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26/11/2020 | FRANCE | N°19/05470

France | France, Tribunal de grande instance de Paris, Ct0196, 26 novembre 2020, 19/05470


TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS

3ème chambre 1ère section

No RG 19/05470 -
No Portalis 352J-W-B7D-CPZFG

No MINUTE :

Assignation du :
08 avril 2019

JUGEMENT
rendu le 26 novembre 2020
DEMANDERESSE

S.A.R.L. BE MORE CREATIVE
[Adresse 1]
[Localité 1]

représentée par Me Krystelle BIONDI, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #G0850

DÉFENDERESSE

S.A.R.L. BRASSERIE LA CHOULETTE
[Adresse 2]
[Localité 2]

représentée par Me Asma MZE de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, avocat au barreau de

PARIS, vestiaire #C2477, Me Eric DEFLY, de la SELARL Vivaldi Avocats, avocat au barreau de LILLE

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Nathalie SABOTIER, 1ère...

TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS

3ème chambre 1ère section

No RG 19/05470 -
No Portalis 352J-W-B7D-CPZFG

No MINUTE :

Assignation du :
08 avril 2019

JUGEMENT
rendu le 26 novembre 2020
DEMANDERESSE

S.A.R.L. BE MORE CREATIVE
[Adresse 1]
[Localité 1]

représentée par Me Krystelle BIONDI, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #G0850

DÉFENDERESSE

S.A.R.L. BRASSERIE LA CHOULETTE
[Adresse 2]
[Localité 2]

représentée par Me Asma MZE de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #C2477, Me Eric DEFLY, de la SELARL Vivaldi Avocats, avocat au barreau de LILLE

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Nathalie SABOTIER, 1ère vice-présidente adjointe
Gilles BUFFET, Vice président
Alix FLEURIET, Juge

assistés de Caroline REBOUL, Greffier,

DÉBATS

A l'audience du 13 octobre 2020 tenue en audience publique devant Nathalie SABOTIER et Gilles BUFFET, juges rapporteurs, qui, sans opposition des avocats, ont tenu seuls l'audience, et, après avoir entendu les conseils des parties, en ont rendu compte au Tribunal, conformément aux dispositions de l'article 786 du Code de Procédure Civile.

JUGEMENT

Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe
Contradictoire
en premier ressort

La SARL BE MORE CREATIVE (BMC), immatriculée le 15 mai 2015 au RCS de Versailles, a pour activités la fabrication et la vente de boissons fermentées et toutes opérations et activités s'y rapportant, l'organisation d'événements et la restauration.

Elle expose qu'elle exploite la brasserie O'CLOCK BREWING, qu'elle commercialise une vingtaine de bières différentes en France, et qu'elle est connue sur le marché de la bière et auprès des professionnels du secteur, participant à plusieurs salons et foires spécialisés.

La société BMC fait valoir qu'elle propose notamment à la vente les bières "TIME OUT" et "BLACK OUT" qui font partie des références les plus demandées depuis 2016, sous les visuels suivants :

La SARL BRASSERIE LA CHOULETTE, immatriculée le 24 novembre 1986 au RCS de Valenciennes, commercialise également des bières.

La société BRASSERIE LA CHOULETTE est titulaire de la marque verbale française "TIMEOUT" no4438924 déposée le 21 mars 2018, laquelle a été enregistrée le 28 septembre 2018 pour désigner des produits des classes 29, 32 dont les bières, et 33.

Elle est également titulaire de la marque verbale française "BLACKOUT"no4438929 déposée le 21 mars 2018, laquelle a été enregistrée le 17 août 2018 pour désigner des produits des classes 29, 32, dont les bières, et 33.

La société BMC avait formé opposition à l'enregistrement de ces marques le 30 mai 2018 devant l'INPI en se prévalant de ses droits sur ses marques antérieures non déposées "TIME OUT" et "BLACK OUT" qu'elle considérait comme notoires au sens de l'article 6 bis de la Convention de Paris.

Le 12 juin 2018, l'INPI a notifié à la société BMC qu'elle envisageait de décider que l'opposition à l'enregistrement de la marque "BLACKOUT" était irrecevable, l'INPI considérant que la société BMC ne démontrait pas la connaissance du signe antérieur " BLACK OUT"par une large fraction du public français, de sorte qu'il n'était pas justifié de la notoriété de ce signe au sens de l'article 6 bis de la Convention de Paris.

