par des moyens électroniques de détection comme le fait observer la société LUFTHANSA TECHNIK, mais uniquement par des moyens mécaniques. La demanderesse ne peut toutefois être suivie lorsqu'elle affirme que ce document serait privé de toute pertinence pour cette raison, en ce qu'il poursuit en substance le même objectif que celui énoncé par le brevet à savoir, limiter les risques d'électrocution en conditionnant l'alimentation de la prise.

Étant en présence de ce critère de temporalité pris en compte dans le document [X], et qui est par ailleurs suggéré même s'il n'est pas divulgué par [J] qui contient le moyen - dans un des modes de réalisation décrits - de détecter séparément l'insertion de chaque broche, l'homme du métier disposait des éléments l'incitant à intégrer une temporisation s'ajoutant à la condition de simultanéité dite « détection statique » des deux broches insérées.

Et comme ne le conteste pas la société LUFTHANSA TECHNIK dans son argumentation relative à la demande subsidiaire tendant à la nullité de la revendication 2 pour insuffisance de description, et se déduit de la rédaction même du brevet EP 145 ne fournissant pas d'indication à cet égard, la mise en oeuvre de ce critère de temporalité impliquait des opérations d'adaptation du circuit électrique qui étaient à la portée de l'homme du métier.

Il se déduit de l'ensemble de ces observations que la combinaison des documents [J] et [X] prive la revendication 2 d'activité inventive.

?Sur le moyen tiré du défaut d'activité inventive des revendications 3 et 7 :

Dans le document [O], il est indiqué que le terminal de réception de chaque broche est associé à un interrupteur qui génère un signal de connexion activant l'alimentation, ce qui implique la présence de commutateurs mécaniques actionnés lors de l'introduction de la fiche au sens de la revendication 3 selon laquelle « le détecteur de fiche présente des commutateurs mécaniques (45, 46), qui sont actionnés par les broches (53, 54) enfichées de la fiche » ce qui du reste comme le font observer les sociétés AES et PANASONIC, relève des compétences professionnelles générales de l'ingénieur appelé à concevoir des équipements électriques.

La revendication 7 porte sur un « dispositif d'alimentation selon l'une des revendications 1 à 6, comportant plusieurs appareils d'alimentation (16) et une source de courant centrale (30) qui forme l'alimentation en tension des appareils d'alimentation (16), la source de courant (30) pouvant être coupée par un signal de commande ».

Ainsi que le soulignent les parties défenderesses, le fait de prévoir que le courant sera acheminé par plusieurs appareils d'alimentation n'implique pas une activité inventive pour l'homme du métier appelé à concevoir un dispositif de fourniture d'électricité comportant une série de prises de courant.

Ensuite, le contexte d'implémentation des dispositifs implique de manière évidente qu'un circuit unique soit susceptible d'être coupé par un signal de commande central à l'initiative de l'équipage de l'avion, ce qui ne s'écarte pas des cas de configuration courante d'un circuit électrique connus de l'homme du métier et est intégré dans les préconisations du mémorandum de l'USDT publié par le FAA précédemment cité, lequel indique qu'un moyen de déconnecter toutes les prises électriques doit être mis à la disposition du personnel navigant.

?Sur le moyen tiré de l'insuffisance de description :

L'article 138-1-b) de la CBE dispose que le brevet européen est déclaré nul par les tribunaux d'un État contractant « si le brevet européen n'expose pas l'invention de façon suffisamment claire et complète pour qu'un homme du métier puisse l'exécuter »

Ce moyen invoqué à titre subsidiaire n'a pas lieu d'être examiné.

Au regard de ce qui précède, les demandes se rapportant à la suite de la procédure relative à l'examen de la contrefaçon des revendications 1, 2, 3, et 7 de la partie française du brevet EP 0 881 145 n'ont pas lieu d'être examinées.

3-DEMANDES RELATIVES AUX FRAIS DU LITIGE ET AUX CONDITIONS D'EXECUTION DE LA DECISION :

La société LUFTHANSA TECHNIK, partie perdante, supportera la charge des dépens qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Elle doit en outre être condamnée à verser aux parties défenderesses, qui ont dû exposer des frais irrépétibles pour faire valoir leurs droits, une indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile qu'il est équitable de fixer à la somme de 50.000 euros pour la société THALES AVIONICS et 100.000 euros pour les sociétés AES et PANASONIC ANIONIC ensemble.

L'exécution provisoire n'étant ni justifiée au cas d'espèce ni adaptée à la solution du litige, elle n'a pas lieu d'être ordonnée.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal, statuant publiquement par jugement mis à disposition au greffe, contradictoire et en premier ressort,

REJETTE les demandes tendant à la nullité des revendications 1, 2, 3, et 7 de la partie française du brevet EP 0 881 145 de la société LUFTHANSA TECHNIK pour défaut de nouveauté et défaut de brevetabilité ;

DIT que les revendications 1, 2, 3, et 7 de la partie française du brevet EP 0 881 145 de la société LUFTHANSA TECHNIK sont nulles pour défaut d'activité inventive ;

DIT que la décision une fois définitive sera inscrite au Registre National des Brevets tenu par l'INPI à l'initiative de la partie la plus diligente ;

DIT n'y avoir lieu d'examiner les demandes subsidiaires fondées sur l'insuffisance de description ;

CONDAMNE la société LUFTHANSA TECHNIK à verser aux ASTRONICS AES et PANASONIC AVIONICS ensemble une somme 100 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE la société LUFTHANSA TECHNIK à verser à la société THALES AVIONICS une somme 50 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Fait et jugé à Paris le 4 décembre 2020.

Le GreffierLe Président


Synthèse
Tribunal : Tribunal de grande instance de Paris
Formation : Ct0196
Numéro d'arrêt : 2
Date de la décision : 04/12/2020

Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.grande.instance.paris;arret;2020-12-04;2 ?
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