Par courrier recommandé avec accusé de réception du 3 juillet 2018, le conseil de la société BMC a indiqué à la société BRASSERIE LA CHOULETTE que le dépôt de ses marques "TIMEOUT" et "BLACKOUT" présentait un caractère frauduleux, la société BRASSERIE LA CHOULETTE ayant eu connaissance, avant ce dépôt, de l'exploitation intensive des signes "TIME OUT" et "BLACK OUT" par la société BMC. Il demandait en conséquence à la société BRASSERIE LA CHOULETTE de procéder au retrait de ses demandes d'enregistrement des marques "TIMEOUT" et "BLACKOUT"pour les produits visés en classes 32 et 33 et de ne pas exploiter ou commercialiser des boissons alcooliques dont des bières revêtues des dénominations "TIMEOUT" et "BLACKOUT".

Les oppositions à l'enregistrement des marques "TIMEOUT" et "BLACKOUT" ont été déclarées irrecevables par l'INPI.

Par exploit d'huissier de justice du 8 avril 2019, la société BMC a fait assigner la société BRASSERIE LA CHOULETTE devant le tribunal de grande instance de Paris, devenu tribunal judiciaire de Paris à compter du 1er janvier 2020, en transfert de la propriété des marques "TIMEOUT" et "BLACKOUT" pour dépôt frauduleux et en concurrence déloyale et parasitaire.

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 24 février 2020, la société BMC demande au tribunal de :

Vu les articles L. 711-4, L. 714-3, L. 712-6 du code de la propriété intellectuelle,
Vu l'article 1240 du code civil,

- DECLARER l'action de la société Be More Creative recevable et bien-fondée ;

- DECLARER les pièces adverses no17, 18, 21 et 31 à 37 communiquées par la société Brasserie La Choulette irrecevables ;

- JUGER que les dépôts des marques verbales « TIME OUT » et « BLACK OUT» ont été réalisés de mauvaise foi par la société Brasserie La Choulette et sont dès lors frauduleux;

- JUGER que la société Brasserie La Choulette s'est rendue coupable de concurrence déloyale et de parasitisme ;

En conséquence,

- ORDONNER à la société Brasserie La Choulette de retirer de tous les circuits de commercialisation, physique et internet, la référence de bière BLACK OUT, dans un délai d'un mois à compter du délibéré, sous astreinte définitive et non comminatoire de 500 euros par infraction constatée à compter de la signification de la décision à intervenir ;

- ORDONNER le transfert de propriété des marques «TIMEOUT» et « BLACKOUT» au profit de la société Be More Creative, dans un délai de huit jours à compter du délibéré;

- INTERDIRE à la société Brasserie La Choulette de faire usage des dénominations TIME OUT et BLACK OUT et de tout signe similaire, sous quelque forme et de quelque nature que ce soit, et ce, sous astreinte définitive et non comminatoire de 500 euros par infraction constatée à compter de la signification de la décision à intervenir ;

- CONDAMNER la société Brasserie La Choulette à verser à la société Be More Creative la somme de 20.000 euros au titre de son préjudice ;

- ORDONNER, à titre de complément de dommages et intérêts, la publication du jugement à intervenir dans son intégralité ou son dispositif sur la page d'accueil du site internet de la société Brasserie La Choulette (https://www.lachoulette.com) pendant trois mois à compter du délibéré à intervenir ;

- CONDAMNER la société Brasserie La Choulette à verser à la société Be More Creative la somme de 5.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens dont les frais de procès-verbal de constat qui s'élèvent à 444,09 Euros ;

- ORDONNER l'exécution provisoire du jugement à intervenir, nonobstant appel et sans caution.

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 20 avril 2020, la société BRASSERIE LA CHOULETTE demande au tribunal de :

Vu l'article L 712-6 du code de la propriété intellectuelle,
Vu l'article 1240 du code civil,

CONSTATER que la société BE MORE CREATIVE ne démontre aucune faute qu'aurait pu commettre la société BRASSERIE LA CHOULETTE constitutive de dépôts frauduleux, d'actes de concurrence déloyale ou de parasitisme, ni aucun préjudice sérieusement chiffré ;

REJETER en conséquence l'ensemble des griefs et demandes de la société BE MORE CREATIVE ;

CONDAMNER la société BE MORE CREATIVE à verser à la société BRASSERIE LA CHOULETTE la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNER la société BE MORE CREATIVE aux entiers dépens de l'instance.

La clôture a été prononcée par ordonnance du 11 juin 2020.

MOTIFS DU JUGEMENT :

Sur la demande de rejet des pièces de la société BRASSERIE LA CHOULETTE :

La société BMC demande le rejet des pièces 17, 18 et 21 communiquées par la société BRASSERIE LA CHOULETTE , qui sont des articles de presse en langue anglaise non traduits, ainsi que les pièces no31 à 37 qui émanent du site internet de la société BRASSERIE LA CHOULETTE et qui ne présentent aucune source vérifiable, nul ne pouvant se constituer une preuve à lui-même.

La société BRASSERIE LA CHOULETTE réplique que le juge français peut parfaitement retenir un document écrit en langue anglaise à condition d'énoncer la signification matérielle et intellectuelle qu'il entend donner. La société BRASSERIE LA CHOULETTE ajoute que, sauf à démontrer que les informations qu'elle publie sur son site internet seraient trompeuses, la société BMC ne justifie d'aucun motif de nature à voir écarter des débats les pièces no31 à 37.

Sur ce :

En application de l'ordonnance de Villers-Cotterêts d'août 1539, le juge est fondé, dans l'exercice de son pouvoir souverain, à écarter comme élément de preuve un document écrit en langue étrangère, faute de production d'une traduction en langue française.

Il est cependant relevé que les pièces 17, 18 et 21 communiquées par la société BRASSERIE LA CHOULETTE, qui sont des extraits des magazines en langue anglaise TIME, BEERADVOCATE et MODERN BREWERY AGE, sont compréhensibles par le tribunal sans qu'une traduction soit nécessaire, tandis que la société BMC ne justifie pas être dans l'incapacité de comprendre la teneur de ces documents.

Par ailleurs, il n'est pas établi par la société BMC que les copies d'écran produites aux débats du site internet "www.lachoulette.com" édité et exploité par la défenderesse (pièces 31 à 37), qui font état de la reconnaissance de ses bières, notamment à l'étranger, présenteraient un caractère mensonger.

Par conséquent, la demande de rejet des pièces 17, 18, 21, 31 à 37 formée par la société BMC sera rejetée.

Sur la demande de transfert de la propriété des marques "TIMEOUT" et "BLACKOUT" pour fraude :

La société BMC rappelle qu'en application de l'article L.712-6 du code de la propriété intellectuelle, un dépôt de marque est entaché de fraude lorsqu'il a été effectué dans l'intention de priver autrui d'un signe nécessaire à son activité. Elle soutient que la seule condition requise pour caractériser la fraude est la démonstration de la connaissance par le déposant de l'usage antérieur du signe par un tiers. La société BMC fait valoir que les dénominations TIME OUT et BLACK OUT sont utilisées par elle depuis 2016 et ont gagné en notoriété sur un marché de brasseurs artisanaux français encore très modeste, les parties opérant sur le même marché, leurs produits étant commercialisés sur les mêmes points de vente, par le biais de canaux de distribution identiques. La société BMC ajoute que les termes "TIME OUT" et "BLACK OUT" ne sont pas communément employés pour désigner des bières, "TIME OUT" faisant plus communément référence à une pause dans une session de jeu ou de sport et "BLACK OUT" à une perte de conscience soudaine et momentanée. La société BMC considère que les dépôts de marque opérés par la société BRASSERIE LA CHOULETTE sur ces signes pour des bières sont manifestement frauduleux eu égard à la parfaite connaissance par la défenderesse de l'usage antérieur de ces termes par la société BMC dans le même secteur, ce qui crée de surcroît un risque de confusion important.

La société BRASSERIE LA CHOULETTE réplique que l'annulation d'un dépôt de marque pour fraude suppose que soit rapportée la preuve de l'existence d'intérêts sciemment méconnus par le déposant, au moment du dépôt et qu'il incombe au demandeur en nullité de justifier de circonstances qui permettent de conclure que le titulaire de la marque était de mauvaise foi lors de la demande d'enregistrement, cette mauvaise foi devant être appréciée globalement en tenant compte de tous les facteurs pertinents existants au moment du dépôt de la demande d'enregistrement, ou précédent ou suivant immédiatement le dépôt. La société BRASSERIE LA CHOULETTE affirme que la société BMC ne démontre pas l'existence de la fraude alléguée. Elle soutient, à cet égard, que la société BMC ne justifie pas que la société BRASSERIE LA CHOULETTE aurait eu connaissance de la commercialisation des bières "TIME OUT" et "BLACK OUT" au moment du dépôt des marques en litige en mars 2018. La société BRASSERIE LA CHOULETTE rappelle qu'elle est implantée localement, en Haut de France, et qu'elle n'a pas les mêmes canaux de distribution que la demanderesse qui est située dans les Yvelines, qui reste confidentielle et qui a une production moindre.

Sur ce :

L'article L.712-6 du code de la propriété intellectuelle dispose que si un enregistrement a été demandé soit en fraude des droits d'un tiers, soit en violation d'une obligation légale ou conventionnelle, la personne qui estime avoir un droit sur la marque peut revendiquer sa propriété en justice.
A moins que le déposant ne soit de mauvaise foi, l'action en revendication se prescrit par cinq ans à compter de la publication de la demande d'enregistrement.

Un dépôt de marque est entaché de fraude au sens de l'article L.712-6 du code de la propriété intellectuelle lorsqu'il est effectué dans l'intention de priver autrui d'un signe nécessaire à son activité. ( Com., 25 avril 2006, pourvoi no 04-15.641, Bull. 2006, IV, no 100)

L'annulation d'un dépôt de marque, pour fraude, ne suppose pas la justification de droits antérieurs de la partie plaignante sur le signe litigieux, mais la preuve de l'existence d'intérêts sciemment méconnus par le déposant. (Com., 19 décembre 2006, pourvoi no 05-14.431)

La société BMC soutient qu'elle commercialise en France des bières sous les appellations "TIME OUT" et "BLACK OUT" depuis 2016.

Cette affirmation est corroborée par les pièces suivantes :

- la publication de l'ensemble des bières commercialisées par la société BMC, comprenant les bières "TIME OUT" et "BLACK OUT", sur sa page Facebook du 17 décembre 2016,

- une page "BLACK OUT-O'CLOCK BREWING" publiée sur le site de référence de bières "Untappd.com" le 7 février 2016 reproduisant la bière "BLACK OUT" commercialisée par la demanderesse, cette page indiquant "327 ratings", avec une note globale de 3,63 sur 5 et comprenant un commentaire d'un internaute: "Steeve P. is drinking a Black Out by O'Clock Brewing",

- un avis publié le 9 septembre 2016 sur le compte Facebook du vendeur Le Beerotek situé à Versailles, indiquant l'arrivée dans son magasin de la bière "BLACK OUT" de la société BMC, accompagné d'une photographie du produit,

- l'annonce faite le 8 janvier 2016 sur le compte Facebook de la société BMC de la sortie de la bière "TIME OUT", avec une photographie la représentant avec la bière "STOUT TOUJOURS"

,

- un avis publié le 19 février 2016 sur le compte Facebook du vendeur Le Beerotek indiquant qu'il avait été livré des bières "TIME OUT" et "STOUT TOUJOURS" d'O'CLOCK BREWING avec une photographie des produits.

Il incombe à la société BMC, qui a introduit, en toute hypothèse, son action dans les cinq ans de la publication de la demande d'enregistrement des marques "TIMEOUT" et "BLACKOUT", de prouver que la société BRASSERIE LA CHOULETTE a procédé en connaissance de cause au dépôt de ces marques à l'insu de la société BMC qui faisait déjà usage des signes "TIME OUT" et "BLACK OUT".

Cette preuve peut être rapportée par tous moyens.

L'intention du déposant au moment du dépôt des demandes d'enregistrement est un élément subjectif qui doit être déterminé par référence à l'ensemble des facteurs pertinents propres au cas d'espèce, lesquels peuvent être postérieurs au dépôt (Cass. com., 3 févr. 2015, no13-18.025).

La société BRASSERIE LA CHOULETTE ne démontre pas que les signes "TIME OUT" et "BLACK OUT" auraient été utilisés pour désigner des bières dans le commerce en France par d'autres opérateurs économiques avant leur adoption par la société BMC.

Par ailleurs, il est justifié que les bières commercialisées par la société BMC sous les dénominations "TIME OUT" et "BLACK OUT" ont été présentées à un public très large dans un magazine de référence à diffusion nationale, BIÈRE MAGAZINE, d'avril-mai-juin 2017, dans un article consacré à la brasserie O'CLOCK BREWING exploitée par la société BMC.

Ce magazine spécialisé est nécessairement connu et lu par les brasseurs professionnels, dont la société BRASSERIE LA CHOULETTE, qui cherchent à se tenir informés des nouveautés et des tendances du marché de la bière.

Aussi, il y a lieu de retenir qu'avant le dépôt des marques litigieuses, la société BRASSERIE LA CHOULETTE avait connaissance des bières "TIME OUT" et "BLACK OUT" commercialisées par la société BMC.

Les marques litigieuses ne diffèrent de ces signes que par l'absence d'espace entre les termes "TIME" et "OUT", d'une part, et "BLACK" et "OUT", d'autre part.

Ces marques sont donc quasi-identiques aux signes antérieurement exploités par la société BMC.

Enfin, il est relevé que la société BRASSERIE LA CHOULETTE, si elle a commercialisé une bière reproduisant la marque "BLACKOUT", ne justifie d'aucun acte d'exploitation de la marque "TIME OUT", ce qui contredit l'idée d'un dépôt fortuit, étant relevé, à cet égard, que la société BMC ne sollicite pas, aux termes de ses conclusions, le retrait des bières référencées sous cette marque, ce qui corrobore cette absence d'exploitation.

Au regard de l'ensemble de ces éléments, il y a lieu de retenir que la société BRASSERIE LA CHOULETTE a procédé au dépôt des marques "TIMEOUT" et "BLACKOUT" en ayant eu connaissance des signes "TIME OUT" et "BLACK OUT" exploités antérieurement par la société BMC pour commercialiser des bières sous ces appellations, dans l'intention de priver la société BMC de signes nécessaires à son activité.

Aussi, le dépôt des marques "TIMEOUT" et "BLACKOUT" présentant un caractère frauduleux, il sera fait droit à la demande de transfert de la propriété de ces marques formée par la société BMC pour tous les produits désignés par leur enregistrement.

Sur les demandes formées au titre de la concurrence déloyale et du parasitisme :

La société BMC soutient que l'usage des dénominations "TIMEOUT" et "BLACKOUT" par la défenderesse, concurrente directe, pour vendre des bières, est constitutif de concurrence déloyale. Elle fait valoir que, dans un souci de modernisation de son image et de captation d'une partie de la clientèle de la société BMC, la société BRASSERIE LA CHOULETTE s'est inspirée des packagings de la demanderesse, générant un risque de confusion dans l'esprit du public entre ces acteurs économiques, qui opèrent dans les mêmes secteur et périmètre d'activité. La société BMC affirme que les signes en cause sont arbitraires et distinctifs.

La société BMC considère que le parasitisme est également constitué par l'imitation des étiquettes des produits en cause, renvoyant aux mêmes concepts, le logo de la demanderesse ayant également été imité par la défenderesse.

Sur le préjudice, la société BMC soutient qu'elle s'est trouvée privée des signes nécessaires à son activité tandis que la notoriété qu'elle a acquise en raison de ses stratégies et démarches promotionnelles ont profité à la société BRASSERIE LA CHOULETTE. La société BMC fait état d'un manque à gagner et d'un préjudice moral du fait de son assimilation auprès du public avec la société BRASSERIE LA CHOULETTE, la société BMC s'étant engagée dans une démarche d'égalité homme-femme dans le milieu brassicole tandis que la société BRASSERIE LA CHOULETTE commercialise des bières revêtues d'étiquettes réifiant l'image de la femme souvent dénudée.

La société BRASSERIE LA CHOULETTE oppose que les parties ont une implantation locale et des circuits de distribution distincts, tandis que les signes qui lui sont opposés sont banals et dépourvus de caractère distinctif. Elle considère que le consommateur de bières étant habitué aux dénominations litigieuses dans le domaine brassicole, aucune confusion n'est encourue sur l'origine des bières "BLACK OUT" et "TIME OUT" des brasseries LA CHOULETTE et BMC. La société BRASSERIE LA CHOULETTE soutient que les consommateurs concernés sont distincts : un public jeune et confidentiel qui achète sa bière dans un point de vente spécialisé ou sur internet pour la société BE MORE CREATIVE et des consommateurs plus classiques pour la société BRASSERIE LA CHOULETTE, aucune confusion n'étant possible sur l'origine du produit du fait de l'inscription du brasseur au dos de la bouteille tandis que les étiquettes sont différentes, aucune confusion n'étant également possible sur les visuels. La société BRASSERIE LA CHOULETTE ajoute qu'elle n'a pas cherché à imiter le logo de la brasserie gérée par la société BMC.

Sur le parasitisme, la société BRASSERIE LA CHOULETTE affirme que la société BMC ne rapporte pas la preuve des investissements consentis tandis que la défenderesse présente une expertise et une notoriété plus importante que la société BMC de sorte qu'elle n'a pas besoin de se placer dans le sillage d'une société dont le savoir-faire n'a rien à lui envier.

La société BRASSERIE LA CHOULETTE fait valoir, enfin, que la société BMC ne justifie d'aucun préjudice, ne rapportant pas la preuve d'un quelconque trouble commercial ni d'une atteinte à sa réputation et son image.

Sur ce :

En vertu des dispositions des articles 1240 et 1241 du code civil, tout fait quelconque de l'homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer, chacun étant responsable du dommage qu'il a causé non seulement par son fait, mais encore par sa négligence ou par son imprudence.

La concurrence déloyale doit être appréciée au regard du principe de la liberté du commerce qui implique qu'un signe ou un produit qui ne fait pas l'objet de droits de propriété intellectuelle puisse être librement reproduit sous certaines conditions tenant à l'absence de faute par la création d'un risque de confusion dans l'esprit de la clientèle sur l'origine du produit, circonstance attentatoire à l'exercice paisible et loyal du commerce.

L'appréciation de la faute au regard du risque de confusion doit résulter d'une approche concrète et circonstanciée des faits de la cause prenant en compte notamment le caractère plus ou moins servile, systématique ou répétitif de la reproduction ou de l'imitation, l'ancienneté d'usage, l'originalité, la notoriété de la prestation copiée.

Le parasitisme, qui s'apprécie dans le même cadre que la concurrence déloyale dont il est une déclinaison mais dont la constitution est toutefois indifférente au risque de confusion, consiste dans le fait pour une personne physique ou morale de profiter volontairement et déloyalement sans bourse délier des investissements, d'un savoir-faire ou d'un travail intellectuel d'autrui produisant une valeur économique individualisée et générant un avantage concurrentiel.

Il est observé, en premier lieu, que le signe "TIMEOUT" n'a jamais été exploité par la société BRASSERIE LA CHOULETTE, le seul dépôt de la marque correspondante n'étant pas, en tant que tel, un usage du signe.

Il est incontestable que les sociétés BMC et BRASSERIE LA CHOULETTE sont en situation de concurrence, exerçant dans le même secteur d'activité et que leurs produits sont commercialisés sur tout le territoire national.

Il est établi que la société BMC commercialise des bières sous le signe "BLACK OUT" depuis 2016 et qu'elle a fourni des investissements incontestables pour faire connaître ses produits, la brasserie qu'elle exploite ayant fait l'objet d'un article dans le magazine BIÈRE MAGAZINE d'avril-mai-juin 2017.

Aussi, le signe "BLACK OUT" exploité par la société BMC a acquis une certaine notoriété en France.

En reprenant ce terme pour commercialiser des produits identiques, même si les étiquettes présentent des différences, la société BRASSERIE LA CHOULETTE a donc commis une faute, ce qui a généré un risque de confusion dans l'esprit du consommateur de bières non spécialement avisé qui ne ferait pas une quelconque distinction sur leur origine.

Par conséquent, la société BRASSERIE LA CHOULETTE a été l'auteur d'actes de concurrence déloyale au préjudice de la société BMC.

Concernant les faits de parasitisme, la société BMC ne justifie d'aucun fait distinct de ceux invoqués au titre de la concurrence déloyale, celle-ci n'établissant pas que le logo de sa brasserie O'CLOCK BREWING aurait été imité par la société BRASSERIE LA CHOULETTE pour l'affiche promotionnelle de sa bière "CHOULETTE CAROTTE" mise sur le marché en mai 2019.

Si la société BMC ne justifie pas du préjudice économique imputable à la reproduction du signe "BLACK OUT", il est incontestable que cette reprise lui a causé un préjudice moral, en banalisant l'image de ses produits commercialisés sous cette appellation.

Par conséquent, il convient de condamner la société BRASSERIE LA CHOULETTE à payer à la société BMC 5.000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi du fait de la concurrence déloyale.

Il sera fait droit à la demande de retrait des circuits de commercialisation de la société BRASSERIE LA CHOULETTE de la référence de bière "BLACK OUT" et à la demande d'interdiction d'usage de ce signe, dans les conditions prévues au dispositif du présent jugement.

Le préjudice étant réparé, il n'y a pas lieu d'ordonner la publication du jugement.

Sur les demandes accessoires :

Partie perdante, la société BRASSERIE LA CHOULETTE sera condamnée aux dépens et à payer à la société BCM 5.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, cette indemnité comprenant les frais exposés au titre du constat d'hussier du 15 mars 2019, qui n'ont pas la nature de dépens.

L'exécution provisoire, nécessaire et compatible avec la nature de l'affaire sera ordonnée, sauf en ce qui concerne le transfert de la propriété des marques qui présente un caractère irréversible.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal, statuant publiquement, par jugement contradictoire et en premier ressort, mis à disposition par le greffe le jour du délibéré,

Déboute la société BE MORE CREATIVE (BMC) de sa demande de rejet des pièces no17, 18, 21, 31 à 37 communiquées par la société BRASSERIE LA CHOULETTE,

Ordonne le transfert de la propriété des marques françaises "TIMEOUT" no4438924 et "BLACKOUT"no4438929 de la société BRASSERIE LA CHOULETTE pour tous les produits qu'elles désignent à leur enregistrement à la société BE MORE CREATIVE (BMC),

Ordonne à l'initiative de la partie la plus diligente la communication de la présente décision à l'INPI pour inscription sur ses registres,

Condamne la société BRASSERIE LA CHOULETTE à payer à la société BE MORE CREATIVE (BMC) 5.000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi du fait de la concurrence déloyale,

Interdit à la société BRASSERIE LA CHOULETTE de faire usage, à quelque titre que ce soit, du signe "BLACKOUT", sous astreinte de 500 euros par jour de retard, laquelle commencera à courir à l'expiration d'un délai d'un mois à compter de la signification du présent jugement, et ce, pour une durée de six mois,

Ordonne à la société BRASSERIE LA CHOULETTE de retirer de tous ses circuits de commercialisation, physique et internet, la référence de bière "BLACK OUT", sous astreinte de 500 euros par jour de retard, laquelle commencera à courir à l'expiration d'un délai d'un mois à compter de la signification du présent jugement, et ce, pour une durée de six mois,

Dit que le tribunal se réservera la liquidation des astreintes éventuelles,

Dit n'y avoir lieu à publication du présent jugement,

Condamne la société BRASSERIE LA CHOULETTE à payer à la société BE MORE CREATIVE (BMC) 5.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne la société BRASSERIE LA CHOULETTE aux dépens,

Rejette le surplus des demandes,

Ordonne l'exécution provisoire du jugement, sauf en ce qui concerne la mesure de transfert de la propriété des marques françaises "TIMEOUT" no4438924 et "BLACKOUT"no4438929.

Fait et jugé à Paris le 26 novembre 2020

Le GreffierLa Présidente


Synthèse
Tribunal : Tribunal de grande instance de Paris
Formation : Ct0196
Numéro d'arrêt : 19/05470
Date de la décision : 26/11/2020

Analyses

dépôt frauduleux de marque


Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.grande.instance.paris;arret;2020-11-26;19.05470 ?
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